Colloques du Groupement des Anthropologistes de Langue Française (GALF)
Latifi, M., Khadmaoui, A., Soulaymani, A., et Mokhtari, A., 2004, Système de reproduction dans une population humaine solée du Moyen Atlas du Maroc (population de Fritissa). Antropo, 7, 73-78. www.didac.ehu.es/antropo
System of reproduction to an isolated human population of the Middle Atlas of Morocco (Population of Fritissa)
Mots clés: système de reproduction, consanguinité, endogamie, isonymie.
Keywords: system of reproduction, consanguinity, endogamy, isonymie.
Summary
L’effet génétique de la consanguinité a été étudié sur diverses populations humaines dans différentes régions du monde (Neel, J.V., 1965; Lamdouar Bouazaoui, N., 1994; Schull, W.J. et Benhamadi, B., 1997; Stoltenberg, C. et al, 1999; Hussain, R. et al, 2001; Nabulsi, M., M. et al, 2003).
L’étude des mariages consanguins tire son importance génétique du fait que des parents rapprochés ont plus de chances de porter les mêmes allèles que deux individus pris au hasard, il en résulte que pour un gène considéré, les enfants issus des mariages consanguins seront plus fréquemment homozygotes que les autres. Par conséquent, les unions consanguines contribueront à l’appauvrissement de la variabilité génétique du groupe en favorisant l’apparition des homozygotes.
Cette particularité offre une possibilité de manifestation de gènes délétères ou néfastes dans le génotype .
De plus l’effet néfaste de la consanguinité sur la fertilité et la fécondité des couples, ainsi que la mortalité et la morbidité de la progéniture ont été démontré dans différents travaux et dans diverses populations (Sutter, J., Tabah, L. 1971 ; Zlotogora, J. 1997; Soulaymani, A. et al, 1999; Hussain, R. et al, 2001; Nabulsi, M. M. et al, 2003 ) .
La consanguinité
Un croisement est qualifié de consanguin lorsque les conjoints sont, de près ou de loin, étroitement apparentés , c’est-à-dire ayant des ancêtres communs .
Coefficient de Consanguinité individuel Fi
Le Coefficient de Consanguinité est la probabilité que deux gènes homologues soient identiques par ascendance, à un locus quelconque d’un individu "I" (Malécot, G.,1948 ).
d’ou:
avec :
p : nombre de générations qui séparent le père de l’individu I de l’ancêtre commun Ai.
m : nombre de générations qui séparent la mère de l’individu I de l’ancêtre commun Ai.
FAi :: le Coefficient de Consanguinité de l’ancêtre Ai .
Coefficient de Consanguinité moyen
Le coefficient de Bernstein est la probabilité "" pour que deux gènes homologues d’un locus
quelconque, pris au hasard dans une population, soient identiques (Chapman, A.
et Jacquard, A., 1971):
fi : la fréquence des individus ayant le même Coefficient de Consanguinité Fi.
Fi: le Coefficient de Consanguinité de l’individu i.
Coefficient de Consanguinité apparente
Le coefficient de consanguinité apparente Ca est utilisé pour l’analyse des populations (Jacobi, L. et Jacquard, A., 1971; Chalbi , N. et Zakaria , D., 1998):
Rdcg , Rcg , Rci , Rcig sont respectivement les fréquences des unions entre: doubles cousins germains, cousins germains, cousins inégaux et cousins issus de germains .
L’isonymie
Un croisement est qualifié d’isonyme lorsque les deux conjoints portent le même nom de famille. Ainsi, les noms de famille, du fait qu’ils sont transmis par les mâles, apparaissent comme des marqueurs génétiques liés au chromosome Y.
La relation entre le coefficient de consanguinité F et la probabilité d’isonymie P a été établie par Crow, J. F. et Mange , A. P. (1965):
Population et Méthodes
Notre étude concerne une population rurale isolée habitant la commune rurale de Fritissa située sur la flanc Est du Moyen Atlas du Maroc. En plus de son isolement, cette population a la particularité de se subdiviser en trois sous populations d’origines différentes (arabe, berbère et chourfa). Les parents dans cette population sont des agriculteurs analphabètes.
