Colloques du Groupement des Anthropologistes de Langue Française (GALF)

Rovillé-Sausse, F., Hernandez, V., 2004, Comportements alimentaires et statut nutritionnel des enfants d’origine maghrébine vivant en France. Antropo, 7, 89-97. www.didac.ehu.es/antropo


 

Comportements alimentaires et statut nutritionnel des enfants d’origine maghrébine vivant en France

 

Food habits and nutritional status of the children of Maghrebian origin, living in France

 

F. Rovillé-Sausse1, V. Hernandez2

 

1 Eco-Anthropologie, Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris (France)  

2 Institut de Recherche pour le Développement, Bondy (France)

 

Correspondance: Françoise Rovillé-Sausse, UMR 5145 Eco-Anthropologie, Museum national d’Histoire naturelle, 17 place du Trocadéro, 75116 Paris – France. E-mail: sausse@mnhn.fr

 

Mots-clés: migration maghrébine, comportements alimentaires, apports nutritionnels, surpoids.

 

Key-words: migration, food habits, nutritional contributions, overweight.

 

Résumé

L’objectif de cette étude est d’évaluer les apports nutritionnels d’une population d’enfants d’âge préscolaire d’origine maghrébine vivant en région parisienne, et de les comparer aux dernières recommandations publiées pour la population française (Martin, A., 2001: apports nutritionnels conseillés = ANC 2001). Une enquête de comportement alimentaire a été menée auprès de 80 familles. La composition des menus par classes d’âge (en fonction des modalités d’allaitement, du sevrage, des aliments de substitution, de la diversification) a été évaluée pour chaque enfant à l'aide des tables de composition des aliments, compte tenu des quantités ingérées par 24 heures. On observe une occidentalisation du comportement alimentaire par la réduction de la durée de l’allaitement, la composition générale des menus. Les apports nutritionnels moyens sont déséquilibrés: apports en glucides > ANC, apports en lipides < ANC.

 

Abstract

The aim of this study is to evaluate the nutritional contributions of a sample of preschool children of Maghrebian origin, living in Parisian area, and to compare them with the last recommandations published for the French population (Martin, A., 2001: apports nutritionnels conseillés = ANC 2001). The investigation about food habits was carried out among 80 families. The composition of the menus by age groups (according to the way of feeding, weaning, diversification) was evaluated fot each child using the tables of composition of food, taking into account the quantities introduced in 24 hours. One observes an occidentalization of the food habits by the reduction of the duration of breast feeding, the general composition of the menus. The average nutritional contributions are unbalanced: glucid contributions >ANC, lipids contributions < ANC.

 

 

Introduction

            Les migrations maghrébines externes en Europe sont le prolongement des migrations internes. Dans les années 1960-1970, des milliers d’ouvriers agricoles et de paysans pauvres ont émigré vers l’Europe, principalement vers la France, la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas (Chattou, Z., 1996). Les premiers migrants vers les autres pays d’Europe sont d’abord passés par l’espace français avant de se sédentariser dans l’un des autres pays cités. D’après le dernier recensement de la population française, en 1999, les immigrés natifs du Maghreb sont 1,3 million, soit 6% de plus qu’en 1990 (Boëldieu, J. et Borrel, C., 2000). Cette augmentation est due pour trois-quarts aux originaires du Maroc. Nous retrouvons cette population essentiellement dans les grandes villes: leur part est de 8% dans les villes de plus de 200 000 habitants et de 16% en agglomération parisienne. La nature des migrations a beaucoup changé; en effet, le projet migratoire qui prévoyait un retour rapide au pays est remplacé par un mouvement de regroupement familial favorisé par différentes mesures au milieu des années soixante-dix. Il s’ensuit une féminisation de l’immigration, dont l’augmentation est aujourd’hui presque uniquement le fait des femmes. Les femmes qui immigrent sont généralement jeunes (20 à 45 ans) et en âge de procréer. On assiste ainsi à une féminisation et à un rajeunissement des populations maghrébines, ou d’origine maghrébine, en France.

