Colloques du Groupement des Anthropologistes de Langue Française (GALF)

Macia E., Boëtsch G., Chapuis-Lucciani N., 2004, Etude anthropologique du vieillissement dans une population âgée française (Marseille): relations entre l’âge, l’Indice de Masse Corporelle, l’acuité visuelle et des facteurs socio-psychologiques. Antropo, 7, 113-122. www.didac.ehu.es/antropo


 

Etude anthropologique du vieillissement dans une population âgée française (Marseille): relations entre l’âge, l’Indice de Masse Corporelle, l’acuité visuelle et des facteurs socio-psychologiques

 

Anthropological study of ageing in an older French population (Marseilles): relationships between age, Body Mass Index, visual acuity and socio-psychological factors

 

Macia E.1, Boëtsch G.2, Chapuis-Lucciani N.3

 

1E-mail: enguerranmacia@yahoo.fr

2E-mail: gilles.boetsch@medecine.univ-mrs.fr

3E-mail: nicole.lucciani-chapuis@medecine.univ-mrs.fr

 

Adresse de correspondance: Nicole Chapuis-Lucciani, UMR 6578. Unité d’Anthropologie: adaptabilité biologique et culturelle, Faculté de Médecine, 27 bd Jean Moulin, 13385 Marseille Cedex 05. E-mail: nicole.lucciani-chapuis@medecine.univ-mrs.fr

 

Mots clés: vieillissement, personnes âgées, IMC, acuité visuelle, niveau d’études, auto-évaluation de la santé, perception sociale, attention portée au corps

 

Key words: ageing, elderly, BMI, visual acuity, education, self-rated health, social perception, body’s care

 

Résumé 

Afin de mieux comprendre les relations entre l’état de santé des personnes âgées et leurs caractéristiques personnelles, nous avons étudié les liaisons entre des variables biologiques (IMC et acuité visuelle) et des variables socio-psychologiques. Cette étude a été menée sur une population marseillaise constituée de 150 personnes âgées de 60 à 103 ans. Nous avons utilisé des corrélations simples et partielles pour l’analyse des liaisons entre les variables. Ainsi l’IMC n’est lié ni à l’auto-évaluation de la santé, ni au niveau d’études. En revanche, l’acuité visuelle de loin corrigée est corrélée à l’attention portée au corps et à la perception sociale des individus.

 

Abstract 

In order to understand the relationships between health status and personal feature in the elderly, we studied links between biological (BMI and visual acuity) and socio-psychological variables. This study has been performed in Marseille (France). Data for 150 persons aged 60 and older were examined. We used simple and partial correlations in this analysis. We found no relationship between BMI and self-rated health, nor between BMI and education. On the other hand, visual acuity is linked to social perception and body’s care.

 

 

Introduction

La population mondiale vieillit. En France, les projections réalisées par l’INSEE sont particulièrement éloquentes puisque, si en l’an 2000 les personnes de plus de 60 ans représentaient 20,6% de la population, en l’an 2050, ces personnes représenteront plus du tiers de la population française (Brutel, 2002). De plus, en 2100, selon Nallin et Meslé (2001), l’espérance de vie des français pourrait être de 91 ans et celle des françaises de 95 ans. Cependant, comme l’exprime Jacqueline Trincaz (1998), «si l’homme rêve d’éternité, il ne rêve pas de l’éternisation d’un être temporel». Or, bien souvent, le grand âge est associé à la dépendance (800 000 personnes âgées sont dépendantes en France), renvoyant ainsi l’homme à sa temporalité. Et ceci ne semble pas aller en s’améliorant puisque des études réalisées par la DREES prévoient en France, pour 2040, une augmentation du nombre des personnes âgées dépendantes de 35% à 80% selon l’optimisme ou le pessimisme du scénario envisagé.

