Colloques du Groupement des Anthropologistes de
Langue Française (GALF)
Gorini, R., Baggieri,
G., di Giacomo, M., 2004, Internement et Traitement de la Maladie Mentale au
Moyen-Âge islamiste: l’exemple des Bîmarîstâns au Maroc et en Syrie. Antropo, 7, 99-104. www.didac.ehu.es/antropo
Internement et Traitement de la Maladie Mentale au
Moyen-Âge islamiste: l’exemple des Bîmarîstâns au Maroc et en Syrie
Hospitalization and Treatment of the Mental Disease
During the Islamic Middle Age: the Example of the Bimaristans in Maroc and in
Syria
Rosanna
Gorini1, Gaspare Baggieri2, Marina di Giacomo2
1Institut
de Neurosciences – Section de Rome C.N.R.
2Ministère
des Biens et Activités Culturelles - Direction Générale pour les Biens
Archéologiques - Section d’Anthropologie
Correspondance: Rosanna
Gorini. Institut de Neurosciences du CNR
– Section de Rome. Viale Marx 15. 00137 Rome, Italy. E-mail: r.gorini@ipsifar.rm.cnr.it
Mots-clés: bîmâristân, maladie mentale,
traitment clinique, monde islamiste, moyen-âge.
Key-words: bimaristan, mental illness, clinical
treatment, islamic world, middle-age.
D’un point de vue soit scientifique, soit
architectural l’idée d’un hôpital comparable pour sa typologie avec l’ hôpital
moderne (c’est-a-dire, dédié exclusivement au traitement clinique des patients,
à l'enseignement et au dévelopement de la médecine) a été une des réalisations
les plus grandes de la société islamiste médiévale. Selon la majorité des
historiens, le premier hôpital islamiste a été bâti autour du 8ème siècle à
Baghdad, par le visir Harun al Rashid. Par après, beaucoup d’hôpitaux ont été
bâtis dans le monde islamiste. En général, ils comprenaient des établissements
spécialisés pour les différentes maladies. Plusieurs hôpitaux avaient un
établissement pour le soin des malades mentaux, où on utilisait des drogues,
des massages, des saignées, et même de la musicothérapie et de l’ergothérapie.
Dans ce travail sont considéré les plus célèbres bîmâristâns du Maroc et de la
Syrie dans lesquels les malades mentaux étaient hospitalisés et soignés.
Abstract
The planning and the building of an
institution typologically comparable to moderns hospitals, i.e. exclusively
devoted to the clinical treatment of patients, to the education of medical
students and to medicine development, represented, both medically and
architecturally, a great achievement of the medical Islamic society. According
to the majority of the historians, the first true Islamic hospital was built in
about the 8th century during the reign of Harun al Rashid, the vizier of
Baghdad. After this, a large
number of hospitals sprung up throughout the Islamic world during the Middle
Age. Generally these hospitals consisted of specialized wards dealing with
different diseases. Some hospitals frequently had special places for patients
affected by mental disease. Drugs,
massages, bloodletting as well as musicotherapy and ergotherapy were used. In
this paper the most famous Moroccan and Syrian bimaristans in which mental
illnesses were treated have been considered.
L’idée d’un hôpital, comme structure
exclusivement dédiée à l’assistance clinique et thérapeutique ainsi qu’à
l’enseignement et à la divulgation des sciences médicales, constitue l’une des
principales réalisations de la société islamique du Moyen-Age. Selon la
majorité des historiens, le premier véritable hôpital, au sens moderne du
terme, a été édifié, autour de l’année 805, dans le royaume de
Haroun-al-Raschid, le vizir de Baghdad.
Par la suite, de nombreux hôpitaux ont vu le jour dans différentes
parties du monde islamique au Moyen Age.
