Anoua, A. S. J., 2020. La question de la prise en charge postnatale dans la culture obstétricale akyé en Côte d’Ivoire. Antropo, 43, 51-66. www.didac.ehu.es/antropo
La question de la prise en charge postnatale dans la culture obstétricale akyé en Côte d’Ivoire
The issue of postnatal care in the akyé obstetrical culture in Côte d'Ivoire
Adou Serge Judicaël Anoua
UFR Communication, Milieu et Société, Département d’Anthropologie et de Sociologie, Université Alassane Ouattara, Bouaké, Côte d’Ivoire. E-mail: anoua_08@yahoo.fr
Mots-clés : Soins postnatals, Maternité sans risque, culture obstétricale, akyé, Santé reproductive
Keywords: Postpartum care, Safe motherhood, Obstetrical culture, akyé, Reproductive health
Résumé
Les problèmes de santé maternelle et infantile en Côte d’ivoire apparaissent au tant préoccupant que complexe. Dans la période postnatale, il est des attitudes et comportements génésiques qui reposent essentiellement sur une dimension symbolique. Ceci amène à relever que la dimension socioculturelle reste privilégiée au détriment des aspects biomédicaux. Il se pose en effet le problème de l’appropriation des mesures préventives dans le cadre postnatal de la santé de la reproduction dans la culture obstétricale akyé. Dans ce cas, Comment expliquer et comprendre la prise en charge psychosociale, médicale et sociale des accouchées et de leurs nouveau-nés dans ce groupe ethnoculturel ? Comment procéder à des soins postnatals de qualité en tenant compte des repères culturels de base de ce groupe ? Face à ces interrogations, il est suggéré l’hypothèse selon laquelle les pratiques culturelles de soins postnatals constituent une logique de codification originale. C’est la résistance de cette codification dans le temps qui freine l’ouverture des mères aux visites postnatales et donc fait obstacle au changement. Notre contribution dans cet article est de montrer que la mise en œuvre de soins postnatals de qualité adaptée au groupe social requiert la prise en compte des repères de base de la pensée génésique de ce groupe. De plus, la démarche anthropologique apparaît comme le ressort sur lequel elle prend appui. Elle apparaît pertinente comme un support de veille sanitaire et d’aide à l’éducation pour les communautés dans les pays en développement.
Abstract
Maternal and child health problems in Côte d'Ivoire are both worrying and complex. In the postnatal period, there are reproductive attitudes and behaviours that are essentially based on a symbolic dimension. This leads us to note that the socio-cultural dimension remains privileged to the detriment of the biomedical aspects. Indeed, there is the problem of the appropriation of preventive measures in the postnatal framework of reproductive health in the akyé obstetrical culture. In this case, how to explain and understand the psychosocial, medical and social care of women in this ethno-cultural group who have just given birth and their newborns? How can quality post-natal care be provided taking into account the basic cultural references of this group? Faced with these questions, the hypothesis is suggested that the cultural practices of postnatal care constitute an original codification logic. It is the resistance of this codification over time that hinders the openness of mothers to postnatal visits and thus hinders change. Our contribution in this article is to show that the implementation of quality postnatal care adapted to the social group requires taking into account the basic benchmarks of this group's reproductive thinking. Moreover, the anthropological approach appears as the spring on which it is based. It appears relevant as a support for health monitoring and educational assistance for communities in developing countries.
Introduction
Le post-partum est la période qui succède à l’accouchement. Cette période postnatale reste marquée par l’attention particulière accordée aux soins à la mère et au nouveau-né. La survie du couple mère-enfant est d’importance eu égard à leur rôle prépondérant dans le cadre familial et communautaire. En effet, la mère avec son statut d’épouse s’occupe du foyer conjugal. Ces tâches se rapportent essentiellement à l’alimentation, à la santé et à l’éducation des membres de la famille, ainsi qu’à l’entretien de l’habitation et à la contribution des ressources économiques du ménage. De même que l’enfant représente un potentiel membre créatif et productif pour la société. En conséquence, le décès de la mère et de l’enfant est préjudiciable d’un point de vue économique et apparaît comme un drame pour le groupe social (UNICEF, 2008).
De ce fait, cette préoccupation constitue un défi en matière de santé reproductive. En Côte d’Ivoire, ce défi a entraîné un enjeu mis en évidence par l’axe stratégique cinq (5) du programme national de développement sanitaire (2016-2020) relatif à la santé de la mère, du nouveau-né, de l’enfant, des adolescents et des jeunes. Sous cet axe 5, il est stipulé que la santé de la mère, du nouveau-né, de l’enfant, des adolescents et des jeunes est améliorée d’ici 2020 et la mortalité réduite de 50% d’après le PNDS 2016-2020 (MSHP, 2016a). Dans cette perspective, l’intégration des services de santé de la reproduction dans le fonctionnement des services de santé maternelle amplifie les actions sanitaires de l’Etat ivoirien en faveur de l’amélioration de la santé de la mère et du nouveau-né.
Malgré cela, la situation de la santé maternelle et infantile en Côte-d’Ivoire est alarmante comme l’attestent les estimations encore d’actualité de l’EDS-MICS 2011-2012. Il est mentionné que le taux de mortalité maternelle est estimé à 614 décès maternels pour 100000 naissances vivantes alors que celui des nourrissons de moins d’un an est évalué à 63,02 décès pour 1000 naissances normales (MSLS, 2012). Cependant, l’on note que la moitié de ces décès survient en période de post-partum immédiat d’après le rapport sur la surveillance des décès maternels en Côte d’Ivoire. Puisque les femmes en suite de couches sortent deux heures après l’accouchement lorsqu’elles ne présentaient aucune complication (MSHP, 2016b). L’insuffisance dans la prise en charge postnatale s’avère incontestable.
Cet échec soulève les limites des sciences biomédicales en matière de santé reproductive. Les problèmes de santé maternelle et infantile n’ont pas qu’une dimension médicale. Il existe une dimension sociale et culturelle importante à examiner. En conséquence des questions se posent. Comment expliquer et comprendre la prise en charge psychosociale, médicale et sociale des accouchées et de leurs nouveau-nés chez les communautés ethnoculturelles ? Comment procéder à des soins post-natals de qualité en tenant compte des repères culturels de base des communautés ? Face à ces interrogations, nous proposons l’hypothèse selon laquelle les pratiques culturelles de soins postnatals constituent une logique de codification originale. C’est la résistance de cette codification dans le temps qui freine l’ouverture des mères aux visites postnatales et donc fait obstacle au changement.
Ainsi pour le besoin de l’analyse, l’approche utilisée est celle dite ethnographique. À partir des exemples pris dans le groupe ethnoculturel akyé, la démarche a permis de mettre en évidence les logiques de la culture obstétricale en période postnatale, les faits de contradiction qui en découlent au regard des normes de santé reproductive et les contributions anthropologiques en vue de soins postnatals de qualité.
Cet article est issu d’une recherche doctorale en socio-anthropologie de la santé réalisée en 2010, en milieu rural akyé de kodioussou dans le département d’Alépé en Côte d’Ivoire. Les données ont été collectées à partir de trois entretiens de groupe avec des femmes âgées de 50 à 75 ans notamment des mères, des soignantes d’accouchées et des thérapeutes traditionnelles de nouveau-nés en vue d’obtenir la version officielle des faits en matière de soins postnatals dans le groupe akyé. L’enquête que supposait cette orientation a été de type qualitatif. Les thèmes adressés à ces groupes étaient relatifs à la surveillance postnatale, aux soins à la nouvelle accouchée et aux soins au nouveau-né.
L’assistance à l’accouchée et au nouveau-né dans la culture obstétricale akyé
Elle permet d’identifier les différentes formes et les caractéristiques des soins postnatals chez le groupe akyé. Pour le besoin de la cause, nous avons retenu la prise en charge psychosociale, médicale et sociale des accouchées et de leurs nouveau-nés en période postnatale.
