Tebbani, F., Oulamara, H., 2018. Effet de l’alimentation maternelle sur le poids du nouveau né. Antropo, 40, 53-61. www.didac.ehu.es/antropo


 

Effet de l’alimentation maternelle sur le poids du nouveau né

 

Effect of maternal nutrition on the newborn birth weight

 

Fouzia Tebbani, Hayet Oulamara

 

Université Constantine 1, Institut de Nutrition, de l’Alimentation et des Technologies Agroalimentaires (INATAA), Laboratoire de Nutrition et Technologie Alimentaire (LNTA). Argelia

 

Auteur correspondant: Fouzia Tebbani. fouziatebani@yafoo.fr

 

Mots clés : Grossesse, poids de naissance, oligoéléments, carence.

 

Key words : Pregnancy, birth weight, trace elements, deficiency.

 

Résumé

Introduction : La grossesse est une période d’augmentation des besoins métaboliques. Les vitamines, les minéraux et les oligo-éléments sont des déterminants majeurs de la santé de la femme enceinte et du fœtus.

Objectifs : Evaluer les apports maternels en oligoéléments et vitamines dans les premier, deuxième et troisième trimestres de grossesse et apprécier leur effet sur le poids de naissance.

Matériels et méthodes : C’est une étude prospective et longitudinale réalisée auprès 226 femmes enceintes durant toute la période de la grossesse aux centres de consultations et de suivi prénatales à Constantine (Algérie) du décembre 2013 au Juin 2016. Nous avons analysé les apports maternels en fer, en éléments minéraux et en vitamines en les comparants aux apports normalement conseillés (ANC), puis par analyse multivariée, nous avons étudié la corrélation entre ces apports et le poids de naissance. Les statistiques ont été effectuées en utilisant les logiciels StatviewTM et SPSS.

Résultats : Cette étude a noté l’effet positif de certains facteurs maternels sur le poids de naissance, tels que : l’âge maternel, la parité, l’IMC pré-gravidique et le terme de grossesse. Les apports quotidiens moyens en minéraux (fer, calcium, zinc et magnésium) et vitamines (B9, B1 et E) étaient inférieurs aux apports recommandés (ANC). En revanche, les apports moyens en vitamine C en 2ième et 3ième trimestres de grossesse correspondaient aux ANC. Seuls les apports en magnésium en premier trimestre (p=0,02), calcium en 3e trimestre (p=0,06) et la vitamine B9 en 1e et 3e trimestre (p=0,07 ; p=0,004) respectivement, étaient significativement corrélés avec le poids de naissance.

Conclusion : Les apports en oligoéléments et vitamines dans notre population d’étude sont diminués par rapport aux ANC. La correction du régime des femmes enceintes est un besoin urgent. Ainsi, en encourageant la qualité plutôt que la quantité pour éviter des carences on oligoéléments et vitamines nuisibles au développement et à la croissance du fœtus.

 

Abstract

Introduction: Pregnancy is a period of increased metabolic needs. Vitamins, minerals and trace elements are major determinants of the health of the pregnant woman and the fetus.

Objective: To evaluate maternal intakes of vitamins and trace elements in the first, second and third trimesters of pregnancy and assess their effect on birth weight.

Materials and methods: A prospective and longitudinal study have been conducted among 226 pregnant women throughout the whole period of pregnancy in the centers of prenatal consultations and follow up in Constantine (Algeria) from December 2013 to June 2016. We analyzed maternal intakes of iron, minerals and vitamins by comparing them to the normally recommended dietary allowances (ANC) and then by multivariate analysis, we studied the correlation between these intakes and birth weight. Statistics were performed using the Statview TM and SPSS software.

Results: This study noted the positive effect of some maternal factors on birth weight, such as maternal age, parity, pre-pregnancy BMI and pregnancy term. The average daily intake of minerals (iron, calcium, zinc and magnesium) and vitamins (B9, B1 and E) were below the recommended intakes (ANC). In contrast, average intakes of vitamin C in the 2nd and 3rd trimesters of pregnancy corresponded to the ANC. Only magnesium intakes in the first trimester (p=0.02) and vitamin B9 in third one (p=0.004) were significantly correlated with birth weight.