L’ échantillon
Pour évaluer l’endogamie dans cette région, un échantillon de 500 familles des élèves du seul collège de la région durant l’année scolaire 1999- 2000 a été choisi pour cette étude statistique.
Le Questionnaire
Le questionnaire comprend des informations sur la génération du couple étudié :
- Age des époux .
- Origine de chaque conjoint .
- Année du mariage.
- Lien de parenté des conjoints.
Analyse statistique
La saisie et le traitement des données ont été effectués en utilisant le logiciel statistique Epi-Info .
Résultats et Interprétations
Matrice d’ endogamie
Le tableau 1 représente les résultats d’endogamie dans la population de Fritissa :
Nombre d’unions |
Arabes |
Berbères |
Chourfas |
Migrantes |
Total général |
Arabes |
112 |
8 |
1 |
24 |
145 |
Berbères |
17 |
198 |
7 |
19 |
241 |
Chourfas |
1 |
2 |
57 |
7 |
67 |
Migrants |
3 |
4 |
1 |
39 |
47 |
Total Général |
133 |
212 |
66 |
89 |
500 |
Tableau 1. La matrice d’endogamie de la population étudiée.
Table 1. The matrix of endogamy of the studied population.
L’indice général d’endogamie a été calculé à partir des données de la matrice ci-dessus.
Il est évalué à 81,2%. La valeur de cet indice qui est relativement très
élevée, peut être complétée par le calcul de l’indice d’endogamie de chaque
sous population (Tableau 2).
Sous population |
Endogame |
Exogame |
Arabe |
77,24% |
22,76% |
Berbère |
82,15% |
17,85% |
Chourfas |
85,07% |
14,93% |
Migrante |
82,97% |
17,03% |
Tableau 2. L’indice d’endogamie pour chaque sous population.
Table 2. Indication of endogamy for every under population.
L’analyse de ces résultats montre à priori une très forte endogamie aussi bien dans la population générale que dans chaque sous population. Cependant, l’étude de la consanguinité au sein de la population étudiée s’est avérée nécessaire pour compléter ces données.
La consanguinité
Le tableau 3 représente les résultats de la
consanguinité dans la population de Fritissa.
Lien de parenté |
Cousins- germains |
Autre relation |
Sans relation |
Effectifs |
Pourcentages de consanguinité |
Sous populations |
|
|
|
|
|
Arabes |
27 |
13 |
104 |
144 |
27,77 |
Berbères |
46 |
34 |
160 |
240 |
33,33 |
Chourfas |
16 |
6 |
45 |
67 |
32,83 |
Migrants |
6 |
3 |
38 |
47 |
19,14 |
Total |
95 |
56 |
347 |
498 |
30,32 |
Tableau 3. La répartition des mariages consanguins dans la population étudiée.
Table 3. The distribution of the consanguine marriages in the studied population.
Ces résultants montrent un pourcentage de consanguinité élevé et confirment le fort degré d’endogamie.
L’isonymie
Le tableau 4 représente les résultats de l’isonymie dans la population de Fritissa.
Sous populations |
ni |
Effectifs |
Pourcentage d’isonymie(P) |
Arabes |
17 |
145 |
11,7 |
Berbères |
49 |
241 |
20,3 |
Chourfas |
11 |
67 |
16,4 |
Migrants |
3 |
47 |
6,4 |
Tableau 4. Le pourcentage d’isonymie pour chaque sous population.
Table 4. The percentage of isonymie for every under population.
Les données des tableaux de consanguinité et d’isonymie permettent de calculer la consanguinité apparente Ca et la consanguinité par isonymie F pour chaque sous population ainsi que pour la population totale. Les résultats obtenus sont consignés sur le tableau 5.
SousPopulations |
Effectifs |
Ca x 10-5 |
Consanguinité par isonymie (F x 10-5) |
Arabes |
145 |
1690 |
2925 |
Berbères |
241 |
2010 |
5075 |
Chourfas |
67 |
2005 |
4100 |
Migrants |
47 |
1163 |
1600 |
Population générale |
500 |
1837 |
3994,2 |
Tableau 5. La consanguinité apparente et la consanguinité par isonymie.
Table 5. The visible consanguinity and the consanguinity by isonymie.