La prise en charge psychosociale en période postnatale
Ces représentations psychosociales se caractérisent par les prédispositions restrictives en période postnatale. Dans la tradition du groupe akyé, elles portent sur la réclusion, l’alimentation, les interdits et la sortie de l’accouchée et de son nouveau-né.
La réclusion postnatale
Dans les expressions locales pour désigner la période de réclusion, le terme pê chez le groupe akyé est habituellement utilisé pour parler des trois premiers mois après l’accouchement. La mère et l’enfant vont rester trois mois sans sortir.
Pê-chi, la nouvelle accouchée chez le groupe akyé est défendue d’apparaître en public au cours de la période de réclusion. Les visites reçues demeurent très réduites et concernent la famille très proche. Celle-ci reste recluse dans sa chambre. Dehors constitue un risque majeur pour sa survie et celle de l’enfant. C’est comme alerter les forces occultes ou mystiques telles que le mauvais œil, la mauvaise langue qui sont dissimulées dans la communauté et qui ont des effets dévastateurs sur les accouchées et les nouveau-nés. Dans le groupe akyé, les interprétations ne différent guère. Elles insistent toutes sur le danger que peut engendrer une sortie de la cour familiale étant donné que l’accouchée est impure et que son sang coule toujours. En effet, la sortie de l’enfant a laissé une place dans son ventre. De là, les génies peuvent sentir l’odeur du sang et elle peut tomber malade. De même que le nouveau-né est aussi fragile puisqu’il est mis en danger du fait de sa perméabilité par l’ouverture de ses orifices : l’ombilic et la fontanelle. Il est ainsi exposé aux génies qui pourraient lui causer des maladies et même contrôler son esprit. C’est pourquoi, il devait attendre leur fermeture avant d’apparaître en public. L’exclusion partielle à la vie communautaire de l’accouchée et du nouveau-né est essentielle afin de les protéger des génies qui pourraient les attaquer au point que l’on devait les protéger au maximum.
Cette période postnatale apparait comme source d’angoisse du moment où la maladie ne peut venir que d’esprits extérieurs. À la vulnérabilité de la mère et de l’enfant, la pensée akyé attribue des êtres surnaturels néfastes. Ces attitudes face au monde invisible traduisent un sentiment de méfiance envers les génies. Ce sentiment est le reflet de la méfiance qui existe entre les vivants. Il pouvait être lié à des composantes individualistes de la mentalité de ce groupe à savoir la sorcellerie, la magie, etc. Par cette raison que l’on accorde à de nombreuses personnes des pouvoirs exceptionnels pour le mal entre autres des sorciers, des envoûteurs, des empoisonneurs et certains magiciens. Leurs activités sont considérées comme antisociales vu que l’on leur attribue la plupart des malheurs, des maladies et des décès. Ce groupe akyé est hanté par la crainte qu’inspirent ceux qui au plan occulte agissent par jalousie ou par avidité. C’est cette mentalité particulièrement contraignante et source d’insécurité qui pousse à protéger par le secret, l’accouchée et le nouveau-né, des sentiments négatifs.
Bien que la réclusion remplisse une fonction d’interdit, elle sert aussi la mère d’une façon plus pragmatique, lui apportant du repos et de la protection contre certaines maladies.
Lors de cette réclusion, certaines femmes ont dit se plier à des habitudes alimentaires.
Le régime alimentaire de l’accouchée et l’alimentation de l’enfant
Le régime alimentaire de l’accouchée est mis en branle pour s’occuper de la récupération de la mère. Selon les femmes akyé, il repose sur le nombre et la qualité des repas. Nous notions à trois (03) le nombre de repas dans la journée : le petit déjeuner, le déjeuner et le dîner.
Le petit déjeuner le matin est plus léger et est constitué de la bouillie de riz. Le déjeuner à midi et le dîner le soir sont consistants et font intervenir les mets à base de riz, de la banane ou de tubercules entre autres l’igname et le manioc. Ces repas s’accompagnent de sauces particulières. Il s’agit de la sauce graine et des sauces à base de légumes notamment le gombo, l’aubergine et la tomate. L’originalité de ces sauces est relative à leur préparation. Celle-ci implique une bonne dose de piment pour relever leur caractère épicée, puis une composition abondante et riche en poisson et en viande pour satisfaire au principe de la coutume. Ces repas très brûlants et larmoyants laissent remarquer un besoin de chaleur chez l’accouchée. D’après la pensée génésique akyé, l’estomac a subi des perturbations suite aux efforts de l’accouchement. Ce qui semble causer des douleurs à l’accouchée. Celle-ci se trouve dans un état de froid en raison du vide laissé dans son ventre. Ainsi, cette alimentation particulièrement chaude lui permet de reconstituer cet organe. Ce qui revient à dire que la santé de la mère est associée à un élément chaud. Ce type d’alimentation commence à l’entame de la réclusion et permet d’apporter les nutriments essentiels au lait maternel mais aussi à l’organisme de l’accouchée en lui donnant des forces. Il a aussi pour but d’améliorer les attraits physiques de l’accouchée en lui procurant des rondeurs qui seront appréciables lors de la parade à sa sortie.
À la suite de l’accouchée, le nouveau-né bénéficie également d’une alimentation particulière au cours de la période postnatale.
Dans le groupe akyé, l’allaitement contribue à favoriser l’attachement de la mère à son enfant et vice versa. Cependant, les mères dans ce groupe ont donné de l’eau à leur enfant dès la naissance. L’eau remplace pour les premiers moments le lait maternel car la montée laiteuse étant difficile. À cet instant, l’eau s’avère essentiel pour la survie de l’enfant qui a soif quand il fait chaud. L’enfant est ainsi moins assoiffé durant les premiers jours de sa vie. Par ailleurs, l’enfant est allaité le plus longtemps possible jusqu’à deux ans, voire deux ans et demi et même parfois jusqu’à ce que la mère tombe de nouveau enceinte. La nourriture solide est introduite aux environs de quatre mois dans le groupe akyé : bouillie de mil à l’eau ou au lait sucré, bouillie de farine de manioc. Si bien que le prolongement de l’allaitement est utilisé comme un moyen de contraception et d’espacement des grossesses. Sous ce rapport, en continuant à allaiter, l’accouchée retarde la prochaine grossesse et l’enfant a ainsi le loisir de grandir et d’être en bonne santé. Toutefois, le lait maternel se présente comme la vitamine de l’enfant. Il l’aide à développer des anticorps, et donc il apparait comme le premier vaccin de l’enfant.
Hormis cette alimentation, des interdits sont imposés à la nouvelle accouchée.
Les interdits
Il s’agit des interdits de divers ordres que l’accouchée dans le groupe akyé est appelée à observer. Ces interdits sont d’ordre alimentaire, de lieux et de temps.
La culture obstétricale akyé défend à la nouvelle accouchée la consommation de la tortue, de l’escargot et du crabe. Dans la pensée du groupe akyé, les deux premières espèces animales sont réputées pour être lentes et la dernière déformée. Au regard de ces caractéristiques, l’enfant peut avoir des difficultés à marcher à temps mais aussi à s’exécuter rapidement. En outre, il est aussi formellement interdit à l’accouchée de manger l’avocat. Ce fruit donnerait une maladie appelée piakeuh laquelle peut déclencher des douleurs abdominales chez la mère. Dans la culture akyé, certains aliments à exclure relèvent de la métonymie. En effet, les références faites à certains animaux sont dues à la ressemblance d’état physique pouvant se contaminer. C’est pourquoi la consommation de leur viande est à proscrire dans l’alimentation de la mère en période postnatale. Ailleurs, l’avocat est considéré comme un fruit vert qui appartiendrait à la catégorie d’aliments froids. Alors que le froid caractérise le corps fragile de l’accouchée. En conséquence, son ventre qui contiendrait encore des saletés après l’accouchement ne peut être évacué que par la consommation d’aliments chauds. La logique à cette tendance est consécutive à la recherche d’un équilibre entre le chaud et le froid. Ce qui évite de provoquer des maux de ventre chez l’accouchée.