Nous avons choisi d’étudier les relations entre les variations morphologiques et la diminution des capacités d’adaptation biologique liées au vieillissement et les caractéristiques sociologiques et psychologiques des personnes âgées. Nous nous sommes attachés à l’analyse de trois variables biologiques que sont: l’Indice de Masse Corporelle (IMC), l’acuité visuelle binoculaire de loin avec correction et l’acuité visuelle binoculaire de près avec correction. En effet, nous savons actuellement que des IMC élevés sont associés à d’importants risques de maladies cardio-vasculaires (Lee et Paffenbarger, 1992 ; Stevens et al, 1998). Par ailleurs, on sait que l’acuité visuelle de prés comme de loin tend à diminuer avec l’âge (Weale, 1963 ; Klein, 1991 ; Salive et al, 1992 ; Haigh, 1993 ; Hirvelä et Laatikainen, 1995 ; Boëtsch, 2000). Or une personne ne pouvant plus lire aura davantage de mal à assumer les charges de la vie quotidienne, ce qui la rendra dépendante des autres. D’autre part, elle se déplacera plus difficilement à l’extérieur de son domicile, ne pourra plus conduire, risquera de chuter, avec les conséquences que cela peut entraîner ; enfin, plus globalement, l’isolement social s’installera plus facilement.

On sait que les IMC les plus élevés sont préférentiellement associés à de faibles niveaux d’éducation dans les populations américaine, suédoise et canadienne (Launer et al, 1994 ; Sundquist et Johansson, 1998, Kaplan et al, 2003). Par ailleurs, Launer et Harris (1996) ont analysé un grand nombre d’études portant sur les relations entre IMC et auto-évaluation de la santé chez des populations d’origines géographiques diverses mais n’ont pu mettre en évidence de lien entre ces deux variables. En revanche, l’étude récente sur la population canadienne âgée menée par Kaplan et al (2003) montre que les femmes les plus corpulentes se considèrent plutôt en mauvaise santé.

Parmi les facteurs sociologiques et psychologiques étudiés, de nombreux travaux prennent en compte l’auto-évaluation de la santé et le niveau d’éducation. Ainsi, depuis 30 ans, des études ont montré que l’auto-évaluation de la santé est un prédicteur puissant de la mortalité (Idler et Benyamini, 1997). Cependant, d’après Bjorner et al (1996), la relation entre âge et auto-évaluation de la santé n’est pas toujours mise en évidence: un tiers des études qu’ils rapportent montrent que les personnes âgées évaluent leur santé plus positivement que les plus jeunes, un tiers montrent l’inverse, le dernier tiers ne met pas en évidence de lien entre l’âge et l’auto-évaluation de la santé.

Des données plus récentes ne permettent pas de trancher sur la prédictibilité de ce facteur chez les personnes âgées. Van Doorn et Kasl (1998) montrent un taux de mortalité plus élevé dans une population d’australiens de plus de 70 ans s’estimant en mauvaise santé, que chez ceux s’estimant en bonne santé. A l’inverse, Helweg-Larsen et al (2003), qui ont étudié une population danoise de 18 à 86 ans durant 13 ans, ne mettent pas en évidence de lien entre auto-évaluation de la santé et mortalité chez les personnes âgées de plus de 55 ans. Ceci peut s’expliquer par le fait que les personnes les plus âgées relativisent leur état de santé en se comparant à ceux de leur génération («pour mon âge, je vais bien»).

En revanche, de nombreuses études montrent que les personnes âgées ayant des niveaux d’éducation élevés évaluent leur santé de façon plus positive que celles ayant fait moins d’études (Kivinen et al, 1998 ; Cott et al, 1999 ; Franks et al, 2003 ; Grundy et Sloggett, 2003).

Hormis le niveau d’études et l’auto-évaluation de la santé, qui sont les variables classiquement étudiées, nous avons choisi de prendre en compte d’autres indicateurs psycho-sociaux qui nous semblent pertinents dans le cadre d’une étude sur le vieillissement.

