Colloques du Groupement des Anthropologistes de Langue Française (GALF)
Bodzsár,
É.B., Zsákai, A., Susanne, Ch., 2004, Mode de
croissance du poids et de la taille de jumeaux de la naissance à l’âge de 10
ans. Antropo, 7, 223-232. www.didac.ehu.es/antropo
Mode de croissance du poids et de la taille de jumeaux de la naissance à l’âge de 10 ans
É.B.
Bodzsár1, A. Zsákai1 et Ch. Susanne2
1Département
d'Anthropologie Biologique, Eötvös Loránd Université, Pázmány P. s 1/c, 1117
Budapest, Hongrie
2Laboratoire
d’Anthropologie, Vrije Universiteit Brussel, Pleinlaan 2, 1050 Brussels,
Belgium
Correspondance: É. B. Bodzsár.
Département d'Anthropologie Biologique, Eötvös Loránd Université, E-mail:
bodzsar@ludens.elte.hu
Mots clés: Étude Longitudinale de Jumeaux de
Budapest, poids, taille, maturation à la naissance, centiles
Key words: Budapest Longitudinal Twin study,
Neonatal maturaty status, Body mass and height centiles
Résumé
L’étude
aborde deux questions (1) les naissances simples et gémellaires et (2) le mode
différent de croissance postnatale des jumeaux de statut différent de
maturation.
Le mode de croissance a été suivi pendant les dix premières années de la vie et la maturation à la naissance estimée à partir de données anthropométriques: des sous-groupes ont été formés à savoir les quartiles supérieur et inférieur ainsi que le groupe intermédiaire pour le poids et le poids relatif à la taille.
Le poids
des jumeaux rejoint celui des naissances simples à l’âge de 2 ans et la taille
à 3 ans. Prenant les médianes de poids et de taille des naissances simples
comme valeur de référence, les médianes de poids et de taille des différents
sous-groupes seront exprimés en pourcentage de cette référence.
Aucune
différence n’a été observée entre les sous-goupes de maturation pour ce qui
concerne la durée de la période de recupération de croissance (catch-up
growth). Après 3 ans, le rythme de croissance des trois sous-groupes de jumeaux
était semblable à celui des naissances simples, bien que le poids des jumeaux
du quartile inférieur se trouve de manière consistante encore à 5–10 pourcent
de retard.
A la fin
de la 3ème année, les centiles de distribution des différents sous-groupes
convergent, avec un centile de différence entre les quartiles supérieur et
inférieur jusqu’à l’âge de 10 ans.
Abstract
The
problems studied were: (1) whether singletons and twins and (2) whether twins
of different maturation status differed in postnatal growth pattern.
The
growth pattern had been followed for the first ten years of life. Maturation
status of the twins was assessed by anthropometric measures at birth: the
contrasted subgroups belonged to the upper and lower quartiles and the
interquartile range of body weight, resp. weight for length.
Compared
to singletons the body weight of twins caught up by the age of 2 years, the
body height by the age of 3 years, resp. Taking peer-age singleton weight and
height medians as 100%, median weight and height of maturation subgroups were
expressed in percentage.
No
difference was found among maturation subgroups in the duration of the fast
catch-up growth period. After 3 years of age the rate of growth was similar to
singletons in all the three subgroups of twins, but the weight of the lower
quartile twins lagged consistently behind by about 5-10 %. The lag was more
marked in the females.
By the
end of the 3rd year of life the centile distribution of the maturation
subgroups converged. However, there was at least one centile grade between the
highest and lowest quartile subgroups up to the age of 10 years.
Introduction
La
croissance humaine est un processus strictement régulé. Cependant, la
manifestation du phénotype de croissance peut être favorisée ou défavorisée par
différents facteurs influençant le mode et le rythme de croissance. Comme la
croissance est un des critères de progrès de maturation, celle-ci peut être
estimée en considérant les changements de dimensions corporelles avec l’âge.
Il est
naturellement évident que la croissance peut être influencée négativement par
des effets défavorables du milieu. De nombreuses études ont montré que les
facteurs intra-utérins influencent la croissance prénatale plus que le génotype
foetal (Penrose, 1961; Rao et Morton, 1974). Il existe aussi des évidences chez
les jumeaux d’une augmentation de la mortalité périnatale et du taux de
naissance prématurée ainsi que de dimensions néonatales faibles lorsque le
milieu prénatal est suboptimal.
Il est
admis en effet que les nouveau-nés de grossesse multiple ont un risque plus
élevé de morbidité et de mortalité périnatale. Les accouchements prématurés
sont aussi plus fréquents chez les jumeaux que chez les naissances simples
(Chandra et Harilal, 1978). Des caractéristiques pathologiques du placenta et
du cordon ombilical sont des causes de cette prématurité et des décès
périnataux (Brody, 1952; WHO, 1976; Bender et Werner, 1978; Corney, 1978;
O’Rahilly et Muller, 1986). Un lien significatif a été retrouvé dans une partie
antérieure de ce travail entre le développement foetal ou postnatal des jumeaux
et le développement du placenta, ainsi que du nombre de vaisseaux ombilicaux
(Bodzsár et al.,
2001).