Ces interdits alimentaires sont complétés par les interdits de lieux et de temps.
D’après le système de pensée akyé, l’accouchée et son nouveau-né ne doivent pas s’approcher des cimetières, des animaux abattus, des dépouilles. En un mot, de tout ce qui attrait à la mort de peur que l’esprit mort ne reprenne vie en eux. L’accouchée ne doit jamais marcher nu-pieds pour éviter le contact avec les puissances impures. Aussi bien qu’elle ne doit pas sortir de sa maison durant les heures jugées dangereuses au moment où rôdent les mauvais esprits c’est-à-dire à l’aube, à midi où le soleil est au zénith et le soir également à cause des risques d’effraction de la part des génies. De crainte qu’ils peuvent s’attaquer à la mère et à l’enfant en mangeant l’intérieur de leur ventre dégageant l’odeur du sang. Ces restrictions permettent de placer l’accouchée et le nouveau-né hors du monde et du temps de manière à ce que cet isolement renvoie à l’idée de la vie. Outre que l’accouchée et le nouveau-né soient considérés comme des êtres se situant naturellement du côté de la vie. Il faut donc les tenir à l’écart de la communauté où ces entités relevant de la mort véhiculent l’âme d’êtres impurs, dangereux et polluants. Ils peuvent servir de support intermédiaire aux forces maléfiques de l’extérieur.
Dans le groupe akyé, nous sommes ainsi face à une logique qui pense le danger de la période postnatale comme une source extérieure assimilée à des réalités mortelles pouvant porter atteinte à l’intégrité physique et psychique de la mère et de l’enfant. D’où la nécessité de la réclusion qui représente une mise à l’écart de l’extérieur face à un état particulièrement de fragilité et de vulnérabilité de l’accouchée et du nouveau-né. De même, ces différents moments de la journée sont propices au vent, au soleil et au froid. Ces conditions climatiques représentent habituellement des causes très fréquentes de maladies dans l’environnement socioculturel akyé au point qu’elles ont un impact négatif sur la santé de la mère et de l’enfant en situation de fragilité en période postnatale. Ces facteurs liés au temps sont associés à la maladie et s’avèrent maléfiques. Ainsi, la pensée génésique akyé considère les risques de la période postnatale comme toute agression provenant d’un élément naturel. Celui-ci doit être évité à un point tel que la réclusion s’impose pour l’accouchée et le nouveau-né.
Toutes ces restrictions sont mises en œuvre pour préserver la mère et l’enfant. La fin de ces interdits donne lieu à une cérémonie de présentation et d’intégration de l’accouchée et du nouveau-né à la communauté.
La sortie de l’accouchée
Cet évènement est désigné dans la langue akyé par l’expression pê-gba. La sortie de l’accouchée s’accompagne de certaines prédispositions notamment des soins corporels. Il s’agit de l’ensemble des parures utilisées par la nouvelle accouchée en vue de mettre à l’évidence sa beauté physique. Les éléments de cette parure sont les perles ou divers bijoux et les pagnes de grande valeur. Aussi faudrait-il ajouter les tresses spéciales des cheveux et l’usage du beurre de karité pour la peau. Ces soins corporels coïncident avec la fin de la réclusion. La mère sort de son isolement avec son nourrisson. Elle peut désormais se présenter au public avec cette marque spéciale des parures. La durée de la pratique n’a pas un caractère contraignant. Le nombre de jours n’est pas déterminé par les règles de la coutume. La mère peut se soumettre à ces soins du corps pendant une période de sept à trente jours. À chaque journée de parures correspondent ces objets de valeur. Cela va sans dire que la durée de ces soins corporels est fonction de la disponibilité de la mère et des moyens matériels mis à sa disposition. Il n’existe aucun rapport formel entre cette pratique et le sexe du nouveau-né ou le nombre d’enfants. Elle constitue tout de même un moyen de transition entre la réclusion et la réintégration dans la vie communautaire.
Somme toute, la sortie de l’accouchée apparait comme l’expression de l’identité culturelle akyé. De ce fait, elle est un moyen de valorisation du patrimoine des familles. Les pagnes de valeur et les bijoux qui sont utilisés au moment de la parade en sont les illustrations. Ce qui confère aux familles la richesse financière aux yeux de la communauté. À cela s’ajoute le surpoids de l’accouchée qui honore tant sa famille que celle de son mari. En effet, la culture akyé considère une forme grosse chez l’accouchée comme un signe de succès des soins postnatals tandis qu’une forme maigre signifie qu’elle ne serait pas encore sortie du danger de l’accouchement. En admettant que l’embonpoint dans ces communautés demeure l’image d’un corps sain, il constitue donc un facteur déterminant de l’identité qui fait d’une femme une bonne génitrice. De telle façon, la préservation des positions sociales de pouvoir et de prestige conduit les familles akyé à garantir un développement du corps à travers des pratiques d’entretien corporel chez la mère et chez l’enfant pendant la période postnatale.
Dans le déroulement de la prise en charge postnatale, l’accouchée et le nouveau-né bénéficient d’une prise en charge médicale qui fait l’objet d’une attention particulière dans l’analyse qui suit.
La prise en charge médicale en période postnatale
Des pratiques médicales ancrées dans les us et coutumes de la vie reproductive contribuent à favoriser la santé maternelle et infantile en période postnatale. Elles se découvrent dans la prise en charge médicale de l’accouchée et dans les soins au nouveau-né dans la culture obstétricale akyé.
La prise en charge médicale de l’accouchée
Elle se caractérise par un modèle de soins postnatals spécifique au groupe akyé désigné en l’occurrence par le terme Pia-kié-za. Selon ce groupe culturel, ce terme veut dire médicaments pour soigner les plaies de ventre. De cette expression découle la notion de plaies de ventre. Elle se présente comme l’expression des dégâts occasionnés par l’accouchement. Il s’agit notamment de l’ensemble des perturbations physiologiques intervenues au niveau de l’appareil reproducteur de la femme. Ce trouble biologique chez l’accouchée nécessite des soins appropriés avec différentes pratiques de recours.
Le lavement anal
Dans la culture du groupe akyé, la nouvelle accouchée est amenée à se purger avant le bain. La purge se réalise avec une poire à lavement. Cet usage pragmatique est fait à base de plantes médicinales mélangées au petit piment Capsicum frutescens (Solanacées) à savoir l’espèce N’dichê en akyé. Les écorces des plantes suivantes servent à cet effet à la fabrication de pâtes médicinales. Ce sont : Tchikpé, Solenostemon mostachyus (Labiacées), Kokpê, Alstonia boonei (Apocynacées) et N’Babion, Manotes longiflora (Connaracées).
D’après la pensée du groupe akyé, cette toilette soigne la plaie de ventre chez l’accouchée. Mieux, cette toilette est l’occasion de replacer le corps et de récupérer plus vite après l’accouchement. Elle permet également de préserver la chaleur du ventre sinon que s’il se refroidit cela peut engendrer des douleurs parce que le ventre de la mère est exposé au danger dans la période postnatale. Cela résulte d’un refroidissement du corps fragilisé par l’accouchement et se manifeste par des douleurs fortes dans la partie basse du ventre. Il s’agit de profonds bouleversements à l’intérieur du ventre parce que le sang coagulé n’est pas encore sorti. À en croire la pensée du groupe akyé, il est donc nécessaire de réchauffer le ventre pour faire descendre les substances rejetées au cours de la délivrance, de là à éviter tout risque de souillure. Dans ce contexte, le lavement anal de l’accouchée apparait comme une réparation de ces souillures.
Ces usages s’étendent aussi à l’appareil génital.
