Colloques du Groupement des Anthropologistes de Langue Française (GALF)

Sardi Marina, L., Ramírez-Rozzi, F., Pucciarelli Héctor, M., 2004, Morphologie crânio-faciale des populations de l'Europe et du Maghreb depuis le Paléolithique Supérieur jusqu'à présent. Antropo, 7, 145-153. www.didac.ehu.es/antropo


Morphologie crânio-faciale des populations de l'Europe et du Maghreb depuis le Paléolithique Supérieur jusqu'à présent

Sardi Marina, L.1,2, Ramírez-Rozzi, F.1, Pucciarelli Héctor, M.2

 

1 UPR 2147 “Dynamique des Populations Humaines”, Centre National de la Recherche Scientifique. 44, rue de l’Amiral Mouchez, 75014, Paris, France.

2 Departamento Científico de Antropología, Museo de La Plata, Facultad de Ciencias Naturales y Museo, Universidad Nacional de La Plata. Paseo del Bosque S/N, 1900 La Plata, Argentina.

 

Adresser correspondance à:  msardi@fcnym.unlp.edu.ar

Mots clés: Paléolithique Supérieur, Néolithique, composante crânienne fonctionnelle, morphologie.

 

Key words: Upper Paleolithic, Neolithic, Functional Cranial Components, morphology.

 

Résumé

Il n’y a pas de consensus sur les processus responsables de la Néolithisation en Europe et en Afrique du Nord. Le passage Paléolithique Supérieur-Néolithique a pu s’opérer par une migration des peuples du Proche-Orient ou par des changements économiques des populations locales. Nous avons effectué l’analyse de la taille et de la conformation crâniennes des populations qui ont habité ces deux régions depuis le Paléolithique Supérieur jusqu’à présent. Notre travail se fonde sur l ‘étude des composantes crâniennes fonctionnelles (CCF) suivantes: neurale antérieure, moyenne et postérieure, otique, optique, respiratoire, masticatoire et alvéolaire. Les différences observées ne mettent en évidence ni des tendances temporelles ni régionales. On observe, par contre, une nette différence entre les groupes du Paléolithique Supérieur et les autres. Les premiers se caractérisent par une taille plus grande et leur conformation est influencée par des CCF masticatoire et neurale moyenne importantes et une CCF optique réduite. Le développement de la CCF masticatoire est associé à une large face chez les groupes du Paléolithique Supérieur. Notre étude ne permet pas de résoudre la discussion sur la Néolithisation. Néanmoins, elle permet de suggérer que les différences dans la morphologie résultent d’un nouveau type de vie (nutrition, mobilité, contraintes masticatoires) à partir du Néolithique.

 

Abstract

It is not clear if the Neolithic transition in Europe and North Africa resulted by a migration of peoples from the Near East, or by economic changes of local populations, or by an interaction of both processes. Size and shape variation of the Functional Cranial Components (FCC) of the neurocranium and the face, from the Upper Paleolithic to modern periods in these two regions, was assessed. The skull was divided in the anteroneural, midneural, posteroneural, otic, optic, respiratory, masticatory and alveolar FCCs. The differentiation does not express any temporal or regional pattern. But a shift is observed between the Upper Palaeolithic groups and the later samples. The former are characterised by greater size and the shape is mainly affected by a greater midneural and masticatory FCCs, and smaller optic FCC. The greater masticatory volume is associated to wider faces in the Upper Palaeolithic groups. Our study cannot enable to conclude if the morphological shift is caused by a replacement or by a change in the local populations, however the morphological changes can be attributed to modifications in nutrition, mobility and masticatory stress from the Neolithic period.

 

Le Paléolithique Supérieur et le Mésolithique européens sont caractérisés par une importante variabilité des fossiles du point de vue morphologique (Riquet, 1970; Lahr, 1996). La transition au Néolithique est principalement considérée comme le résultat d’une migration des peuples agriculteurs arrivés du Proche Orient (Price, 2000; Bentley et al., 2002). Nonobstant, même si les fréquences génétiques mettent en évidence la diffusion démographique (Ammerman et Cavalli Sforza, 1984), la contribution des populations Paléolithiques à la variabilité moderne ne pourrait être exclue (Chikhi et al., 1998; De Benedetto et al., 2000; Semino et al., 2000; Simoni et al., 2000). En fait, il y a des études qui montrent que le remplacement des populations Mésolithiques n’a pas eu lieu dans quelques régions de l’Europe, donc l’agriculture et/ou la céramique auraient été adoptées localement sans remplacement de populations (Jackes et al., 1997; Price, 2000; Zvelebil et Lillie, 2000; King et Underhill, 2002).