Tout d’abord, l’attention portée au corps nous semble un indicateur intéressant du bien-être physique et social de la personne. Le rapport que l’individu entretient avec son corps est empiriquement utilisé par les professionnels de la santé pour apprécier l’état de santé des patients. Pour autant, l’« attention portée au corps » n’a jamais été quantifiée. C’est dans ce but que nous avons élaboré un questionnaire portant sur l’hygiène corporelle et bucco-dentaire, les soins portés au visage et au corps (usage de crèmes et de maquillage, parfum …) les soins capillaires, l’achat de vêtements et l’activité physique.

Nous avons également mesuré l’Estime de Soi, test de psychologie sociale classiquement utilisé chez les adolescents et les jeunes adultes, mais peu chez les personnes âgées (Piquemal-Vieux, 1999 ; L’Ecuyer, 2000). Une bonne estime de soi serait liée à une meilleure auto-évaluation de la santé selon Cott et al (1999).

Enfin, il nous a paru important de mesurer l’impact d’une perception sociale valorisée ou dévalorisée sur les caractéristiques biologiques de la personne âgée. En effet, on peut penser que la dévalorisation sociale de la personne âgée influe sur son état de santé.

 

 

Matériel et méthodes

Nous avons étudié 150 personnes (89 femmes et 61 hommes), âgées de 60 à 103 ans, de nationalité française et résidant à Marseille au cours de l’année 2003. Cent quatre personnes vivaient à domicile, les 46 autres étaient hébergées de façon permanente en maison de retraite. Quatre groupes ont été constitués en fonction du genre et de l’âge:

- 32 femmes âgées de 60 à 74 ans (dont une institutionnalisée)

- 57 femmes âgées de 75 à 103 ans (dont 30 institutionnalisées)

- 31 hommes âgés de 60 à 74 ans (dont un institutionnalisé)

- 30 hommes âgés de 75 à 99 ans (dont 14 institutionnalisés)

Toutes les personnes constituant notre échantillon de population ont participé aux deux étapes de notre étude:

- un entretien dirigé,

- un examen anthropométrique.

L’examen anthropométrique

L’Indice Masse Corporelle (IMC)

L’Indice de Masse Corporelle est calculé de la manière suivante:

IMC = [Masse corporelle (kg)] / [Stature (m)]2.

Les individus ont été mesurés à l’aide d’une toise métallique démontable de haute précision (GPM) et pesés sur une balance électronique Terraillon®.

L’acuité visuelle de loin et l’acuité visuelle de près avec correction (AVL et AVP)

Nous avons réalisé des tests d’acuité visuelle classiques de loin et de près, avec correction.

Les mesures ont été réalisées en binoculaire, avec verres correcteurs si nécessaire. Les échelles utilisées sont celles de Monnoyer pour la vision de loin et de Parrinaud pour la vision de près. Ces tests de lecture ont été réalisés grâce à un appareillage ESSILOR.

L’entretien dirigé

Durant cet entretien, nous avons recueilli des données sur:

L’état civil (EC)

Nos demandons à la personne interviewée si elle est actuellement: «célibataire, mariée, en concubinage, divorcée ou veuve».

Le mode de vie (MV)

Toutes les personnes institutionnalisées de notre échantillon sont hébergées en permanence dans la maison de retraite. Les personnes vivant à domicile ne fréquentent pas de centre gériatrique ou d’hôpital de jour. Aucune n’habitait en résidence spécialisée (résidence 3ème âge).

Pour les personnes vivant à domicile, nous avons recueilli des informations concernant l’occupation de ce domicile, à savoir s’ils y vivent seul, en couple, avec leurs enfants ou d’autres membres de la famille. Enfin, ont été recueillies les informations concernant l’emploi d’une aide ménagère et/ou médicale à domicile.

Le niveau d’études (NET):

A partir de la nomenclature de l’INSEE, nous avons choisi un code à 5 niveaux: aucun diplôme, certificat d’études, BEPC (niveau 1) ; CAP, BEP (niveau 2) ; baccalauréat, brevet professionnel, brevets d’enseignement (niveau 3) ; BTS, DUT, DEUG, paramédical ou social (niveau 4) ; 2ème ou 3ème cycles universitaires, grande école, diplôme d’ingénieur (niveau 5).