Si
l’écart entre les dimensions de l’enfant et ses dimensions potentielles
relatives à ses potentialités génétiques est important, une accélération de
croissance est souvent observée. Cette croissance plus rapide continue jusqu’au
moment où l’enfant atteint les dimensions qu’il aurait atteintes sans retard de
croissance (Prader et al.,
1963). Le taux d’accélération et la longueur de cette période sont fonction de
l’ampleur de ce déficit de croissance (Falkner, 1978).
En
fonction de ces observations, le but de cette étude était de répondre aux
questions suivantes:
- les jumeaux et les naissances
simples diffèrent ils dans leur mode de croissance de taille et de poids
pendant les 10 premières années ?
- de même les jumeaux groupés par
statut de maturité diffèrent ils ?
Matériel et
méthodes
Après une
décision du département de santé du Budapest City Council, un registre de
naissances gémellaires a été établi à Budapest depuis 1970. Le Budapest
Longitudinal Twin Study (Sárkány et al., 1974) basé sur ce registre a débuté en 1970 également
répondant ainsi aux recommendations de l’ OMS (1995). Dans cette étude, nous
analysons le développement corporel pré-pubertaire de jumeaux nés entre 1970 et
1980 en les comparant à des naissances simples de Budapest pendant la même
période (Eiben et al.,
1992). Le nombre de sujets par âge figure au Tableau 1.
Âge (ans) |
Garçons |
Filles |
0.0 |
1555 |
1627 |
0.5 |
1060 |
1189 |
1.0 |
920 |
1056 |
2.0 |
782 |
843 |
3.0 |
692 |
806 |
6.0 |
364 |
389 |
7.0 |
139 |
154 |
8.0 |
20 |
18 |
10.0 |
71 |
59 |
Total |
5603 |
6141 |
Tableau 1. Individus par âge et sexe.
Table 1. Subjects by age and sex.
Des
sous-groupes de jumeaux ont été comparés sur base des centiles de mesures
corporelles. Les centiles 3, 10, 25, 50, 75, 90 et 97 ont été estimés par la
méthode LMS de Cole (1995). Par cette méthode, des lignes percentiles peuvent
être construites même pour des distributions non-normales. Pour éliminer le
skewness, une transformation Box-Cox (1994) a été appliquée à chaque groupe
d’âge. En utilisant les courbes lissées du terme (L), la moyenne (M), et le
coefficient de variation (S) à chaque âge, les centiles (Ci) peuvent
être construits par la formule:
où zi
est l’équivalent normé de la déviation au centile requis.
Les jumeaux ont été groupés suivant leur statut de maturation néonatale sur base du poids à la naissance, absolu et relatif, à savoir le poids à la naissance exprimé en % de la taille à la naissance (Tableau 2).
|
Garçons |
Filles |
||
|
(g) |
(g/cm) |
(g) |
(g/cm) |
I. |
-2000 |
-4.32 |
-1900 |
-4.15 |
II. |
2001-2700 |
4.33-5.37 |
1901-2550 |
4.16-5.20 |
III. |
2701- |
5.38- |
2551- |
5.21- |
Tableau 2. Critères relatifs aux sous-groupes de
jumeaux.
Table 2. Criteria of sub-grouping in twins.
Résultats
et discussion
Il y a
une évidence de poids à la naissance moins élevé chez les jumeaux et d’une
gestation moins longue, avec 20-50% de jumeaux nés prématurément et de plus de
50% de poids de moins de 2.5 kg. Le poids peu élevé à la naissance n’est pas
seulement la conséquence de la prématurité, puisque dans plus de 60% des cas un
retard de croissance intrautérine a été observé.
Comparés
aux naissances simples, le poids des jumeaux se récupèrent par catch up à l’âge
de 2 ans après un retard initial observé chez les garcons et les filles (Figure
1, Bodzsár et al.,
2001). Bien que les jumeaux tendent à avoir des poids médians moins élevés que
les naissances simples de 2 à 10 ans, les différences s’avèrent non
significatives.
Figure 1. P50 du poids et de la taille des
naissances simples (__) et des jumeaux (- - -).
Figure 1. P50 of body weight and height in
singletons (__) and twins (- --).
En ce qui
concerne la taille, des résultats similaires ont été observés pour les deux
sexes, les naissances simples étant plus grandes que les jumeaux jusqu’à l’âge
de 3 ans et les différences de 50ème centiles entre jumeaux et naissances
simples n’étant pas significatives après 3 ans. En raison d’une accélération de
croissance, les jumeaux ratrappent le développement moyen des naissances
simples.
