A.-M. Grimoud, M. Boulbet Mauger, J.-Ph. Lodter 2004, Critères de sélection d’échantillons dentaires pour l’étude de l’ADN ancien. Antropo, 6, 43-51. www.didac.ehu.es/antropo


 

Critères de sélection d’échantillons dentaires pour l’étude de l’ADN ancien.

Dental samples selection for ancient DNA study.

A.-M. Grimoud, M. Boulbet Mauger, J.-Ph. Lodter

 

UMR 8555 CNRS-EHESS-UPS, 37 allées Jules Guesde, 31073 Toulouse Cedex 3,  e-mail : ANNEMARIE.GRIMOUD@wanadoo.fr

 

Mots-clés: structure dentaire, ADN ancien, sélection des échantillons, risques de contamination

 

Key words: dental structure, ancient DNA, sample selection, contamination risk

 

Résumé

La dent est un matériel de choix pour l’étude de l’ADN ancien. Néanmoins certains critères sont requis pour limiter les risques de contaminations par d’autres molécules d’ADN. De ce fait les paramètres limitant ce risque sont, la présence de la dent sur l’arcade ou incluse et un apex édifié. Les facteurs de risque étant associés, au cours de l’éruption dentaire à l’édification incomplète de l’apex et lorsque la dent a présenté une pathologie d’origine carieuse ou parodontale à la présence de lyse osseuse à type de fenestration.

 

Abstract

Teeth provide excellent material for the study of ancient DNA. Nevertheless it is necessary to establish certain selection criteria to limit the risk of contamination by other DNA molecules. The risks can be considered limited when the tooth is on the dental arch or impacted (enclosed in the jaw bone) and has a fully formed apex, as the risk factors are associated with the apex being incompletely formed when the tooth erupted, and with bone lesions and fenestration when caries or periodontal pathologies were present.

 

1. Introduction

La preuve de la persistance de l’ADN après la mort d’un organisme a tout d’abord été démontrée à partir d’échantillons de momies égyptiennes, dès 1984 (Pääbo, 1985). Les restes les plus divers, animaux taxidermisés, ossements, dents fossiles, parchemins, ambre et même peintures rupestres, sont des milieux de préservation de l’ADN à travers le temps.

Or il apparaît que la dent, par sa structure et sa composition, est le fossile le plus résistant et le plus apte à fournir des échantillons d’ADN ancien (Woodward et al., 1994). En effet, en raison de son très haut degré de minéralisation, la dent est souvent le seul fossile utilisable, présent sur les sites de fouilles archéologiques ou sur un cadavre soumis à des conditions extrêmes de conservation (Baker et al., 2001).

L’organe dentaire abritant, au sein de la pulpe, des cellules qui contiennent de l’ADN, elle peut être un outil de choix pour l’étude de l’ADN ancien (Sivagami et al.,). Les champs d’application sont très larges dans les domaines de la Médecine Légale et de l’Anthropologie. L’ADN permet en effet, le typage et l’identification de restes humains, la détermination du sexe, l’identification de pathologies, l’étude de la génétique des populations, des migrations ou des origines de l’homme moderne (Drancourt et al., 1996 ; Hummel et al., 1999 ; Di Benedetto et al., 2000 ; Vernesi et al., 2001).

Mais la notion de “dent coffre-fort d’ADN ancien” étant dépendante de la présence de lésions dentaires survenues ante ou post morten, nous présentons d’une part la dent et les tissus dentaires sains comme source potentielle d’ADN ancien et d’autre part les risques de contamination de ces tissus, par de l’ADN exogène, en fonction de données physiologiques, pathologiques ou de détériorations du matériel dentaire pouvant survenir au cours des différentes manipulations des échantillons.

 

2. Les tissus dentaires source d’ADN

La dent est composée d’un tissu conjonctif, la pulpe, richement vascularisée et innervée et protégée par des tissus minéralisés, au niveau coronaire par la dentine et l’émail et au niveau radiculaire par la dentine et le cément (Figure 1).

L’émail, qui recouvre les couronnes dentaires, est le tissu le plus minéralisé de l’organisme. Il est composé pour 96 à 98% de minéraux, essentiellement de l’hydroxyapatite (Triller, 1986). Mais il ne contient aucun élément cellulaire et a fortiori aucune trace d’ADN. C’est un tissu qui ne se renouvelle pas.