L’auto-évaluation de la santé (AES)

A la question: «Comment trouvez-vous votre santé?», 4 modalités de réponse sont proposées: «mauvaise, plutôt mauvaise, plutôt bonne, bonne».

L’attention portée au corps (APC)

Cet indicateur comporte neuf questions concernant les soins d’hygiène corporelle et bucco-dentaire, les soins esthétiques, l’achat de vêtements et l’activité physique.

Les réponses aux neuf questions posées permettent d’établir un score entre 0 et 9.

La perception sociale (PS)

Afin de mesurer la perception des personnes interrogées quant à leur statut social, nous posons la question suivante: «Comment vous sentez-vous perçu par les autres?», à laquelle trois modalités de réponse sont proposées: «négativement, de manière neutre, positivement».

L’estime de soi (EDS)

Nous avons utilisé l’échelle d’Estime de Soi pour personnes âgées mise au point par L.Piquemal-Vieu (1999). Le test comporte 19 items. Les scores peuvent varier de 19 à 95.

Analyse statistique

Afin de comparer les moyennes de scores d’estime de soi des quatre groupes de personnes constituant notre population, nous avons eu recours à une ANOVA puis à des tests post-hoc.

Pour analyser les interactions entre les données biologiques et socio-culturelles, nous avons eu recours aux corrélations simples de Pearson et aux corrélations partielles. Bien que la grande majorité de nos variables soient ordinales, nous avons utilisé des méthodes paramétriques car on peut considérer que la distribution d’une variable ordinale est continue et gaussienne en utilisant le théorème limite de Laplace (loi des grands nombres). Ces interactions ont été analysées sur l’ensemble de notre échantillon de population.

Ces analyses ont été réalisées avec le logiciel SPSS version 11.0.

 

 

Resultats

Le mode de vie

Vingt-huit pour cent des personnes de notre échantillon vivent seules, 41,3 % vivent en famille, enfin, 30,7 % vivent en maison de retraite (tableau 3 ci-dessous).

 

 

Groupe 1  Femmes de

60 à 74 ans.

N = 32

Groupe 2  Hommes de

60 à 74 ans.

N = 31

Groupe 3  Femmes de

plus de 74 ans. N = 57

Groupe 4  Hommes de

plus de 74 ans. N = 30

Vit seul (e)

14

6

19

3

Vit en famille

17

24

8

13

Vit en institution

1

1

30

14

Tableau 1. Mode de vie pour chacun des quatre groupes

Table 1. Lifestyle in the four groups

 

Nous avons répertorié les personnes vivant à domicile qui bénéficient d’une aide ménagère et/ou médicale dans le tableau ci-dessous (tableau 4). Seules trois femmes vivant à domicile bénéficient de l’aide quotidienne d’une infirmière. Peu de personnes de moins de 75 ans ont une femme de ménage, alors que plus de 60 % des personnes de plus de 74 ans en ont une.

 

 

Femmes de

60 à 74 ans à domicile.

N = 31

Hommes de

60 à 74 ans à domicile.

N = 30

Femmes de

plus de 74 ans à domicile.

N = 27

Hommes de

plus de 74 ans à domicile.

N = 16

Aide ménagère

3

2

18

8

Aide médicale

0

0

3

0

Sans aide

28

28

9

8

Tableau 2: Nombre de personnes vivant à domicile bénéficiant d’une aide ménagère et/ou médicale

Table 2: Number of community-dwelling people with housework and/or medical help

 

L’état civil (EC)

Le pourcentage de personnes veuves (41,3 %) est égal à celui des personnes mariées (ou en concubinage). Ainsi, 82,6 % des personnes de notre échantillon sont soit mariées, soit veuves. Nous pouvons également remarquer que, si près de 75 % des hommes âgés de 60 à 74 ans sont mariés, près de 75 % des femmes de plus de 74 ans sont veuves.

 

 

Groupe 1  Femmes de

60 à 74 ans.

N = 32

Groupe 2  Hommes de

60 à 74 ans.

