Litim, Z., Hamza Cherif, A., 2017. Le comportement matrimonial de la tribu d’ Ouled Nehar et ses effets sur la santé de la descendance. Antropo, 38, 47-58. www.didac.ehu.es/antropo


 

Le comportement matrimonial de la tribu d’ Ouled Nehar et ses effets sur la santé de la descendance

 

The marital behaviour of the Ouled Nehar tribe and its effects on the health of the descendant

 

Zakia Litim1,2, Ali Hamza Cherif2

 

1Centre National de Recherches Préhistoriques, Anthropologiques et Historiques (CNRPAH-station Tlemcen).

2Laboratoire Population et Développement Durable en Algérie, Faculté des Sciences Humaines et Sociales; Université Abou Bekrbelkaid, Tlemcen.Algérie.

 

Auteur chargé de la Correspondance: Zakia Litim, litim_cnrpah_cea@yahoo.fr

 

Mots clés: Endogamie ethnogéographique, Mariage consanguin, Maladies multifactorielles, Xeroderma pigmentosum, Polydactylie postaxiale,  Sidi Djilali, Algérie.

 

Keywords: Ethnicgeographical endogamy, Consanguineous marriage, Multifactorial diseases, Xeroderma pigmentosum, Postaxial polydactyly, Sidi Djilali, Algeria.

 

Résumé 

Le présent travail vise un double objectif:

- Saisir le comportement matrimonial dans le milieu tribal (Tribu d’Ouled Nehar). La question de l’endogamie ethno spatiale et familiale, dans cette tribu, sera au centre de ce primo objectif;

- Le second but assigné par ce papier consiste à évaluer les effets de la consanguinité sur la santé de la descendance de cette population rurale.

Pour ce faire nous avons mené une enquête de terrain sur un échantillon de  371 couples pris au hasard dans les polycliniques de Sidi Djilali et d’Al-abed. Les résultats de cette enquête menée en 2015, font état d’une endogamie ethno-spatiale extrêmement élevée, avec un déclin d’endogamie familiale et confirme l’augmentation de l’incidence d’affections morbides chez les consanguins. L’homozygotie importante engendrée par le niveau très élevé de la consanguinité est à l’origine de l’apparition  des maladies latentes dans cette population.

 

Abstract

The aim of this work is twofold:

- Seize marital behaviour in the tribal environment (Ouled Nehar tribe).The question of ethno-spatial and familial endogamy in this tribe will be at the center of this first objective;

- The second objective assigned by this paper is to evaluate the effects of inbreeding on the health of the descendant. of this rural population.

The analysis of a sample of 371couples collected in 2015, taken randomly in the polyclinics of Sidi Djilali and Al-abed, shows an extremely raised ethno-spatial endogamy, with a decline of family endogamy and confirms the increase of the incidence of morbid affections among blood relations. The homozygosity’s importance caused by the very high frequency of inbreeding is at the origin of the appearance of latent diseases in this population.


 

Introduction

Le  brassage des gènes est sous la dépendance de nombreux facteurs. Le comportement en est l’un des principaux pour l’espèce humaine. Sous le terme de comportement Chamla (1971) désigne les relations des individus les uns envers les autres, ou relations sociales tel que la tolérance ou l’hostilité, la concurrence ou  la collaboration l’organisation en familles ou en clans, les échanges matrimoniaux aboutissant à des degrés plus ou moins grands d’endogamie chez certaines population.

L’endogamie et l’exogamie, deux notions cruciales dans la théorie de Lévi-Strauss (1967) déterminent les catégories de parents avec lesquels l’alliance est autorisée ou interdite. La première est la règle consistant à se marier dans son groupe, par contre la deuxième règle obligeant à se marier à l’extérieur de son groupe. L’absence de règle pour le mariage est appelée l’agamie.

Toute  société est à la fois exogame et endogame. Les règles de mariage interdisent toujours un cercle de parents (règle exogamique). Mais elles refusent de reconnaitre la possibilité de mariage en  dehors d’un groupe défini par certains critères comme ethnie, les conditions sociales, la religion etc… donc les deux règles  ne sont jamais strictement respectées dans toute société (Susanne et Polet, 2005).

Il existe différents types d’endogamie: économique, professionnelle, religieuse, etc…..Pour cette raison le champ d’application de l’endogamie et de l’exogamie doit toujours être défini (Ghasarian, 1996). Le présent travail s’intéresse à l’étude de l’endogamie ethno spatiale et familiale.