Conclusion: Intakes of trace elements and vitamins in our study population are reduced compared to the ANC. The correction of the pregnant women diet is urgently needed. Thus, promoting quality over quantity to avoid deficiencies in trace elements and vitamins which are harmful to the development and fetal growth.

 

Introduction 

La grossesse est une période d’augmentation des besoins métaboliques, dus aux changements physiologiques de la femme enceinte et aux besoins du fœtus. Les vitamines, les minéraux et les oligo-éléments (OE), couramment appelés micronutriments, sont des déterminants majeurs de la santé de la femme enceinte et du fœtus (Costello et Osrin, 2003; Zazzo, 1995)

Les besoins en micronutriments (calcium, fer, magnésium, vitamines B9 et C) augmentent avec la grossesse. Une supplémentation ne doit pas être systématique car il existe chez la femme enceinte un mécanisme physiologique d’adaptation qui majore l’assimilation de l’ensemble des micronutriments (Chevallier, 2011). Une alimentation diversifiée, naturellement riche en vitamines et en oligoéléments, permet de satisfaire la plupart des besoins pendant la grossesse et l'allaitement.

Les vitamines du groupe B interviennent comme co-enzymes. Par exemple, la thiamine (B1) permet l’assimilation et le métabolisme des glucides. Le rôle clé des folates dans la synthèse de l’ADN signifie qu’une déficience va être associée à des dysfonctions lors de la division cellulaire. La relation entre la déficience en folates chez la femme enceinte et les anomalies de formation du tube neural est à présent bien établie (Jacotot et  Campillo, 2003). La vitamine C, ou acide ascorbique est une vitamine qui, par son rôle dans la stabilisation des membranes et ses propriétés anti-oxydantes, peut jouer un rôle sur le poids à la naissance mais les effets sont surtout démontrés dans les pays développés (Ramakrishnan, 2004). La vitamine E qui joue le rôle d’un antioxydant, protégeant ainsi les acides gras polyinsaturés de la destruction oxydative au niveau des membranes cellulaires (Dupin et al, 1992). Elle participe à la formation et à la structure des phospholipides membranaires (en particulier dans les cellules cérébrales) (Masse-Raimbault, 1992). Ackurt et collaborateurs (1995) montrent l’augmentation de la vitamine E plasmatique avec le déroulement de la grossesse. L’apport conseillé est de 12mg /jour (Martin, 2001).

La carence en l’un ou plusieurs de ces minéraux et OE peut favoriser l’apparition de certaines complications telles que la prématurité et le retard de croissance intra-utérin (Glenville, 2006). Des études ont démontré que la plupart des micronutriments peuvent être des facteurs limitant de la croissance fœtale. Cependant, un débat persiste quant à l’influence des apports en OE sur le poids de naissance (Favier et Hininger-Favier, 2004).

Dans la littérature scientifique et en particulier dans notre pays (en voie de développement), peu d’études se sont intéressées à l’évaluation des apports en OE au cours de la grossesse et encore moins à leur effet sur le poids du nouveau né. Pourtant, dans ces pays on assiste à une transition épidémiologique et une modification des habitudes alimentaires avec abandon du régime méditerranéen et une sédentarité plus fréquente (Ben Romdhane et al, 2005).

L’objectif de cette étude était d’évaluer les apports maternels en oligoéléments et vitamines pendant toute la période de la grossesse (le premier, deuxième et troisième trimestre) dans notre population et apprécier leur corrélation au poids de naissance.

 

Matériel et méthodes 

Il s’agit d’une étude prospective et longitudinale réalisée auprès 226 femmes enceintes durant toute la période de la grossesse aux centres de consultations et de suivi prénatales à Constantine (Algérie) du Décembre 2013 au Juin 2016.