N = 31

Groupe 3  Femmes de

plus de 74 ans. N = 57

Groupe 4  Hommes de

plus de 74 ans. N = 30

Célibataire

2 (6,3%)

0 (0%)

5 (8,8%)

1 (3,3%)

Marié (e)

14 (43,7%)

23 (74,2%)

6 (10,5%)

16 (53,3%)

Concubinage

1 (3,1%)

2 (6,5%)

0 (0%)

0 (0%)

Divorcé (e)

7 (21,9%)

5 (16,1%)

4 (7,0%)

2 (6,7%)

Veuf (ve)

8 (25,0%)

1 (3,2%)

42 (73,3%)

11 (36,7%)

Tableau 3: Statut marital pour chacun des quatre groupes

Table 3: Marital status in the four groups

 

L’estime de soi

Nous avons effectué des comparaisons entre les quatre groupes constitués selon le genre et l’âge (60 à 74 ans et 75 ans et plus) des personnes (cf. Tableau 4 ci-dessous). Une ANOVA a permis de mettre en évidence une différence significative entre les groupes (F = 3,860 ; p < 0, 05). Afin de déterminer quelles moyennes diffèrent entre elles, nous avons utilisé un test post-hoc. L’homogénéité des variances de ces 4 sous-populations a été préalablement testée. Les variances ne différant pas au risque 5% (statistique de Levene = 0,934 ; p = 0,426), le test de Tukey a été utilisé pour les comparaisons multiples.

 

 

Groupe 1  Femmes de

60 à 74 ans.

N = 32

Groupe 2  Hommes de

60 à 74 ans.

N = 31

Groupe 3  Femmes de

plus de 74 ans. N = 57

Groupe 4  Hommes de

plus de 74 ans. N = 30

Score moyen

72,09

75,33

67,09

69,42

Ecart-type

10,412

11,220

10,223

13,827

Minimum

48

42

46

36

Maximum

88

91

91

92

Tableau 4. Scores moyens d'estime de soi au sein des 4 groupes

Table 4. Self-esteem scores for the 4 groups

 

Le test de Tukey a permis de mettre en évidence une différence significative en ce qui concerne l’estime de soi entre les hommes âgés de 60 à 74 ans et les femmes de plus de 74 ans (cf. Tableau 5 ci-dessous).

 

(I) group

(J) group

Différences de moyennes (I – J)

Signification

1

2

3

4

-3,24

5,01

2,67

0,672

0,190

0,783

2

3

4

8,25

5,91

0,008

0,176

3

4

-2,33

0,791

Tableau 5. Test de Tukey pour les scores d'estime de soi des 4 groupes

Table 5. Tukey’s test on the self-esteem scores of the 4 groups

 

L’auto-évaluation de la santé (AES)

Seules 12 des 150 personnes interrogées s’estiment en « mauvaise santé», 15 s’estiment «plutôt en mauvaise santé», 60 «plutôt en bonne santé » et enfin 63 en « bonne santé».

Le niveau d’études (NET)

La répartition des niveaux d’études de notre population se fait de la façon suivante:

Niveau 1: 69 personnes (49 femmes et 20 hommes)

Niveau 2: 16 personnes (7 femmes et 9 hommes)

Niveau 3: 28 personnes (17 femmes et 11 hommes)

Niveau 4: 12 personnes (9 femmes et 3 hommes)

Niveau 5: 25 personnes (7 femmes et 18 hommes)

Interactions entre les variables biologiques et les variables socio-psychologiques

L’acuité visuelle binoculaire de loin corrigée

L’acuité visuelle binoculaire de loin corrigée (AVL) est significativement corrélée à l’âge, à l’attention portée au corps, à l’auto-évaluation de la santé, à la perception sociale, à l’estime de soi et à l’acuité visuelle binoculaire de près (corrélations de Pearson , cf. Tableau 6 ci-dessous).

