Colloques du Groupement des Anthropologistes de Langue Française (GALF)

Latifi, M., Khadmaoui, A., Soulaymani, A., et Mokhtari, A., 2004, Système de reproduction dans une population humaine solée du Moyen Atlas du Maroc (population de Fritissa). Antropo, 7, 73-78. www.didac.ehu.es/antropo


 
Système de reproduction dans une population humaine solée du Moyen Atlas du Maroc (population de Fritissa)

 

System of reproduction to an isolated human population of the Middle Atlas of Morocco (Population of Fritissa)

 

Latifi, M., Khadmaoui, A., Soulaymani, A., et Mokhtari, A.

 

Laboratoire de Pharmacologie et Toxicologie, UFR de Génétique et Biométrie, Faculté des Sciences Kenitra- Université Ibn Tofail.

 

Correspondance: Latifi, M., Laboratoire de Pharmacologie et Toxicologie, UFR de Génétique et Biométrie, Faculté des Sciences Kenitra- Université Ibn Tofail. E-mail: latifi14@caramail.com

 

Mots clés: système de reproduction, consanguinité, endogamie, isonymie.

 

Keywords: system of reproduction, consanguinity, endogamy, isonymie.

 

Résumé 

Le système de reproduction d’une population humaine est déterminé par des variables socio-démographiques, l’intérêt porté à l’étude de ce système est justifié par le rôle que joue le choix du conjoint sur la structure génétique de la famille et sur l’évolution du patrimoine héréditaire de la population .

L’objectif de ce travail est de déterminer le niveau d’endogamie et de consanguinité dans une population rurale isolée (population de Fritissa au Maroc) qui est fragmentée en sous populations différentes suivant leurs origines lointaines.

Les résultats de cette étude montrent un très fort taux d’endogamie et de consanguinité selon l’origine de la population (Arabe, Berbère, Chourfas ou migrants). Ainsi, l’estimation du taux de consanguinité par isonymie et par consanguinité apparente sera discutée.

 

Summary

           The system of reproduction of a human population is determined by socio-demographic variables, the interest carried in the study of this system is justified by the role which plays the choice of the spouse on the genetic structure of the family and on the evolution of the heritage of the population.

The objective of this work is to determine the level of endogamy and consanguinity in a population countryman isolated (population of Fritissa. Morroco) which is split up in different populations following their distant previous history.

The results show a very strong rate of endogamy and consanguinity according to the origin of the population (Arab, Berber, Chourfas or migrants). Then, the estimation of the rate of consanguinity by isonymie and by visible consanguinity will be discussed.

 

 

Introduction 

Le choix du conjoint influence la structure génétique de la famille et oriente l’évolution du patrimoine héréditaire de la population (Cavalli-Sforza, L. L. et al, 1966; Chapman, A. et Jacquard, A., 1971).

L’effet génétique de la consanguinité a été étudié sur diverses populations humaines dans différentes régions du monde (Neel, J.V., 1965; Lamdouar Bouazaoui, N., 1994; Schull, W.J. et Benhamadi, B., 1997; Stoltenberg, C. et al, 1999; Hussain, R. et al, 2001;  Nabulsi, M., M. et al, 2003).

L’étude des mariages consanguins tire son importance génétique du fait que des parents rapprochés ont plus de chances de porter les mêmes allèles que deux individus pris au hasard, il en résulte que pour un gène considéré, les enfants issus des mariages consanguins seront plus fréquemment homozygotes que les autres. Par conséquent, les unions consanguines contribueront à l’appauvrissement de la variabilité génétique du groupe en favorisant l’apparition des homozygotes.

Cette particularité offre une possibilité de manifestation de gènes délétères ou néfastes dans le génotype .

De plus l’effet néfaste de la consanguinité sur la fertilité et la fécondité des couples, ainsi que la mortalité et la morbidité de la progéniture ont été démontré dans différents travaux et dans diverses populations (Sutter, J., Tabah, L. 1971 ; Zlotogora, J. 1997; Soulaymani, A. et al, 1999; Hussain, R. et al, 2001;  Nabulsi, M. M. et al, 2003 ) .

 

 

Définitions et Mesures 

La consanguinité

          Un croisement est qualifié de consanguin lorsque les conjoints sont, de près ou de loin, étroitement apparentés , c’est-à-dire ayant des ancêtres communs .

Coefficient de Consanguinité individuel Fi

Le Coefficient de Consanguinité est la probabilité que deux gènes homologues soient identiques par ascendance, à un locus quelconque d’un individu "I" (Malécot, G.,1948 ).

d’ou:

avec :

p : nombre de générations qui séparent le père de l’individu I de l’ancêtre commun Ai.

m : nombre de générations qui séparent la mère de l’individu I de l’ancêtre commun Ai.

FAi :: le Coefficient de Consanguinité de l’ancêtre Ai .

Coefficient de Consanguinité moyen

          Le coefficient de Bernstein est la probabilité "" pour que deux gènes homologues d’un locus quelconque, pris au hasard dans une population, soient identiques (Chapman, A. et Jacquard, A., 1971):

fi : la fréquence des individus ayant le même Coefficient de Consanguinité Fi.

