Colloques du Groupement des Anthropologistes de Langue Française (GALF)

Ben-Ncer, A., 2004, Etude de la sépulture ibéromaurusienne 1 d’Ifri n’Baroud (Rif oriental, MAROC). Antropo, 7, 177-185. www.didac.ehu.es/antropo


Etude de la sépulture ibéromaurusienne 1 d’Ifri n’Baroud (Rif oriental, MAROC)

 

Study of the burial ibéromaurusian 1 of Ifri n’Baroud (Eastern Rif, MOROCCO)

 

A. Ben-Ncer

 

INSAP, Av. J. Kennedy, route des Zaërs, Casier postal, Rabat-Souissi. E-mail : benncerabdel@hotmail.com

 

Mots-Clefs: Sépulture, Ibéromaurusien, Ifri n’Baroud , Rif oriental, Maroc.

 

Key-words: burial, Ibéromaurusian, Ifri n’Baroud , Eastern Rif, Morocco.

 

Résumé

Cet article a pour objet l’étude de la première sépulture mise au jour dans le site d’Ifri n’Baroud (Rif oriental, Maroc). Il s’agit d’une sépulture individuelle primaire en fosse d’un sujet adulte de sexe féminin et de grande taille. Le niveau archéologique ibéromaurusien auquel appartient cette sépulture serait âgée d’au moins 12 500 ans. La fosse en question est à fond oblique. Son étroitesse et l’obliquité de son fond font que le sujet devait être mis en position de decubitus dorsal très contracté lequel est "assorti d’une position assise". C’est une sépulture qui dut être endommagée, ce qui entraîna irrémédiablement la disparition de certaines composantes fondamentales du squelette, en l’occurrence le crâne et bien d’autres os.

 

Abstract

This article deals with the study of the first burial at the site of Ifri n' Baroud (Eastern Rif, Morocco) . It is about an individual primary burial of a tall female adult subject found in a grave. The Iberomaurusian archaeological level to which belongs the burial would be at least 12 500 years old. The grave in question has an oblique bottom. The latter marrowness and the obliqueness of its bottom are evidences that the subject should have been put in a dorsal decubitus position much contracted "matched with a seated position". The burial has certainly been damaged which entailed the irreparable loss of some basic components of the skeleton, in this case the skull and other bones.


Introduction

En automne de l’année 1994, nous effectuâmes, A. Mikdad et moi-même pour l’INSAP (Rabat, Maroc) et J. Eiwanger pour la KAVA (Bonn, RFA), une mission de reconnaissance et d’évaluation du potentiel archéologique préhistorique dans la région du Rif oriental. La découverte du site d’Ifri n’Baroud (figure 1 et 2) vint à point nommé agrémenter cette mission et motiva le montage d’un vaste programme de prospections et de fouilles archéologiques dans la région du Rif oriental: il fut baptisé "Pré et Protohistoire du Rif oriental". Au printemps de l’année suivante, nous entamions ce programme par l’ouverture de 3 sondages dans le site d’Ifri n’Baroud (figure 1). Nous ne pûmes espérer mieux dans la mesure ou nous tombâmes, à pic au niveau de la couche 2 du Sondage n° 3 (figure 3), sur une sépulture individuelle primaire.

 

Figure 1. Ifri n’Baroud, (Rif oriental, Maroc) : carte de situation générale.

Figure 1. Ifri n' Baroud (Eastern Rif, morocco) : overall map

 

Figure 2. Ifri n’Baroud : vue d’ensemble (cliché J. Eiwanger).

Figure 2. Ifri n' Baroud : overvew (cliche J.Eiwanger)

 

Figure 3. Ifri n’Baroud : localisation du sondage n°3 (Relevé J. Eiwanger).

Figure 3. Ifri n' Baroud  : drilling localization n°3 (plotting J.Eiwanger)

 

Description

Fouilles

La méthode de fouilles qui fut choisie dans les sondages effectués au niveau d’Ifri n’Baroud consista à faire des enlèvements de 10 cm d’épaisseur. Mais, dès que des vestiges, tels que des restes humains, commencèrent à apparaître, la fouille minutieuse à l’outil fin fut alors adoptée. Cela fut le cas lors de la découverte de cette sépulture. Ainsi, le décapage fut effectué à l’aide d’outils de dentiste et mené de manière à cerner les limites de la fosse et mettre en évidence le maximum possible de vestiges. Nous procédâmes donc à un décapage méticuleux à l’aide d’outils de dentistes et de fins pinceaux à même de dégager le sable couvrant les vestiges osseux. Vu le mauvais état de conservation de certaines régions anatomiques du squelette, une attention particulière fut réservée aux os du bassin. Cela nous contraignit d’établir la diagnose du sexe in situ. Une fois la majorité des vestiges mise à jour, un relevé graphique au 1/5 fut établi (figure 4).

