Colloques du Groupement des Anthropologistes de Langue Française (GALF)
Prado C., Rovillé-Sausse F., Acevedo P., 2004, État nutritionnel des femmes enceintes d’origine maghrébine et de leurs nourrissons: la situation en France et en Espagne. Antropo, 7, 139-144. www.didac.ehu.es/antropo

 

État nutritionnel des femmes enceintes d’origine maghrébine et de leurs nourrissons: la situation en France et en Espagne

 

Nutritional state of the pregnant women of Maghrebian origin and their infants:

 the situation in France and Spain

 

Prado C.1, Rovillé-Sausse F.2, Acevedo P.1

 

1Unidad de Antropología Física, Dpto. de Biología, Universidad Autónoma de Madrid, 28049 Madrid.

2Eco-anthropologie, Museum National d'Histoire Naturelle (Paris, France)

 

Auteur chargé de la correspondance: Unidad de Antropología Física, Dpto. de Biología, Universidad Autónoma de Madrid, 28049 Madrid. E-mail: consuelo.prado@uam.es

 

Mots-clés: Immigration maghrébine, gain de poids gestationnel, corpulence, allaitement.

 

Résumé

L’étude conjointe franco-espagnole montre que les familles migrantes d’origine maghrébine de nos deux pays vivent dans des contextes sociologiques différents, ceci ayant une répercussion sur les modes alimentaires de transition, et corrélativement sur le rapport poids/taille et la santé, et tout particulièrement en ce qui concerne les femmes enceintes et leurs jeunes enfants. Si les gains de poids gestationnels des femmes migrantes en France et en Espagne sont comparables, il est intéressant de noter des différences statistiques significatives entre le développement corporel des enfants, en fonction du pays d’accueil dans lequel ils vivent. Il ressort de notre étude que l’évolution physique des enfants d’origine maghrébine nés en France reflète la croissance d’enfants nourris majoritairement avec des aliments lactés diététiques, tandis que la corpulence des nourrissons nés en Espagne renvoie à un allaitement maternel sans supplémentation pendant près de six mois. Le schéma nutritionnel encore traditionnel en vigueur en Espagne, où l’immigration maghrébine est récente, n’induit pas d’obésité précoce (zéro cas dans cette étude, contre 8% d’obésité dès l’âge de deux ans en France), et nous semble mieux adapté à une croissance sans risque pour les nourrissons et les jeunes enfants, et plus en adéquation avec le bien-être de la population.

 

Introduction

L’objectif de la présente étude est de comparer la situation nutritionnelle des femmes enceintes d’origine maghrébine et de leurs enfants, en France et en Espagne, à partir des gains de poids moyens durant la grossesse, du poids de naissance des enfants et du développement de leur corpulence durant les premiers mois de la vie. Nous essaierons ainsi de déterminer si la durée du séjour dans le pays d’immigration a un impact sur le comportement alimentaire des futures mères et sur leur façon de nourrir leurs enfants. Observons-nous une occidentalisation progressive des pratiques alimentaires et des modes de vie? Celle-ci a-t-elle un effet à court terme sur le développement physique et la santé des enfants? En effet, les enfants français d’origine maghrébine représentent la seconde, voire la troisième génération née dans un pays occidental, tandis que les nouveau-nés espagnols d’origine maghrébine représentent la première génération.

 

Méthode

L´origine de les deux echantillons etudiés est marrocain (99% en Espagne et 90% en France) et la provenence et similaire, bien evidement que dans le cas espagnole la representation du nord du Maroc est plus important. La situation social varie dans les des pays d´accueille plus stable et aisée dans l´echantillon française.

En France, l’étude a été réalisée à partir de l’analyse de 310 dossiers de grossesse de femmes enceintes venues en consultation prénatale à l’Hôpital Lariboisière, à Paris, et qui ont accouché dans ce même hôpital: 155 dossiers de françaises non immigrées et 155 dossiers de femmes d’origine maghrébine nées en France ou y vivant depuis leur enfance. Les données relevées dans chaque dossier sont les suivantes: l’âge de la mère au moment de la grossesse étudiée et l’âge à la première grossesse, le nombre de grossesses (gestité), la dernière étant celle prise en compte dans la présente étude, le nombre d’enfants de la mère (parité), le dernier-né étant celui pour lequel la mère est incluse dans cette analyse. Ont été également notés la taille, le poids (P0) avant la grossesse, et le poids Pacc au moment de l’accouchement, la taille et le poids de naissance du nourrisson, la taille et le poids successifs de chaque enfant à 6, 12 et 18 mois.

