Susanne, C., 2003, L'enseignement de l'anthropologie : avant et après "Bologne". Antropo, 4, 45-52. www.didac.ehu.es/antropo


L'enseignement de l'anthropologie : avant et après "Bologne"

 

The teaching of anthropology: before and after "Bologna"

 

Charles Susanne

 

Vrije Universiteit Brussel, Anthropologie, Pleinlaan 2, 1050 Brussels, Belgium. E-mail: scharles@vub.ac.be

 

 

1. Biologie dans les universités de l'Union Europeenne (UE)

Depuis le Traité de Maastricht, l'UE est devenue responsable des programmes d'éducation au moins en termes de collaboration entre les Etats Membres (art. 126 éducation, 127 éducation professionnelle, 130 recherche). SOCRATES tente de répondre à cette évolution de l'UE en utilisant l'expérience passée des programmes ERASMUS.

L'anthropologie est le plus souvent enseignée au sein des études de biologie. Cette dernière est devenue transversale par l'intérêt international croissant relatif aux changements globaux de climat notamment, de dégradation des ressources naturelles, de réduction de la biodiversité, de pollution de l'eau et de l'air, des effets à long terme des déchets dangereux, de diminution de la couche d'ozone, ... La biologie est intimement liée aux solutions locales et/ou globales pour un environnement plus sain. D'autres sujets transnationaux liés à la biologie sont liés à la santé (cancers, maladies cardio-vasculaires, SIDA, vieillissement, ...), malnutrition et faim, surpopulation, biotechnologie, thérapie génique, ....

Les sciences biologiques universitaires doivent s'adapter si elles désirent maintenir leur importance traditionnelle au 21ième siècle ainsi que leur intérêt sociétal. La connaissance et le know-how des universités seront essentielles dans les nombreuses crises environnementales que nous devrons faire face.

- L'enseignement ne doit plus seulement être une source d'information mais une opportunité pour conduire les étudiants à apprendre par eux-mêmes.

- De nouveaux concepts doivent être intégrés au curriculum de la biologie bien que la biologie implique de garder une base scientifique large.

- De nouvelles découvertes impliquent une tendance de polarisation entre biologie moléculaire, écologie et biologie des organismes, bien que le biologiste doit appréhender l'ensemble de ces disciplines pour maîtriser sa recherche.

- La croissance du nombre de spécialisations est telle qu'aucune université aujourd'hui ne parvient à couvrir l'ensemble des disciplines biologiques, cela implique de développer des collaborations et de créer des réseaux, c'est une nécessité de plus en plus évidente.

D'autres problèmes sont d'origine industrielle, éthique, éducationnelle et même politique.

- Industrielle : de plus en plus de biologistes sont attirés par les concepts biotechnologiques et leurs implications financières.

- Ethique : les biologistes, qu'ils le veuillent ou non, sont impliqués dans des discussions bioéthiques, ils ont donc à expliquer les limites et/ou les dangers de certaines techniques.

- Politique : le public est de plus en plus conscient des détériorations de notre biosphère et des effets potentiellement catastrophiques de différents polluants et des changements globaux que l'environnement subit. Les biologistes ont la responsabilité de motiver et de formuler des politiques à long terme.

- Educationnelle : une culture biologique doit être développée au sein du public si l'on désire une compréhension des sous-jacents des discussions bioéthiques, des développements biotechnologiques, des problèmes écologiques ...

Un réseau européen de biologie, tel que proposé par Eurobio (www.vub.ac.be/gst/eurobio), aura donc différentes responsabilités (Susanne, 1995) :

- proposer des réunions transversales au sein de notre discipline, au-dessus ou entre les différentes sous-disciplines biologiques ;

- harmoniser les programmes européens ;

- proposer des collaborations, spécialement en termes de Master et de doctorat ;

- réglementer un doctorat européen ;

- promouvoir des post-graduats communs ;

- développer le système ECTS en biologie ;

- développer l'échange d'étudiants et de staff ;

- contribuer à l'éducation de la population et à l'éducation continue ;

- contribuer à créer du matériel pour un enseignement à distance.