 

Figure 4. relevé graphique au 1/5 (Relevé A. Amarir).

Figure 4. Graphic plotting by 1/5 (plotted by A.Amair)

 

Caractéristiques de la sépulture

1. Fosse et remplissage

La fosse sépulcrale est de forme plus au moins ovalaire d’environ 60 cm de diamètre. Elle est profonde d'environ 40 cm. Son contour est formé d'un sédiment rouge relativement endurci qui se distingue aisément par rapport au sédiment de remplissage lequel est meuble. Celui-ci est de couleur noirâtre (due à la présence de plusieurs morceaux de charbon de bois et de plusieurs coquilles d'escargots calcinés) au niveau de la moitié proximale du squelette et grisâtre au niveau de la moitié distale de ce dernier. Toutefois, à la base de la fosse et ce, au contact des os du bassin et des os des pieds, le sédiment de remplissage, qui est également meuble, est le même que celui du contour. Sa trouvaille impliquerait que ce sédiment ne fut donc pas évacué lors du creusement de la fosse.

2. Position du sujet, configuration des vestiges osseux et milieu de decomposition: constats et interpretations

Il s’agit d’une sépulture individuelle primaire à axe nord-sud. Le sujet, faisant l'objet de cette sépulture, repose en decubitus dorsal très contracté assorti d'une posture "assise" (figure 5). C'est que sous l'effet de l'étroitesse de la fosse, le cadavre dut être affaissé pour prendre appui sur "les fesses". C'est une position qui, toutes proportions gardées, est en passe de devenir une pratique funéraire courante chez les Ibéromaurusiens. Nous relevâmes, presque, la même position au niveau de la sépulture ibéromaurusienne 5 d'Ifri n'Ammar (A. Ben-Ncer 1, inédit). Cela nous pousse à penser que le creusement de la fosse serait fait avec la volonté de donner au cadavre la position décrite ici : soit une fosse justement étroite et assez creuse et un cadavre assez ramassé avec des membres inférieurs fléchis.

 

Figure 5. Sépulture 1 d’Ifri n’Baroud, en cours de décapage (cliché Jörg Linstädter).

Figure 5. burial of Ifri n' Baroud , in process of cleaning (cliche Jörg Linstädeter)

 

La courbure, antérieurement concave, du restant de l’étage vertébral thoracique est telle que la tête, dont la voûte crânienne nous fait défaut, devait être inclinée en avant. Les côtes afférentes aux vertèbres sauvegardées stigmatisent le volume initial du tronc. Elles ont gardé la position qu’elles devaient avoir en présence des parties molles. C’est le cas également des scapulas et de la clavicule gauche, visibles par la face supérieure. C’est dire que la décomposition du cadavre à ce niveau là dut se dérouler dans un espace à colmatage progressif.

Les côtes sont généralement visibles par la face supérieure. Les vertèbres thoraciques supérieures sont visibles par la face supérieure. Les vertèbres thoraciques inférieures et lombaires sont visibles par la face supéro-antérieure.

Le sternum, qui se présente par la face supéro-antérieure, dut subir une très légère translation latérale droite tout en restant en connexion stricte avec la clavicule gauche.

Les os de l’avant bras gauche reposent sur l’os coxal gauche et sont visibles par la face antéro-latérale. Le radius s’y superpose à l’ulna en position de supination. En aval, ces os sont en connexion stricte avec les os du carpe. Certains de ceux-ci, à l’instar des 1er et 2ème MTC et les phalanges, durent subir une légère dislocation. Les autres MTC, et les phalanges correspondantes, visibles par la face latérale, même en se retrouvant à un niveau plus bas, durent au contraire rester en connexion stricte avec les autres os du carpe.

Au niveau des os du bassin, la connexion est parfaite. Le sacrum, qui est visible par la face antéro-supérieure, est en connexion stricte, d’une part, avec la 5ème vertèbre lombaire et, d’autre part, avec les os coxaux. Quoique ces derniers durent subir une très légère mise à plat, ils l'ont été dans les limites du volume initial qui comportait les parties molles.