Le Paléolithique Supérieur du Maghreb est représenté par les Ibéromaurusiens. A la fin du Pléistocène tardif quelques vestiges sont attribués à de nouveaux chasseurs: les Capsiens. Venu du Proche Orient, ils se caractérisent par une morphologie plus gracile que celle des Ibéromaurusiens (Ferembach, 1986). Néanmoins, d’autres chercheurs suggèrent que les Ibéromaurusiens et les Capsiens faisaient partie de la même population (Sheppard et Lubell, 1990; Irish, 2000). La production alimentaire est reconnue chez les Capsiens tardifs, environ 6000 ans AP (Lubell et al., 1992) ou même avant, la subsistance étant basée sur le pastoralisme (Roubet, 2001).

Pendant l’Holocène initial, une tendance à la brachycéphalie a été suggérée en Europe et en Afrique du Nord comme conséquence de la gracilisation squelettique due à son tour à la diminution de l’activité masticatoire (Riquet 1970, Lahr 1996).

En ce qui concerne l’étude de la morphologie crânienne, un nouveau paradigme a été proposé par Moss avec l’hypothèse de la Matrice Fonctionnelle (Moss, 1973; 1997 ; Moss et Young, 1960). Moss a suggéré que la conformation du crâne résulte des fonctions de support et de protection que les différentes parties du crâne doivent accomplir en regard des tissus mous et des cavités. Ainsi, chaque fonction (mastication, vision, etc.) est effectuée par ce que Moss (1973) a appelé une composante crânienne fonctionnelle (CCF) qui comprend la matrice fonctionnelle (cavités et tissus qui exécutent une fonction) et l'unité squelettique (tissus durs qui donnent la protection biomécanique et supportent la matrice fonctionnelle). Cette hypothèse considère que la croissance de l'os et du cartilage n'est pas exclusivement régi par leurs propres facteurs génétiques. Les études expérimentales et cliniques indiquent que la régulation de la croissance squelettique, tout au long de l’ontogénie, suit les contraintes établies par la matrice fonctionnelle. 

L’objectif de cette étude, basée sur l’hypothèse de la Matrice Fonctionnelle, est de déterminer s’il y a eu un changement important de la morphologie crânio-faciale des populations de l’Europe et du Maghreb, depuis le Paléolithique Supérieur jusqu’à présent. L’analyse de CCF devrait permettre, à la différence des méthodes classiques, une compréhension plus précise des types de changement qui ont affectés la morphologie crânienne des populations humaines.

L’étude comprend des individus du Paléolithique Supérieur européen (Cro-Magnon 1, Solutré 5, Chancelade, Laugerie-Basse 2, Saint-Germain-La-Rivière, Predmosti 3 et Mladec 1) (PSE) (n = 7); du Mésolithique (Teviec-Hoëdic) (TH) (n = 13); du Néolithique de la Lozère (LZR) (n = 25) (Homme Mort Cave et Baumes Chaudes) et de la Vallée de la Marne (MRM) (n = 97); et des français modernes des XVIIème et XIXème siècles (n = 50).

Les échantillons d’Afrique du Nord sont : les Iberomaurusiens d’Afalou (AFL) (n = 27) et Taforalt (TAF) (n = 15); les Guanches des Iles Canaries (GU) (n = 51), population descendant des Berbères avec une économie basée sur une agriculture élémentaire et la domestication du mouton et de la chèvre; les Puniques de Carthage (CTG) (n = 26), datés entre le VIIIème et le IIIème siècles, et d’origine phénicienne; des individus de la ville Al Qayrawan (QRN) (n = 20), fondée par les Arabes dans l’année 670 A. D; et des Berbères modernes de Kabylie (KBL) (n = 20), Algérie.

Le crâne a été divisé en deux composantes majeures, neurale (N) et faciale (F). Chaque composante majeure a été divisée à son tour en quatre composantes mineures. La composante neurale comprend la neurale antérieure (NA), la neurale moyenne (NM), la neurale postérieure (NP) et la composante otique (OT). En ce qui concerne la composante majeur faciale, elle est formée par les composantes optique (O), respiratoire (R),  masticatoire (M) et alvéolaire (A). Même si la division du CCF neurale ne présente pas un rapport bien définie avec la fonction, elle permet une meilleure compréhension de la spécificité et de la dynamique de la variation de chaque région crânienne. Chaque CCF a été mesurée par trois variables orthogonales qui déterminent la longueur, la hauteur, et la largeur.