 

Figure 1. Tissus dentaires sains et pathologiques

Figure 1. Dental tissus health and pathologics

 

La dentine, composée à 70% de minéraux, représente en volume le tissu dentaire le plus important, irradié de microcanalicules, les tubulis dentinaires, allant de la pulpe vers l’émail et le cément ; elle est recouverte par l’émail au niveau de la couronne et par le cément au niveau de la racine de la dent (Figure 1). L’apposition de dentine se poursuit tout au long de la vie, grâce aux sécrétions des odontoblastes, cellules situées à l’interface dentine pulpe. Cette apposition s’accentue, en réponse à l’agression du phénomène carieux ou de l’usure et elle s’effectue au détriment du volume de la pulpe, seul tissu dentaire à contenir des cellules vivantes et donc de l’ADN. La dentine contient de l’ADN sous forme d’ADN mitochondrial au niveau des prolongements cytoplasmiques des cellules odontoblastiques (Chomette et al., 1992).

Le cément recouvre la dentine au niveau de la racine. Il est composé à 65% de minéraux. Avec l’âge, mais aussi au cours de la maladie parodontale (Figure 1), les récessions de la gencive exposent le cément à un risque accrû de caries, ce tissu étant moins résistant que l’émail au processus de déminéralisation (Triller, 1986).

La pulpe assure les fonctions de nutrition, de sensibilité et de défense de la dent ; elle est située dans la chambre pulpaire, au centre de la dentine (Figure 1) et contient des cellules nucléées source d’ADN dont le nombre diminue avec l’âge (Calvo et al., 2001).

L’organe dentaire, source d’ADN, est un matériel intéressant par sa grande longévité (Smith et al., 1993), sa résistance à des conditions extrêmes du milieu environnant, de pression, d’humidité (Sweet et al., 1995) et notamment de température jusqu’à 1500°C (Nossintchouk et al., 2002).

 

3. Les facteurs de risques de contaminations et de modifications de la molécule l’ADN

La contamination de l’ADN pulpaire par de l’ADN exogène peut être associé à différents types de lésions survenues ante morten ou post morten au cours de la manipulation des échantillons.

 

3.1. Les lésions ante-mortem

La pathologie bucco-dentaire peut se traduire par des lésions siégeant au niveau de la dent et/ou des tissus péridentaires pouvant être responsables de contamination de l’ADN pulpaire. Ainsi l’atteinte carieuse, due à un déséquilibre de l’écosystème buccal, est associée à la croissance de bactéries cariogènes de la flore buccale commensale. Le processus carieux provoque une déminéralisation de l’émail qui progressivement pourra atteindre la pulpe et être à l’origine d’une solution de continuité responsable de contamination de l’ADN. La carie induira dans un premier temps, par réaction de défense de la dent, une apposition de dentine, au niveau de la chambre pulpaire en regard de la lésion carieuse, qui va réduire le volume de la pulpe et donc la quantité potentielle d’ADN exploitable et dans un second temps, une dégénérescence des éléments cellulaires de la pulpe, et donc une perte d’ADN. En outre, en cas de carie volumineuse, la perte de substance peut atteindre directement la pulpe, l’ouvrir sur le milieu extérieur et l’exposer aux risques de contamination par de l’ADN exogène (Figure 1)

Dans le même registre, les traumatismes dentaires à type de fractures et d’usure de la couronne dentaire (Figure 2) sont aussi des facteurs de risques de contaminations et de destruction du tissu pulpaire. En effet, ces lésions des tissus dentaires pourront provoquer, soit une réduction du volume pulpaire par apposition de dentine réactionnelle, soit un risque d’effraction et d’infection pulpaire. Dans ces conditions l’ADN sera dégradé et contaminé.

 

Figure 2. Dents présentant des fractures post mortem atteignant la chambre pulpaire et des surfaces d’usures

Figure 2. Post-mortem teeth fractures reaching the pulp chamber and wear surfaces

 

La dégradation de la pulpe dentaire peut aussi survenir lorsque l’évolution de la maladie parodontale (Figure 1) provoque une récession de gingivale et une ostéolyse de l’os alvéolaire. Le cément radiculaire alors découvert et exposé transmet de façon accrûe les variations thermiques à la pulpe. La réponse pulpaire à cette agression, par une apposition de dentine entraînera une réduction du volume tissulaire et donc de la quantité d’ADN. Lorsque les lésions parodontales atteignent l’apex de la dent et le foramen du canal pulpaire, la pulpe subira a retro un processus de destruction et de contamination.

En fait, quelle qu’en soit l’origine, l’envahissement du périapex peut se traduire par la formation de fenestrations osseuses (Figure 3), source potentielle de contamination exogéne.

La déhiscence de la paroi alvéolaire (Figure 4), due à la labilité du tissu osseux, en raison de sa faible épaisseur au niveau de la paroi vestibulaire du bloc incisivo-canin, peut également atteindre l’apex de la dent et provoquer a retro la gangrène du tissu pulpaire.