L’objectif principal de cette étude était d’évaluer les apports maternels en oligoéléments et vitamines chez une population de femmes enceintes au cours du premier, deuxième et troisième trimestre de la grossesse et de les comparer aux apports nutritionnels conseillés (Martin, 2001).

L’objectif secondaire était de détecter par une analyse multivariée une éventuelle corrélation entre les apports alimentaires en oligoéléments, vitamines et le poids de naissance.

Nous avons exclu de l’étude les patientes présentant un antécédent de diabète, d’hypertension artérielle, de pathologie auto-immune ou de pathologie endocrinienne ainsi que les patientes ignorant leur poids de départ.

Parmi les femmes enceintes répondant aux critères d’inclusion, 226 femmes ont accepté de participer à l’étude.

Les sources de données utilisées pour cette étude étaient : l’interrogatoire des femmes enceintes à leur présentation pour des consultations de suivi prénatale au service, et l’étude des analyses sanguines.

L’âge gestationnel a été calculé à partir de la date des dernières règles et confirmé par une échographie du premier trimestre de grossesse.

Après consentement, toutes les femmes enceintes ont été interrogées sur leurs caractéristiques sociodémographiques. Pour chaque femme enceinte, nous avons relevé l’âge, la parité, le poids avant la grossesse et la taille permettant de calculer l’IMC et le terme. Les données fœtales relevées étaient : le poids de naissance.

Les femmes enceintes ont aussi complété un questionnaire alimentaire basé sur méthode de rappel de 24 heures concernant leur alimentation habituelle répétée pendant les trois trimestres de la grossesse. L’apport d’énergie, des vitamines (B1, B9, C et E), des oligoéléments (Fe, Mg, Zn) et du calcium ont été calculés. Les renseignements recueillis ont été traités par Excel. Les aliments consommés par jour sont quantifiés, estimés à l’aide d’unités ménagères et de photos puis converties en proportions de macro et micronutriments (glucides, lipides, protéines, vitamines et oligoéléments) à l’aide d’équivalences préalablement établies. Les quantités d’aliments sont converties en nutriments à l’aide de tables compilées (FAO, 1970; Feinberg et al  1991).

L’évaluation des apports nutritionnels a été faite sur la base des recommandations françaises « ANC 2001 » (Martin, 2001).

Le traitement des données a été réalisé  par les logiciels «StatView» et «SPSS», celui de la conversion des aliments en nutriments avec Excel. Les moyennes ont été comparées à l’aide de l’analyse de la variance (ANOVA); le test « t » a permis la comparaison entre les moyennes des groupes des 2 derniers trimestres. L’étude de corrélations a été effectuée par le test de « Pearson correlation », analyse univariée et multivariée par le test de Chi2. Le seuil de signification statistique (p) a été fixé à 0,05.

 

Résultats 

Durant la période d’étude, 226 femmes enceintes en premier trimestre de grossesse ont été incluses dans l’étude. L’âge des femmes enceintes était variable de 19 à 43 ans avec une moyenne de 30,1 ± 4,9 ans. Les différents paramètres épidémiologiques de notre population sont représentés dans le Tableau 1.

Le poids de naissance (PN) moyen des nouveau-nés était de 3.378,9 ± 667,6 g. Une macrosomie fœtale a été observée dans 22,1% des cas (50/226). 14,6% (33/226) des nouveau-nés ont un petit poids de naissance. Le taux des accouchements par césarienne était de 39,4%.

Nous avons noté une corrélation significative entre l’âge maternel et le poids de naissance (p=0,05) (Tableau 1). Le taux d’excès pondéral et d’obésité étaient élevés dans notre population. En effet, 68,1% des femmes enceintes avaient un IMC ≥ 25kg/m2 (dont 31,4% obèses) (Tableau2).