Le bain de vapeur des parties intimes
Il s’agit d’un bain médicamenteux qui consiste pour la nouvelle accouchée à s’asseoir sur un vase de chaude vapeur. Dans la culture akyé, la plante Kan, Enantia polycarpa (Annonaceae) constitue le produit de base de cette thérapie. Ce procédé thérapeutique sert à assécher la vulve de l’accouchée vu que du sang y demeure. Cela peut attirer les génies qui en raffolent et provoquer des maladies. De plus, cette toilette permet à l’utérus de se refaire après les modifications subies à l’occasion de la grossesse et de l’accouchement. Cette toilette permet de faire ressortir les caillots de sang coagulé restés dans le ventre de la mère après l’accouchement. Aussi bien que ces représentations akyé traitent l’utérus comme un milieu froid, nocif à la santé de l’accouchée dans la période postnatale. Ceci est lié aux restes fœtaux qui y demeurent mais aussi aux perturbations à la suite des efforts de l’accouchement. De ce fait, le milieu utérin se trouve dans un état de souillure. Il faut donc le réchauffer pour qu’il se vide de ces déchets et qu’il se reconstitue.
Ces techniques de soins postnatals, très contraignantes, sont suivies d’un massage corporel.
Le massage
Le massage est souvent effectué dans le groupe akyé avec une serviette trempée dans de l’eau de feuilles de plante bouillie Tchikpé, Solenostemon mostachyus (Labiacées). Cependant, le beurre de karité ou d’autres produits manufacturés peuvent la remplacer. Quel que soit les produits de massage, ces substances sont appliquées sur le corps de l’accouchée. Les parties du corps concernées sont entre autres : les parties intimes, le ventre et le long du corps. À seule fin que le massage a une double fonction à savoir solidifier le corps fragile et guérir la plaie de ventre de l’accouchée. Comme quoi dans la culture du groupe akyé, ces massages favorisent la reconstitution des forces et des organes en faisant sortir les caillots de sang coagulé restés dans le ventre et qui provoquent des douleurs et des ballonnements. Cette pratique cherche à limiter les perturbations qu’entraîne la naissance. Elle est vue comme une réparation des souillures. En effet, les matières fœtales qui demeurent dans le corps de l’accouchée sont assimilées à des substances polluantes. Il faut donc les faire écouler au risque de constituer un danger pour la mère. En considérant l’image corporelle comme une source intérieure de danger, le massage garantit l’intégrité physique de l’accouchée dans la période postnatale.
Ces soins médicaux se terminent par le bandage de l’abdomen.
Le bandage de l’abdomen
Cet usage est appelé pilô-gnon dans la langue akyé. Il consiste à bander l’abdomen à l’aide d’un tissu servant d’office de ceinture. Il est placé au-dessus du nombril solidement noué au dos ou de gauche à droite du ventre. Le bandage de l’abdomen a pour objet avant tout de permettre au ventre de retrouver sa forme habituelle puisque la place laissée par l’enfant à sa sortie a fait grossir le ventre et constitue de fait une porte ouverte aux maladies sous l’influence des génies. Dans le même sens, la perception sociale akyé souligne que Dieu creuse le ventre de la femme au moment de la grossesse. C’est pourquoi il faut le refermer après l’accouchement de peur que les génies ne viennent l’attaquer. Cette disposition permet d’évacuer les déchets se trouvant dans l’utérus de l’accouchée, vu que les restes à l’intérieur peuvent entraîner des maladies et causer des maux de ventre. Vu sous cet angle, cette pratique a une visée esthétique en évitant un relâchement du ventre qui grossit. Par ailleurs, elle apparait comme un moyen pour réparer les souillures en éliminant les restes fœtaux. Ce qui explique aussi l’impérieuse reconstitution de certains organes tels que le ventre et l’utérus, en supposant que ces parties du corps de l’accouchée ont été ébranlés du fait des efforts fournis pendant l’accouchement. En conséquence, la pensée génésique akyé estime que ces modifications corporelles constituent un risque de santé chez l’accouchée dans la période postnatale.
Celle-ci n’est pas la seule à avoir bénéficié de soins après l’accouchement, le nouveau-né a reçu aussi des soins spécifiques.
Les soins au nouveau-né
Ils s’observent à travers la toilette et les manipulations corporelles du nouveau-né.
La toilette du nouveau-né
Il s’agit de la toilette d’entretien de l’enfant au cours des trois premiers mois de la naissance. Elle regroupe trois opérations qui constituent la toilette proprement dite : le lavement anal, le bain et le soin à l’ombilic.
Le lavement anal
D’après le savoir obstétrical akyé, l’enfant est purgé avant le bain. La purge a lieu deux fois par jour le matin et le soir avant la guérison de l’ombilic puis une fois par jour après celle-ci. La mixture faite à base de plante médicinale wouinê, Baphia nitida (Fabaceae) constitue le liquide introduit dans le ventre du nouveau-né. La purge s’effectue à l’aide d’une poire à lavement. Le lavement purgatif a pour but de nettoyer le nouveau-né d’une manière interne en le débarrassant des déchets occasionnés par le lait maternel afin de lui éviter des maladies. Comme quoi, la purge permet de minimiser les risques de maladie de l’enfant liés notamment à la saleté de son entourage et surtout de sa mère. C’est un médicament traditionnel ayant pour vocation de protéger l’enfant des maux de ventre et des vers. À en croire le groupe akyé, cette pratique permet une cicatrisation de la plaie provoquée par la coupure du nombril et l’évitement de certaines maladies. D’autant que la purge a également une fonction régulatrice du moment que l’enfant ne peut déféquer seul. La conception du lavement anal chez le groupe akyé vise un objectif de soins de santé pour le nouveau-né. D’où la toilette régulière du tube digestif pour qu’il se vide de ces impuretés. Il y a également dans cette pratique l’idée de purification au seuil de la naissance chez l’enfant à supposer qu’il soit pollué par ces excréments.
Débarrassé de ces excréments, l’enfant est apte à prendre son bain.
Le bain
Le matin et le soir, le corps du Bi pépé, le nouveau-né dans la langue akyé est entièrement savonné à l’aide d’un gant ou d’un petit filet. Les femmes akyé utilisent une eau tiède non médicamenteuse pour son rinçage. À la mi-journée, la toilette appliquée au nouveau-né dans ce groupe ne nécessite plus l’utilisation de savon mais apparait comme un moyen de rafraîchir l’enfant et le débarrasser de la transpiration du matin.
Dans le déroulement du bain, les ustensiles pour laver l’enfant sont préparés à l’avance et les femmes en charge de cette pratique adoptent une posture ainsi décrite : assise sur un tabouret d’une hauteur de vingt centimètres environ, la mère ou la grand-mère vérifie que tous ses ustensiles sont bien disposés autour d’elle car elle ne bougera plus durant tout le temps que durera la toilette. Souvent, elle se fait aider par une fille aînée qui vide et change l’eau, et apporte les éléments manquants ou oubliés (pagnes, savon, vêtements de rechange, huile, serviette éponge, etc.). L’enfant est allongé face au sol sur les jambes tendues de la femme. D’après la culture obstétricale akyé, la toilette du nouveau-né reste une toilette d’ablution et non d’immersion. Il n’est jamais immergé dans une baignoire. Autrement dit, les pieds ne sont jamais introduits dans le sceau. L’eau est retirée à la main, versée et frictionnée sur la peau. Cette toilette révère de l’importance au regard du travail de vérification de la bonne santé de l’enfant par la mère. C’est le cas à noter du nettoyage des orifices du corps, le nez mouché entre les doigts de la mère, les oreilles nettoyées parfois avec un coton-tige, le cul-de-sac conjonctival débarrassé des résidus lacrymaux.
Cette pratique hygiénique va au-delà de la purification du corps du bébé de toute saleté. Cela s’entend comme lorsque le nouveau-né n’est pas lavé, il peut grandir avec une odeur nauséabonde. Puisque les saletés provenant de la sueur de son corps pénètrent dans sa peau et entraine à la longue une odeur nauséabonde. Le bain permet d’éviter au nouveau-né cette odeur pour le reste de sa vie. Abordant dans un autre sens, la pensée génésique akyé fait remarquer que les saletés sur la peau du bébé peuvent gêner énormément pour la bonne raison que cela peut causer des maux de ventre mais aussi des courbatures. Cette saleté contracte ces muscles en rendant son corps rigide. Cela occasionne des pleurs tout le temps et le rend malade. À telle enseigne, le bain permet d’adoucir le nouveau-né.