Le terme “bîmâristân”, appellation
abrégée au Maroc en “mâristân”, par laquelle l’hôpital, en particulier
psychiatrique, est encore désigné de nos jours dans le monde islamique, est un
mot persan composé de “bîmâr” (malade) et de “stan” (qui caractérise le nom de
lieu).
La majorité des bîmâristâns étaient des
institutions séculières gérées par le waqfs ou bien sous le contrôle de l’état.
Ils étaient ouverts à tous, sans distinction de sexe, d’âge, de religion, ou de
niveau social. Le personnel était composé de médecins specialisés, d’infirmiers
et d’aides-soignants. Très souvent au bîmarîstân étaient rattachées une
pharmacie et une bibliothèque.
Les services, séparés pour les hommes
et les femmes, étaient spécialisés en fonction des différents types de
maladies: internes, ophtalmologiques, orthopédiques. Il existait également des
services de chirurgie.
Dans certains de ces hôpitaux se
trouvaient déjà des services destinés au traitement des maladies mentales: en
effet, la bonne santé mentale est un aspect considérable de la vie d’un
musulman et l’Islam recommande, dès le début de son histoire, le respect envers
les aliénés (Cloarec, 1998; Ramusio, 1978). Dans les hôpitaux islamiques s’est
donc développée une bonne assistance pour les aliénés et les médecins
arabo-musulmans, notamment ceux du Maghreb, seront pour la plupart de grands
psychosomaticiens (Ammar, 1987). Leurs principes de base poseront comme axiome intangible
l’intrication constante des phénomènes physiques et psychiques.
La structure architecturale des
bîmâristâns vient de l’idée que la beauté fondée sur l’équilibre, l’harmonie et
le rythme est salutaire (Barcena; 2001).
Généralement, les bîmâristân sont des
palais princiers avec un plan cruciforme edifiés autour d’une cour centrale
rectangulaire dans laquelle se trouve une fontaine. Arbres, fleurs parfumées et
plantes vertes associés au gargouillement et à la fraicheur de l’eau des
fontaines, étaient considérés comme curatifs et faisaient partie intégrante de
la thérapie des aliénés.
C’est grâce aussi à des narrations de
voyageurs médiévaux que l’on
dispose aujourd’hui de descriptions concernant les bîmarîstâns et les
traitements de la folie.
Pour ce que concerne le Maroc, certains
auteurs pensent qu’il y avait déjà à Fez, au VIIème siècle, une maison dévolue aux soins des
maladies mentales (Zilboorg et Henry, 2002).
Sans doute, au XIIème siècle, se
trouvait à Marrakech le mâristân Sidi Ishak édifié par le sultan almhoade
Ya’qub al-Mansur. Ce mâristân a toutefois disparu sans laisser de traces. A
Rabat en outre se trouvait le mâristân M’hammad El-Ghazi qui accueillait, grâce
à de riches donations, des malades mentaux venus du Maroc entier.
Parmi les mâristâns les plus célèbres
du Maroc on peut citer le mâristân
de Sidi Frej (XIII s.) situé au centre de Fez. dont les caractéristiques nous
sont parvenues grâce au témoignage détaillé de Léon l’Africain (1465-1550) qui
fut secrétaire de cet hôpital pendant plusieurs années: “Cet hospice dispose de
tout le personnel dont il a besoin: notaires, infirmiers, gardiens,
cuisiniers et autres qui s’occupent des malades… dans cet hôpital se trouvaient
des chambres pour les aliénés… qui étaient attachés avec des chaînes en
fer. Les murs des chambres
semblent ferrés, mais sont faits avec des solideaux de bois très résistants…Les
personnes chargées de les nourrir avaient des fouets pour les malades agités……
Souvent, les malades injuriaient les étrangers qui s’ approchaient de ces
pièces et, lorsque ils étaient tout près, les empoignaient d’une main par les
vêtements et, de l’autre, les barbouillaient d’excréments sur la figure”
(Cloarec, 1998).