            On sait que les besoins nutritionnels (compte tenu de l’âge, du sexe, de l’activité physique des individus) ne montrent généralement pas de différences significatives d’une région à l’autre du globe (Martin, A., 2001). Les recommandations nutritionnelles ont donc un caractère universel et seule leur application en termes d’aliments doit tenir compte des facteurs culturels. Mais l’abandon d’une alimentation traditionnelle généralement relativement équilibrée, et l’adoption d’une alimentation occidentale, s’accompagnent souvent d’une détérioration de certains indicateurs de santé. L’obésité en est un exemple. L’obésité est une maladie de la transition économique (Basdevant, A. et Ricquier D., 2003) dont la prévalence augmente aussi bien chez les enfants que chez les adultes avec la migration et la modernisation des comportements dans les cultures occidentales (Eveleth, Ph. B., Tanner J.M., 1990). Une augmentation significative de la prévalence d’un surpoids précoce chez les enfants d’origine maghrébine nés en France a été observée (Rovillé-Sausse, F., 1999). L’objectif de la présente étude est de déterminer si les comportements alimentaires des enfants d’âge préscolaire ont une incidence sur leur équilibre nutritionnel et sur la corpulence moyenne.

 

 

Méthodologie

            Ce travail est basé sur l’analyse d’une enquête de comportement alimentaire réalisée en 2002 dans plusieurs centres de Protection Maternelle et Infantile (PMI) de Paris et de la région parisienne. Quatre-vingts mères de famille maghrébines fréquentant ces centres ont accepté de participer à l’enquête portant sur l’alimentation de leurs enfants ayant aujourd'hui entre 4 et 6 ans. La consommation alimentaire des enfants a été évaluée par la méthode du rappel des dernières 24 heures, réajustée sur une semaine (composition de tous les menus d'une semaine; les résultats individuels sont des moyennes calculées sur 7 jours) et par l’étude rétrospective du comportement alimentaire par tranches d’âges (mode d’allaitement, introduction de nouveaux aliments, supplémentation…: interview de la mère et vérification sur dossiers). La valeur nutritionnelle des rations quotidiennes de chaque enfant a été évaluée à l’aide du logiciel Regal micro, et d’après les tables de composition des aliments (Favier J.C. et al., 1995). Le guide d’entretien figure en annexe. Les apports nutritionnels ont été évalués pour chaque enfant, puis les apports moyens  ont été comparés (test-t de Student, au seuil de signification de 0,05) aux Apports Nutritionnels Conseillés pour la population française (Martin, A., 2001). Toutes les mères consultées parlaient et comprenaient bien le français, et aucune barrière linguistique n’a entravé les dialogues. Dans toutes les familles volontaires retenues, le père et la mère de chaque enfant étaient tous deux nés dans un pays du Maghreb, et arrivés en France plus ou moins récemment. Soixante pour cent des parents ont migré avant 1990 et l’arrivée du père précède généralement celle de la mère de quelques années (regroupement familial). Après 1990, les couples migrent généralement ensemble. Les enfants de cette enquête sont tous nés en France ; ils sont représentatifs de la première génération née dans un pays d’Europe occidentale. Il existe une corrélation entre la date d’arrivée en France des parents et leur niveau d’études : les plus récemment arrivés sont plus diplômés. En effet, parmi les mères arrivées avant 1990, 77% ont au moins le BEPC et 48% ont au moins le baccalauréat; parmi celles qui sont arrivées en France à partir de 1990, 85% ont au moins le BEPC et 71% ont au moins le baccalauréat. L’âge moyen des mères au moment de l’interview était de 31 ans (­SD: 5 ans). Le nombre moyen d’enfants par femme était de 2 (minimum: 1, maximum: 7), mais un seul enfant par famille a été pris en compte dans l’analyse statistique des résultats.

 

 

Résultats

On peut considérer plusieurs étapes dans l'alimentation du jeune enfant. Dans les années 1990, l’introduction des fruits en compotes et des légumes (soupes, purées) cuits était préconisée vers 3 mois (Depinoy, D., 1993). Aujourd’hui (Leroux, M.C., 2003), il est conseillé de diversifier l’alimentation plus tardivement. En France, le lait  (maternel ou aliment lacté diététique) est le seul aliment préconisé de la naissance à cinq mois. A partir de 5 mois seront introduits progressivement les légumes et les fruits, puis la viande, le poisson et les œufs. Le lait garde une place prépondérante. L'alimentation est diversifiée à partir de la seconde année.

La période d’alimentation exclusivement lactée (Fig. 1) est caractérisée par une fréquence élevée de l’allaitement maternel exclusif à la naissance chez le nourrisson d’origine maghrébine. L’allaitement mixte ou artificiel n’était jamais un choix délibéré de la part de la mère, mais plutôt la conséquence d’une insuffisance de lait.