 

 

 

AGE

APC

AES

PS

NET

EDS

IMC

AVL

AVP

IMC

Corrélations de Pearson

-,007

,015

-,036

-,032

-,058

0,137

 

-,068

-,040

 

Sig. (bilatérale)

,933

,859

,662

,699

,484

0,096

 

,406

,625

AVL

Corrélations de Pearson

-,588

,497

,270

,269

,093

,292

-0,068

 

0,732

 

Sig. (bilatérale)

< 0,01

< 0,01

< 0,01

< 0,01

,240

< 0,01

,406

 

< 0,01

AVP

Corrélations de Pearson

-,600

,432

,294

,105

,103

,293

-,040

,732

 

 

Sig. (bilatérale)

< 0,01

< 0,01

< 0,01

,200

,212

< 0,01

,625

< 0,01

 

Tableau 6. Analyse des relations entre les variables biologiques et socio-psychologiques par les corrélations de Pearson

Table 6. Analysis of the relationships between biological and socio-psychological variables by Pearson’s correlations

 

Afin de neutraliser le rôle de l’âge, qui pourrait jouer un rôle d’intermédiaire entre ces variables, nous avons effectué des corrélations partielles pour lesquelles la variable âge était fixée (cf. Tableau 7).

De cette manière, cinq des variables préalablement citées restent corrélées à l’acuité visuelle de loin: l’attention portée au corps, l’auto-évaluation de la santé, la perception sociale, l’estime de soi et l’acuité visuelle de près.

Cependant, s’il semble évident que l’âge puisse influer sur les corrélations entre les variables, nous pouvons supposer un important réseau d’interactions entre toutes les variables étudiées. Ainsi, nous avons réalisé des corrélations partielles en fixant toutes les variables (sauf deux) afin de déterminer quelles sont les réelles liaisons avec l’acuité visuelle de loin. Ainsi, l’acuité visuelle de loin reste significativement corrélée à trois variables: l’attention portée au corps, la perception sociale et l’acuité visuelle de près (cf. tableau 8).

 

 

 

APC

AES

PS

NET

EDS

IMC

AVL

AVP

AVL

Corrélations partielles

,4000

,2204

,2324

,0964

0,1644

-,0895

 

,5858

 

signification

< 0,01

< 0,01

< 0,01

,242

< 0,05

,277

 

< 0,01

AVP

Corrélations partielles

,3127

,2504

,0269

,1047

0,1627

-,0554

,5858

 

 

signification

< 0,01

< 0,01

,745

,204

< 0,05

,502

< 0,01

 

Tableau 7. Analyse des relations entre l’acuité visuelle et les variables socio-psychologiques par les corrélations partielles contrôlées par l'âge

Table 7. Analysis of the relationships between visual acuity and socio-psychological variables by partial correlations controlled by age.

 

 

 

APC

AES

PS

NET

EDS

IMC

AVL

AVP

AVL

Corrélations partielles

,2326

-,0698

,1951

 

,0166

 

 

,5165

 

signification

< 0,01

,411

< 0,05

 

0,845

 

 

< 0,01

AVP

Corrélations partielles

,1149

,1175

 

 

,0254

 

,5165

 

 

signification

,175

,165

 

 

,765

 

< 0,01

 

Tableau 8. Analyse des relations entre l’acuité visuelle et chaque variable socio-psychologiques par les corrélations partielles contrôlées par toutes les autres variables

Table 8. Analysis of the relationships between visual acuity and socio-psychological variables by partial correlations controlled by all other variables.

 

L’acuité visuelle binoculaire de près corrigée

L’acuité visuelle de près est significativement corrélée à 5 variables: l’âge, l’attention portée au corps, la perception de la santé, l’estime de soi et l’acuité visuelle de loin (tableau 6 ci-dessus). Pour connaître les relations entre chacune de ces variables et l’acuité visuelle de près nous avons effectué des corrélations partielles.

Ainsi, seule l’acuité visuelle de loin reste significativement corrélée à l’acuité visuelle de près (cf. tableau 8 ci-dessus).

L’IMC

Comme on le voit sur le tableau 6 ci-dessus, aucune variable socio-psychologique ou physique n’est significativement corrélée à l’IMC. Même l’âge n’est pas corrélé à l’IMC, ce qui corrobore les résultats obtenus par Adalian (2002) sur la population marseillaise.