 

 

2. Enseignement de la biologie et la place de l'anthropologie

L'enseignement de base de la biologie est, pour les premières années, plutôt similaire dans les différentes universités européennes. La variabilité est importante cependant en termes de poids accordé aux différentes méthodologies d'enseignement : théories, travaux pratiques, séminaires, travaux collectifs, groupes interactifs, travaux sur le terrain, travaux informatiques, mémoire ou thèse.

La formation de base implique des mathématiques (y compris de la statistique), de l'informatique, de la physique (y compris de la biophysique), de la chimie (spécialement de la chimie organique), de la biochimie, de la géologie (y compris de la paléontologie), éthique et/ou philosophie des sciences (responsabilités des biologistes dans les domaines (bio)technologiques et bioéthiques).

En biologie, les différents niveaux de vie doivent être abordés, incluant donc :

- la biologie cellulaire (ultrastructure des cellules et de leurs organites, division cellulaire, ...) ;

- la biologie des organismes (histologie, embryologie, croissance et développement, physiologie générale et comparative, ...) ;

- la systématique (analyse de la faune et de la flore, taxonomie et phylogénie) ;

- la génétique (matériel et code génétique, mutagenèse et cancérogenèse, modes d'hérédité, ...) ;

- la génétique de populations (évolution, sélection, migration, dérive génique, mutation, ...) ;

- l'écologie (biosphère, écosystème, surpopulation, ...) ;

- la biologie évolutive et l'anthropologie.

L'anthropologie doit avoir en effet une place dans cette formation de base car le but de l'anthropologie est d'étudier la variabilité et la biologie humaine, les relations entre Homme et milieu, et ceci au nom des droits de l'Homme à une meilleure santé.

L'idéologie génétique actuelle néglige trop souvent cette variabilité et sa valeur en soi, elle considère comme "déviants" ceux qui diffèrent d'un génome représentatif, abstraction que personne ne peut définir. Par définition, l'anthropologie aborde l'étude de la variabilité humaine et montre, par exemple, que la variabilité intra-populationnelle est plus grande que celle entre les populations.

Une éducation anthropologique est, aujourd'hui plus que jamais, nécessaire pour prévenir les malentendus et les manipulations : développement d'une culture humaniste, défense des droits de l'Homme les plus basiques, respect des principes démocratiques sont basés sur cette éducation. Dans une société consommatrice, non éduquée, non préparée à des modes de pensée critique, les règles du jeu ne seront déterminées que par les "dominants" en termes de richesse et de technologie. L'ensemble de cette formation de base (BSc) prendrait au moins trois ans et pourrait déjà avoir des buts professionnels.

 

 

3. Etudes approfondies (masters)

La croissance rapide des connaissances biologiques implique qu'au niveau "master" les programmes soient différenciés. Il devient, en effet, impossible de couvrir l'ensemble de la biologie à un niveau spécialisé. Cette phase prendrait deux ans et serait caractérisée par des spécialisations professionnelles et/ou de recherche. Elle sera donc diverse au sein des différentes universités de l'UE en raison des décisions pédagogiques prises par chaque institution mais aussi, avouons le, en raison de facteurs humains liés à la présence d'un nombre limité de professeurs et donc d'un nombre réduit de spécialités.

Les différences entre universités européennes résulteront donc en des différences importantes de curricula mais aussi en de nombreuses possibilités de :

- spécialisations ;

- préparations à une grande possibilité de professions ;

- préparations à des carrières ne nécessitant pas un doctorat ;

- préparations à des carrières nécessitant un doctorat.

Cette situation n'est pas désavantageuse puisqu'elle conduira à plus de complémentation de curricula et d'internationalisation.