En Espagne, l’échantillon comprend 428 dossiers de femmes espagnoles non immigrées suivies à l’Hôpital Gomez Ulla de Madrid et 56 dossiers de femmes maghrébines arrivées récemment en Espagne (depuis en moyenne 5 ans) et suivies dans différents centres hospitaliers de la Sécurité Sociale de la Commune de Madrid. Les mêmes données biométriques et sociales que dans l’échantillon parisien ont été relevées.

Pour une évaluation des grossesses «normales», l’enquête ne comporte pas de cas pathologiques, ni de grossesses multiples. Les enfants sont tous nés à terme (entre 37 et 41 semaines révolues d’aménorrhée), et ne présentent pas de signe pathologique, ni d’anomalie congénitale.

L’indice de Quételet, ou indice de masse corporelle (IMC=Poids/Taille2), est communément employé en anthropobiologie, car il permet d’évaluer l’état nutritionnel des individus. Lié au poids et à la masse grasse, il est indépendant de la taille et permet d’évaluer précisément l’excès ou le déficit pondéral (Rolland-Cachera et al, 1996). Les indices de masse corporelle moyenne avant la grossesse (IMC0) et en fin de gestation (IMCacc), les gains de poids gestationnels (Pacc – P0) moyens, ont été calculés pour chacune des quatre communautés et comparés entre eux (test-t au seuil de 1%). Les poids de naissance moyens des nourrissons, les indices de corpulence à la naissance (IMCn), et tous les 6 mois (IMC6, IMC12, IMC18) ont été évalués (filles et garçons séparés) pour chacune des quatre communautés et comparés entre eux (test-t au seuil de 1%).

 

Resultats

L’âge moyen des femmes enceintes étudiées varie de 28 à 31 ans (tableau 1). L’âge moyen à la première naissance varie de 24 à 28 ans, et les Maghrébines d’Espagne sont significativement plus jeunes que toutes les autres (test-t ; p<0,01). La distribution en fréquences des classes d’âge à la première naissance (tableau 2) montre des disparités entre les quatre communautés : la première grossesse se situe avant 25 ans pour un tiers des Maghrébines dans les deux pays (en France, 15,7% des Françaises vs 31,7% des Maghrébines; en Espagne, 19,2% des Espagnoles vs 32,8% des Maghrébines), et entre 25 et 29 ans pour la moitié des Françaises (48,4%) et des Espagnoles (50,6%).

 

 

 

Françaises

Maghrébines en

Espagnoles

Maghrébines en

 

 

 

 

France

 

Espagne

 

 

 

n=155

n=155

n=428

n=56

 

 

 

Moy. 1       s

Moy. 2       s

Moy. 3       s

Moy. 4       s

 

 

Age à l'étude

30,7       4,7

31,0        5,4

27,9 ab        4,5

29,2 b        4,5

 

 

Age au 1er enfant

28,2       4,0

27,9       5,1

27,1        4,0

24,2 ab       3,1

 

 

Gestité

2,4         1,1

3,4         1,2

1,7          0,9

   2,9          0,6

 

 

Parité

1,8         1,1

2,5 a        1,2

1,2 a          1,0

  2,8 a          0,5

 

 

Gestité-Parité

0,6

0,9

0,1 ab

0,2 ab

 

Tableau 1. Age des mères (en années), gestité et parité comparés.

a moyenne significativement différente de Moyenne 1 (au seuil de 1%)

b moyenne significativement différente de Moyenne 2

 

Le nombre de grossesses et le nombre d’enfants (tableau 1) des Maghrébines est significativement supérieur à celui des Européennes (p<0,01), bien qu’il y ait également une différence significative (p<0,01) entre les Françaises et les Espagnoles qui, elles, ont moins d’enfants que les Françaises. La différence gestité-parité correspond au nombre d’avortements par femme. Il est inférieur à 1 dans chaque groupe, mais est plus élevé en France.