 

 

Figure 1. Fréquences (en %) d’enfants allaités à la naissance

Figure 1. Frequency (in %) of children breastfed at birth

 

L’âge moyen au sevrage définitif, est de 4,2 mois (Tableau 1), mais 65% des nourrissons sont encore partiellement allaités au sein entre 3 et 6 mois. La totalité des nourrissons allaités à la naissance le sont encore à un mois et 13% le sont encore partiellement après un an.

 

Mois

Fréquences

1

0 %

3

22 %

6

51 %

12

87 %

Tableau 1. % d'enfants sevrés à certains âges particuliers

Table 1. % of children weaned at certain particular ages

 

 L’introduction de nouveaux aliments autres que les produits lactés  intervient progressivement à partir de 5 mois (Tableau 2). L’enfant a des menus diversifiés et participe au repas familial en moyenne à 16,5 mois (: 7,1 mois).

 

Sevrage

4,2 (3,5)

Introduction fruits

5,3 (2,4)

Introduction légumes

5,7 (2,2)

Introduction poisson

7,0 (2,7)

Introduction viande

7,4 (2,8

Plat familial

16,5 (7,1)

Tableau 2. Age (en mois) d’introduction de nouveaux aliments: moyenne (écart-type)

Table 2. Age (in months) of introduction of diversified food: mean (SD)

 

L’introduction des fruits vers 5 mois est conforme aux recommandations françaises et plus tardive que dans le pays d’origine (Rovillé-Sausse, F. et al., 2002) ou dans d’autres pays d’immigration maghrébine (Espagne, Belgique).

La répartition des repas dans la journée, la composition des menus et les apports nutritionnels ont été évalués pour les enfants âgés de 4 à 6 ans ayant une alimentation diversifiée. Pour cette tranche d’âge, 19% des enfants prennent quatre repas par jour, 81% en prennent cinq. Dans ce dernier cas, le cinquième repas est toujours une collation prise dans le milieu de la matinée et composée le plus souvent de lait et de gâteaux (Tableau 3).

 

Repas

Composition

Petit-déjeuner

Lait + céréales

Collation

Lait + biscuits

Déjeuner

Repas diversifié

Goûter

Lait + biscuits

Dîner

Repas diversifié

Tableau 3. Menus-types de 81% des enfants d’origine maghrébine de 4-6 ans

Table 3. Standard meals of 81% of the 4-6 years old children of Maghrebian origin

 

La consommation de lait et de produits laitiers reste très importante après la diversification complète. La totalité des enfants en consomment au moins deux par jour (Fig. 2), et 59% au moins quatre.

Tous les enfants consomment des légumes au moins une fois par jour (30%), mais le plus souvent deux fois (70%) au cours des deux principaux repas. Seuls 4% des enfants ne consomment pas de fruits frais, mais 51% en mangent au moins trois fois par jour (Fig. 3).

La totalité des enfants de l’enquête reçoivent de la viande ou du poisson au moins une fois par jour, au déjeuner.

 

Figure 2. Fréquences de consommation de produits laitiers/ 24 heures

Figure 2. Frequencies of consumption of dairy products/ 24 hours

 

Figure 3. Fréquences de consommation de fruits et légumes/ 24 h

Figure 3. Frequencies of consumption of fresh fruits and vegetables/ 24 h

 

La consommation de céréales et de féculents est très importante, chez 100% des enfants. Sur la figure 4, une distinction a été faite entre les céréales "sucrées" ingérées au petit déjeuner, à la collation du milieu de la matinée et au goûter (pain avec confiture ou miel, viennoiseries, gâteaux, céréales aux fruits ou au miel ou au chocolat) et les autres céréales (pâtes, riz, semoule) du déjeuner et du dîner. La troisième rubrique regroupe les deux formes de produits fortement glucidiques (1) + (2). On observe que 93% des enfants consomment des céréales et féculents quotidiennement, dont 56% à deux repas. La presque totalité des enfants (98%) mangent des aliments contenant des sucres à absorption rapide, dont 28% trois fois par jour. Enfin, 60% des enfants consomment à la fois des sucres à absorption rapide et des sucres à absorption lente 4 à 5 fois par jour.

 

Figure 4. Fréquences de consommation de produits glucidiques/ 24 h

Figure 4. Frequencies of consumption of glucidic products/ 24 h


Le guide d’entretien comprend également une rubrique "boissons" et une "confiseries" (Tableau 4).