Où se trouvera l'anthropologie dans ce système d'éducation ? Le sujet est encore en discussion et il nous faut donc rester attentif aux évolutions actuelles et aux nouveaux règlements qui nous sont imposés.

Comme anthropologistes, nous devons essayer :

- d'être présent dans l'enseignement de base (BSc), éventuellement pas en tant que cours d'anthropologie mais de biologie humaine, ou au sein d'autres cours tels que génétique, évolution, ... ;

- de développer au niveau Master une spécialisation, ou de nous y inclure (probablement qu'un Master en anthropologie en tant que tel sera difficile à réaliser car des conseils de l'UE parlent d'un staff spécialisé d'au moins 30 personnes pour un master, nous aurons donc à développer des collaborations pour des Master avec des titres plus larges ;

- de développer des écoles doctorales bien que, plus encore que pour le master, nous aurons à joindre nos forces puisqu'ici des staffs de 80 personnes devraient être présents.

Ceci est la raison pour laquelle nous avons développé des structures européennes qui devraient nous aider à un niveau local :

- Master européen en anthropologie

- Doctorat européen en biologie

Utilisez ces outils pour vous aider vous-mêmes! Ces outils "européens" doivent en effet montrer à vos autorités universitaires qu'avec le potentiel local de professeurs pouvant développer une spécialisation vous recherchez les synergies européennes, vous pouvez être aidés par des professeurs invités et de plus vos étudiants peuvent trouver d'autres laboratoires européens d'accueil. L'anthropologie pourra ainsi mieux se défendre au niveau européen, peut-être, mais certainement au niveau local de votre propre université.

Dans la déclaration commune des ministres européens de l'éducation rédigée à Bologne en juin 1999, affirmant le rôle central des universités à développer les dimensions culturelles européennes et stimulant la mobilité et l'emploi des citoyens, les objectifs suivants ont été considérés : adoption d'un système simple et comparable de diplômes basés sur deux cycles principaux, l'éducation de base de minimum 3 ans (BSc), le graduat menant au master (2 ans) et éventuellement un doctorat (3 ans).

La fig. 1 montre combien divergeant l'enseignement peut être en Europe, la situation tout aussi variable de l'anthropologie sera analysée au paragraphe "anthropologie en Europe".

 

 

BE

 

DE

 

SP

 

FR

 

UK

 

CZ

 

HU

 

Bo

logne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2

 

 

2

 

 

2

 

 

2

 

 

 

3

 

 

 

3

 

 

 

3

 

 

 

3

 

 

 

BEU6

 

 

 

 

 

 

2

 

 

3

 

 

3

Lic.

1

B.Sc

B.Sc

 

 

B.Sc

 

 

Maît.

1

M.Sc

1

 

 

2

 

 

2

 

 

2

 

1

or

2

Dipl.

Lic.

DEA

1

 

 

 

3

Mag.

 

 

M.Sc

 

 

2?

 

 

 

 

4/5

 

 

 

 

3/4

 

 

 

 

 

 

 

 

8

 

 

 

3

 

 

 

3

 

 

min.

3

PhD

 

 

PhD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PhD

 

 

 

PhD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PhD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PhD

 

 

 

 

 

Figure 1. Quelques examples de la situation actuelle de l'enseignement de la biologie en Europe, comparée avec la proposition de Bologne (3+2+3).

Figure 1. Some examples of the actual situation of the teaching of biology in Europe compared to the Bologna proposal (3+2+3).

 

4. Analyse critique des reglementatons de l'UE

Début des années 1980, industriels, OCDE, IMF (International Monetary Fund), Banque mondiale et UE "découvrent" de nouvelles ressources financières, celles des services publics, de la santé, de la sécurité sociale, des pensions, de l'enseignement, qui pourraient être reprises par le secteur privé. L'enseignement public devrait être remplacé par un enseignement privé qui serait monnayable. En effet, les industries privées sont intéressées par l'énorme budget de l'enseignement public. En France, par exemple, il représente 1/3 du total du commerce extérieur. Au niveau OECD, le budget annuel de l'enseignement représente 1200 milliards d'euros et 5 à 8% du PNB, il occupe 10 millions d'enseignants. Dans les mêmes pays, le secteur automobile, par exemple, représente 5 millions de travailleurs pour environ le même budget annuel.