Selon une plaque de l’Association
Marocaine d’histoire de la médecine posée en 1993, ce mâristân a servi de modèle pour la construction du
premier hôpital psychiatrique occidental, inauguré en Espagne, à Valencia,
en 1410.
Pour ce que concerne la Syrie le
bîmâristân de Nûr al-Din, édifié à Damas entre 1154 et 1156, semble avoir été
bâti grâce à la rançon d’un roi franc fait prisonnier par Nûr al-Din. Il fut
construit selon un plan cruciforme avec une cour centrale rectangulaire et un
bassin au centre. Sur chacun des côtés de la cour était situé un iwan (salle
voûtée s'ouvrant sur une cour) (Figure 1) (Cloarec, 1998).
Figure
1. Plan du bîmâristân Nûr al-Dîn, à Damas. (Avec l’ autorisation des éditions L’
Harmattan)
Figure
1. Plan of the bimaristan Nur al-Din, in Damascus. (With the
permission of Éditions L’ Harmattan)
Cloarec, F.,
1998, Bîmâristâns, Lieux de Folie et de sagesse. La folie et ses traitments
dans les hôpitaux médiévaux au Moyen-Orient. Comprendre le Moyen-Orient (Paris:
L’Harmattan), pp. 160
Les aliénés dangereux étaient enchaînés
afin de les empêcher de nuire ou de se nuire. Ils recevaient régulièrement de
la nourriture et étaient contrôlés par les médecins. Il y avait également de la
musique pour calmer les malades. En effet, dans une salle attenante, se
trouvaient des chanteurs et des narrateurs. Dans la Rihla du voyageur andalou
Ibn Gubayr (XII s.) est décrite l’activité de ce bîmâristân “les médecins,
chaque matin, vont visiter les malades et prescrivent remèdes et nourriture…
les aliénés les plus graves sont enchaînés...”.
Un autre bîmâristân, le bîmâristân al-Qaymari
(1248-1258), à Damas, selon la description d’un auteur du XVième siècle, avait
à l’Ouest une pièce pour les aliénés avec, tout près, une autre pièce ou
reléguer des malades….. dans un vestibule se trouvait un vaste réservoir
d’eau constamment rempli (Figure 2). Le plan était cruciforme et ressemblait à
celui de Nûr al-Din (Allen, 1999)
Figure
2. Plan du bîmâristân Qaymarî, à Damas. (Avec l’
autorisation des éditions L’ Harmattan)
Figure
2. Plan of the bimaristan Qaymari in Damascus. (With the permission
of Éditions L’ Harmattan)
Cloarec, F., 1998, Bîmâristâns, Lieux de Folie et de sagesse. La
folie et ses traitments dans les hôpitaux médiévaux au Moyen-Orient. Comprendre
le Moyen-Orient (Paris: L’Harmattan), pp. 160
Le bîmâristân Al-Arghun, à Alep, est l’un des plus anciens hôpitaux
psychiatriques du monde. Son plan, différemment de plans de les deux autres,
est plutôt complexe et consiste de quelques bâtiments disposés de manière
asymétrique (Figure 3).
Dans les trois petits bâtiments situés
à l’Est, les aliénés étaient répartis en fonction de la nature de leur
pathologie. Dans les cours fermées se trouvaient des fleurs, des plantes de
basilic ainsi que des fontaines gargouillantes. Probablement, dans la cour
centrale, les aliénés les moins agités étaient calmés par la musique et le
gargouillement de l’eau. Il semble que la musicothérapie était particulièrement
pratiquée dans ce bîmâristân.
En effet, la musique a été très tôt
recommandée comme thérapie pour la mélancolie par plusieurs médecins arabes.
Ibn Butlan, médecin au XIème siècle, écrivait: “L’effet de la mélodie sur un
esprit dérangé est semblable à celui des médicaments sur un corps malade”.