 

Figure 3. Fenestration maxillaire en relation avec une infection apicale due à une lésion carieuse

Figure 3. Maxillary lesion in relation with tooth apex infection induced by caries

 

Figure 4. Lyses osseuses mandibulaire

Figure 4. Mandibular bone lesion

 

3.2. Les risques post-mortem

Le risque post-mortem de contamination de l’ADN de la pulpe dentaire par de l’ADN exogène peut provenir du milieu environnant et ceci d’autant plus qu’il s’agira de sépultures multiples ou de spécimens très exposés. Le degré de contamination sera d’autant plus élevé que le foramen apical sera largement ouvert. La dent n’est plus alors le coffre-fort hermétiquement clos qui protège l’ADN pulpaire. Cette ouverture sera d’autant plus réduite que le sujet est âgé. Ainsi chez l’enfant, les racines en cours d’édification présentent un apex largement ouvert et sont plus exposées aux risques de contamination (Figure 5).

Par ailleurs, les tubuli dentinaires, perméables au milieu environnant, représentent aussi une solution de continuité source de contamination de l’ADN pulpaire. Ce risque est réduit pour les dents incluses dans le tissu osseux.

Au cours du temps, les tissus durs de la dent deviennent fragiles, cassants et de ce fait seront facilement exposés aux risques de fractures qui mettront la chambre pulpaire en communication avec le milieu extérieur (Figure 6).

 

Figure 5. Apex non édifié présentant un large orifice apical

Figure 5. Incompletely formed apex

 

Figure 6. Dents présentant des fractures post-mortem atteignant la chambre pulpaire

Figure 6. Post mortem teeth fractures reaching the pulp chamber

 

4. Critères de sélection des organes dentaires

La connaissance des différents facteurs de risques de contamination de la pulpe permet d’établir des critères de sélection des dents pour analyse de l’ADN ancien.

4.1. Critères d’exclusion

En fonction, des facteurs de risques d’exposition du tissu pulpaire au milieu environnant, les critères d’exclusion concerneront, d’une part les dents présentant, une mylolyse, une carie (Figure 7), un apex incomplètement édifié (Figure 5), une fracture ou une usure de la couronne (Figure 2) et d’autre part, les lésions à type de fenestration osseuse ou consécutives à une lésion parodontale (Figures 3 et 4).

 

Figure 7. Lésions carieuses des sillons et occluso-distale

Figure 7. Carious lesions of grooves and occlusal-distal opening

 

4.2. Critères d’inclusion

Le principal critère d’inclusion est la présence de la dent sur l’arcade (Figure 8) ou incluse dans le tissu osseux (Figure 9). L’apex sera édifié (Figure.10) et sans contact avec le milieu environnant.

 

Figure 8. Dents sur l’arcade

Figure 8. Dental arch

 

Figure 9. Dent incluse mandibulaire

Figure 9. Mandibular enclosed tooth

 

Figure 10. Apex édifiés présentant les orifices des canaux dentaires

Figure 10. Fully formed apices showing root canal orifices

 

5. Recueil aseptique des échantillons

Les risques de contamination sont présents à tous les stades de manipulation de l’ADN ancien, des fouilles à l’analyse au laboratoire. L’ADN moderne des manipulateurs, plus long et moins altéré que l’ADN ancien, sera en effet, préférentiellement amplifié par la réaction de polymérisation en chaîne (PCR). Les risques de contamination seraient, diminués si le port systématique de masques et de gants pouvait être appliqué lors des fouilles et mieux identifiés si le typage de l’ADN de tous les intervenants était réalisé.

Toutes les étapes du recueil des échantillons de pulpes dentaires doivent donc s’effectuer dans des conditions d’aseptie (décontamination des surfaces, émissions de rayons U.V., sens de circulation des échantillons pour éviter les contaminations croisées...) (Calvo et al., 2001).

Afin de limiter les risques de contamination au moment du prélèvement les organes dentaires, sur l’arcade, peuvent être prélevés soit par avulsion et ceci sans dommage pour la dent si la technique est maîtrisée (Calvo et al., 2001)., soit par fraisage de l’os alvéolaire sous irrigation ; le choix de cette méthode est souvent préféré à l’avulsion qui risque de léser la dent (Sweet et al., 1995).

En ce qui concerne le recueil de la pulpe dentaire, il est impératif avant tout d’éviter de surchauffer l’ADN. Plusieurs méthodes de recueil d’échantillons sont décrites, il s’agira (1) de la méthode par fracture (Figure 11), fracture précédée de l’incision de la surface dentaire avec un disque diamanté stérile, réalisée à l’aide d’un syndesmotome introduit dans le trait d’incision et suivie du recueil du tissu pulpaire à l’aide d’une sonde dentaire (Calvo et al., 2002) ; (2) de la méthode par broyage de la totalité de la dent (Baker et al., 2001), (3) de la technique par recueil endocanalaire (Figure 12), les tissus pulpaires sont alors prélevés à l’aide d’un instrument introduit par voie coronaire dans la chambre et le canal pulpaire.