L'ERT (Table Ronde Européenne des Industriels) considère l'éducation comme des investissements stratégiques vitaux et le secteur privé devrait influencer les programmes d'enseignement. Les étudiants deviennent clients et les cours des produits. Même l'UE dit "La réalisation de ces objectifs signifie des structures d'éducation conçues en fonction des besoins des clients ... résultant en une amélioration de la qualité des produits" (CE, 1991). Et, naturellement, le G7 "l'éducation doit être considérée comme un service à rendre au monde économique" (ERT, 1995). "La présence d'industriels dans les conseils d'administration devrait être envisagée". Et "les étudiants devraient payer une large part de leur éducation" (OECD, 1996).

"Bologne" est probablement aussi le résultat de cette manière de penser parce que Bologne signifie une diminution de la longueur moyenne des études permettant aux étudiants après un cycle court (3 ans) d'acquérir un diplôme à valeur directement professionnelle (N. Hirtt, 2001). Pour beaucoup d'étudiants, le premier cycle sera le seul. Suivant le livre blanc de la Commission Européenne, des études plus courtes devraient être encouragées, plus orientées au niveau pratique et avec plus d'adaptabilité (CE, 1993).

On demande à nos universités de suivre un nouveau système d'éducation avec :

- des liens plus étroits avec le monde industriel ;

- une sélection plus étroite des étudiants, des centres d'"excellence" ne peuvent survivre qu'avec moins d'étudiants ;

- une plus grande autonomie, des dimensions plus grandes mais une plus grande austérité financière.

Nous sommes loin du concept "chances égales pour tous" et "démocratisation des universités" des années 1955-1975 où les industries recherchaient un personnel plus nombreux et plus qualifié.

Depuis les années 1990, l'austérité est le seul leitmotiv. On suit aussi le mode de pensée de l'ERT "En aidant le système éducatif, nous perdons des finances nécessaires à notre économie". Ce que l'industrie demande n'est plus un enseignement "démocratique", c'est un nombre limité de personnel hautement spécialisé, largement mobile et flexible et un grand nombre de personnes peu qualifiées. Nous sommes confrontés à une bipolarisation de notre système d'enseignement (N. Hirtt, 1996).

La plupart de nos gouvernements, l'UE et l'OCDE suivent ces tendances et répondent aux voeux exprimés par l'ERT. Cela entraîne différentes conséquences:

1. l'austérité signifie de diminuer le nombre de personnel enseignant, dans la mesure où 80% du budget de l'enseignement est lié à ce personnel, et donc d'augmenter le rapport nombre d'étudiants/professeurs ;

2. la flexibilité signifie répondre aux voeux de l'industrie. "L'Europe autorise et même encourage les universités à continuer des études "intéressantes", mais sans relation avec le marché du travail, et sans espoir d'applications pratiques", "Il y a des gens que l'on forme pour des diplômes qui ne servent à rien!" (ERT, 1995) ;

3. la sélection signifie créer une hiérarchie : le leitmotiv au niveau universitaire est "mieux avec moins", l'ERT désire imposer un numerus clausus, et espère moins d'"intellectuels", c'est un arrêt de la démocratisation des études et des processus d'éducation basés sur la pensée autonome et critique ;