À ces soins de propreté s’ajoute le soin de l’ombilic.
Le soin de l’ombilic
Cette activité recherche la fermeture de l’orifice qui a été ouvert à la naissance : l’ombilic. Pour ce faire, le savoir culturel akyé a mis en place des modèles thérapeutiques. Les femmes akyé en charge du nouveau-né utilisent un chiffon trempé dans de l’eau tiède qu’elles appliquent soigneusement sur la plaie du nombril puis elles désinfectent la plaie soit avec du parfum soit avec de l’alcool. De même que, le tronc du bananier n’gogo nyoun, Musa sapientum (Musacées) est transformé en serviette n’bâ. Celle-ci est chauffée sur un morceau de canari chaud Kinboué avant d’être passée sur la plaie du nombril. Aussi bien que les femmes akyé posent sur le morceau de canari chaud, le piment dont elles pressent le jus sur la plaie du nombril. Cette pratique va protéger le nombril contre le vent et l’eau des bains quotidiens qui risquent de pénétrer dans le ventre de l’enfant et provoquer des maladies. À propos, la pensée génésique akyé révèle que laisser comme ça le nombril peut causer au bébé des saignées et du pus à cause de la pénétration de l’air ou de l’eau dans son ventre. Dès lors, il est nécessaire de protéger le nombril pour éviter que l’air y entre et cause des ballonnements de ventre. Ces procédés susmentionnés permettent d’aboutir à la guérison de la plaie du nombril.
Ces moments de nettoyage du corps du bébé sont suivis des pratiques de manipulations.
Les manipulations corporelles du nouveau-né
L’application faite à ce niveau au nouveau-né reste marquée par le massage et la quête de l’embonpoint.
Le massage
Cette pratique est très observée dans le groupe akyé. Le massage a lieu le matin et le soir au cours de la toilette d’entretien du bi pépé. La mère se sert d’un chiffon imbibé de l’eau chaude contenue dans une cuvette pour effectuer des pressions sur le corps de l’enfant. Les parties concernées par ces étirements sont les articulations et les membres. Les chevilles, les côtes et la colonne vertébrale n’échappent pas à cet exercice. De plus, le crâne est amplement pressé jusqu’à la fontanelle. Comme quoi ces pratiques aident le nouveau-né à faire des mouvements et à être à l’aise dans sa couverture. C’est comme s’il est dans les mêmes conditions que dans l’utérus de sa mère. Ce qui lui permet de se remplir de chaleur et de prendre du poids. Cependant que le massage du bi pépé implique l’usage de décoction médicamenteuse. Comme lorsque l’eau ayant bouilli avec la plante Kokpê, Alstonia boonei (Apocynacées) sert à travailler le corps de l’enfant de la tête en passant par la colonne vertébrale aux pieds. Pour la pensée génésique akyé, le corps de l’enfant est massé du moment où il peut avoir des douleurs musculaires liés à la précocité de ces membres. C’est pourquoi, il est secoué pour qu’il devienne léger. Mais aussi le but est essentiellement de modeler le corps de l’enfant selon les critères esthétiques du groupe akyé à savoir affiner le nez, assouplir les articulations. C’est le lieu aussi pour les mères d’observer le corps du bébé en vue de la détection de malformations ou d’amaigrissement. En dernier lieu, le massage permet de fermer la fontanelle ouverte à la naissance.
Cette pratique de massage est renforcée par la quête de l’embonpoint du bébé.
La quête de l’embonpoint du nouveau-né
Dans le cadre actuel de la prise en charge postnatale, ce qui est recherché c’est l’augmentation du poids et la corpulence du nouveau-né. Il s’agit d’avoir un gros bébé tout mignon. En la matière, le groupe akyé se distingue par la variété des pratiques mises en œuvre. Les femmes akyé ont recours aux plantes et aux objets de santé dans cette quête de l’embonpoint du bébé. L’on peut noter la plante Kapê, Ocinum canum (Labiacées). De même, il y a l’objet de santé Pé-péban (kaolin). C’est un kaolin blanc en forme de boule cylindrique avec une croix au sommet. Il est appliqué sur le corps de l’enfant comme une pommade. Enfin, l’on compte l’objet de santé Kinsifi-gnombié (collier). Il s’agit d’un collier qui se compose d’un fil blanc en coton saho biéban, d’une grosse perle noire gnimban, de deux morceaux de calebasse awoua et de trois petites perles dont deux noires et un marron maho. Il est porté au poignet de l’enfant. Il permet d’influer sur sa forme. Selon la culture obstétricale akyé, la plante est écrasée et mélangée au kaolin. La pâte obtenue est frottée sur le corps du bébé. Par ailleurs, ce groupe ethno-culturel fait usage du beurre de karité mais d’autres produits manufacturés peuvent le remplacer. Toutefois, ces objets de santé sont caractérisés par des matières minérales végétales ou humaines. Ils rendent la peau de l’enfant plus molle. Mieux, ces objets protègent l’enfant et lui évitent les coups de vent. Pour la pensée génésique akyé, ces pratiques rendent l’enfant gros et robuste.
Par ailleurs, un autre aspect de la surveillance postnatale est la prise en charge sociale. Comment est-elle perçue dans la culture akyé ?
La prise en charge sociale en période postnatale
Les représentations de l’accouchée et du nouveau-né constituent les fondements du soutien social qu’ils suscitent dans la prise en charge sociale en période postnatale dans la culture akyé.
Les représentations sur la nature de l’accouchée
Dans la pensée du groupe akyé, le statut de l’accouchée est déterminé en fonction de sa possibilité d’être une bonne génitrice. Cela lui permet d’être reconnue et valorisée puisqu’une femme qui donne des enfants est considérée comme un porte-bonheur. À supposer que chaque bébé nait avec sa propre chance qui s’ajoute à celle de ses parents. Aussi bien que plus il y a d’enfants dans une famille, plus grande est la chance de réussite sociale et économique des parents dont la réputation fait état de prospérité morale et matérielle. Le sort de l’enfant, aussi bien sa santé physique que mentale, sa réussite sociale, son bonheur dépendent des conduites éthiques et morales de la mère, dont on dit en termes laudatifs dans la culture akyé qu’elle a bien travaillé. Ce qui sous-entend qu’il s’agit d’une mère modèle, irréprochable qui a des enfants qui réussiront. Pour autant que l’accouchée rivalise de gentillesse avec son entourage pour que l’on puisse apprécier ses qualités, donc sa capacité à être mère. C’est une manière de s’attirer la sympathie de ses semblables mais aussi la protection des ancêtres. De fait, pour les femmes akyé, enfanter est une joie et une fierté immense.
Cependant, il n’en demeure pas moins que l’accouchée dans ce milieu traditionnel soit plus souvent considérée comme un être surnaturel. Elle est donc à la lisière du monde visible et du monde invisible. Ce qui signifie pour nos interlocutrices qu’elle est entre la vie et la mort et qu’elle a un pied dans la tombe. D’autant que l’accouchée devient une porte ouverte à toutes sortes d’effractions en risquant d’être victime d’une attaque de la part des génies ou des mauvais esprits. Lesquels peuvent prendre la place laissée par la sortie du fœtus dans l’utérus.