 

Produits

Fréquences (%)

Boissons

 

Eau

25%

Jus de fruits à base de concentré

17%

Sodas

58%

Confiseries

 

Jamais

69%

Quotidiennement

31%

Tableau 4. Fréquences (%) de consommation quotidienne des boissons et confiseries

Tableau 4. Frequencies (%) of daily consuption of beverages and candies

 

A part le lait, l'eau est la seule boisson indispensable et habituelle d'un enfant en bas âge. Or on constate dans cette étude que de nombreux enfants boivent régulièrement des boissons sucrées de type soda: un quart seulement ne boit que de l’eau régulièrement, mais 58% boivent des sodas plusieurs fois par jour pendant les repas ou entre les repas. D'autre part, les 31% d'enfants qui mangent quotidiennement ("tout le temps", disent certaines mères) des confiseries se situent tous parmi les 58% de buveurs de sodas. Si la forte teneur en sucres à absorption rapide est évidente  dans le cas des jus de fruits, des sodas ou des bonbons, il est important de souligner aussi la teneur en sodium particulièrement élevée dans les boissons gazeuses (soda au cola, par exemple). La teneur en sodium est neuf fois plus élevée dans un verre moyen de 200 g de soda au cola  que dans la même quantité de jus de fruit frais ou à base de concentré (Tableau 5).

 

Apports /200 g

Jus d'orange frais

Jus d'orange à base de concentré

Soda au cola

Vitamine C (mg)

100

78

0

Sucres (g)

16,2

17,2

20

Sodium (mg)

2

2

18

Tableau 5. Apports nutritionnels des boissons courantes

Table 5. Nutritional contributions of standard beverages

 

On observe une relation  intéressante, bien qu'attendue, entre la consommation de boissons sucrées et de confiseries des enfants et le niveau d'études des mères (tableau 6): le pourcentage d'enfants consommant quotidiennement des produits sucrés est plus important dans les familles dont la mère a suivi les moins longues études (niveau primaire).

 

Niveau d'études de la mère

Boissons de type soda

bonbons

Primaire

78 %

44 %

Secondaire (BEPC)

78 %

56 %

Secondaire (baccalauréat)

67 %

50 %

supérieur

50 %

17 %

Tableau 6. Pourcentages d'enfants consommant des sucreries, en fonction du niveau d'études de la mère

Table 6. Percentages of children consuming sweetmeats, according to the level of studies of the mother

 

L'analyse individuelle des consommations journalières des enfants d'origine maghrébine, après diversification complète, a été réalisée en fonction de la composition des menus et des quantités absorbées lors de chaque prise. Ceci a permis d'évaluer des apports nutritionnels moyens pour chaque enfant compte tenu de leur teneur respective dans les aliments et de leur taux d'absorption moyen par l'organisme, d'établir des moyennes pour la population considérée, et de les comparer aux apports nutritionnels conseillés (Martin, A., 2001) pour la population française. Les apports nutritionnels moyens ont été évalués pour la classe d’âge 4-6 ans (tableau 7).

 

 

 

 

Apports estimés

Apports conseillés

(ANC, 2001)

Energie (Kcal)

1812 (200)

1610 ns

Protéines (%)

14 (2)

12-14 ns

Glucides (%)

61 (7)

50-55 (p<0,04)

Lipides (%)

25 (6)

30-35(p<0,04)

 

Tableau 7. Apports nutritionnels moyens quotidiens estimés pour les enfants d'origine maghrébine de 4-6 ans: moyenne (écart-type),  ns = différence non significative (test-t)

Table 7. Mean daily nutritional contributions evaluated for 4-6 years old children of Maghrebian origin: mean (SD), ns = non significative difference (t test)

 

Les apports énergétiques moyens sont satisfaisants et ne sont pas statistiquement différents des valeurs conseillées. Les apports en protéines représentent 14% en moyenne des apports énergétiques totaux, et sont conformes aux recommandations. Les apports glucidiques représentent 61% des apports énergétiques quotidiens, moyennes significativement supérieures aux valeurs recommandées. Les sucres représentent en moyenne 54% des apports glucidiques. Enfin, il en découle des apports en lipides significativement inférieurs aux ANC.

 

 

Discussion

Le lait et ses dérivés étant la principale source de calcium, la majeure partie des enfants d'origine maghrébine qui en consomment au moins quatre fois par jour ont une bonne couverture en calcium. Les apports conseillés en vitamine D en France (Hercberg, S. et al, 1994) étant supérieurs aux apports nutritionnels spontanés, la complémentation médicale est maintenue chez les enfants.