 

 

Age au 1er enfant

Françaises

Maghrébines

Espagnoles

Maghrébines

 

 

(années)

(%)

en France (%)

(%)

en Espagne (%)

 

 

15-19

1,6

4,9

2,4

5,0

 

 

20-24

14,1

26,8

16,8

27,8

 

 

25-29

48,4

31,7

50,6

25,9

 

 

30-34

28,1

31,7

21,8

26,5

 

 

35-39

7,8

2,5

7,2

13,8

 

 

40-44

0

2,4

1,2

1,0

 

 

Total 

100,0

100,0

100,0

100,0

 

Tableau 2. Distribution en fréquences (%) des classes d’âges des mères à la première naissance.

 

La taille moyenne des futures mères conjuguée au poids pré-gestationnel nous permet de calculer et de comparer les indices de masse corporelle de chaque femme avant sa grossesse (tableau 3). En Espagne, les femmes sont en moyenne légèrement, mais significativement, plus petites et plus légères. Cependant les IMC0 des Maghrébines des deux pays sont significativement supérieurs aux IMC0 des Européennes, mais non différents entre eux. De même les IMC0 des Françaises et des Espagnoles ne sont pas significativement différents.

 

 

 

Françaises

Maghrébines

Espagnoles

Maghrébines

 

 

 

 

 

en France

 

 

en Espagne

 

 

 

Moy. 1

s

Moy.  2

s

Moy. 3

s

Moy. 4

s

 

 

Taille (cm)

163,8

6,8

161,5a

6,6

158,5 a

5,2

157,1 ab

5,8

 

 

Poids (kg)

59,6

10,6

64,6 a

13,2

56,9 a

7,8

63,0

10,4

 

 

IMC0 (kg/m2)

22,1

3,8

24,7 a

4,9

22,6

3,4

25,6 a

3,9

 

Tableau 3. Biométrie des mères avant leur grossesse.

a moyenne significativement différente de Moyenne 1 (au seuil de 1%)

b moyenne significativement différente de Moyenne 2

 

Le gain de poids gestationnel moyen (tableau 4) des Françaises de cette enquête est de 14,5 kg. Il est significativement supérieur à tous les autres. Il n’y a pas de différence entre les gains de poids des Maghrébines des deux pays. Si l’on raisonne en fonction des IMC, qui tiennent mieux compte de l’augmentation de la masse grasse corporelle, on remarque une augmentation très stable, proche de 5 points (4,7<5,2) dans tous les cas, mais n’ayant pas le même sens selon l’IMC pré-gestationnel. Ainsi, en appliquant la formule suivante :

100 (IMCacc – IMC0) / IMC0

 

 

Françaises

Maghrébines

Espagnoles

Maghrébines

 

 

 

en France

 

 

en Espagne

 

Moy. 1

s

Moy. 2

s

Moy.  3

s

Moy.  4

s

Pacc-P0 (kg)

14,5

 

12,8

 

12,8

 

11,9

 

IMC0

22,1

3,8

24,7

4,9

22,6

3,4

25,6

3,9

IMCacc

27,3

4,0

29,7

4,8

27,7

4,5

30,3

4,9

IMCacc - IMC0

5,2

 

5,0

 

5,1

 

4,7

 

Gain d'IMC/ IMC0 (%)

23,5

 

20,2

 

22,6

 

18,4

 

Tableau 4. Gains de poids et de corpulence, taux d’augmentation de la corpulence/indice pré gestationnel.

 

Les Françaises et les Espagnoles ont un gain de corpulence correspondant respectivement à 23,5% et 22,7% de la corpulence initiale. Chez les Maghrébines, plus corpulentes au départ, le gain de poids correspond à une élévation de l’IMC de 20,2% de l’IMC initial en France, et 18,4% seulement en Espagne.