L’ud (luth arabe) et le nay (flûte de
roseau) étaient les instruments musicaux les plus utilisés pour composer des
mélodies susceptibles de rasséréner
l’esprit des aliénés et calmer leurs émotions. Le nay symbolise l’âme
humaine “déchirée de son état d’unité primordiale” alors que l’ud serait le symbole du monde
terrestre; le son de l’ud est censé représenter les quatre éléments
fondamentaux de la nature: le feu, l’air, l’eau et la terre (Barcena, 2001).
Les malades étaient aussi calmés par
les phrases mélodieuses des poètes et les histoires des narrateurs.
Figure 3. Plan du bîmâristân Arghûn, à Alep. (Avec l’ autorisation des éditions L’
Harmattan)
Figure 3. Plan of the bimaristan Arghun, in Aleppo. (With the permission of Éditions
L’ Harmattan)
Cloarec, F., 1998, Bîmâristâns, Lieux de Folie et de sagesse. La
folie et ses traitments dans les hôpitaux médiévaux au Moyen-Orient. Comprendre
le Moyen-Orient (Paris: L’Harmattan), pp. 160
Dans certains bîmâristâns, des lecteurs
étaient payés pour lire le coran matin et soir. Les visites des parents et des
amis étaient sollicitées par les médecins et faisaient partie intégrante de la
thérapie.
L’ergothérapie était également
préconisée ainsi que la danse et
la récitation de poèmes ??.
Selon les manuels de médecine du
moyen-âge, les drogues utilisées pour soigner les maladies mentales étaient
souvent d’origine végétale et comprenaient essentiellement des purges, des
sédatifs (en particulier l’opium), des digestifs et des émétiques ?? . Ces
drogues étaient utilisées individuellement ou en association pour stimuler les
apathiques, calmer les sujets agités et traiter la dépression nerveuse.
D’autres traitements médicaux étaient également pratiqués parmi lesquels les
fomentations ?? à la tête, les bains, les saignées, les massages à l’aide
de différentes huiles, etc.
(Dolls, 1987).
Il semble toutefois que la personne
humaine n’était pas également respectée dans l’ensemble des bîmarîstâns et que,
dans quelques hopitaux, les malades, surtout le plus violents, étaient traités
très durement.
Ces données montrent
de toute façon que les médecins du moyen-âge islamique n’étaient pas seulement
des précurseurs de l’activité hopitalière en général mais qu’ils avaient déjà
compris que les maladies mentales nécessitaient une assistance particulière, et
que tout médecin envisageant un traitement pour un malade devait, avant toute
chose, identifier l’origine de sa maladie.
Bibliographie
Allen, T., 1999, Ayyubid Architecture (California: Solipsist Press,
Occidental), an electronic publication:
http://ssgdoc.bibliothek.uni-halle.de/vlib/ssgfi/infodata/002368.html
Ammar, S., 1987, Histoire de la psychiatrie maghrébine, Dans Nosologie et
culture. Manuel de psychiatrie du praticien maghrébin, édité par S. Douki, D.
Moussaoui et F. Kacha (Paris: Masson) p. 268
Barcena, C.G., 2001 El bimaristan, un modelo de hospital islamico. Historia
de los primeros centro psiquiatricos del mundo. Rivista Natura Medicatrix, 62,
6-11.
Cloarec, F., 1998, Bimaristans, Lieux de Folie et de sagesse. La folie et
ses traitments dans les hôpitaux médiévaux au Moyen-Orient. Comprendre le
Moyen-Orient (Paris: L’Harmattan), pp. 160.
Dolls, M.W., 1987, Insanity and its treatment in Islamic society”, Medical
History, 31, 1-14.
Ramusio, G.,B., 1978 Navigazioni e viaggi (Torino: Einaudi) a cura di
Marica Milanesi, pp. XLI-970.
Zilboorg, G., Henry, G.W., 2002, Storia della Psichiatria (Roma: Nuove
Edizioni Romane), pp. 672.