Par ailleurs, nous avons analysé les IMC répartis selon les catégories définies par l’OMS, à savoir:

- Maigreur pour un IMC inférieur à 18,5.

- Corpulence « normale » pour un IMC compris entre 18.5 et 24,99

- Surcharge pondérale pour un IMC compris entre 25 et 29,99

- Obésité pour un IMC supérieur ou égal à 30.

Ainsi, une seule personne de notre échantillon de population est «maigre», 67 sont «normales», 64 en «surcharge pondérale» et 18 «obèses».

Dans une analyse complémentaire, nous avons testé l’homogénéité des différents groupes d’IMC pour le niveau d’études, d’une part, et l’auto-évaluation de la santé, d’autre part. Pour ce faire, nous avons réalisé des tests de Khi2 en ne prenant pas en compte le seul individu «maigre».

Aucune différence significative n’apparaît dans la répartition des niveaux d’études entre les différents groupes d’IMC ( (8) = 5,67 ; NS). Il en est de même pour la répartition de l’auto-évaluation de la santé entre ces mêmes groupes d’IMC ( (2) = 2,57 ; NS).

 

 

Discussion

Le vieillissement est un processus biologique, sociologique et psychologique. Analyser les interactions entre ces différentes composantes pourrait contribuer à l’explication d’un vieillissement différentiel.

L’estime de soi

Nous avons observé une différence statistiquement significative entre le groupe des hommes les plus jeunes (60 à 74 ans) et celui des femmes plus âgées (plus de 74 ans) quant à l’estime de soi. Cependant, on peut remarquer que les moyennes d’estime de soi diminuent progressivement entre les hommes « les plus jeunes », les femmes « les plus jeunes », les hommes « les plus vieux » et enfin, les femmes « les plus vieilles ». Les moins âgés ont une moyenne d’estime de soi plus élevée que les plus âgés et, pour une même classe d’âge, les hommes ont une meilleure moyenne que les femmes. De plus, il est à noter que le groupe des femmes les plus âgées est celui qui comporte le plus de veuves (près de 75 %) alors que plus de 80 % des hommes les plus jeunes vivent en couple. On peut ainsi se demander si le veuvage n’est pas un facteur aggravant la diminution de l’estime de soi.

Dans notre étude, l’estime de soi semble diminuer avec l’avancée en âge. Ceci peut venir du fait que plus une personne vieillit, plus elle a de pertes à affronter et de difficultés à contrôler son environnement, ce qui agresse son identité personnelle (Vautier-Estève, 1995). Ce résultat semble donc conforter l’hypothèse de l’Ecuyer selon laquelle «à partir de 75 - 80 ans, le concept de soi est davantage concentré sur un ensemble perceptuel plus restreint» (L’Ecuyer, 1978, 2000).

A l’inverse, pour Trimakas et Nocolay (1974) et George et Bearon (1980) l’estime de soi s’élève avec l’âge, les personnes révisant leur histoire personnelle selon des processus qui garantissent une évaluation positive. En somme, elles augmenteraient les résultats positifs et contrôleraient les événements négatifs, assurant ainsi la continuité du soi.

Auto-évaluation de la santé et Indice de Masse Corporelle

Nous n’avons pas observé de relations entre l’auto-évaluation de la santé et l’IMC. Ainsi, dans notre échantillon de population, les personnes obèses ou en surcharge pondérale n’évaluent pas leur santé plus négativement (ou plus positivement) que les autres. Ceci confirme les résultats des études rapportées par Launer et Harris (1996) et nous laisse penser que les risques associés au surpoids ne sont pas bien perçus par les personnes de cette classe d’âge.

Niveau d’études et Indice de Masse Corporelle

Nos résultats diffèrent de ceux obtenus sur les populations américaine, suédoise et canadienne (Launer et al, 1994 ; Sundquist et Johansson, 1998, Kaplan et al, 2003), car nous n’avons pas observé de lien entre niveau d’études et IMC. Ceci semble particulier à la population marseillaise et montre bien la multiplicité des facteurs susceptibles de jouer sur cette relation.