En conséquence dans la pensée akyé, le monde extérieur invisible semble plutôt dangereux pour l’accouchée. Celle-ci est alors recluse dès les premiers mois de la période postnatale dans sa famille d’origine ou sa belle-famille. Auprès de sa mère ou sa belle-mère, elle se retrouve dans un milieu sécurisé et épanouissant pour lui permettre de mieux faire face aux maléfices. Durant cette période, l’accouchée est très discrète sur son état dont elle ne dirait rien sauf à la famille très proche. Outre le fait de se sentir portée, elle s’efforce de s’inscrire dans le groupe des femmes mères, grand-mères, tantes qui ont déjà eu des enfants. De telle façon que la période postnatale a valeur d’étape initiatique qui façonne l’accouchée et lui concède une personnalité de mère capable de recevoir et de faire fructifier correctement le don de la vie.
Qu’en est-il de la perception du nouveau-né dans la période postnatale dans le groupe akyé?
Les représentations sur la nature du nouveau-né
Dans la pensée akyé, tout enfant qui vient au monde est considéré comme un étranger qu’il faut découvrir et apprendre à connaître. C’est en cela que les femmes akyé se posent toute une série de questions concernant l’origine ontologique du nouveau-né : Qui est-il ? D’où vient-il ? À quelle lignée appartient-il ? D’autant plus qu’elles ne considéreront pas ce bébé qui vient de naître comme un être humain mais comme un être qui vient du monde de l’invisible et qu’il faut humaniser à partir de cérémonie. De manière à ce que la nomination de l’enfant ayant lieu au cours de la cérémonie de sortie après la réclusion postnatale de la mère ait une valeur de naissance sociale.
À cette occasion, l’enfant est d’abord intronisé dans les deux lignées paternelle et maternelle. Ensuite, il est reconnu comme faisant partie désormais du monde des humains non moins qu’il est toujours considéré comme un esprit, tant qu’il n’est pas identifié et nommé de façon certaine. Alors même que l’enfant n’est réellement humain que lorsqu’il a acquis parfaitement le langage, vu que les génies peuvent parler à cet enfant qui comprend leur langue et ainsi l’emmener dans leur monde.
En tant que médiateur entre le monde des ancêtres et le monde des vivants, l’enfant occupe une très grande place dans la culture akyé. Le nouveau-né symbolise ses géniteurs qu’il est censé représenter et prolonger. Ce qui fait dire aux femmes akyé que quand on n’a pas d’enfant, on meurt dans tous les sens. L’enfant perpétue le lignage de ses parents qui n’existent socialement que grâce à sa naissance. L’enfant constitue aussi une force de travail et assure aux membres de la famille une vieillesse à l’abri des pénuries.
Cependant quelle forme de soutien social se dégage dans la période postnatale dans le groupe akyé ?
Le soutien social en période postnatale
L’accouchée et le nouveau-né bénéficient toujours d’un système de support durant la période postnatale dans la culture akyé. L’assistance des parents après l’accouchement permet à l’accouchée de bien se reposer, de mener sa période postnatale à terme dans de bonnes conditions, de recouvrer sa forme et de bien s’occuper du nouveau-né.
Dans le groupe akyé, des acteurs sociaux s’illustrent dans le soutien social à l’accouchée par l’accomplissement de certaines tâches. Il y a d’abord l’assistance psychologique et spirituelle de la femme âgée. Celle-ci rassure et réconforte par les soins et les conseils qu’elle offre mais également par sa disponibilité à requérir une aide éventuelle ou par sa simple présence. D’autres femmes notamment les belles-sœurs, les sœurs, les amies sont aussi contactées pour s’occuper des habits de rechange et des aliments à consommer de la femme qui vient d’accoucher. Celles-ci assurent également la continuité des tâches ménagères et des activités champêtres ou lucratives interrompues par la nouvelle accouchée à l’occasion de sa réclusion.
L’humanisation des rapports avec ces personnes apparait dans la solidarité qu’elles expriment à l’endroit de l’accouchée. Ces personnes entretiennent des relations de longue durée avec l’accouchée ou avec sa famille. Il s’agit d’une alliance en principe librement choisie et renouvelée au fil des évènements à savoir la sortie de l’accouchée ou le baptême du nouveau-né, etc. Par la suite, il y a la mobilisation de l’aide devant épouser les contours des rapports sociaux au sein des réseaux de parenté et d’alliance. L’on s’adresse d’abord au mari. Celui-ci va dans un premier temps tenté de circonscrire l’information à ses parents les plus proches notamment son père, ses frères ou ses oncles, etc. Ce n’est qu’en face d’obstacles insurmontables que les parents de la femme ainsi que les amies de la famille sont mis à contribution. Tout compte fait, c’est le lieu pour le mari et sa famille de prouver leur bravoure par la satisfaction des aides à apporter. Cette dynamique sociale au cours de la prise en charge postnatale de la mère et de l’enfant contribue à la réussite de la maternité dans le groupe akyé.
Toutefois, ces formes de prise en charge postnatale dans la culture obstétricale akyé ne sont pas sans risques pour le couple mère-enfant. Des contradictions sont à observer à partir des points d’impact entre les pratiques culturelles akyé vécues et les normes de santé de la reproduction officielle.
Les pratiques culturelles postnatales akyé en contradiction avec les normes de santé reproductive
Une variété de pratiques culturelles régit la prise en charge postnatale et apporte des réponses au bien-être du couple mère-enfant dans le groupe akyé. Cependant, elle comporte des inconvénients sur le plan sanitaire. Ils sont à observer à travers divers points de comportements à problème liés à la prise en charge psychosociale, médicale et sociale de l’accouchée et du nouveau-né en période postnatale.
Les contradictions dans la prise en charge psychosociale en période postnatale
La prise en charge psychosociale en période postnatale dans le groupe akyé correspond à un temps de réclusion de la mère et de l’enfant. Elle impose à l’accouchée l’obligation de repos. Cette obligation, à elle faite de ne pas sortir de chez elle, est fréquemment associée aux représentations culturelles du sang puerpéral jugé dangereux. Toutes ces assignations portent en elle l’idée d’insécurité sociale et de risques. Abordant dans ce sens, Rivière (1981) évoquant le cas des Eve du Togo a affirmé que l’un des principaux risques de cette claustration réside en ce que la mère ou l’enfant malade peuvent mourir parce qu’on n’ose pas les sortir. Se référant à cette situation critique chez l’enfant, Aholi (2003) a précisé que le danger qui menace le nouveau-né pendant le temps de la claustration est l’apparition de l’ictère néo-natal qui peut évoluer vers un ictère nucléaire sans que personne ne se rende compte. Au septième jour, l’ictère nucléaire est installé et tout moyen thérapeutique est vain et dépassé.
En outre, la prise en charge psychosociale en période postnatale dans le groupe akyé se rapporte à divers interdits comportementaux notamment des restrictions alimentaires, de lieux et de temps. Ces conduites sont du reste strictement réservées à la culture obstétricale. Elles relèvent d’un code de comportement obstétrical du groupe ethno-culturel. Tout ce qui peut prétendument nuire à la santé physiologique et psychologique de l’accouchée ou du nouveau-né est à proscrire. La signification symbolique de ces interdits repose sur l’analogie ou la similitude entre les caractéristiques des aliments ou des gestes proscrits et le devenir de la mère et de l’enfant pour neutraliser toute velléité inconsciente d’entraver le bon déroulement de la période postnatale.
D’autant moins, les représentations sociales qui sous-tendent ces prescriptions paraissent générer un certain nombre de risques. Dans la tradition du groupe akyé, l’on note parmi ces risques les interdits d’ordre alimentaire. Ils concernent chez l’accouchée des espèces animales et végétales. Eu-égard ces exclusions alimentaires, Soukaloun et al. (2003) ont laissé entendre que ces restrictions alimentaires contraignent la mère et l’enfant nourri au sein à une possibilité nutritionnelle restreinte puisque certaines carences alimentaires peuvent affecter leur santé. Dans le même sens, la fourniture d’eau dès la naissance à l’enfant rentre en conflit avec l’allaitement exclusif au sein. Puisque l’eau empêche le nouveau-né de boire avec appétit le lait maternel qui lui fournit les anticorps, les facteurs immunitaires, les hormones de croissance ou les globules blancs. En admettant les facteurs d’exposition à la supplémentation avec de l’eau pure, De Carvalho et al. (1981) ont noté le cas échéant l’augmentation du risque d’ictère pendant que Glover et Sandilands (1990) ont souligné la perte de poids excessive chez le nouveau-né.