Notre étude a permis d’identifier l’IMC pré-gestationnel comme étant un facteur indépendant et significativement corrélé au PN (Tableau2). Egalement, la parité, le poids avant grossesse et le terme de grossesse étaient les facteurs les plus corrélés au PN avec un coefficient de corrélation (r) de 0,22; 0,30 et 0,50 respectivement (p<0,0001) (Tableau 1).

L’étude des apports alimentaires journaliers a montré un apport calorique quotidien moyen de 1831,3 ± 832,7 kcal/j, 2202,9 ± 852,7 kcal/j, 2096,2 ± 750,0 kcal/j respectivement dans les trois trimestres de grossesse (Tableau 3). Cela est en concordance avec les apports quotidiens insuffisants en oligoéléments. En effet, les apports quotidiens en fer dans les trois trimestres de grossesse de notre population étaient nettement inférieurs aux ANC. Cette carence a été aussi remarquée pour les apports quotidiens moyens en calcium, zinc et magnésium, qui étaient largement inférieurs aux ANC (Tableau 4).

En revanche, comparés aux autres OE, nous avons noté une corrélation positive mais non significative entre les apports en zinc du 3e trimestre de grossesse et le PN (r=0,10; p=0,12). Pour le magnésium, nous avons trouvé une corrélation positive et significative entre les apports du 1e trimestre de grossesse et le PN (r=0,16 ; p=0,02). Concernant le calcium, une corrélation positive mais non significative a été noté entre les apports du 3e trimestre de grossesse et le PN (r=0,12; p=0,06) (Tableau 4).

Les apports en vitamine C correspondaient aux ANC. Par contre, les apports quotidiens en vitamine E dans les trois trimestres de grossesse de notre population étaient nettement inférieurs aux ANC. En revanche, nous avons trouvé une corrélation positive mais non significative entre les apports en vitamines B1 (r=0,11; p=0,09) et le PN dans le 1e trimestre de grossesse. Concernant la vitamine B9, une corrélation positive et significative a été noté entre les apports du 1e et 3e trimestre de grossesse avec le PN (r=0,12; p=0,05), (r=0,19; p=0,004) respectivement (Tableau 4).

 

Paramètre

Moyennea

Minimum

Maximum

r

p

Age (ans)

30,1 ± 4,9

19,2

42,9

0,13

0,05

Parité

1,0 ± 1,0

0,0

4,0

0,22

<0,0001

Poids initial (kg)

72,4 ± 13,8

45,0

114,0

0,30

<0,0001

Taille (m)

1,6 ± 0,0

1,4

1,7

0,10

0,12

IMC pré-grossesse (kg/m2)

27,8 ± 5,2

16,5

46,9

0,27

<0,0001

Terme (SA)

38,9 ± 1,8

32,0

43,0

0,50

<0,0001

Tableau 1. Caractéristiques épidémiologiques des femmes enceintes et leur corrélation avec le poids de naissance (analyse univariée). r : coefficient de corrélation ; p : degré de signification statistique. a Les résultats sont exprimés en moyenne ± écart-type.

Table 1. Epidemiological characteristics of pregnant women and their correlation with birth weight (univariate analysis). r: correlation coefficient; p: degree of statistical significance. a The results are expressed as an average ± standard deviation.

 

IMC prégestationnel (kg/m2)

Effectif

(%)

r

p

< 18,5

4

1,8

-0,36

0,71

[18,5-24,9]

68

30,1

0,34

0,004

[25-29,9]

83

36,7

0,13

0,25

≥ 30

71

31,4

0,31

0,007

Tableau 2. Index de masse corporelle dans la population étudiée et corrélation au poids de naissance. IMC : index de masse corporelle ; r : coefficient de corrélation ; p : signification statistique.

Table 2. Body mass index in the study population and correlation to birth weight. BMI: body mass index; r: correlation coefficient; p: statistical significance.