Fi: le Coefficient de Consanguinité de l’individu i.

Coefficient de Consanguinité apparente

Le coefficient de consanguinité apparente Ca est utilisé pour l’analyse des populations (Jacobi, L. et Jacquard, A., 1971; Chalbi , N. et Zakaria , D., 1998):

Rdcg , Rcg , Rci , Rcig sont respectivement les fréquences des unions entre: doubles cousins germains, cousins germains, cousins inégaux et cousins issus de germains .

            L’isonymie

           Un croisement est qualifié d’isonyme lorsque les deux conjoints portent le même nom de famille. Ainsi, les noms de famille, du fait qu’ils sont transmis par les mâles, apparaissent comme des marqueurs génétiques liés au chromosome Y.

          La relation entre le coefficient de consanguinité F et la probabilité d’isonymie P a été établie par Crow, J. F. et Mange , A. P. (1965):

 

 

Population et Méthodes

          Notre étude concerne une population rurale isolée habitant la commune rurale de Fritissa située sur la flanc Est du Moyen Atlas du Maroc. En plus de son isolement, cette population a la particularité de se subdiviser en trois sous populations d’origines différentes (arabe, berbère et chourfa). Les parents dans cette population sont des agriculteurs analphabètes.

L’ échantillon

Pour évaluer l’endogamie dans cette région, un échantillon de 500 familles des élèves du seul collège de la région durant l’année scolaire 1999- 2000 a été choisi pour cette étude statistique.

Le Questionnaire

Le questionnaire comprend des informations sur la génération du couple étudié :

-   Age des époux .

-   Origine de chaque conjoint .

-   Année du mariage.

-   Lien de parenté des conjoints.

Analyse statistique

La saisie et le traitement des données ont été effectués en utilisant le logiciel statistique Epi-Info . 

 

 

Résultats et Interprétations

Matrice d’ endogamie

Le tableau 1 représente les résultats d’endogamie dans la population de Fritissa :

 

Nombre d’unions

Arabes

Berbères

Chourfas

Migrantes

Total

général

Arabes

112

8

1

24

145

Berbères

17

198

7

19

241

Chourfas

1

2

57

7

67

Migrants

3

4

1

39

47

Total

Général

133

212

66

89

500

Tableau 1. La matrice d’endogamie de la population étudiée.

Table 1. The matrix of endogamy of the studied population.

 

            L’indice général d’endogamie a été calculé à partir des données de la matrice ci-dessus. Il est évalué à 81,2%. La valeur de cet indice qui est relativement très élevée, peut être complétée par le calcul de l’indice d’endogamie de chaque sous population (Tableau 2).

 

Sous population

Endogame

Exogame

Arabe

77,24%

22,76%

Berbère

82,15%

17,85%

Chourfas

85,07%

14,93%

Migrante

82,97%

17,03%

Tableau 2. L’indice d’endogamie pour chaque sous population.

Table 2. Indication of endogamy for every under population.

 

L’analyse de ces résultats montre à priori une très forte endogamie aussi bien dans la population générale que dans chaque sous population. Cependant, l’étude de la consanguinité au sein de la population étudiée s’est avérée nécessaire pour compléter ces données.

La consanguinité

Le tableau 3 représente les résultats de la consanguinité dans la population de Fritissa.

 

Lien de parenté

Cousins- germains

Autre relation

Sans relation

Effectifs

Pourcentages de consanguinité

Sous populations

 

 

 

 

 

Arabes

27

13

104

144

27,77

Berbères

46

34

160

240

33,33

Chourfas

16

6

45

67

32,83

Migrants

6

3

38

47

19,14

Total

95

56

347

498

30,32

Tableau 3. La répartition des mariages consanguins dans la population étudiée.

Table 3. The distribution of the consanguine marriages in the studied population.

 

Ces résultants montrent un pourcentage de consanguinité élevé et confirment le fort degré d’endogamie.

L’isonymie

Le tableau 4 représente les résultats de l’isonymie dans la population de Fritissa.

 

Sous populations

ni

Effectifs

Pourcentage d’isonymie(P)

Arabes

17

145

11,7

Berbères

49

241

20,3

Chourfas

11

67

16,4

Migrants

3

47

6,4

Tableau 4. Le pourcentage d’isonymie pour chaque sous population.

Table 4. The percentage of isonymie for every under population.

 

Les données des tableaux de consanguinité et d’isonymie permettent de calculer la consanguinité apparente Ca et la consanguinité par isonymie F pour chaque sous population ainsi que pour la population totale. Les résultats obtenus sont consignés sur le tableau 5.

 

Sous

Populations

Effectifs

Ca x 10-5

Consanguinité par isonymie (F x 10-5)

Arabes

145

1690

2925

Berbères

241

2010

5075

Chourfas

67

2005

4100

Migrants

47

1163

1600

Population générale

500

1837

3994,2

Tableau 5. La consanguinité apparente et la consanguinité par isonymie.

Table 5. The visible consanguinity and the consanguinity by isonymie.