 

Figure 11. Recueil de pulpedentaire sur dent sectionnée

Figure 11. Tooth broken before dental pulp sample collection

 

Figure 12. Recueil endocanalaire dentaire de pulpe dentaire

Figure 12. Endodontic dental pulp sample collection

 

Quel que soit le mode de recueil des échantillons de pulpe dentaire, le dénominateur commun est, la manipulation toujours soumise aux règles de l’asepsie. Le prélèvement de tissu pulpaire, comme source d’ADN ancien, peut être dans ces conditions analysé en biologie moléculaire, en particulier en utilisant la technique de réaction de polymérisation en chaîne (PCR). Cette méthode permet en effet, en amplifiant les brins d’ADN ancien de rendre exploitable la faible quantité d’ADN présent dans les spécimens prélevés (Di Benedetto et al., 2000).

 

6. Conclusion

Avant toute investigation, dans le domaine d’analyse de l’ADN ancien extrait de pulpes dentaires, il paraît essentiel pour sélectionner un échantillon dentaire, de se référer aux données anatomiques et paléopathologiques et de préciser en conséquence l’état du matériel utilisé. Les critères d’inclusion et d’exclusion garantissent, au minimum, l’impact des nombreux risques de contamination exogène ou de détérioration de l’ADN pouvant entraver son analyse. En raison des difficultés inhérentes à l’exploitation de l’ADN ancien tant en médecine Légale qu’en Anthropobiologie une coopération pluridisciplinaire permettrait de mieux appréhender les différents paramètres source de handicap de l’étude de l’ADN ancien. C’est dans cette dynamique de partenariat que nous nous inscrivons.

 

Les photos ont été réalisées par l’auteur à partir de la collection de Saints Côme et Damien

 

Bibliographie

Baker, L.E., Mc Cormick, W.F., Matteson, K.J., 2001. A silica-based mitochondrial DNA extraction method applied to forensic hair shafts and teeth. Journal of Forensic Sciences, 46, 126-130.

Calvo, L., Kheyser, C., Grimoud, A.M., Ludes, B., Pajot, B., Lodter, J.P., 2002, Schémas d’incision et de fracture des différents morphotypes de dents adaptés au recueil de pulpes dentaires et à l’analyse d’ADN, Bull. et Mém. de la Société d’Anthropologie de Paris, 13, 121-128.

Chomette, G., Auriol, M., 1992, Histologie du complexe dentino-pulpaire. Paris: Editions Techniques -EMC, Stomatologie et odontologie, 22-007-B10, 13p.

Di Benedetto, G., Nasidze, I.S., Stenico, M.), Nigro, L., Krings, M., Lanzinger, M., Vigilant, L., Stoneking, M., Paabo, S., Barbujani, G., 2000, Mitochondrial DNA sequences in prehistoric human sequences in prehistoric human remains from the alps. European Journal of Human Genetic, 8, 669-677.

Drancourt, M., Aboudharam, G., Signoli, M., Dutour, O., Raoult, D., 1998, Detection of 400-year-old Yersinia pestis DNA in human dental pulp : An approach to the diagnosis of ancient septicemia. Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 95, 12637-12640.

Hummel, S., Schultes, T., Bramanti, B., Herrmann, B., 1999, Ancient DNA profiling by megaplex amplifications. Electrophoresis, 20, 1717-1721.

Nossintchouk R.M., 1985, Manuel d’odontologie médico-légale (Paris : Masson), pp 213.

Pääbo S., 1985, Molecular cloning of ancient egyptian mummy DNA, Nature 314, 644-645.

Sivagami A.V., Rajeswarao, A., Varshney U., 2000, A simple and cost-effective method for preparing DNA from the hard tooth tissue, and its use in polymerase chain reaction amplification of amelogenin gene segment for sex determination in an indian population. Forensic Science International, 110, 107-115.

Smith, B.C., Fischer, D.L., Weedn, VW., 1993, A systematic approach to the sampling of dental DNA. Journal of Forensic Sciences, 38, 1194-1209.

Sweet, D., Sweet, Ch., 1995, DNA Analysis of dental pulp to link incinerated remains of homicid victim to crime scene. Journal of Forensic Sciences, 40, 310-314.

Triller, M., 1986, Histologie dentaire. (Paris : Masson), pp.210.

Vernesi, C., Di Benedetto, G., Secchieri, E., Simoni, L., Katti, E., Malaspina, P., Novelleto, A., Marin, V.T., Barbujani, G., 2001, Genetic characterization of the body attributed to the evangelist Luke. Proc Natl Acad Sci USA, 98, 13460-3.