 


 

Macronutriments

Apport moyena (g/j)

ANCb

Coefficient de corrélation (r)

p

Trimestres

1er

2ième

3ième

1er

2ième

3ième

1er

2ième

3ième

1er

2ième

3ième

AETQ (kcal/j)

1831,3 ± 832,7

2202,9 ± 852,7

2096,2 ± 750,0

2000

2100-2200

2500

0,17

0,05

0,13

0,009

0,45

0,04

Apport protéique (g/j)

37,0 ± 11,8

36,5 ± 9,1

36,8 ± 9,4

47

52

61

-3,9

-0,06

0,05

0,99

0,33

0,44

Apport glucidique (g/j)

157,0 ± 27,0

157,4± 26,2

156,5 ± 25,9

250

250

300

0,007

-0,05

-0,02

0,91

0,44

0,76

Apport lipidique (g/j)

25,7 ± 10,4

25,7 ± 10,9

26,0 ± 10,4

80

80

80

-0,02

0,06

0,01

0,68

0,32

0,87

Tableau 3. Apports quotidiens moyens en macronutriments dans la population et leur corrélation au poids de naissance. AETQ : apport énergétique quotidien moyen. a Les résultats sont exprimés en moyenne ± écart-type. b Les valeurs sont exprimés en moyenne.

Table 3. Average daily intakes of macronutrients in the population and their correlation to birth weight. AETQ: average daily energy intake. a The results are expressed as an average ± standard deviation. b The values are expressed as an average.

 

Elément

Apport moyena (mg/j)

ANCb (mg/j)

Coefficient de corrélation (r)

p

Trimestres

1er

2ième

3ième

1er

2ième

3ième

1er

2ième

3ième

1er

2ième

3ième

Fer

9,3 ± 5,3

11,8 ± 6,9

11,1 ± 6,2

20-30

20-30

30

0,11

0,003

0,05

0,11

0,96

0,48

Magnésium

202,5 ± 101,8

257,2 ± 145,4

242,3 ± 121,3

400

400

400

0,16

-0,04

0,09

0,02

0,59

0,19

Zinc

7,5 ± 4,6

8,5 ± 4,5

8,3 ± 4,8

14

14

14

0,06

0,01

0,10

0,34

0,87

0,12

Calcium

493,1 ± 280,9

583,6 ± 286,0

559,4 ± 269,5

1000

1000

1000

0,09

0,04

0,12

0,18

0,57

0,06

Vitamine B9

210,3 ± 122,1

259,9 ± 140,7

343,0 ± 148,8

400

400

400

0,12

-0,07

0,19

0,05

0,27

0,004

Viatmine B1

0,9 ± 0,5

1,1 ± 0,5

1,0 ± 0,5

1,8

1,8

1,8

0,11

-0,07

0,09

0,09

0,31

0,20

Vitamine C

115,4 ± 111,2

135,2 ± 123,1

132,4 ± 118,3

120

120

120

0,06

-0,10

0,09

0,38

0,12

0,15

Vitamine E

5,0 ± 4,0

5,8 ± 4,8

5,9 ± 4,6

12

12

12

0,01

-0,05

0,06

0,84

0,49

0,40

Tableau 4. Corrélation entre apports en oligoéléments et PN. AETQ : apport énergétique quotidien moyen. a Les résultats sont exprimés en moyenne ± écart-type. b Les valeurs sont exprimés en moyenne.

Table 4. Correlation between trace element intake and PN. AETQ: average daily energy intake. a The results are expressed as an average ± standard deviation. b The values are expressed as an average.

 


 

Discussion 

Il existe un grand éventail de données qui soutiennent le concept que les carences en micronutriments affectent défavorablement la santé maternelle et l’issue de la grossesse. Il est important de souligner ici qu’aucun micronutriment n’est à lui seul responsable de ces résultats. Il est donc très improbable que la supplémentation ou la correction isolée d’une carence entraîne des effets importants tant que les autres subsistent.

Pour certaines carences, l’effet maximum d’une correction se produit si elle est effectuée au début de la grossesse. Pour l'acide folique, le complément devrait idéalement être donné avant la conception et pour le fer, les meilleures réponses à une supplémentation sont attendues quand il est pris au premier trimestre de la grossesse. Dans les pays en développement, la plupart des femmes ne consultent pour une grossesse que durant la seconde moitié de celle-ci. C’est souvent trop tard pour corriger une carence et obtenir une amélioration considérable sur la santé de la mère et de l’enfant.