Le poids de naissance moyen des nourrissons (tableau 5) est satisfaisant dans tous les cas: il est supérieur à 3000 g aussi bien chez les filles que chez les garçons de chaque groupe étudié. Il n’y a pas de différence significative entre les moyennes des poids. Comparés aux indices français, les indices de corpulence à la naissance (IMCn) des enfants issus de familles d’origine maghrébine sont légèrement supérieurs, sauf chez les filles en Espagne. On notera deux résultats intéressants dans le tableau 6: 1°) l’indice de masse corporelle des enfants d’origine maghrébine des deux pays est toujours significativement supérieur à celui des Français jusqu’à l’âge de 18 mois (limite de notre étude), et 2°) l’indice de masse corporelle des enfants d’origine maghrébine qui vivent en France est toujours significativement supérieur (test-t ; p<0,01) à celui des enfants d’origine maghrébine qui vivent en Espagne.

 

 

Françaises

Maghrébines

Espagnoles

Maghrébines

 

 

 

en France

 

 

en Espagne

Age (en mois)

Moy. 1

s

Moy. 2

s

Moy.  3

s

Moy.  4

s

Garçons

 

 

 

 

 

 

 

 

Poids (Pn en g)

3414

512

3470

480

3378

543

3483

683

IMCn

13,1

1,4

13,6a

1,3

13,1

1,3

13,9 a

1,8

Filles

 

 

 

 

 

 

 

 

Poids (Pn en g)

3314

500

3340

430

3099

514

3205

701

IMCn

13,2

1,1

13,5 a

1,3

12,4 a

1,2

13,3

1,8

Tableau 5. Poids de naissance et indices de masse corporelle comparés des enfants à la naissance.

a moyenne significativement différente de  Moyenne 1 (au seuil de 1%)

b moyenne significativement différente de  Moyenne 2

 

 

Françaises

Maghrébines

Espagnoles

Maghrébines

 

 

 

en France

 

 

en Espagne

Age (en mois)

Moy. 1

s

Moy. 2

s

Moy.  3

s

Moy.  4

s

Garçons

 

 

 

 

 

 

 

 

0

13,1

1,4

13,6 a

1,3

13,1

1,3

13,9 a

1,8

6

17,2

1,5

18,0 a

1,5

16,8

1,5

17,0 a b

1,8

12

17,5

1,5

18,7 a

1,8

17,1

1,5

17,7 a b

2,0

18

16,9

1,4

18,0 a

1,6

17,0

1,4

17,3 a b

1,9

Filles

 

 

 

 

 

 

 

 

0

13,2

1,1

13,5 a

1,3

12,3 a

1,2

13,3

1,8

6

16,9

1,3

17,7 a

1,2

16,8

1,2

16,3 a b

1,6

12

17,5

1,3

18,0 a

1,4

17,3

1,0

17,6 a b

1,7

18

16,8

1,4

17,3 a

1,5

16,9

1,4

16,5 a b

1,6

Tableau 6. Croissance comparée de l’indice de corpulence de la naissance à 18 mois

a moyenne significativement différente de Moyenne 1

b moyenne significativement différente de Moyenne 2

 

Sachant que l’indice de corpulence est un bon indicateur de l’état nutritionnel aussi bien des adultes que des enfants, des différences peuvent refléter des disparités dans le mode d’alimentation, d’allaitement de ces enfants. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés au mode d’allaitement des nourrissons durant les premiers mois de leur vie. En Espagne (tableau 7), 98% des nourrissons d’origine maghrébine bénéficient de l’allaitement maternel exclusif pendant six mois. En France, 78,8% des nourrissons d’origine maghrébine bénéficient de l’allaitement maternel exclusif pendant en moyenne 8 semaines (min 1- max 30), puis de l’allaitement mixte, le sevrage définitif (abandon du sein, mais apports de produits lactés toujours importants) ayant lieu au bout de 19 semaines. La durée de l’allaitement maternel et l’âge au sevrage mettent en évidence un clivage entre les deux groupes aux comportements alimentaires très différents.