L’endogamie familiale, est en effet, un cas particulier des liens matrimoniaux entre les conjoints, sa fréquence dépend de la taille de la population, de son degré d’isolement et de l’existence de pratiques socio-économiques et culturelles qui favorisent ou évitent un certain type d’unions (Valls, 1982; Calderón, 1983; Pineda et al, 1985; Khlat et al, 1989; Imaizumi, 1986). Le mariage est dit consanguin lorsque les conjoints ont un ou plusieurs ancêtres communs. L’union avec la cousine parallèle patrilatérale constitue la première forme d’endogamie familiale possible (Bou-Assy et al, 2003).

Le système des alliances dans le monde arabe et islamique dépend dans sa grande partie de son patrimoine culturel et traditionnel; pour cette raison le mariage interne est l’un des comportements matrimoniaux, ainsi motivés, qui caractérisent les populations arabo-musulmanes (Talbi et al, 2006).

Maintes études réalisées dans le monde arabe et islamique montrent que le mariage familiale est une particularité du système des alliances encore contractée en Jordanie, en Palestine, en Syrie, en Iraq, au Koweït, en Arabie saoudite, au Kurdistan, en Iran, en Pakistan, en Égypte, au Soudan, en Afrique du Nord et au Liban (Chelhod, 1965; Khlat, 1989; Lamdouar, 1994; Hussain et Bittles, 1998; Denic, 2003).

Les travaux de Chalbi (2009); Rao et Inbaraj, (1980); Tuncbilek et Ulusoy, (1989) et Bittles, A.H., (1994) montrent qu’en Inde, au Pakistan, en Asie du Sud Est, dans les pays du Moyen Orient et en Afrique du Nord..., les mariages consanguins sont beaucoup plus fréquents dans les régions rurales, traditionnelles car les traditions et les motivations d'ordre social, culturel et économique, ont le plus souvent orienté les candidats au mariage vers un choix matrimonial non seulement à l’intérieur du village mais souvent à l’intérieur de la même famille.

Il est connu que la consanguinité provoque un accroissement substantiel du nombre d’homozygotes pour des allèles sélectivement défavorables et une diminution de l’efficacité biologique des mariages consanguins en particulier et de la population en général.

Nombreuses sont les études qui se sont intéressées à l’étude des conséquences  du mariage consanguins dans le monde Arabe (Bénallègue et Kedji, 1984; Tadmouri, 2008), en revanche ces conséquences sur la santé de la descendance ne sont pas toujours les mêmes dans toutes les populations, car ils dépendent de plusieurs facteurs: la structure génétique, le degré de consanguinité et les facteurs environnementaux.

L’importance qu’apporte cette analyse, réside dans la particularité  de cette population : les conditions écologiques de cette région ont formé un véritable obstacle contre  l’ immigration  vers ce  village; par conséquent la population d’étude est très endogame (64,6%) (Litim, 2009). Les habitants de la daïra de Sidi Djilali dérivent  de la grande tribu arabe d’Ouled Nehar (Kaidari 1998, Boushma, 2008). Le parler dans cette région rurale est un mélange de l’arabe académique et du langage dialectal. (Litim et al., 2010).

Dans le but de comprendre l’interaction entre la diversité humaine et diversité culturelle en milieu rural en général et tribal en particulier, cette étude tente à décrire le comportement matrimonial des Ouled Nehar à travers l’étude de l’endogamie  ethno géographique et évaluation des effets biologiques de l’endogamie  familiale sur le profil de la santé de cette tribu qui exerce la consanguinité depuis plusieurs générations et d’une façon massive (Litim, 2009).

 

Matériels et Méthodes                                                                                 

Cadre géographique de la région d'étude 

La daïra de Sidi Djilali se situe au Sud-ouest de la ville de Tlemcen, elle est limitée au Nord  par  Sebdou et Beni-Snous, au Sud par la wilaya de Naâma, à l’Est par Laâricha, et à l’Ouest par le Maroc. Elle est située à une altitude de 1425 mètres, distante de 80 km de la ville de Tlemcen et  à 35 km de la daïra de Sebdou (Figure 1).

Cette daïra comprend 12 agglomérations répartis en deux communes: Sidi Djilali (le chef-lieu) et Bouihi, et des villages secondaires (Tinkial, Ain-Sefa, khellil, Al-abed,  Sidi abdellah, Ouled Abdesslam, Ouled Mehdi, Sidi Mekhfi, Magoura, Boughedou) (Litim, 2009).