Cette étude a permis de mettre en évidence une carence nette dans les apports en oligoéléments dans notre population par rapport aux ANC et un apport calorique quotidien moyen insatisfaisant dans les 1e et 3e trimestres de grossesse, 1831,3 ± 832,7 Kcal/j et 2096,2 ± 750,0 Kcal/j respectivement. Cet état carentiel contraste avec un excès pondéral fréquent (68,1%).

La carence martiale et son influence sur le poids fœtal et l’issue de la grossesse ont été les plus étudiées (Hercberg et al, 2000). Il s’agit d’un problème mondial touchant aussi bien les pays en voie de développement que les pays développés. En effet, d’après une étude française, plus des deux tiers des femmes enceintes ont une totale déplétion des réserves en fer; aboutissant à des anémies ferriprives en fin de grossesse chez 20 à 30% d’entre elles (Hercberg et al, 2000). Il est de même pour notre population, pour qui les apports quotidiens en fer, 9,3 ± 5,3 mg/j; 11,8 ± 6,9 mg/j; 11,1 ± 6,2 mg/j respectivement dans les trois trimestres de grossesse sont largement inférieurs aux ANC. Notre étude n’a pas mis en évidence de corrélation significative entre les apports en fer et le poids de naissance. Cela confirme les résultats des études déjà publiées qui n’ont pas montré d’effet significatif de ces apports sur le PN, aussi bien au premier qu’au deuxième et troisième trimestres de grossesse (Godfrey et al, 1996; Mathews et al, 1999).

Notre étude a montré une corrélation positive mais non significative entre les apports du 3e trimestre de grossesse en zinc et le PN (r=0,10; p=0,12); pourtant cet OE joue un rôle important dans la transcription de plusieurs protéines indispensables à l’embryogenèse, la différenciation cellulaire et la croissance fœtale (Favier et Hininger-Favier, 2005). Des carences en zinc sont fréquentes dans les pays en développement car elles apparaissent lorsque le régime contient peu de produits animaux, ou lorsque la consommation d’inhibiteur de l’absorption du zinc (céréales) est élevée. King a recensé 41 publications sur ce thème, dont 17 rapportent une corrélation significative entre le poids de naissance et divers indicateurs du statut maternel en zinc. En revanche, ces études n’ont pas permis de montrer un effet bénéfique net de la supplémentation en zinc au cours de la grossesse. Les apports en zinc dans notre population étaient inférieurs aux ANC, cela pourrait être expliqué par le taux élevé de la surcharge pondérale dans notre population; sachant que les femmes obèses ayant un excès d’apport calorique sont particulièrement exposées à un déficit en zinc (Tamura et al, 2004).

Nous avons remarqué une corrélation positive mais non significative entre les apports en calcium et le PN. Cependant, cette corrélation est faible (r=0,12; p=0,06); elle mérite donc d’être confirmée par des études plus larges avant de conclure à un effet direct et indépendant. Les études se concentrent sur les effets du calcium sur l’hypertension maternelle et les crises d’éclampsie. Les résultats des études sur l’effet du calcium durant la grossesse sur le poids fœtal sont divergents. Dans une récente revue de la littérature incluant dix études, la plupart ne montrent pas d’effet sur le PN et les autres paramètres néonataux (Atallah et al, 2002).