Ces données illustrent bien la forte consanguinité pour toutes les sous populations de la région, plus particulièrement pour les Berbères et les Chourfas. la différence entre la consanguinité apparente et la consanguinité par isonymie peut s’expliquer aisément par le fait qu’une partie des mariages isonymes n’est pas consanguine. En effet, le port du même nom ne signifie pas automatiquement la présence de lien de parenté, surtout pour ces populations isolées en montagne. Cette situation particulière et propre à la population de cette région montagneuse, vient du fait que le choix du nom de famille des grands parents lors de l’enregistrement dans l’état civil immédiatement après l’indépendance, s’est fait sur des critères locaux. et non pas ancestraux. Certains membres de cette population, voire beaucoup, ont simplement pris le prénom de leur aïeul et lui ont ajouté le préfixe BEN (Enfant de..) pour en faire leur nom de famille. Il est évident que certains prénoms étaient courants dans la société Marocaine au moment de l’établissement de l’état civil, et c’est ainsi que plusieurs familles génétiquement éloignées se sont retrouvées avec le même nom.
Conclusion
Les résultats présentés dans cette étude montrent que l’isolement géographique de Fritissa est un élément déterminant et une conséquence directe de la constatation de la valeur élevée de l’indice général d’endogamie (81,2%).
D’ailleurs, cet indice reste encore très élevé en considérant les sous populations qui constituent la population de Fritissa, ce qui signifie que le comportement endogame est devenu un paramètre naturel au sein de cette population.
De plus l’estimation du degré de consanguinité montre qu’elle est également très élevée que ce soit, pour la population générale que pour chaque sous population.
Par ailleurs, l’isonymie est autre un moyen qui permet le calcul de la consanguinité apparente, en effet la comparaison entre la consanguinité apparente calculée par la méthode d’isonymie et la consanguinité calculée par la méthode classique montre une différence que nous imputons au fait que tous les mariages isonymes ne sont pas automatiquement consanguins.
Enfin, si l’isolement géographique est un élément capital du niveau élevé de la consanguinité, il n’en est pas moins la seule raison. En effet, d’autres facteurs peuvent influencer de manière significative l’augmentation du degré de consanguinité et d’endogamie. Ces facteurs seraient liés au développement socioéconomique des populations concernées.
Benhamadi, B., 1997, Les déterminants de l’endogamie au Maroc , DHS I et II . Thèse présenté à la faculté des études supérieurs en vue de l’obtention du grade de philosophia Doctor (Ph.D) en Démographie .Université de Montréal ; pp 344.
Cavalli-Sforza, L. L., Kimura, M. et Barrai, I., 1966, The probability of consanguineous mariages, Genetics, 54, 37-60.
Chalbi, N. et Zakaria, D., 1998, Modèles de famille , endogamie et consanguinité apparente en Tunisie. Essais de mesure .Famille et population .Nouvelle série. N°1, O.N.E.P.Tunis.
Chapman, A. et Jacquard, A., 1971, Un isolat d’Amérique central : les indiens Jicaques du Hondoras. Génétique de population, Hommage à Jean Sutter, INED ; Cahier N°60; PUF.
Crow, J. F. et Mange, A. P., 1965, Measurement of Inbreeding from the frequency of marriages between persons of the same surname. Eugenics Quaterly, 12: 199-203.
Hussain, R., Bittles, A. H. et Sullivan, S., 2001, Consanguinity and early mortality in the muslim populations of India and Pakistan. American Journal of Human Biology, 13, 777-787.
Jacobi, L. et Jacquard, A., 1971 : Consanguinité proche, Consanguinité éloignée .Essai de mesure dans un village breton, cahier N°60.INED, Paris; pp 263-268.
Lamdouar Bouazzaoui, N., 1994, Consanguinité et santé publique au Maroc. Bull Acad. Natle. Med., 178. N°6, 1013-1027, séance du 7/06/1994.
Malécot, G., 1948, Les mathématiques de l’hérédité. Masson, Edit .Paris.
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Schull, W.J. et Neel, J.V., 1965, The effects of inbreeding on japanese children. Harper and Row, New-York; 419p.
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Zlotogora, J. 1997, Genetics disorders among Palestinian Arabs: Effects of consanguinity. American Journal of Medical Genetics. 68: 472- 475.