L’acuité visuelle de loin corrigée, attention portée au corps et perception sociale

En gardant toutes les variables constantes, l’acuité visuelle de loin est positivement corrélée à celle de près. Les personnes ayant été testées avec leurs lunettes, il est possible que ceci soit à mettre en relation avec la fréquence des visites chez l’ophtalmologiste. Ceci n’a pu être directement vérifié car les personnes ayant une mauvaise vue ne se souvenaient que très rarement de leur dernier rendez-vous chez l’ophtalmologiste. Nous pouvons néanmoins penser que les personnes qui ne se souviennent pas de leur suivi ophtalmologique négligent leur vision ou n’ont pas d’espoir d’amélioration.

L’acuité visuelle binoculaire de loin est significativement corrélée à l’attention portée au corps et ceci, même en maintenant toutes les autres variables constantes. Le signe de cette corrélation est positif, c’est-à-dire que les scores d’attention portée au corps augmentent en même temps que l’acuité visuelle de loin. Si les corrélations permettent de mettre en évidence l’existence d’une liaison entre deux variables, la relation de cause à effet entre ces variables ne peut être qu’hypothétique. Est-ce parce qu’on voit moins bien qu’on prend moins soin de son corps? Ou alors, est-ce parce qu’on prend moins soin de son corps que l’on néglige sa vue ou que l’on voit moins bien?

A priori, la première hypothèse paraît la bonne; ne pas voir le monde qui nous entoure, ne pas se voir dans ce monde, peut entraîner un certain délaissement de son propre corps. Pourtant, cette relation n’est probablement pas aussi simple que cela car nous avons mesuré l’acuité visuelle de loin corrigée. Nous n’avons pu effectuer un examen ophtalmologique suffisamment poussé pour mesurer les capacités optimales des personnes rencontrées (nous ne savons pas si la vue de ces personnes est corrigeable ou opérable), mais l’hypothèse que nous avons émise est que les personnes qui voient mal ne font pas l’effort nécessaire pour optimiser leur vue (négligence des examens ophtalmiques). Or, ne pas voir le monde qui nous entoure, c’est ne pas se «voir» soi-même puisque nous ne pouvons prendre conscience de nous qu’à travers le regard des autres. En effet, «autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même» (Sartre, 1943). Le Breton a adapté ceci au processus de vieillissement: «c’est du regard de l’autre que naît le sentiment abstrait de vieillir» (Le Breton, 2001). De plus, nos résultats montrent que l’acuité visuelle de loin corrigée est également corrélée à la perception sociale; la personne qui se sent positivement perçue par son entourage a une meilleure vision. Cela veut dire qu’une personne qui verrait mal ferait moins attention à son corps et se sentirait plus mal considérée par son entourage qu’une personne qui verrait mieux. Il serait alors possible que des personnes se sentant mal considérées par leur entourage laissent leur acuité visuelle diminuer afin d’occulter cette image négative d’eux-mêmes renvoyée par les autres. Ainsi, ce processus d’isolement perceptif, évoqué par L’Ecuyer (2000), pourrait faire partie intégrante des stratégies de « coping » développées par les personnes âgées afin de diminuer l’impact des agressions sur leur bien-être physique et psychologique.

En somme, une perception dévalorisée de soi pourrait favoriser le processus d’isolement perceptif de la personne âgée vis à vis non seulement du regard des autres mais également du monde environnant, ce qui ne pourra que favoriser indirectement la survenue des handicaps et de la dépendance.

Le processus de vieillissement étant à la fois biologique, sociologique et psychologique, une approche pluridisciplinaire s’impose. C’est pourquoi l’anthropologie biologique semble particulièrement adaptée à l’étude de ce processus.

 

 

Remerciements. Nous remercions toutes les personnes ayant accepté de participer à cette étude ainsi que les organismes qui nous ont accueillis, le centre DORIA de la CPAM, « Les jardins d’Haïti » et le centre gériatrique de la MGEN.

 

 

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