Cette vaste plaine, est l’une des plus grandes daïra de la wilaya de Tlemcen, elle caractérisée par un climat froid en hiver, marqué par le gel et la neige, et sec en été. Les habitant des deux communes (Sidi Djilali et  Bouihi) au nombre de 15402, au dernier recensement de 2008, (APC de Sidi Djilali) sont des agriculteurs et des arboriculteurs, pour la plupart petits propriétaires exploitants  mais  surtouts salariés  ainsi que des éleveurs semi-nomades (Litim, 2009).

 

Echantillonnage et analyse statistique 

La présente étude a été réalisée par questionnaire préétabli auprès de 371 couples échantillonnés au hasard dans deux polycliniques: Sidi Djilali et Al-abed. Le premier lieu d’enquête se situe à la commune de Sidi Djilali, et le deuxième  à la commune de Bouihi, se choix a été fait dans le but  d’avoir un échantillon représentatif de l’ensemble des agglomérations qui constituent cette tribu.

Degré d’endogamie spatiale signifie le pourcentage des couples qui partagent le même lieu de résidence avant et après le mariage. Ce milieu de résidence dans notre étude représente toute la daïra de Sidi Djilali.

Degré d’endogamie ethnique est le pourcentage des couples dont les deux conjoints appartiennent à la même origine ethnique  qui est dans notre cas la tribu d’Ouled Nehar.

Degré d’endogamie familiale représente le taux des couples dont les deux conjoints ont au moins un ancêtre commun.

L’analyse des effets de consanguinité sur les maladies multifactorielle est réalisée par le test d’indépendance .

L’enquête sur l’histoire familiale des maladies génétiques été réalisée à l’aide d’un entretien directif, accompagner d’un suivi de la famille, depuis le début de  l’enquête jusqu’au décès des atteints (2015-2017). Les pédigrées étaient construit à partir d’informations verbales.

Figure 1. Carte de situation de la tribu d’Ouled Nehar. (PDAU, 2007)

Figure 1. Situation map of the Ouled Nehar tribe. (PDAU, 2007)

 

Résultats et  discussion 

Comportement matrimonial 

Endogamie spatiale

327 alliances ont été conclues à l’intérieur de Sidi Djilali contre 44 à l’extérieur (Figure2). La différence est statistiquement hautement significative donc l’échange matrimonial des Ouled Nehar avec les populations avoisinantes est remarquablement très faible ce qui nous laisse déduire que l’homogamie géographique constitue une des variables principales qui conditionnent la constitution des couples dans cette région et par conséquent le degré de l’endogamie spatiale est très élevée (Hami et al, 2006).

 

Figure 2. Taux d’endogamie géographique.

Figure 2. Rate of geographical endogamy.

 

Endogamie ethnique

Sur les  371 alliances conclues dans  la tribu, 337 concernent la même origine ethnique et que 34 une origine différente. La proportion par rapport à l’ensemble est de 90,9% dans le premier cas et de 9,1% dans le second cas (Figure 3). Ces données permettent de conclure  que le choix du conjoint dans cette population ne signifie pas un simple choix matrimonial mais  représente  une pratique ancestrale qui est devenue actuellement  une coutume qui fait partie de leur patrimoine par  laquelle  les Ouled Nehar préservent leur identité Arabe en consolidant la cohésion tribale.

 

Figure 3. Taux d’endogamie ethnique. (1) les deux conjoints appartiennent à l’origine d’ Ouled Nehar. (2) les femmes sont étrangères de cette tribu.

Figure 3. Rate of ethnic endogamy. (1) Both spouses belong to the origin of Ouled Nehar. (2) Women are foreign to this tribe.

 

Endogamie familiale

L’étude de la consanguinité représentée dans le tableau 1, montre que les unions entre apparentés représentent plus que moitié des mariages dans ce village, avec un taux de consanguinité estimé à 53,07%.

L’analyse a pu révéler que le mariage entre cousins du 1er degré est une forme préférentielle dans cette population dont 36,53% d’unions avec des cousins du 1er degré (C1) contre seulement 13,02% d’unions avec des cousins du 2eme degré (C2) et 3,52% cousins éloignés (Ce) (Figure 4).

 

Populations

Consanguinité (%)

Références

Tribu d’ Ouled Nehar

53,07

Présente étude

Tribu d’ Ouled Nehar

64.64

Litim,  2009

Tlemcen

34,00

Zaoui et Biémont,2002

Algérie

38.30

FOREM, 2007

Oran

18,50

,,

El Oued

22,50

,,

BordjBou Arréridj

27,00

,,

Alger

29,25

,,

Boumerdès

42,00

,,

Biskra

34,00

,,

Béjaïa

50,60

,,

nDefla

52,00

,,

Ghardaïa

56,00

,,

Tébessa

88,00

,,

Tableau 1. Comparaison nationale de taux (%) de consanguinité.