Pour ce qui est des membres inférieurs, outre la flexion qui les intéressent, ils devaient être inclinés à droite. Le membre inférieur droit devait prendre appui sur la paroi de la fosse, à droite. Le membre inférieur gauche, quant-à lui, devait prendre appui sur le premier. Les Fémurs, visibles par la face disto-médio-antérieure pour celui de droite et par la face disto-latéo-antérieure pour celui de gauche, sont en parfaite connexion avec les os coxaux respectifs. Les patellas durent, à leur tour, garder leur position originelle qui devait être la leur en présence des parties molles. Nous nous retrouvons donc avec une décomposition dans un espace à colmatage sédimentaire progressif, doublée d’un effet de paroi. Cet effet est manifestement latéral pour ce qui est de la patella droite et médial pour ce qui est de la patella gauche.

Les os de la jambe sont en connexion stricte entre-eux. En effet, les deux fibulas en particulier ne se seraient restées en état si la décomposition n’avait pas lieu dans un espace à colmatage progressif. La même remarque est à faire valoir en ce qui concerne les os des 2 tarses et des MTT correspondants. Toutefois, le 3ème MTT gauche se retrouve en léger décrochement par rapport au reste et n’y reste lié que par une connexion lâche.

Bref, le maintien en position originelle de nombreux os est la conséquence d’une décomposition dans un espace à colmatage progressif (H. Duday et al., 1990). La majeure partie des os, du sujet étudié ici, est maintenue en position originelle. Nous sommes donc en présence d’os qui durent résister au déséquilibre consécutif à la lyse des parties molles. Or, cette résistance ne se serait produite si l’on était pas en présence d’une tombe en pleine terre. Cela s’illustre de manière indéniable dans le cas des :

- côtes qui durent rester dans la position qui était la leur en présence des parties molles ;

- os du bassin, dont les os coxaux en particulier, qui en dépit de la très légère mise à plat ne quittèrent pas pour autant le volume initial du cadavre ;

- patellas qui restent confinées à leur place d’origine ;

- les fibulas qui sont en stricte connexion et avec les tibias et avec les talus.

Bien plus, si la décomposition dans un espace à colmatage progressif est patente, un autre phénomène aussi patent est venu la corroborer. Il s’agit de l’effet de paroi repérable à plusieurs points de cette tombe. En effet, il est perceptible au niveau de la colonne vertébrale où la courbure de celle-ci est accentuée par cet effet. On peut le relever aussi au niveau de la ceinture pelvienne où il correspond à la compression latérale qui se serait exercée sur cette ceinture et qui serait due à l’étroitesse du creusement de la fosse. A ce niveau, le concours du colmatage aurait fait que les os coxaux seraient quasiment maintenus dans la position qui aurait été la leur à l’état cadavérique.

L’effet de paroi est enfin visible au niveau des os du membre inférieur droit, tout particulièrement la patella, et par voie de conséquence au niveau des os du membre opposé.

3. Etat de conservation

La sépulture ibéromaurusienne 1 d’Ifri n’Baroud dut subir de nombreuses perturbations. Ces dernières durent en effet se produire postérieurement à cette sépulture et durent entraîner la disparition de parties non négligeables du squelette. Ceci concerne la boite crânienne, les os du membre supérieur droit, l'étage vertébral cervical, les premières vertèbres thoraciques et l'humérus gauche. Supposant que le membre supérieur droit était relevé à hauteur de la tête ou carrément posé sur celle-ci. Nous même avions relevé une attitude pareille dans la sépulture néolithique 2 d’El Harhoura II (A. Ben-Ncer et al., inédit). Auquel cas, nous pourrions supposer qu’un éventuel creusement postérieur dans la partie supérieure de la tombe se serait soldé par la disparition (évacuation) dans la foulée et de la boite crânienne et des os du membre supérieur et d’une partie du rachis. D’ailleurs, lors de la fouille de cette sépulture nous retrouvâmes à partir d’environ 20 cm au dessus de la sépulture des dents éparpillées et surtout la mandibule "fraîchement" dépourvue de ses branches montantes. La disparition de ces os pourraient être le résultat du creusement d’une petite fosse qui serait par exemple destinée à l’aménagement d’un foyer. Ceci pourrait être d’autant plus plausible que dans ces niveaux ibéromaurusiens de nombreuses structures de foyers furent mises au jour (J. Eiwanger, 2000).

En revanche, la disparition de l’humérus gauche, dont les os adjacents à savoir les radius et ulna ne souffrent d’aucune perturbation, est pour le moins que l’on puisse dire intrigante. Néanmoins, il ne fait aucun doute que cette disparition dut se produire bien longtemps après que les contentions ligamentaires auraient cédées et que toute la décomposition du cadavre ait pris fin. Bien plus, le colmatage progressif qui aurait maintenu ces deux os (radius et ulna) en position aurait fait qu’un éventuel déplacement de l’humérus serait a priori sans conséquence notable sur ces os. Ainsi, si l’on se mettait dans l’hypothèse selon laquelle Ifri n’Baroud serait un site d’habitat (J. Eiwanger, 2000) où ses habitants ibéromaurusiens, tel que l’attestent les trouvailles, y auraient aménagé beaucoup de foyers, l’éventuel creusement, au bord de la sépulture, d’une des fosses destinées à cette fin aurait été préjudiciable à cette sépulture. Auquel cas, il n’est pas impossible qu’un tel agissement aurait emporté l’humérus.