Des indices volumétriques et morphométriques ont été obtenus (Tableau 1). Les indices Volumétriques correspondent à la moyenne géométrique des trois dimensions et mesurent donc la taille. Les indices Morphométriques donnent une indication de la conformation des CCF majeures en termes de taille relative de ses quatre composantes mineures. La conformation a été aussi estimée avec une standardisation de la différence proportionnelle entre chaque dimension et l’indice volumétrique (Tableau 1).

 

Indices

calculs

volumétrique

(IV)3 (longueur x largeur x hauteur)

morphométriques neurales

IV mineur /  IV NA, NM, NP et OT

morphométriques faciales

IV mineur /  IV O, R, M et A

standardisation

longueur / IV, largeur / IV, et hauteur / IV

Tableau 1. Calculs pour l’estimation de la taille absolue et relative et de la conformation des CCFs.

CCF (FCC) : composante cranienne-fonctionnelle. IV : indice volumétrique. NA : neurale antérieure. NM : neurale moyenne. NP : neurale postérieure. OT : otique. O : optique. R : respiratoire. M : masticatoire. A : alvéolaire.

Table 1. Estimation of the shape, absolute size, and relative size of FCCs.

 

La normalité des distributions de fréquences et l’homogénéité des variances ont été vérifiées avec les analyses de Kolmogorov-Smirnov et de Levene. La comparaison entre les populations a été effectuée avec l’Analyse de la Variance. Une analyse Canonique a été effectuée avec les indices volumétriques et les variables standardisées pour évaluer si la variation uni-dimensionnelle des CCFs majeures est liée à la taille des CCFs mineures.

Tous les indices montrent des différences significatives (p < 0.01) pour le sexe masculin. Dans la Figure 1, les valeurs F et la moyenne des indices volumétriques de chaque échantillon masculins sont signalés. La taille neurale et la taille faciale diffèrent entre les populations paléolithiques et post-paléolithiques, tandis qu’elles ne sont pas trop différentes parmi les populations post-paléolithiques.

L’analyse des indices morphométriques neuraux suggère: 1. l’indice neural moyen est le plus variable, il se distingue chez les paléolithiques par sa taille supérieure et chez les Guanches, par sa taille inférieure (Figure 2) ; 2. l’indice otique est plus petit chez les individus du Paléolithique européen, du Néolithique de la Lozère et chez les Kabyles ; 3. la composante neurale antérieure présente une taille relative petite chez les individus de Taforalt et grande chez les Guanches; 4. la composante neurale postérieure a une taille réduite chez les spécimens de Taforalt et de la Kabylie et une grande taille chez ceux de la Lozère.

 

Figure 1. Valeurs F de ANOVA, moyennes et limites de confiance (p = 0.95) pour les indices volumétriques des CCFs majeures. IVN : indice volumétrique neurale. IVF : indice volumétrique facial. PSE : Paléolithique supérieur européen. TH : Mésolithiques de Teviec-Hoëdic. LZR: Néolithique de la Lozère. MRN : Néolithique de la Marne. FM : Français modernes. AFL : Paléolithiques d’Afalou. TAF : Paléolithiques de Taforalt. GU : Guanches. CTG : Puniques de Carthage. QRN : arabes de Al Qayrawan. KBL: berbères de Kabylie.

Figure 1. F values of ANOVA, averages and confidence limits at p = .95 for volumetric indices of major FCCs.

 

Par rapport aux indices morphométriques faciaux, l’indice masticatoire montre la variation la plus large avec une taille considérable chez les chasseurs-cueilleurs (paléolithiques et mésolithiques) (Figure 2). La composante optique a une taille inférieure chez les paléolithiques. Les individus d’Afalou et de Taforalt présentent des composantes alvéolaire et respiratoire plus petites, respectivement.