4. l'autonomie des universités est un pas important vers la privatisation. L'OCDE est cyniquement clair à ce niveau "Si on diminue les budgets, vous devez éviter une diminution de la quantité des services, même si la qualité diminue ... les familles ne réagiront pas à cette diminution de qualité, l'autonomie signifie que les universités diminueront individuellement et de leur propre initiative certaines activités" (C. Morrisson, 1996). La diminution de budget implique que les universités ont besoin de sponsors et de coopération avec l'industrie. L'autonomie augmente inévitablement la concurrence entre universités et aboutit à la privatisation (l'exemple des USA est clair à ce niveau) et à la marchandisation (USA : les droits d'entrée à l'université vont de 5000 à 250000$ et augmentent plus rapidement que le taux d'inflation). De plus, le risque existe que les conseils d'administration des universités deviendraient sous contrôle de groupes politiques voire de groupes extrémistes (comme des fondamentalistes religieux dans certaines universités américaines) qui imposeraient dès lors leur point de vue sur les programmes.

L'autonomie a donc plusieurs objectifs :

- réduire le budget et donner le contrôle de l'austérité aux universités ;

- diminuer la résistance du personnel enseignant ;

- amener à un développement différencié des institutions ;

- permettre une plus rapide adaptation aux voeux des industries.

5. la privatisation est accélérée par l'utilisation des technologies d'information et de communication qui forment un grand marché en effet (avec de grands congrès mondiaux de marché de l'éducation). "L'efficacité et la qualité de l'enseignement seront certainement favorisées si les institutions n'auraient pas un caractère d'administration publique mais seraient considérées et dirigées comme des entreprises" (Kredietbank, 1994). "Ce secteur résiste à la technologie, les coûts augmentent et il n'y a pas assez de compétition ... Pour toutes ces raisons, les entrepreneurs considèrent l'éducation comme un grand marché à conquérir" (CE, 1995a). L'enseignement informatisé est-il plus efficace ? Facilite-t-il l'accès à l'information ? Le système Internet offre aux étudiants beaucoup de documents, mais de qualité très hétérogène, où il est quasi impossible, sans une bonne connaissance du sujet, de faire la différence entre des faits et des opinions, des analyses et des jugements, une rigueur scientifique et des préjugés, de la vulgarisation et des développements de niveau universitaire. Nous n'avons ni connaissance ni évaluation de l'avantage de ces technologies (OECD, 1998). Par quel miracle l'étudiant incapable d'utiliser un simple livre deviendrait-il expert en utilisant une information aussi dense et se modifiant aussi rapidement. S'agit-il de placer les multimédia au service d'une modernisation pédagogique ? Ou de placer la modernisation pédagogique au service de l'industrie des multimédias ?

6. L'employabilité est opposée au concept de qualification (l'ensemble des connaissances et compétences reconnues et certifiées avec des garanties sociales). L'employabilité est essentiellement un catalogue flexible de compétences ("savoir-faire") et d'attitudes ("savoir être") où la connaissance est considérée comme secondaire. L'UE voudrait proposer une carte d'aptitudes, accumulant électroniquement des compétences. "Ce présent livre blanc suggère ... de reconnaître les compétences partielles par un système d'accréditation ... en dehors des institutions délivrant des diplômes ... Nous suggérons une agence non gouvernementale d'évaluation externe ... contribuant à la transparence du marché de régulation". La carte d'accréditation des aptitudes fonctionnera pour et sera contrôlée par le marché (CE, 1995b). "Les universités doivent donner priorité à leur présence sur le marché" (G. Hills, 1999) où l'enseignement et la recherche négligeraient tous les sujets ne résultant pas rapidement en des applications profitables. Et, en effet, beaucoup d'universités anglaises par exemple, même si le personnel reste largement payé par l'Etat, sont de plus en plus engagées dans une compétition de type commerciale et essaient de trouver des sources complémentaires de financement. Il faut produire plus, avec moins de personnel, et produire seulement ce qui est commercialisable (J. Wolfensohn, 1999). Cela signifie ouvrir les portes à des "offres d'éducation plus innovante" (OCDE, 1998) et déréguler l'enseignement de type public. Le moteur de cette politique est naturellement la diminution des crédits aux universités poussant les institutions à rechercher des offres commerciales. La banque mondiale (1995) est claire : "nous donnerons priorité aux Etats disposés à adopter un système légal pour les université ... où le secteur privé pourrait plus intervenir". Aussi le WTO (World Trade Organisation, 1988) travaille à promouvoir une privatisation et un marché de l'éducation, ainsi qu'un système de certification des compétences plus flexibles que les diplômes universitaires classiques.