L’apport en magnésium dans notre population était inférieur à celui recommandé, il se rapproche de celui observé en France (250mg/j) (Galan et al, 1999). En fait, les taux de magnésémie sont variables en fonction du moment de la grossesse, il est connu comme étant très bas au cours du troisième trimestre (Durlach, 2000). Cependant, quatre sur les sept études de supplémentation incluses dans la revue Cochrane, ont permis d’établir la relation entre le poids fœtal et l’apport en magnésium (Makrides et Crowther,  2002). Il semble selon cette revue que la supplémentation magnésique permet de réduire de 30% le risque de retard de croissance intra-utérin (Durlach, 2000). Dans plusieurs études rétrospectives, ils ont découvert que les taux de magnésium durant la grossesse étaient associés au risque de pré-éclampsie, de prématurité et de petit poids à la naissance (Makrides et Crowther,  2002; Ramakrishnan, 2004). Cette association prometteuse a déclenché un nombre d’études contrôlées de supplémentation qui ont récemment fait l'objet d'une revue (Makrides et Crowther,  2002). Les auteurs de la revue de Cochrane ont conclu qu’il n’y a pas à l’heure actuelle, suffisamment de preuves pour démontrer qu’un régime supplémenté en magnésium au cours de la grossesse peut être bénéfique. Il n’existe pas d’études de supplémentation en magnésium dans les pays en développement, là où la carence pourrait être plus importante.

Les apports quotidiens en folates dans les trois trimestres de grossesse de notre population étaient nettement inférieurs aux ANC. Nos résultats ont montré une corrélation positive et significative entre les apports en folates dans le 3ième trimestre de grossesse (r=0,19 ; p=0,004) et le PN. Rao et ses collègues (2001) ont démontré que l’augmentation du poids de naissance est liée à l’augmentation de la concentration en folates dans le sang maternel.  Ils ont ainsi pu conclure que la l’augmentation de la fréquence de consommation de légumes verts à feuilles mesurée pendant la 28ème semaine de gestation est associée à une augmentation du poids de naissance. Le poids à la naissance du nouveau-né augmente en moyenne de 141 grammes entre les femmes enceintes qui consomment des légumes à feuilles vertes moins d’une fois par semaine et celles qui en consomment un jour sur deux.

Les vitamines C et E constituent les deux principales substances antioxydantes de l’organisme, leur carence serait impliquée dans la genèse de la pré-éclampsie et du retard de croissance intra-utérin (Chappell et al, 1999; Rumbold et al, 2005). Certaines études ont montré la corrélation positive entre le statut maternel en ces deux vitamines et le poids de naissance (Lepercq et Boileau, 2005;Rumbold et al, 2005); cependant, ces études sont anciennes et de méthodologie différente. Enfin, dans une récente mise à jour de la base de données « Cochrane » (Lepercq et Boileau, 2005) aucune corrélation significative entre la supplémentation en ces vitamines et le poids fœtal n’a été démontrée. Nos résultats sont concordants avec ces suggestions.

Enfin, il faut souligner la difficulté des études sur le lien entre la nutrition maternelle et la croissance fœtale ; celle-ci dépend certes de l’alimentation maternelle mais aussi d’autres facteurs souvent intriqués (Lepercq et Boileau, 2005) tels que l’absorption intestinale, l’état endocrinien et métabolique, facteurs génétiques et environnementaux. Cependant, cette étude nous a permis de montrer que les apports en OE de notre population sont inférieurs aux ANC, cela est secondaire à un déséquilibre entre la quantité et la qualité des aliments consommés. Cette anomalie traduit certainement la transition épidémiologique et culturelle que connaît notre population caractérisée par un abandon d’un régime alimentaire méditerranéen basé sur les légumes et les céréales vers un régime plus énergétique mais moins riche en OE.

 

Conclusion 

L’impact de l’état nutritionnel et la richesse de l’apport alimentaire en micronutriments (vitamines et oligoéléments) de la mère pendant la grossesse mais aussi durant les semaines qui précèdent la conception, sur le développement et la croissance du fœtus, est à présent bien établi. Des données récentes suggèrent que la nutrition maternelle pourrait aussi jouer un rôle sur la santé du futur adulte. C’est dire l’importance pour la femme enceinte d’une alimentation optimale dès la période de procréation et tout au long de la grossesse.

 

Conflits d’intérêts : Aucun.

 

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