Table 1. National comparison of inbreeding rate (%).

 

Figure 4. Répartition de la consanguinité.

Figure4. Distribution of consanguinity.

 

On constate que la pratique du mariage consanguin dans ce village, bien qu’elle soit importante, a connu  ces dernières années, une baisse de 11,53% (Figure 5)  par rapport à 2007 (Litim, 2009). Ce déclin à faible rythme s’explique par les mutations sociales qu’a connu cette région engendrées par un accès plus fréquent à la scolarisation surtout féminine, favorisé lui-même par le développement récent des différents moyens de transport désenclavant ainsi la région. Cette diminution du degré d’isolement géographique ainsi que sociale des Ouled Nehar est en faveur de l’augmentation de la probabilité du choix exogame. Bien évidemment, on ne peut pas prétendre que c’est le seul facteur qui explique cette baisse, d’autres facteurs  en sont à l’origine comme par exemple l’influence des nouvelles technologies (internet) sur l’union, voire la désunion, des couples.

L’expansion de l’activité salariale au dépend de l’activité agricole et d’autres facteurs qui nécessitent des études poussées pour cerner les causes et les conséquences de cette transition du model matrimonial.

 

Figure 5. L’évolution de la consanguinité dans la tribu d’Ouled Nehar (*: Litim, 2009).

Figure 5. The evolution of consanguinity in the tribe of Ouled Nehar (*: Litim, 2009).


 

Les données  regroupées dans le tableau 1 montrent qu’à l’échelle nationale le taux d’endogamie familiale retrouvé dans cette tribu est comparable à celui retrouvé à Aïn Defla, et nettement inférieur à celui retrouvé dans la commune de Bir El Ater (88%), dans la wilaya de Tébessa qui reste la région la plus consanguine sur le territoire national. Par ailleurs il dépasse largement la moyenne algérienne (38,80%) et celui de Biskra (34%), de Annaba (32,5%), de Bordj Bou Arréridj (27%), d’Alger (29,25%), d’El Oued (22,5%) et d’Oran (18,5%) selon la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (FOREM, 2007).

Il est à conclure que notre population enregistre encore un taux très élevé de consanguinité, par lequel elle classe parmi les populations algériennes les plus consanguines.


 

Effets de la consanguinité sur la santé de la descendance 

Consanguinité et  maladies multifactorielles 

L’analyse des données illustrées dans la figure 6 montre que les maladies les plus répandues dans notre population sont respectivement: l’hypertension artérielle (20,48%), le diabète (18,86%), l’allergie respiratoire et asthme (7%) et la cardiopathie (6,20%).

 

Figure 6. Répartition de la morbidité dans la tribu d’Ouled Nehar.

Figure 6. Distribution of morbidity in the Ouled Nehar tribe

Les données recueillies sur les éventuelles relations entre la consanguinité et les maladies révèlent que pour toutes les affections, la descendance issue de mariage consanguin présente  une incidence de maladies très importante par rapport à la  descendance  non consanguine. Les données illustrées dans la figure 7 montrent que chez les hypertendus, les diabétiques, les patients cardiaques, les asthmatiques et ceux qui ont un problème rénal, 70% et plus des malades et parfois même plus sont des individus issus de mariage consanguin. Cette incidence va augmenter encore plus chez les consanguins souffrant d’une hypercholestérolémie pour atteindre 92% des malades.

Cependant l’étude statistique par le test d’indépendance  montre qu’il n’y a pas d’association significative entre les maladies analysées et ce type d’union. Toutefois, on ne peut nullement considérer cela comme étant une absence de liaison entre les deux variables. De notre point de vue cela s’explique par deux points:

- La fluctuation de l’échantillonnage, c'est-à-dire une erreur due à l’observation et non pas au test lui-même.

- Une deuxième raison peut être à l’origine de cette faible corrélation. Il s’agit notamment de l’impact d’une autre variable non observé sur l’intensité de la corrélation entre les maladies et le type d’union. C’est ce qui est communément appelé par les statisticiens par corrélation partielle.

L’exploration de l’impact de ces des deux points déborde largement les limites que nous nous sommes fixés dans  ce papier. Cependant, nous noterons qu’une investigation plus poussée sera d’un apport substantiel pour décoder l’impact de ce type d’unions.