Restons critiques comme les universités devraient l'être par définition!

L'employabilité signifie que certaines disciplines ne deviennent plus nécessaires (sciences biologiques, géographiques, histoire, philosophie, littérature ... et naturellement anthropologie). Nous devons continuer à défendre un bon niveau d'éducation pour la partie la plus large possible de la population, un enseignement pour comprendre le monde et la société et peut-être pour le transformer. Irréaliste ? Provocateur ?

Apprendre à apprendre! Quelle séduisante idée! En fait, une idée pédagogique universelle! Le problème est que l'industrie désire développer cette idée seulement pour des aptitudes, il ne s'agit pas ici d'études "futiles", de connaissances aidant à développer une richesse intellectuelle ou culturelle, de connaissance pour mieux comprendre le monde et la société (N. Hirtt, 2002).

La dérégulation des universités (et des écoles) est le voeux de l'UE ("le temps de l'éducation en dehors de l'école est venu"). Cela signifie autonomie des universités, études payantes, présence de l'industrie dans les conseils d'administration (CE, 1996).

Etrange autonomie! Une "libération" de la "bureaucratie" pour être soumis à une autorité plus forte, celle de l'industrie et du marché financier.

Etrange contradiction! "Société de la connaissance" et "apprendre tout au long de la vie" mais de plus en plus de voix demandant des études plus courtes avec moins d'orientations d'études.

 

 

5. Anthropologie en Europe

Le tableau 1 fournit les résultats d'un questionnaire où certaines universités européennes ont répondu à la question "suivez-vous la structure de Bologne (3+2+3) ou comptez-vous la suivre ?". La situation est très variable bien qu'une majorité d'universités suit déjà la structure 3+2+3, comme en Italie, ou la suivra bientôt. Cela signifie que nous devons être présents au niveau BSc et naturellement MSc. Le tableau 2 donne quelques exemples de titres de Master où les sciences anthropologiques sont présentes : une variabilité existe ici aussi soit que certaines spécialisations d'anthropologues présents dans ces universités apparaissent soit qu'une collaboration avec d'autres biologistes permet d'obtenir un nombre critique de professeurs.

Comme déjà mentionné, nos universités européennes ne peuvent atteindre le seuil critique pour organiser par leur seule force un Master en anthropologie (certains documents de l'UE parle d'un staff de 30 pour un Master et de 80 pour les doctorats).

En anthropologie, comme dans beaucoup de sciences et de plus sur un sujet considéré pour l'ERT comme "superflu", nous avons besoin de collaboration, nous devons joindre nos forces pour offrir à nos étudiants le meilleur enseignement possible et un choix d'orientation où ils peuvent se spécialiser pour leur master ou leur doctorat. Dans cet esprit de collaboration, le Master européen en anthropologie a été créé en 1993 dans le cadre d'un projet ERASMUS. Nous devrons peut-être adapter nos structures aux nouvelles tendances de "Bologne" mais le besoin de cette collaboration entre instituts d'anthropologie et le besoin de ce Master européen sera encore plus présent que par le passé.