Quant à la disparition de plusieurs os des extrémités, à savoir les 4ème, 5ème MTT et plusieurs phalanges aussi bien droites que gauches, l’implication d’un fouisseur n’est pas à écarter. Etant donné que la tombe est en pleine terre, une telle disparition serait l’apanage d’animaux fouisseurs. Sur le même registre peut être inscrit le remaniement ou le déplacement local enregistré au niveau des os de la main gauche. Là aussi, l’hypothèse de l’implication d’un fouisseur pourrait être incriminée.

Toutes ces disparitions mises à part, il convient de souligner que l’état de conservation des os sauvegardés est très satisfaisante. Nous essayâmes de la coter dans la figure 6 et ce, selon la méthode de Constandsee-Westermann et Miklejohn (1978). Seuls les os coxaux se distinguent par une certaine fragilité, qui est toutefois habituelle. L'extrême porosité des ilions fait que ces derniers deviennent vulnérables. Mais, hélas, si vulnérabilité il y a au niveau de cet os, elle touche généralement le pubis et l’ischion. C’est une des régions anatomiques qui, entre fouilles et démontages, est exposée à l’altération (M. Guillon, 1997). Mais, fort heureusement en dépit de cela, la dégradation dut épargner la grande échancrure sciatique.

Sinon, à l’exception des os coxaux et des os ayant disparus, ceux sauvegardés se présentent dans un bon état de conservation. Les conditions physico-chimiques du sédiment ambiant (cendreux) auraient pu contribuer à cet état. Par ailleurs, l’éventuelle action physico-chimique d’agents biologiques tels que les lombrics (H. Duday et al., 1990), qui interviennent dans la lyse des parties molles, se serait opérée sans conséquences fâcheuses pour la corticale de ces os. Leur état ne souffre d’aucune altération quelconque.

 

Données anthropologiques

1. Age au deces

Tous les os sont de grandes dimensions et leur texture est celle d’un sujet dont la croissance dut être achevée. Les épiphyses des os longs sont toutes soudées aux diaphyses. L’examen du dernier os à se souder à savoir la clavicule (W. Kahle et al., 1992) montre que l’épiphyse proximale (médiale) est bien soudée à la diaphyse correspondante et que par conséquent le processus de synostose à ce niveau est totalement achevé. Le sujet en question devait avoir, ainsi, au moins 24 ans. Bien plus, au niveau de la mandibule, la résorption des alvéoles des molaires et l’usure poussée des incisives pourraient être indicatrices d’un âge relativement avancé. D’ailleurs, la confirmation de cela se manifeste à travers les quelques cas d’arthrose vertébrale (figure 7).

 

Figure 6. conservation du squelette cotée selon la méthode de Constandsee-Westermann et Miklejohn.

Figure 6. Preservation of the skeleton listed according to Constandsee-Westermann and Miklejohn method.

 

Figure 7. paire de vertèbres lombaires arthrosiques (Cliché Jörg Linstädter).

Figure 7. Pair of arthrosic lumbar vertebras

 

2. Diagnose du sexe

Le sujet en question possède des os de grandes dimensions, graciles et qui présentent des reliefs d’insertion musculaire émoussés. Ces caractères sont d'expression plutôt féminine. Cette attribution allait se confirmer suite à l'examen, in situ, de la morphologie des os coxaux laquelle permet de se prononcer, avec suffisamment d’assurance, sur le sexe du sujet. En effet, nous avons pu relever l’existence d’une grande échancrure sciatique (incisura ischiadica major) qui, d'après la méthode de Ferembach et al. (1979), est nettement large et ouverte. En conséquence, il s'agirait donc bien ici d'un sujet de sexe féminin

3. Determination de la stature

Parmi les os longs, certes trois à savoir le radius gauche, les tibias droit et gauche se présentent dans un état de conservation tel qu’il a été possible de relever la longueur maximale. Toutefois, dans le cas des 2 derniers, elle n’est qu’approximative. Seule, la mesure obtenue pour le radius est donc retenue pour l’estimation de la stature.