 

Figure 7. Répartition de la morbidité en fonction du type d’union. Ind consanguin: individu issu de couple consanguin. Ind Non consanguin: individu issu de couple non consanguin. 

Figure 7. Distribution of morbidity according to the type of union.

 

Consanguinité et  maladies héréditaires 

L’enquête de terrain nous a permis de collecter un nombre indéniable d’affections sanitaires  chez la descendance consanguine  qui semblent être d’origine génétique (handicap moteur, 5 cas, retard mental, 21 cas, épilepsie, 13 cas, et autres….). En revanche par défaut de diagnostic génétique précis de ces patients, nous décrivons dans cette partie deux types d’anomalies dont le diagnostic médicale est confirmé. Le premier  cas concerne la polydactylie postaxiale de type B tandis que le second s’intéresse à l’étude  de Xérodermie pigmentosum (XP).

 

1er cas

La polydactylie est une malformation congénitale caractérisée par l'existence de doigts surnuméraires au niveau de la main ou d'orteils au niveau du pied (Orphanet, 2017)

Afin de comprendre le mode d’expression clinique de la polydactylie chez cette famille, nous avons  recueillis à l’aide d’un entretien directif  auprès de l’interrogée P1 (Figure 8) des données sur l’histoire familiale de cette anomalie héréditaire.

Il ressort de l’analyse  que l’absence de la polydactylie dans certaines générations et son réapparition dans d’autres confirme sa pénétrance incomplète qui est une des formes possibles de l'expressivité variable, correspondant à un génotype à risque où la maladie serait sans signes cliniques observables. Ce qui explique que la transmission semble alors sauter une génération. (Orphanet, 2017)

Par ailleurs, la polydactylie peut s'observer de manière isolée ou associée à certains problèmes sanitaires tel que la trisomie 13 (Lewandowski et Yunis,1977), dans notre cas le couple (P1,P2) présente aussi une stérilité, tandis que ces quelques données ne nous permettent pas d’associer  ce problème de reproduction à la polydactylie postaxiale de type B qui peut être causé par d’autres facteurs.

 

Figure 8. L’arbre généalogique de la première famille.

         Figure 8. The genealogical tree of the first family.

 

2ème cas

Xéroderma pigmentosum ou «parchment Skin» est une géno-dermatose rare, transmise sur le mode autosomique récessif plus fréquente en cas de consanguinité.

Les travaux de Bouadjar et al (1996) porté sur l’étude de 40  cas  algériens montre qu’une consanguinité au premier degré a été notée dans 95% des cas.

Les sujets atteints sont caractérisés par une extrême sensibilité au soleil et aux rayons ultra-violets, donc le malade XP doit mener une vie nocturne. Ce qui est remarquable chez les XP est la forte prédisposition aux cancers principalement cutanés.

Différentes anomalies génétiques de la réparation de l’ADN sont à l’origine du XP (Passarge, 2002). L’étude  de Chahdi et al, (2009) réalisée sur 723 XP marocain rapporte qu’environ 80% des malades sont déficients dans le système de réparation par excision-resynthèse des nucléotides de l’ADN.

L’XP reste relativement plus fréquent dans certains pays à taux de consanguinité élevée comme au pays du Maghreb et Moyen-Orient (Fazaa et al, 2001; Moussaid et al, 2004; Ben Rekaya et al, 2013).

La famille: Dans cette famille, la femme est la cousine parallèle matrilatérale du mari, au même temps son père est  le cousin croisé du mari. (Figure 9)

 Cette union double consanguine a engendré après 2 avortements précoces 8 enfants: trois n’ont pas dépassé l’âge infantile; parmi les cinq qui ont atteints l’âge adulte, trois souffraient de la maladie rare Xeroderma pigmentosum. 

Les parents de ces malades, confirment que le déclanchement de cette maladie incurable ce fait avant que l’enfant atteint l’âge d’un an, et à partir de là apparaissent les premiers signes cliniques, qui sont essentiellement un dessèchement de la peau au niveau du visage et des mains suivie par l’apparition de pigmentation qui s’accentuent avec le temps, ensuite une atteinte oculaire.

Il est à signaler, que dans le pédigrée de la famille parmi  les individus  cliniquement sains, il y a certainement des porteurs de la maladie à l’état hétérozygote, que le diagnostic génétique peut les dévoiler.

Dans certains cas l’XP peut être associée avec des troubles neurologiques, Cependant dans les trois cas les patients (XP1, XP2, XP3)  ne  présentaient aucun trouble neurologique.