 

 

A

 

probablement 3+2

BE

Brussel (VUB)

Bruxelles (ULB)

3+2+3 en septembre 2005

3+2+3 en septembre 2005

CZ

Praha

déjà appliqué (mais PhD=8 ans)

DE

Mainz

4+1+3

ES

Alcala

Madrid (UCM)

Madrid (UAM)

Barcelona

Bilbao

Oviedo

3+2+3 en septembre 2005

4+1 en 2006

3+2+2 (études avancées)

3+2+3 en septembre 2005

4+1 en 2006

décision avant 2010

FR

Toulouse

Poitiers

3+2+3 en septembre 2005

3+2+3 en septembre 2004

GR

Komotini

probablement 4+1(2)+au moins 3

HR

 

4+1 ou 3+2

HU

Budapest

les universités hongroises sont opposées au système car la proposition de changement serait liée à une diminution des finances universitaires

IE

 

3+2 ou 4+1

IT

Cagliari

Pisa

Firenze

Torino

Roma La Sapienza

déjà appliqué

déjà appliqué

déjà appliqué

déjà appliqué

déjà appliqué

PL

 

3+2+4

PT

Coimbra

en 2003-2004 licence en 4 ans, master en évolution humaine (2 semestres) et un master en études africaines (2 semestres)

SI

Ljubljana

probablement 4+1

UK

Cambridge

3+1+3

Tableau 1. Exemples de la situation de l'anthropologie par rapport aux nouvelles structures de Bologne (3+2+3)

Tableau 1. Examples of the situation of anthropology related to the (future) new structures of Bologna (3+2+3)

 

 

BE

Brussel (VUB)

Bruxelles (ULB)

dans un MSc biologie

dans un MSc biologie

FR

Toulouse

dans un MSc Sciences de la Santé

GR

Komotini

MSc ethnologie

IT

Firenze

Master en Anthropologie de la région Méditerranéenne

ES

Alcala

Barcelona

MSc (Evolution et diversité ou Biologie de santé ou Ecologie humaine)

MSc Biologie humaine

PT

Coimbra

Master en études africaines

SI

Ljubljana

Master en anthropologie en collaboration avec les sciences sociales

UK

Cambridge

MSC anthropologie biologique

Tableau 2 . Place de l'anthropologie au niveau du Master : quelques exemples

Tableau 2 . Anthropology at Master's level: some European examples

 

 

Literature

Banque Mondiale, 1995. Priorités et stratégies pour l'éducation.

CE, 1991. Mémorandum sur l'apprentissage ouvert et à distance dans la Communauté européenne. COM(91)388 Final.

CE, 1993. White paper on growth, competitiviness and employment. The challenges and ways forward into the 21st century.

CE, 1995a. Enseigner et apprendre. Vers la société cognitive. Livre blanc sur l'éducation et la formation.

CE, 1995b. Livre blanc sur l'éducation et la formation. Enseigner et apprendre, vers la société cognitive. COM(92)590 Final.

CE, 1996. Rapport du groupe de réflexion sur l'éducation et la formation. "Accomplir l'Europe par l'éducation et la formation". Résumé et recommandations.

ERT, 1995. Une éducation européenne. Vers une société qui apprend. Un rapport de la Table Ronde des Industriels Européens.

Hirtt N., 1996. L'école sacrifiée. EPO, Anvers, 295 p.

Hirtt N., 2001. L'école prostituée. L'offensive des entreprises sur l'enseignement. Ed. Labor, Bruxelles, 92 p.

Hirtt N., 2002. Les nouveaux maîtres de l'Ecole. L'enseignement européen sous la coupe des marchés. EPO, Anvers, 159 p.

Kredietbank, 1994. L'enseignement, un secteur en difficulté. Bull. Lebdom. Kredietbank n° 10-11.

Morrisson C., 1996. La faisabilité politique de l'ajustement. OCDE, Cahiers de politique économique n° 13.

OCDE, 1996. Internationalisation of higher education. OECD documents.

OCDE, 1998. Analyse des politiques éducatives.

Susanne C., 1995. Biology at European Union Universities. Past, present and future. In : Evaluation of biology in the European Union. Ed. C. Susanne, VUB University Press.

Wolfensohn J., 1999. A proposal for a comprehensive development framework. World Bank.

WTO, 1998. Education services. Background note by the secretariat, council for trade in services.