Les principales sources alimentaires en vitamine C sont les fruits et les légumes frais. La plupart des enfants consomment plusieurs fruits frais ou jus de fruits pressés quotidiennement et les besoins sont donc largement couverts.

Les principales sources de vitamine A (rétinol) dans l’alimentation des enfants sont les fractions lipidiques des produits d’origine animale (matière grasse du lait et des fromages, beurre…) que les enfants d'origine maghrébine consomment volontiers (Le Grusse, J.,Watier, B., 1993); la couverture en rétinol est donc assurée. La couverture en provitamine A (b-carotène) est assurée par la consommation des légumes, que ces enfants consomment, pour la majorité d'entre eux, aux deux principaux repas. Ces enfants ne sont donc pas exposés à l'hypovitaminose A qui constitue un problème de santé publique dans de nombreux pays en développement, tant par les lésions oculaires et la cécité dont elle est responsable, que par son action directe sur la morbidité et la mortalité des enfants d'âge préscolaire. Une enquête marocaine réalisée par le Ministère de la Santé (Meskini, T. et al., 2002) a montré une prévalence de 40,9% de la carence en vitamine A chez les enfants âgés de 6 mois à 6 ans, dont 3,2% de carence sévère.

Une répartition précise entre glucides complexes et glucides simples est difficile à argumenter scientifiquement (Martin, A., 2001), mais il est généralement conseillé de limiter les sucres et les produits sucrés à 10% de l'apport glucidique, la grande majorité des apports énergétiques devant provenir des glucides complexes.  Or les enfants d'âge préscolaire de la présente étude ont non seulement une consommation de glucides supérieure aux proportions conseillées, mais l'équilibre sucres rapides/ sucres lents n'est pas réalisé, puisque les premiers sont prépondérants dans leur alimentation. Les aliments qui contiennent des sucres simples doivent être consommés avec modération pour plusieurs raisons. En effet, certains aliments élaborés riches en sucres simples apportent aussi une grande quantité de lipides (Emmet, P.H., Heaton, K.W., 1995), ce qui augmente considérablement leur densité énergétique. Les sucres raffinés ont perdu une partie de leurs micronutriments. Les caractéristiques de certains produits sucrés conduisent à un risque comportemental car ils sont pratiques et agréables pour les collations et autres grignotages. Les teneurs en sucres et en sodium recommandées pour les enfants par tranches d’âge ne sont pas bien déterminées. Néanmoins, la forte consommation de sodas chez les enfants de cette étude entraîne un apport de sucres et surtout de sodium nettement plus important que s’ils se limitaient au jus de fruits frais.

En conclusion, on peut dire que les enfants d'âge préscolaire d'origine maghrébine nés et vivant en France ne semblent pas souffrir de carences vitaminiques particulières. Leurs repas comprenant chaque jour de la viande, des légumes variés, des produits laitiers et des fruits, ainsi que des céréales, pourraient être parfaitement équilibrés si les collations entre les repas, les grignotages, n'étaient pas aussi riches en confiseries, pâtisseries et boissons sucrées et gazeuses. Si l'alimentation n'est pas seule en cause dans l'augmentation récente de la prévalence du surpoids et de l'obésité précoce dans cette population, on a pu remarquer tout de même l'apparition de nouveaux comportements alimentaires (grignotages, consommation abusive de produits sucrés) proches de ce qui est observé maintenant dans les pays occidentaux. Ces nouveaux comportements "occidentaux" ne sont cependant pas dus uniquement à l'immigration des parents; en effet, les sodas ont déjà trouvé leur place sur la table dans le pays d'origine. Les pâtisseries sucrées ne sont pas de même type que dans le pays d'origine (souvent à base de miel); il s'agit ici le plus souvent de produits industriels. Or,  100 g de miel apportent 290 Kcal et 76 g de glucides simples, tandis que 100 g de sucre blanc apportent 394 Kcal et 100 g de glucides simples (100 g de bonbons = 379 Kcal et 95 g de glucides simples). Les repas de ces enfants étant par ailleurs bien structurés, il semblerait souhaitable de diminuer les apports en glucides simples des collations pour rééquilibrer les rapports glucides/lipides. L'habitude du goût sucré prise avant l'âge de six mois paraissant induire des ingestions de produits sucrés plus importantes par la suite, il semble que la période de l'allaitement soit idéale pour sensibiliser les mères à l'équilibre alimentaire des tout-petits et à leur bien-être futur.