Les modifications cutanées observées pour les trois cas se limitent aux zones exposées aux UV (visage, cou et mains). La négligence des conseils de photoprotection  et l'absence de prise en charge spécialisée ont abouti au développement de tumeurs cutanées sur le visage pour chez les patients XP1 et XP2. Les types tumoraux (cutanés) d’après la littérature sont  les mêmes que ceux qui surviennent chez les sujets sains après une exposition aux UV prolongée (Passarge, 2002). Tandis que le cas XP3 qui présentait une forte pigmentation faciale sans tumeur a développé avant son décès (2017) un cancer interne de type gastrique.

Le suivi de cette famille depuis le début de l’enquête jusqu’aux décès des atteints,  nous a permis de remarquer qu’en plus que le manque d’une prise en charge spécialisée, l’état psychologique  (stress dû à la peur de l’évolution de la maladie, angoisse, manque d’appétit….) représente chez les XP un facteur indéniable qui joue un rôle important  dans l’aggravation de la maladie et semble être à l’origine de son évolution rapide notamment à la période d’adolescence ce qui explique peut-être la courte espérance de vie chez les XP.

 

Figure 9. L’arbre généalogique de la deuxième famille.

          Figure 9. The genealogical tree of the second family.

 

Conclusion 

Le comportement matrimonial chez les Ouled Nehar ne fait pas l’exception des populations tribales. Leur système de parenté les oriente  souvent vers un mariage de proximité (Ben Hounet, 2009). L’endogamie ethno spatiale pouvaient leurs permettre de  renforcer la cohésion tribale et conforte  chez  eux le sentiment d’appartenance communautaire, résultats concordent avec ceux de Hami et al (2006).

La distribution des trois formes d’endogamie à l’intérieur de cette tribu est très homogène, ce qui reflète une relation étroite entre les trois types.

Le mariage consanguin et principalement celui du 1er degré, représente pour eux la  meilleure forme d’alliance ("mariage idéal"). Actuellement il préserve chez eux beaucoup plus l’honneur familial que d’éviter la dispersion de l’héritage; l’endogamie  dans ce village est surtout  associée à une certaine idée de pureté (sang- pur) (Deliège, 2004).

La population d’étude  enregistre  encore un taux très élevé de consanguinité, qui l’arrange  avec les populations arabes les plus consanguines, entre autres l’Arabie Saoudite (58%) (El-Hazmi et al, 1995), au Koweït (54%) (Al-Awadi et al, 1985), en Jordanie (51%) (Khoury et Massad, 1992), en Emirats Arabes Unies (50.5%) (Al-Gazali et al, 1997).

Bien que cette pratique reste  très contractée dans cette population, elle a connu ces dernières années un déclin, qui dévoile un changement léger dans le régime matrimonial. Ce dernier peut être  probablement lié à l’amélioration des conditions de vie et aux changements culturels dus aux progrès technologiques. Nos résultats concordent avec ceux de Talbi et al (2006) sur l’étroite liaison  entre l’évolution de ce type d’union et  l’évolution du statut culturel et socioprofessionnel.

En ce qui concerne l’impact de la consanguinité sur la santé de la descendance nos résultats montrent que le mariage endogame augmente remarquablement la prévalence des maladies chez les individus consanguins tandis que l’absence d’effet significatif de la consanguinité sur les anomalies multifactorielles étudiées, si c’est n’est pas dû à l’échantillonnage, nous laisse penser à l’idée de Reynes (1968) qu’ à long terme, les populations endogames  comme celle d’Ouled Nehar deviendraient moins sensibles à la consanguinité, grâce à l’élimination  par sélection des gènes délétères du pool génétique (Khlat,1989). En revanche la présence des maladies génétiques issus de la consanguinité confirme que ce type d’union demeure à l’origine des maladies latentes qui font partie du fardeau génétique de la population (Jaber et al, 1992; Modell et Darr, 2002; Mokhtar et al,1998; Overall et Nichols, 2001).

Une partie de la variabilité humaine  s’explique par des causes extérieures dues à l’influence du milieu, notamment le milieu culturel qui exerce sur l’Homme une pression sélective (Chamla, 1971)  telle que la pression sélective des pratiques socioculturelles des Ouled Nehar sur leur choix du conjoint qui pèse parfois lourd sur la santé de la descendance; d’où la nécessité de l’augmentation du degré de cognition des risques de ce phénomène par la forte sensibilisation.

 

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