 

Ces données illustrent bien la forte consanguinité pour toutes les sous populations de la région, plus particulièrement pour les Berbères et les Chourfas. la différence entre la consanguinité apparente et la consanguinité par isonymie peut s’expliquer aisément par le fait qu’une partie des mariages isonymes n’est pas consanguine. En effet, le port du même nom ne signifie pas automatiquement la présence de lien de parenté, surtout pour ces populations isolées en montagne. Cette situation particulière et propre à la population de cette région montagneuse, vient du fait que le choix du nom de famille des grands parents lors de l’enregistrement dans l’état civil immédiatement après l’indépendance, s’est fait sur des critères locaux. et non pas ancestraux. Certains membres de cette population, voire beaucoup, ont simplement pris le prénom de leur aïeul et lui ont ajouté le préfixe BEN (Enfant de..) pour en faire leur nom de famille. Il est évident que certains prénoms étaient courants dans la société Marocaine au moment de l’établissement de l’état civil, et c’est ainsi que plusieurs familles génétiquement éloignées se sont retrouvées avec le même nom.

 

 

Conclusion

Les résultats présentés dans cette étude montrent que l’isolement géographique de Fritissa est un élément déterminant et une conséquence directe de la constatation de la valeur élevée de l’indice général d’endogamie (81,2%).

D’ailleurs, cet indice reste encore très élevé en considérant les sous populations qui constituent la population de Fritissa, ce qui signifie que le comportement endogame est devenu un paramètre naturel au sein de cette population.

De plus l’estimation du degré de consanguinité montre qu’elle est également très élevée que ce soit, pour la population générale que pour chaque sous population.

Par ailleurs, l’isonymie est autre un moyen qui permet le calcul de la consanguinité apparente, en effet la comparaison entre la consanguinité apparente calculée par la méthode d’isonymie et la consanguinité calculée par la méthode classique montre une différence que nous imputons au fait que tous les mariages isonymes ne sont pas automatiquement consanguins.

Enfin, si l’isolement géographique est un élément capital du niveau élevé de la consanguinité, il n’en est pas moins la seule raison. En effet, d’autres facteurs peuvent influencer de manière significative l’augmentation du degré de consanguinité et d’endogamie. Ces facteurs seraient liés au développement socioéconomique des populations concernées.

 

 

Références bibliographiques

Benhamadi, B., 1997, Les déterminants de l’endogamie au Maroc , DHS I et II . Thèse présenté à la faculté des études supérieurs en vue de l’obtention du grade de philosophia Doctor (Ph.D) en Démographie .Université de Montréal ; pp 344.

Cavalli-Sforza, L. L., Kimura, M. et Barrai, I., 1966, The probability of consanguineous mariages, Genetics, 54, 37-60.

Chalbi, N. et Zakaria, D., 1998, Modèles de famille , endogamie et consanguinité apparente en Tunisie. Essais de mesure .Famille et population .Nouvelle série. N°1, O.N.E.P.Tunis.

Chapman, A. et Jacquard, A., 1971, Un isolat d’Amérique central : les indiens Jicaques du Hondoras. Génétique de population, Hommage à Jean Sutter, INED ; Cahier N°60; PUF.

Crow, J. F. et Mange, A. P., 1965, Measurement of Inbreeding from the frequency of marriages between persons of the same surname. Eugenics Quaterly, 12: 199-203.

Hussain, R., Bittles, A. H. et Sullivan, S., 2001, Consanguinity and early mortality in the muslim populations of India and Pakistan. American Journal of Human Biology, 13, 777-787.

Jacobi, L. et Jacquard, A., 1971 : Consanguinité proche, Consanguinité éloignée .Essai de mesure dans un village breton, cahier N°60.INED, Paris; pp 263-268.

Lamdouar Bouazzaoui, N., 1994, Consanguinité et santé publique au Maroc. Bull Acad. Natle. Med., 178. N°6, 1013-1027, séance du 7/06/1994.

Malécot, G., 1948, Les mathématiques de l’hérédité. Masson, Edit .Paris.

Nabulsi, M. M., Tamim, H., Sabbagh, M., Obeid, M.Y., Yunis, K. A. et Bitar, F. F., 2003, Parental consanguinity and congenital heart malformations in a developing country. American Journal of Medical Genetics, 116A, 342-347.

Soulaymani, A., Benazzouz, B., et Mokhtari, A., 1999, Impact du degré de parenté sur la prolificité, l’éclosabilité et la viabilité des descendants dans une population expérimentale de pigeons, J. Anim. Breed. Genet. 116, 139-150.

Schull, W.J. et Neel, J.V., 1965, The effects of inbreeding on japanese children. Harper and Row, New-York; 419p.

Stoltenberg, C., Magnus, P., Skrondal, A., et Terje Lie, R., 1999: Consanguinity and recurrence risk of birth defects: a population-based study. American Journal of Medical Genetics, 82, 423-428.

Sutter, J., Tabah, L. 1971, Structure de la mortalité dans les familles consanguines. Génétique et Populations. Institut national des études démographiques. France, 60, 11-29.

Zlotogora, J. 1997, Genetics disorders among Palestinian Arabs: Effects of consanguinity. American Journal of Medical Genetics. 68: 472- 475.