Dans la
comparaison des médianes des différents sous-groupes de jumeaux formés sur base
du statut de maturité à la naissance (exprimés en % de la médiane des
naissances simples), les résultats suivants peuvent être observés:
- Le rythme de croissance du poids
dans la période de catch-up est significativement différent entre les
sous-groupes, la longueur de cette période n’est pas influencée cependant par
le statut de maturité néonatale (Figures 2 et 3). Des jumeaux nés avec un poids
de 2000g (garçons), ou de 1900 g (filles) sont cependant plus de 5 à 10 % plus
légers que les naissances simples encore à l’âge de 10 ans. La croissance du
poids dans les différents sous-groupes montre la même tendance, mais le retard
relatif au poids est moins élevé que celui de la taille.
Figure 2. Poids et taille médian des sous-groupes
de jumeaux (même abbr. qu’au Tableau 2). Garçons.
Figure 2. The median weight and height
of twins’ maturation subgroups expressed in the percentage of singletons’
median (Abbr.: as in Table 2). Boys.
Figure 3. Poids et taille médian des sous-groupes
de jumeaux (même abbr. qu’au Tableau 2). Filles.
Figure 3. The median weight and height of twins’
maturation subgroups expressed in the percentage of singletons’ median (Abbr.:
as in Table 2). Girls.
- Les sous-groupes de maturité ne
montrent pas de différences relatives à la taille: les sous-groupes de poids à
la naissance, absolu et relatif, récupèrent par rapport aux naissances simples
à l’âge de 3 ans pour les deux sexes.
- La différence de centiles de poids,
en fonction de la maturité néonatale, des jumeaux nés avec un poids inférieur à
la moyenne comparés aux jumeaux de poids supérieur à la moyenne diminue à l’âge
de 2 ans pour les deux sexes (Figure 4). Néanmoins, la différence entre ces
deux sous-groupes se maintient même après 2 ans. Les centiles des jumeaux nés
avec un poids moins élevé sont de 1 centile inférieur à celui des jumeaux de
poids plus élévé. Les centiles de taille des jumeaux groupés suivant leur poids
à la naissance évoluent de manière similaire, à l’exception de la longueur de
la période catch-up, le retard ne disparaissant qu’à l’âge de 3 ans, même si de
faibles différences subsistent par après.
- Les différences de centiles des
sous-groupes de jumeaux indiquent également, que pendant les 10 premières
années de vie postnatale les jumeaux les plus en retard gardent ce retard de
croissance de la taille et du poids par rapport aux naissances simples (Figure
5).
Figure 4. Poids et taille des jumeaux suivant les
sous-groupes de poids à la naissance (même abbr. qu’au Tableau 2).
Figure 4. Body mass and body height in twins
grouped by birth weight (Abbr.: as in Table 2).
Figure 5. Poids et taille des jumeaux suivant les
sous-groupes de poids relatif à la naissance (même abbr. qu’au Tableau 2).
Figure 5. Body mass and body height in twins
grouped on the basis of relative birth weight (Abbr.: as in Table 2).
Conclusions
La
croissance postnatale des jumeaux n’a été suivie longitudinalement depuis la
naissance qu’à de rares occasions. Des résultats non concordants de longueur de
la période catch-up des jumeaux ont été rapportés. Ainsi, selon Wilson (1978),
dans une comparaison de jumeaux à des naissances simples, le retard de
croissance postnatale des jumeaux diminue des 30 % à la naissance à 10 % à
l’âge de 1 an pour les deux sexes et disparait à l’âge de 8 ans. D’autres
études (Gant 1966, Hunt 1966, Falkner 1976) trouvent un catch up à l’âge de 6
ans. Dans notre échantillon, le retard de poids et de taille des jumeaux, dû à
un milieu intrautérin plus étroit, se récupère à l’âge de 2-3 ans. Cette
variabilité de longueur de la période de catch-up pourrait être expliquée par des
proportions différentes de jumeaux monozygotiques et dizygotiques dans les
échantillons.
Les
caratéristiques de croissance en fonction du statut de maturité néonatale n’ont
pas été étudiées dans les publications déjà citées. Bien que la vitesse de
croissance catch up et la longueur de cette période ne diffèrent pas
significativement entre les sous-groupes de maturation, des différences
significatives s’observent dans le taux de récupération: ainsi des jumeaux nés
avec un poids peu élevé n’ont pu récupérer malgré l’accélération de croissance
pendant les 3 premières années, ils restent en retard de 10 % à l’âge de 10
ans.
Le retard
de croissance prénatal étant moins marqué pour le poids que pour la taille, ce
pourrait être la raison que les courbes percentilées des sous-groupes de poids
relatif à la naissance (poids à la naissance par rapport à la taille à la
naissance) ne soient pas significativement différentes. On peut aussi affirmer
que le poids est un indicateur plus sensible de troubles de maturation prénatale
et de catch-up postnatal que la taille.
Nous
voudrions également mentionner l’intérêt d’appliquer des normes spécifiques au
statut de maturité aussi bien pour les jumeaux que les naissance simples.
Remerciements.
Les
auteurs remercient T. Cole pour leur avoir permis l’accès à ses programmes
informatisés. Ce travail a été financé par le Hungarian National Foundation for
Scientific Research (OTKA grant No T 034872).
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