 

 

 

en France

en Espagne

 

 

Allaitement maternel exclusif (%)

78,8

98,0

 

 

Allaitement (durée en semaines)

8 (min 1-max 30)

26

 

 

Age au sevrage définitif (en semaines)

19 (min 1-max 113)

26

 

Tableau 7. % d’enfants d’origine maghrébine bénéficiant de l’allaitement maternel

 

Discussion

On a pu observer que les femmes d’origine maghrébine vivant en France ou immigrées en Espagne étaient significativement plus jeunes que les Européennes à la naissance de leur premier enfant, et que le nombre de leurs grossesses était  supérieur. Mais on note également une différence entre les Maghrébines des deux pays: l’âge au premier enfant est aussi nettement plus précoce en moyenne en Espagne où la tranche d’âge des 15-19 est trois plus représentée. Il semble donc que le comportement des femmes maghrébines récemment installées en Espagne soit plus proche de celui du pays d’origine; les femmes d’origine maghrébine, souvent nées et scolarisées en France, ont un comportement intermédiaire entre celui du pays d’origine et celui du pays d’accueil.

La taille et le poids, avant la grossesse, des femmes de nos quatre groupes étudiés diffèrent. On remarquera toutefois, au vu des moyennes des indices de masse corporelle IMC0, une propension au surpoids chez les femmes d’origine maghrébine, pourtant plus jeunes. Ceci pourrait être dû en partie à des différences d’habitudes alimentaires (une étude nutritionnelle est en cours sur ce sujet).

Assurer le succès d’une grossesse et donner naissance à terme à un enfant de poids satisfaisant (égal ou supérieur à 2500 g) dépend en grande partie de l’état prénatal (santé, nutrition). Le gain de poids idéal durant la grossesse n’a jamais été défini avec précision (Chesley, 1944; Kramer , 1988; Naeye, 1990). Selon les recommandations de l’Institut of Medicine (USA), une femme de petit poids pré-gestationnel ayant un indice de corpulence inférieur à 19,8 devrait gagner entre 12,6 et 18 kg; une femme de poids moyen (IMC compris entre 19,8 et 26) entre 11,2 et 15,7 kg et une femme dont l’IMC est supérieur à 26 ne devrait gagner que 6,8 à 11,2 kg (IOM, 1990). Pour Berkow (1992), le gain de poids gestationnel devrait se situer entre 11,2 et 13,5 kg; un gain supérieur à 15,8 kg représenterait de la graisse pour le fœtus et pour sa mère. Les données les plus récentes (Bracero et Byrne, 1998) préconisent une prise de poids comprise entre 14 et 18 kg pour les femmes de poids pré-gestationnel moyen, entre 16,2 et 18 kg pour une femme de petit poids pré-gestationnel et entre 11,7 et 13,5 kg pour les femmes présentant un surpoids. Les femmes d’origine maghrébine, plus corpulentes avant leur grossesse, ont un gain de poids inférieur à celui des Françaises non immigrées, qui se traduit par un taux d’augmentation de l’indice de masse corporelle de 18,4% de l’indice initial en Espagne et 20,2% en France. Ceci est en accord avec les recommandations médicales et montrent que les femmes immigrées, même récemment, sont régulièrement suivies pendant le déroulement de leur grossesse. On peut donc constater que, contrairement à se qui se passe au sein d’autres communautés immigrées (Mayeno et al, 1994; Rovillé-Sausse et al, 2001), il n’existe pas ici de barrière culturelle au système de santé occidental.

Il est bien connu (Offringa et Boersma, 1987) que dans les pays en développement, la croissance des enfants nourris au lait maternel est plus rapide que celle des enfants allaités artificiellement. En Europe occidentale, au contraire, les nourrissons qui consomment des aliments lactés diététiques ont une croissance plus rapide ( Roche, 1992 ; Peerson et al., 1993, Prado et al., 1996 ; Rovillé-Sausse, 1997) durant les premiers mois. D’autre part, l’âge d’introduction des aliments solides a fortement contribué, durant les dernières décennies, à une nette diminution de l’âge au sevrage (Vercauteren, 1991) et est plus precoce chez les enfants qui ont été allaités artificiellement. Il ressort de cette étude que les indices de masse corporelle moyens de enfants d’origine maghrébine nés en France reflètent la croissance d’enfants élevés majoritairement au lait infantile, alors que les indices moyens des enfants de même origine nés en Espagne traduisent la croissance de nourrissons élevés pour la quasi-totalité d’entre eux au lait maternel presqu’exclusivement pendant six mois. Sachant que dans notre échantillon les enfants d’origine maghrébine nés en France représentent la deuxième ou la troisième génération d’enfants nés dans un pays européen d’immigration, la diminution de la fréquence et de la durée de l’allaitement maternel suggèrent une occidentalisation des habitudes alimentaires. Les enfants d’origine maghrébine qui naissent en Espagne de familles récemment installées en Europe ne subissent pas encore cette évolution des pratiques alimentaires.