En fin de compte, ces diverses pratiques dans la prise en charge psychosociale de l’accouchée et du nouveau-né en période postnatale s’appuient sur un codage culturel d’importance dans le groupe akyé. Cependant qu’elles présentent parfois des risques qui compromettent la santé de la mère et du nouveau-né. Ils sont liés à la claustration et au défaut d’alimentation.
Qu’en est-il des contradictions dans la prise en charge médicale en période postnatale ?
Les contradictions dans à la prise en charge médicale en période postnatale
La prise en charge médicale en période postnatale soumet le couple mère-enfant chez le groupe akyé à des pratiques médicinales. En revanche, ces soins médicinaux se déroulent dans un cadre coutumier justifié par le concept Pia-kié-za dans la culture obstétricale akyé. Ce sont une notion et des procédés qui demeurent spécifiques. Ils proposent des réponses thérapeutiques aux problèmes de santé qui se posent. Cette vision particulière sous-tend chez le groupe akyé l’existence de facteurs de vulnérabilité maternelle et de risques pour la mère et pour l’enfant dans la période postnatale. Sur cette base, cette prise en charge médicale se réduit aux activités de repérage, de dépistage et de thérapie des faits de morbidité chez l’accouchée et son nouveau-né. Ces divers aspects sont développés à travers différentes pratiques dans le groupe akyé.
Tout de même, le contrôle de ces pratiques médicinales traditionnelles n’est pas exclu du moment où elles s’avèrent parfois dangereuses. Les éléments de référence dans ce contexte actuel concernent entre autres le lavement, le bain de vapeur des parties intimes, les soins de l’ombilic, le massage et les composés thérapeutiques à base de plantes et d’objets de santé.
Au travers de ces pratiques, Aholi (2003) a révélé que le lavement en lui-même est nocif. Il peut favoriser une infection du tube digestif. Il perturbe la maturation physiologique de la fonction de défécation. À la longue, il favorise une constipation chronique. De plus, les éléments composant le liquide du lavement peuvent irriter constamment la muqueuse tapissant l’anus et le rectum. Ils peuvent provoquer à cause de l’habitude ce qu’on appelle des entéro-colites caractérisées par des émissions de glaires sanguinolentes répétées.
En outre, il est d’évidence pour ce qui est du cas des bains de vapeurs des parties intimes chez les mères que le risque est relatif à la fragilité des organes génitaux externes. Par conséquent, la vapeur peut entraîner des brûlures, des microlésions aggravant ainsi celles créées par l’accouchement. Ce qui provoquerait des infections post-partum.
Par ailleurs, la contradiction prend sa source dans le massage et les soins de l’ombilic comme l’ont fait remarquer Amorissani et al. (2006) en supposant que le manque de compétence pour le massage de la mère peut avoir un effet délétère tout comme l’abdomen compressé peut ralentir le transit intestinal et provoquer des difficultés respiratoires. Aussi bien que le désir pour les mères de donner à leur nouveau-né une tête parfaitement arrondie fait qu’à chaque bain, le bébé fait l’objet de massage avec de l’eau chaude. Ce modelage est dangereux, surtout en cas de déformation du crâne par un hématome sous cutané crânien ou par un céphalhématome visible. L’eau chaude et le massage augmentent le volume de l’hématome crânien et aggravent l’anémie et l’ictère à bilirubine libre mettant ainsi en jeu le pronostic vital du nouveau-né. Outre que pour accélérer la chute et la cicatrisation du cordon ombilical, les mères ont recours au parfum et au piment. Les risques hémorragiques et surtout infectieux sont grands puisque ces produits ont parfois la capacité d’arracher le cordon ombilical à sa base dans un délai de 24 à 48 heures.
Pour eux le risque en rapport avec les composés thérapeutiques à base de plantes et d’objets de santé apparaissent lorsque pour la plupart des mères, beaucoup d’affections relèvent du mystique qu’il faut prévenir dès la période néo-natale afin de garantir au nouveau-né un développement harmonieux loin des esprits maléfiques. Pour parvenir à ce but, plusieurs modes de protection sont sollicités notamment les objets de santé dont le mode de conservation favorise le développement de germes entretenus par le port de bracelets et l’application de kaolin. Ces deux éléments occasionnent le plus souvent des infections cutanées.
De ces observations, il est incontestable que ces pratiques médicinales mettent en péril la santé de la mère et de l’enfant. Du coup, elles alourdissent la morbidité et la mortalité maternelles et infantiles après l’accouchement.
Des faits de morbidité s’observent dans la prise en charge sociale en période postnatale.
Les contradictions dans la prise en charge sociale en période postnatale
La prise en charge sociale en période postnatale présente le couple mère-enfant comme des êtres vulnérables chez le groupe akyé. Ce statut a donné lieu à des rites singuliers tels la pluralité d’interdits appliqués à l’accouchée et au nouveau-né, l’assistance de la parenté, les dons en nature et en espèce. Ces actes locaux mettent en œuvre une philosophie collective faisant de la période postnatale une autre vie. En effet, des rituels signent souvent la fin de cette période de marge. En l’occurrence le rituel de sortie de l’accouchée et du nouveau-né symbolise ainsi leur intégration au sein de leur famille et de leur communauté. Ces moments codifiés dans la tradition akyé montrent un besoin de naissance sociale qui fonde l’identité de l’individu dans la communauté. Cela révèle le caractère important de la période postnatale à travers des conceptions mais aussi des pratiques qui donnent à la prise en charge sociale de l’accouchée et du nouveau-né un codage culturel.
Toutefois, ces différentes perceptions de la mère engendrent des répercussions sur elle. En effet, cette représentation la fait vivre encore dans l’univers magico-religieux de la période postnatale et l’éloigne de ce fait des services de santé en charge des soins postnatals. De surcroît, mieux donner naissance à plusieurs enfants continue d’être le critère social vivant pour être une bonne femme dans ce groupe social. Ce contexte social favoriserait la multiparité. Comme l’a constaté Akoto (1985) celle-ci correspond à un grand nombre d’enfant qui pourrait contribuer à l’appauvrissement de la famille mais aussi entraîner un état de santé médiocre de la mère à cause de l’épuisement maternel à la suite des grossesses successives.
Dans la réalité des faits, ces pratiques culturelles en période postnatale comportent certes des contradictions mais ne se réduisent pas à celles-ci. En conséquence, il s’impose pour nous, de les réhabiliter afin de les vider de leurs aspects néfastes.
Contributions socio-anthropologiques à la mise en œuvre de soins postnatals de qualité
L’étape actuelle nous conduit à une réflexion épistémologique sur la portée ethnologique de la culture obstétricale akyé en période postnatale et sur ses implications sociologiques.
La portée ethnologique de la culture obstétricale akyé en période postnatale
La culture obstétricale akyé en période postnatale apparait comme une forme de pensée. En effet, les connaissances se rapportant aux pratiques liées à la reproduction dans ce contexte culturel élargissent les conceptions de la procréation à travers les représentations sociales qui s’y dégagent.
La procréation s’identifie dans la culture obstétricale akyé à un phénomène de prestige social. En effet, le fait de donner la vie est un phénomène valorisant. Au point où il permet de concéder à l’accouchée le statut de mère capable de recevoir et de faire fructifier correctement le don de vie et au nouveau-né le statut d’être humain alors qu’il était considéré comme un esprit.
La procréation se présente dans la culture obstétricale akyé comme un moment d’espoir vu comme la perpétuation de la lignée et l’assurance de sa prospérité puisqu’elle certifie la possibilité de la succession.
Ces statuts privilégiés ont laissé entendre pour Madanamoothoo (2012) que la conception d’un enfant est synonyme de bonheur, de réussite, de prolongement de la vie de couple mais surtout de l’accomplissement de la féminité.