Les statures correspondantes estimées sur la base des tables classiques sont les suivantes:

 

Os

Côté

Longueur max.

Manouvrier

Trotter et Gleser

Radius

gauche

232 mm

170 cm

169 cm

 

De fait, la stature du sujet en question devait être comprise entre 1 m 70 cm et 1 m 69 cm. De premier abord, le résultat de cette estimation semble être surprenant pour un sujet de sexe féminin. Toutefois, si l’on considère le contexte ibéromaurusien dans lequel vivait le sujet étudié, cette surprise est appelée à tomber. En effet, l’étude effectuée par D. Ferembach et al. (1961) sur la série squelettique ibéromaurusienne de la grotte des pigeons à Taforalt montre que les Hommes et les femmes de l’époque se distinguent par une stature élevée. D’après cette étude, la stature chez les sujets de sexe féminin, estimée sur la base de la longueur maximale des radius, est comprise entre 1.60 et 1.69 m, selon la table de Manouvrier, et entre 1.58 et 1.63 m, selon la table de Trotter et Gleser (1952) . Il s’agit là donc d’une variation féminine qui pouvait être en vigueur pendant l’Ibéromaurusien. Celle obtenue chez les sujets de sexe masculin est supérieure d’en moyenne 10 cm. Par conséquent, il convient de souligner que la taille obtenue pour le sujet féminin d’Ifri n’Baroud, aussi grande soit-elle, peut être admise dans la variation féminine de l’Ibéromaurusien.

 

Mobilier funéraire et éléments de datation

Des éclats de silex dont des outils finis furent retrouvés dans le remplissage de la fosse. Mais, aucun de ceux-là ne peut être retenu pour être du mobilier funéraire. L'agencement de ces outils par rapport au squelette est tel qu'ils se seraient retrouvés-là par hasard.

Sinon, aucun autre matériau qui aurait pu servir de mobilier funéraire n'aurait existé ou du moins ne se serait conservé. Ainsi, pourrait-on admettre que chez les Ibéromaurusiens, dans l'exercice de leurs pratiques funéraires, la notion de mobilier funéraire ne devait pas exister ? En tous cas, cela semble être le cas au Rif oriental et ce, dans la mesure où les sépultures ibéromaurusiennes fouillées jusqu'ici, dans le site voisin d'Ifri n'Ammar, n'eurent pas révélé de mobilier funéraire (A. Ben-Ncer 2, inédit).

Nous ne disposons donc pas de moyens à même d'établir une datation relative. Toutefois, nous nous retrouvons bien outillés pour faire des datations absolues. En effet, de nombreux charbons de bois furent prélevés à différents niveaux de la couche 2 au fond de laquelle se trouvait la sépulture. Ainsi, les datations au 14C, obtenues à partir de ces charbons de bois, créditent la couche d'un âge compris entre 13500 et 10500 ans BC (J. Eiwanger, 2001). La sépulture se retrouvant à la base de celle-ci serait âgée d’au moins 12 500 ans.

 

Conclusions

La sépulture ibéromaurusienne 1 d’Ifri n’Baroud est la première qui soit mise au jour au Rif oriental. Il eut fallu des circonstances exceptionnelles pour qu’elle se retrouve toute entière au centre d’un des sondages qui eurent lieu dans ce site. La fosse qui l’hébergeait était exiguë. Le sujet s’y tenait dans une position de decubitus dorsal laquelle est assortie de la posture "assise" avec les membres inférieurs fléchis. Une telle position qui se reproduit dans une autre sépulture contemporaine du site d’Ifri n’Ammar pourrait être considérée comme une pratique funéraire qui aurait pu exister à l’Ibéromaurusien, au moins, du Rif oriental.

L’étude du squelette montra que celui-ci appartenait à un sujet adulte de sexe féminin et de grande taille. Les os sauvegardés se présentent dans un bon état de conservation. En revanche, la perturbation que connut la sépulture et qui serait d’origine anthropique ainsi qu’animale entraîna la disparition de bon nombre d’os tels la boite crânienne ou ceux du membre supérieur droit.

Cette sépulture ne comporte pas de mobilier funéraire à même, entre autres, de nous permettre d’avoir une datation relative. En datation absolue, les charbons de bois recueillis au niveau de la sépulture et le niveau ibéromaurusien auquel elle appartient feraient que celle-ci pourrait avoir au moins 12500 ans.

 

Remerciements. Tous mes remerciements vont à Messieurs A. Mikdad et J. Eiwanger, codirecteurs du programme de "Pré et protohistoire du Rif oriental", pour leur confiance et à Monsieur A. Amarir pour sa précieuse aide.

 

Bibliographie

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