La corrélation canonique réalisée avec les indices volumétriques neuraux et les variables standardisées a permis d’obtenir 3 axes, les deux premières étant significatives. Les coefficients de corrélation canonique (R) sont pour le premier axe 0,49 ( = 117,7, p < 0,01), pour le deuxième axe 0,18 (= 16,1, p < 0,05) et pour le troisième axe 0,12 (= 4,9). Le Tableau 2 représente la contribution des variables et des indices aux deux axes significatifs. La Figure 3 représente la première variable canonique qui montre les paléolithiques européens, Kabyles et néolithiques de la Marne séparés du reste. La conformation neurale de ces groupes se caractérise par une composante neurale moyenne plus grande associée à la hauteur neurale.

La corrélation canonique réalisée avec les indices et les variables faciales a permis d’obtenir deux axes significatives. Les coefficients de corrélation canonique (R) sont pour le premier axe 0,42 (= 92,7, p < 0,01), pour le deuxième axe 0,23 (= 22,6, p < 0,01) et pour le troisième axe 0,07 (= 1,8). La contribution des variables et des indice aux axes significatifs (Tableau 2) indique que le volume masticatoire est corrélé de façon directe avec la largeur faciale, et le volume optique est corrélé de façon inverse avec la longueur faciale. Le premier axe sépare les chasseurs-cueilleurs du reste des échantillons. Les chasseurs-cueilleurs présentent une face plus large avec un volume masticatoire majeur (Figure 3).

 

 

Figure 2. Valeurs F de ANOVA, moyennes et limites de confiance (p = 0.95) pour les indices morphométriques (IM). IMNA : IM neural antérieur. IMNM : IM neural moyen. IMNP : IM neural postérieur. IMOT : IM otique. IMO : IM optique. IMR : IM respiratoire. IMM : IM masticatoire. IMA : IM alvéolaire. Voir Fig. 1 pour abréviations.

Figure 2. F values of ANOVA, averages and confidence limits at p = .95 of morphometric indices. See Fig. 1 for abbreviations.

 

 

CCF Neurale

CCF Faciale

 

Axes canoniques

 

1

2

1

2

IVNA

0.19

0.12

 

 

IVO

 

 

-0.08

0.84

IVNM

-0.56

0.44

 

 

IVR

 

 

-0.28

0.02

IVNP

0.48

0.63

 

 

IVM

 

 

0.47

0.31

IVOT

-0.08

0.71

 

 

IVA

 

 

-0.53

0.4

longueur neurale

0.75

-0.39

 

 

longueur faciale

 

 

0

-0.99

largeur neurale

0.12

0.74

 

 

largeur faciale

 

 

0.93

-0.33

hauteur neurale

-0.91

-0.35

 

 

hauteur faciale

 

 

-0.66

-0.74

Tableau 2. Contribution aux axes significatifs de 2 groupes de variables comparées dans la Corrélation Canonique. Voir Tableau 1 pour les abréviations.

Table 2. Loadings on signicant canonical variates of two groups of variables. See Table 1 for abbreviations.

  

La taille élevée des CCFs chez les paléolithiques est en accord avec d’autres études (Smith, 1979; Lahr, 1996). Elle peut être associée à des facteurs systémiques liés probablement à leur mode de vie. L’augmentation volumétrique de la matrice fonctionnelle et/ou la déposition de tissu squelettique peuvent causer la majeure taille crânienne (Moss et al., 1987). Une alimentation insuffisante en protéines pourrait mener à une taille plus petite parmi les groupes néolithiques et modernes. Mais pour connaître son effet, il serait nécessaire d’évaluer la corrélation entre la taille et plusieurs indicateurs de santé et morphologiques du squelette. L'action hormonale correspond à un autre facteur systémique. En effet, il y a un lien direct entre la circulation de l'hormone de croissance et l'activité physique, en particulier la mobilité (Weltman et al., 2001). Chez les humains, l’hormone de croissance, dont la circulation a été enregistrée depuis la naissance (Geary et al., 2003), favorise l’augmentation de la masse squelettique (Vogl et al 1993 ; Lieberman, 1996 ; Barr et McKay, 1998 ; Banu et al., 2001) et musculaire, et influence aussi la croissance craniofaciale (Vogl et al, 1993). De ce fait, il faudrait s’attendre à que les fermiers présentent une réduction plus marquée de la face que du crâne neural, car la face se caractérise par une période de croissance plus longue et tardive. De toutes façons, même si les facteurs alimentaires semblent plus probants pour corroborer la réduction de la taille dans le post-mésolithique, l'effet des facteurs hormonaux ne peut pas être mis à l’écart complètement.