Toutefois, la culture obstétricale akyé en période postnatale n’est pas qu’une forme de pensée. L’on y découvre parallèlement, des pratiques de soins.
La culture obstétricale akyé en période postnatale se définit comme des pratiques de soins. Etant donné que les premiers soins effectués sur l’accouchée et le nouveau-né s’inscrivent dans des logiques et des contextes culturels basés surtout sur la médecine africaine.
La culture obstétricale akyé en période postnatale apparait comme la succession des pratiques médicinales. Ceci entraîne l’usage des pratiques de lavement anal, du bain de vapeur des parties intimes, du massage, du bandage de l’abdomen, du soin de l’ombilic, de la quête de l’embonpoint, de l’usage des plantes médicinales et des objets de santé.
La culture obstétricale akyé en période postnatale correspond au recours aux thérapeutes traditionnelles. Dans ce cas d’espèce, les mères âgées ayant une expérience des soins postnatals et les soignantes d’accouchée et d’enfant sont mises en évidence pour assurer le bien-être de la mère et de l’enfant et pour apporter des réponses thérapeutiques à toutes formes de morbidité les concernant.
Partant, Beninguisse et al. (2005) ont retenu l’importance de la pesanteur sociologique de l’environnement socioculturel en période postnatale puisqu’elle constitue les bases fondamentales de la pensée génésique et l’un des obstacles majeurs à l’utilisation des services obstétricaux dans les sociétés africaines.
À partir des fonctions de cette conception de la période postnatale dans la culture obstétricale akyé, il convient de spécifier les caractéristiques du modèle de pensée génésique dans ce groupe ethnoculturel.
La pensée génésique akyé en période postnatale est dominée par le symbolisme. Il se découvre à travers les restrictions dans le système de relations sociales. En témoignent la réclusion postnatale de la mère et du nouveau-né durant une période de trois mois et des interdictions de lieux et de temps. Outre que la recherche de la santé du couple mère-enfant est soutenue par divers interdictions alimentaires concernant des espèces d’origine animale et végétale ainsi que diverses pratiques médicales allant à l’usage de plantes médicinales et d’objets de santé.
La pensée génésique akyé en période postnatale est conditionnée par l’idéologie du genre. Les connaissances et les expériences dans le domaine postnatal font principalement intervenir les mères âgées et des soignantes d’accouchée et d’enfant comme des personnes dites qualifiées. Dans le système de croyances collectives akyé, les conseils sur l’alimentation, l’entretien et l’hygiène de l’accouchée et du nourrisson, le diagnostic des risques, les réponses thérapeutiques aux morbidités et le soutien social des mères, des sœurs, des tantes et des belles-sœurs restent l’affaire de la gente féminine en période postnatale. C’est la règle de référence éthique dans ce milieu traditionnel akyé où la prise en charge postnatale se fait sous le contrôle des femmes à l’écart des hommes et des enfants.
Ces domaines de connaissance en période postnatale dominée par le symbolisme et conditionné par l’idéologie du genre soutiennent la thèse de Abé (2013) selon laquelle il existe en réalité, un système élaboré de pensée génésique, propre au groupe Akan de Côte d’Ivoire auquel appartient le groupe akyé.
Il est incontestable que la culture obstétricale désigne une pensée mais aussi une pratique démontrant des traits originaux du groupe akyé. Dans ce contexte, quel peut être l’apport de la socio-anthropologie au regard des normes de santé reproductive ?
Les implications sociologiques liées à la culture obstétricale akyé en période postnatale
Les faits de résistance sociologique au travers des pratiques culturelles de soins postnatals font appel à une perspective stratégique orientée vers l’éducation du groupe akyé afin qu’elle réduise les facteurs de risque. Cette approche est spécifiée par la description anthropologique dans une perspective compréhensive comme une mise en sens des pratiques étudiées et dans une perspective sociale comme la détermination des comportements et des pratiques appropriés.
Dans une perspective compréhensive, l’éclairage de la culture obstétricale permet d’indiquer la mise en jeu des valeurs, des normes, des modèles de pensée et de conduite du groupe social akyé en période postnatale. La culture obstétricale peut être abordée comme dans les ethno-sciences. À cet effet, elle permet de connaître une vision de l’ancrage des individus dans des systèmes de croyances spécifiques à la période postnatale. Par la suite, elle permet de comprendre les comportements irrationnels c’est-à-dire les facteurs de risques liés à la prise en charge postnatale du couple mère-enfant à partir des points d’impact entre les pratiques culturelles akyé vécues et les normes de santé de la reproduction officielle. Cette visée compréhensive a conduit à des implications sociales.
Dans la perspective sociale, la recherche de soins appropriés offre l’opportunité d’une vision nouvelle de la culture obstétricale akyé en période postnatale. Elle induit les changements dans le domaine des pratiques psychosociales concernant la réclusion postnatale, les interdits alimentaires, les interdits de lieux et de temps et la tendance à la multiparité ainsi que dans le domaine des pratiques médicales relativement au lavement anal, au massage du ventre, aux soins de l’ombilic, au modelage du crâne, au bain de vapeur des parties intimes, à l’usage de plantes médicinales et d’objets de santé. Ainsi, l’approche anthropologique vient appuyer la santé de la reproduction selon Massé (1995) car elle est incontournable pour un discours contextuel à partir des communications pour le changement de comportement dont les objectifs dans ce contexte social akyé consistent à :
Valoriser le rite de réclusion postnatale akyé Pê et aider à modifier les comportements à risque de façon positive ;
Faire comprendre aux nouvelles accouchées, aux soignantes et thérapeutes traditionnelles d’accouchées et de nouveau-nés, l’utilité en période postnatale : de se rendre au centre de santé, de l’alimentation variée, de l’évitement du lavement anal, du massage du ventre, des soins traditionnels de l’ombilic, du modelage du crâne, du bain de vapeur des parties intimes de l’accouchée et de l’usage optimal de plantes médicinales et d’objets de santé ;
Encourager les soignantes et thérapeutes traditionnelles d’accouchée et de nouveau-né à participer aux actions de développement sanitaire ;
Aider et encourager les accouchées, les soignantes et thérapeutes traditionnelles d’accouchées et de nouveau-nés et les membres de communauté akyé à maintenir les manières qui sont conformes aux normes épidémiologiques officielles en période postnatale.
Conclusion
La culture obstétricale akyé utilise toute une série de formes de pensée et de pratique pour assurer la santé de la mère et du nouveau-né en période postnatale. Toutefois, ces pratiques socioculturelles codifiées en matière de prise en charge postnatale demeurent résistantes au temps puisqu’elles apparaissent comme un obstacle aux visites postnatales. De même, elles constituent très souvent des facteurs de risques pour l’accouchée et le nouveau-né.
À la lumière de la complexité de la culture obstétricale akyé, une mise à distance des certitudes liées aux perceptions culturelles en période postnatale devrait transformer le regard de chacun sur la notion de bonnes pratiques. Elle ne doit pas être perçue comme un phénomène d’acculturation mais plutôt comme une démarche de prévention des pratiques dangereuses dont les conséquences peuvent affecter gravement la survie de la mère et de l’enfant.
C’est pourquoi, nous suggérons des actions de communication pour la réduction des facteurs de risques et la recherche des soins appropriés en période postnatale. Nous recommandons davantage des actions de santé communautaire dans lesquelles l’accent serait avant tout, mis sur l’éveil de la conscience et s’achèverait par les activités promotionnelles à visée participative communautaire contre les pratiques coutumières délétères en période postnatale.
De cette perspective, la démarche anthropologique demeure dans l’état actuel des choses, une voie incontournable dans le sens du service à la santé de la reproduction à court ou à moyen terme en Côte d’Ivoire. Elle nécessite pour ce faire, une base stratégique rigoureuse et pertinente orientée vers l’éducation des groupes sociaux en vue de réduire les comportements génésiques à risque en période postnatale.
Références
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