En conclusion, on peut dire que les femmes d’origine maghrébine, quelle que soit la durée de leur séjour en Europe, semblent adaptées à notre système de santé. Elles mettent au monde des enfants de poids satisfaisant. Les modes d’alimentation du nourrisson ont toutefois fortement évolué entre la première et la seconde génération, se rapprochant du modèle occidental. 

L’étude conjuguée des changements alimentaires et de la biométrie des mères et de leurs enfants montre à quel point le corps est sensible aux variations environnementales.

 

Remerciements. Cette étude a été réalisée dans le cadre d’une coopération scientifique franco-espagnole et a bénéficié de l’appui  financier du CNRS/SEEUID.

 

Références

Berkow, R., 1992, The Merck Manual of Diagnosis and Therapy, ed 16. Rahway, Merck Research Laboratories, and Merck: 1855.

Bracero, L. A., et Byrne, D.W., 1998, Optimal maternal weight gain during singleton pregnancy. Cynical Obstet Invest; 46, 9-16.

Chesley, L. C., 1944, Weight changes and water balance in normal and toxic pregnancy. Am J Obstet Gynecol, 48, 565-593.

Kramer, M. S., 1988, Determinants of intrauterine growth and gestational duration: a methodological assessment and synthesis. World Health Organization, Geneva.

Institut of Medicine (United States) National Academy of Sciences, Subcommittee on Nutritional Status and Weight Gain During Pregnancy: Nutrition During Pregnancy, Pert I, Weight Gain; Part II, nutrients Supplements. Washington, National Academy Press, 1990.

Mayeno, L., et Hirota, S. M., 1994, Access to health care. In NWS Zane, DT Takeuchi, KNJ Young (Eds), Confronting critical heaalth issues of Asian and Pacific Islander Americans. Thousand Oaks, CA: Sage.

Naeye, R. L., 1990, Maternal body weight and pregnancy outcome. Am J Clin Nutr., 52, 273-279.

Offringa, P. L., et Boersma, E. R., 1987, Will food supplementation in pregnant woman decrease neonatal morbidity?. Hum Nutr: Clin Nutr, 41c, 311-315.

Peerson,J.M., Heining, M.J., Nommensen, L.A., Lönnerdal, B.O., Dewey, K.g., 1993, Use of growth models to describe patterns of length, weight and head circumference among breast-fed and formula-fed infants : The Darling Study . Hum. Biol. 65: 611-626. 

Prado,C., Santos,I., Gomez-Lobo,P., 1996, Growth curves and body composition of spanish children aged 0 to 3 years. Studies in Human Biology. Ed . E.Bodzsar & C.Susanne.Eötvös Press.Budapest. 177-183.

Roche,A.F., 1992, Recent work on growth, maturation and body composition: a personal retrospective . Acta Medica Auxologica 24 : 137-147.

Rolland-Cachera, M. F., Bellisle, F., et Fricker, J., 1996, Obésité. In: Ricour C, Ghisoli J , Putet G, Goulet O. Traité de nutrition pédiatrique. Maloine, Paris, 690-723.

Rovillé-Sausse, F., 1997, Mode d’allaitement et biométrie du nourrisson. Anthropologie et Préhistoire, 108,  27-44.

Rovillé-Sausse, F., Truc, J. B., et Jacob, D., 2001, Gain de poids maternel durant la grossesse dans certaines communautés vivant en France. Rev Epidemiol Sante Publique, 49, 439-447.

Vercauteren, M., 1991, Taille et poids des nouveau-nés et des jeunes enfants en Belgique. Bull et Mem de la Soc d’Anthrop de Paris, 3 (3-4),  225-240.