La conformation crânio-faciale a été évaluée par les indices morphométriques et par la standardisation des variables. Dans la conformation de la composante majeure neurale, la composante neurale moyenne montre une relation inverse avec les composantes neurales antérieure et postérieure. Des nombreuses études proposent que la voûte montre des variations associées aux changements de la taille et la conformation du cerveau et/ou de la base crânienne (Moss et Young, 1960; Lieberman et al., 2000a; 2000b). Il est probable que la composante neurale moyenne présente une capacité majeure à s’adapter face aux changements des structures neurales et squelettiques associées, tandis que les modifications des composantes antérieure et postérieure seraient dues aux changements compensatoires de taille relative.

Depuis le XIXème siècle, des auteurs ont proposé que la dolichocéphalie caractérise les paléolithiques tandis que la brachycéphalie caractérise les néolithiques et les populations modernes (Broca, 1873; Riquet, 1970; Lahr, 1996). Différemment, nos résultats suggèrent que la hauteur plutôt que la longueur ou la largeur neurale correspond à l’aspect le plus important pour discriminer les populations paléolithiques de celles du Néolithique. En plus, la distribution ne révèle pas des tendances temporelles ou régionales pour ces caractéristiques.

 

Figure 3. Distribution des moyennes des échantillons dans le premier axe de l’analyse canonique. Voir Figure 1 pour abréviations.

Figure 3. Plot of average samples on the first canonical variate. See Figure 1 for abbreviations.

 

 

Une composante masticatoire importante distingue les chasseurs-cueilleurs des post-mésolithiques. Elle est accompagnée par une augmentation de la largeur faciale. La variation absolue et relative de taille de la FCC masticatoire chez les chasseurs-cueilleurs peut être attribuée aux différences dans le stress masticatoire. En effet, les forces masticatrices produisent des changements crânio-faciaux et leur intensification induisent l’augmentation de la taille des muscle et des structures apparentées. Selon Raadsheer et al. (1999), l’intensité des forces masticatrices est intimement corrélée avec l'épaisseur des muscles et les dimensions transversales et verticales de la face. Kiliaridis (1995) a proposé que l'hyperfonction masticatoire mène à un agrandissement de la face par croissance suturale et déposition de tissu squelettique. Les études expérimentales ont démontré qu'un régime alimentaire plus molle peut contribuer, parmi d’autres changements, à une réduction de l'épaisseur corticale de l’os et de la densité mandibulaire (Bresin et al., 1999), au serrage des arcs maxillaires et à la déformation du palais (Beecher et al, 1983), à la réduction de la taille musculaire (Ciochon et al, 1997), et à des modifications du condyle mandibulaire (Giesen et al., 2003). D'autres études où des populations avec des modes de subsistance différents ont été comparées, ont suggérée des différences dans les structures masticatoires (Carlson et Van Gerven, 1979; Sardi et al., article soumis). Donc, le mode de vie des chasseurs cueilleurs, avec un haut stress masticatoire, explique bien la morphologie décrite.

Une CCF optique de petit volume caractérise les individus paléolithiques et Kabyles. L’orbite est affectée par le lobe frontal qui participe de la composante neurale antérieure (Lieberman et al., 2000b). Celle-ci aussi présente une petite taille dans ces populations. La taille de la CCF optique est peut-être associée à l’origine neurale de sa matrice fonctionnelle.

Notre étude ne permet pas de suggérer la présence d’une morphologie particulière pour chaque région, ni de l’existence d’une tendance temporale. Néanmoins, une différence significative et importante a été obtenue entre les paléolithiques et les post-mésolithiques. Elle concerne la taille et la conformation crânienne. Ces différences peuvent être mises en relation avec les changements de la nutrition, de la mobilité et du stress masticatoire.

Hélas, nos résultats ne permettent pas de résoudre le débat sur la transition Néolithique. Les changements morphologiques observés pourraient être expliqués par un remplacement des populations.  Mais il est également probable que la transition au Néolithique ait été effectuée par des populations locales, la grande différence morphologique étant le résultat des changements de leur mode de vie.

 

Remerciements. Nous remercions à Philippe Mennecier, du Musée de L’Homme, et à Henry de Lumley et Dominique Grimaud-Hervé, de l’Institut de Paléontologie Humaine, pour faciliter l’accès aux collections. Cette étude a été possible grâce aux bourses de la Fondation Fyssen et de l’Universidad Nacional de La Plata données à MLS et à l’accord de coopération CONICET-CNRS.

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