 

 

Bibliographie

Basdevant, A., Ricquier, D., 2003, Pour une approche scientifique de l’obésité (Editions scientifiques et médicales Elsevier SAS), pp. 9.

Boëldieu, J., Borrel, C., 2000, La proportion d’immigrés est stable depuis 25 ans. INSEE Première, 805, septembre.

Chattou, Z., 1996, Les migrants marocains en Europe. Construction/ reconstruction identitaire et formes d’insertion (France, Espagne, Pays-Bas), le cas des migrations du Nord-Est du Maroc. Migrations Etudes, 64, avril.

Depinoy, D., 1993, L’enfant de 0 à 2 ans. Laboratoires Pharmigène-Bébisol, Paris.

Emmet, P.H., Heaton, K.W., 1995, Is extrinsic sugar a vehicle for dietary fat? Lancet, 345, pp. 1537-1540.

Eveleth PH. B., Tanner J.M., 1990, Worldwide variation in human growth. Cambridge University Press, pp. 144.

Favier, J.C., Ireland-Ripert, J., Toque, C., Feinberg, M., 1995, Répertoire général des aliments, table de composition (INRA, CNEVA-CIQUAL, Tec- Doc Lavoisier).

Hercberg S., Preziosi P., Galan P., 1994, Vitamin status of a healthy french population : dietary intakes and biochemical markers. Int J Vit Nutr Res, 64, pp. 220-232.

Le Grusse J., Watier B. - Les vitamines. Données biochimiques, nutritionnelles et cliniques. Ed CEIV, Produits Roche, 1993.

Leroux, M.C., 2003, communication personnelle.

Martin, A., 2001, Apports nutritionnels conseillés pour la population française (Londres-Paris-New York : Eds Tec-Doc Lavoisier), pp. 438.

Meskini, T., Hessissen, L., El Yaghfouri, 2002, La carence en vitamine A au Maroc. Epidémiologie et programme de lutte. Santemaghreb, 23 avril, www.santemaghreb.com/maroc/

Rovillé-Sausse F., 1999, Evolution en 20 ans de la corpulence des enfants de 0 à 4 ans issus de l’immigration maghrébine. Rev. Epidém. ezt Santé Publ., 47, 37-44.

Rovillé-Sausse, F., Amor, H., Baali, A., Ouzennou, N., Vercauteren, M., Prado-Martinez, C., Boudjada, Z., Khaldi, F., 2002, Comportements alimentaires de l’enfant maghrébin de 0 à 18 mois au Maghreb et dans trois pays d’immigration, Antropo, 3, 1-9, www.didac.ehu.es/antropo

 

 

Annexe

 

Comportements alimentaires des enfants: guide d'entretien

 

Age de la mère

Nombre d'enfants (sexe, âge)

 

Origine géographique                              Père                                          Mère

Date d'arrivée en France:                          Père:                                         Mère:

Niveau d'études:                                     Père:                                         Mère:

Profession:                                            Père:                                         Mère:

 

Votre arrivée en France a-t-elle profondément modifié les habitudes alimentaires

des adultes:

des enfants:

 

Alimentation des enfants (une feuille par enfant)

- Allaitement maternel:

exclusif jusqu'à quel âge?

mixte jusqu'à quel âge?

ajoutiez-vous des farines dans le biberon?

- Si pas d'allaitement maternel, pouvez-vous en donner la raison?:

 

- Introduction des légumes, fruits à quel âge?

 

- Introduction de viande, poisson, oeufs à quel âge?

 

- A partir de quel âge votre enfant a-t-il partagé le même menu que les autres membres de la famille?

 

 

Rappel des dernières 24 heures (les réponses doivent être précises: quantités en cuillers, bols, verres, morceaux, ou poids...)

- Petit déjeuner

 

- Collation éventuelle dans la matinée

 

- Déjeuner (préciser à la maison ou restauration scolaire)

 

- Goûter

 

- Dîner

 

- Spécifier les boissons

 

- Confiseries éventuelles (combien/jour)

 

Si les repas sont différents le dimanche,  préciser

 

Si vous étiez restée au pays, quelle aurait été l'alimentation de votre enfant?

- Pendant combien de mois auriez-vous allaité?

 

- A quel âge auriez-vous introduit les fruits, les légumes, la viande, le poisson...?

- A quel âge votre enfant aurait-il partagé le repas familial?