Coulibaly, S.K.,Thera, T., D’Almeida, A.C.M., Traoré, M.,  Soulaymani, A., Maiga, A.I., 2016. Toxicovigilance dans le service de gynécologie-obstétrique du Centre Hospitalier Universitaire de Point G, Bamako, Mali. Antropo, 36, 77-83. www.didac.ehu.es/antropo


 

Toxicovigilance dans le service de gynécologie-obstétrique du Centre Hospitalier Universitaire de Point G, Bamako, Mali

 

Toxicovigilance in the obstetrics and gynecology department of University Hospital Point G, Bamako, Mali

 

Sanou Khô Coulibaly1,2, Tiounkani Thera1,3, Ayih Ceti Masse D’Almeida4, Mamadou Traoré3, Abdelmajid Soulaymani2, Ababacar Ibrahim Maiga4

 

1 Faculté de Médecine et d’Odontostomatologie, Université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako, Mali

2 Laboratoire de Génétique et Biométrie, Faculté des Sciences, Université Ibn Tofail, Kénitra, Maroc

3 Service de gynécologie-obstétrique, Centre Hospitalier Universitaire Point-G, Bamako, Mali

4 Faculté de Pharmacie, Université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako, Mali

 

Auteur correspondant: Sanou  Khô Coulibaly,  Faculté  de  Médecine  et  d’Odontostomatologie,  BP 1805, Université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako, Mali. Email: sanoucoul@yahoo.fr 

 

Mots clés: Toxicovigilance, Médicaments, Femme enceinte, Mali.

 

Keywords: Toxicovigilance, Drugs, Pregnant women’s, Mali.

 

Résumé

En vue d’étudier le risque de toxicité liée aux prescriptions médicamenteuses, une étude prospective descriptive et transversale a été faite, auprès des femmes enceintes (FE) reçus pour consultation prénatale (CPN) et des prescripteurs assermentés. Elle s’est déroulée sur une période de 06 mois (02 Février - 31 Juillet 2015) dans le service de gynécologie obstétrique du Centre Hospitalier Universitaire de Point G, Bamako. Les données ont été saisies sur le tableur Excel qui a servi aussi à effectuer les figures et les tableaux. L’analyse statistique a été effectuée sur SPSS.10. La méthode OMS d’imputabilité applicable en pharmacovigilance a été adoptée. Durant cette étude, 332 FE ont été incluses avec une moyenne d’âge de 27 ± 6. La plupart d’entre elle avait un niveau scolaire souhaitable (59% des cas), dans 64% des cas, c’étaient des multipares et dans 90%, mariées (χ2= 47,01; P < 0,05). Le nombre moyen de prescription était de 4±1 médicaments par ordonnance avec 5 ± 2 contre-indications médicamenteuses. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) qui peuvent entrainer une fermeture prématurée du canal artériel au cours du 2ème trimestre de la grossesse, ont été prescrits dans 5% des cas. Dans 11%, les médicaments ont été prescrits sans motif en rapport avec les cas d’avortement spontané (26%) et d’interaction médicamenteuse (9%) à corrélation statistiquement significative (χ2 = -0,302, P = 0,04). Les évenements indésirables étaient notés dans 26% des cas dont 24% peu probablement liés aux médicaments, selon la méthode OMS d’imputabilité.

 

Summary

In order to study the toxicity risk associated with drug prescriptions, a descriptive and prospective cross-sectional study was conducted, for pregnant women received for antenatal care and prescribers. It took place over a period of six months (February 2 to July 31, 2015) in obstetric gynecology department of the University Hospital Point G, Bamako. The data were entered into an Excel spreadsheet that was also used to make the figures and tables. Statistical analysis was performed on SPSS.10. The accountability method for the WHO pharmacovigilance was adopted. During this study, 332 pregnant women’s were included with a mean age of 27 ± 6. Most of it was a desirable school level (59%) in 64% of cases, they were multiparous and 90% married (χ2= 47.01, P <0.05). The average number of prescription was 4 ± 1 per prescription medications with 5 ± 2 against drug-indications. No-steroidal anti-inflammatory drugs which may cause premature closure of ductus arteriosus during the 2nd trimester of pregnancy were prescribed in 5% of cases. In 11%, the drugs were prescribed without cause in connection with cases of spontaneous abortion (26%) and drug interaction (9%) with statistically significant correlation (χ2 = -0.302, P = 0.04). Adverse events were recorded proven in 26% of cases and 24% somewhat likely related to drugs, according to the WHO method of accountability.

 

Introduction

Au Mali comme dans d’autres pays, des études réalisées ont montré un nombre élevé de médicaments prescrits au cours de la grossesse. Souvent les médecins et sages-femmes sont dépourvus d’informations pertinentes et suffisantes en matière de prescription de médicaments pendant la grossesse. L'évaluation des risques liés pendant cette période, se heurte à l'absence presque complète d'essais cliniques et à l'insuffisance des données épidémiologiques (Lacroix et al., 2007).

Les drames du Thalidomide et du Distilbène, largement utilisés pendant la décennie 1970-80, se sont révélés tératogènes sur plusieurs générations pour le fœtus. Elles ont ainsi servi de jurisprudences et ont remis en cause la notion de barrière fœto-placentaire. Le placenta qui assure les principaux échanges physiologiques entre la mère et le fœtus permet également le passage de la plupart des médicaments administrés à la mère. La quantité de médicaments atteignant le fœtus dépend de leurs caractéristiques physico-chimiques, des paramètres pharmacocinétiques, de la durée de prise et des facteurs placentaires variables en fonction du terme de la grossesse. Parmi les médicaments consommés par les femmes enceintes fort est de constater ceux prescrits par les professionnels de santé et les cas d’automédication. Les choix thérapeutiques et la prévision d’une toxicité potentielle des molécules doivent tenir compte de ces facteurs (Haute Autorité Sanitaire, 2005; Jacqz, 1988; Rongier, 2013).

L’objectif de ce travail est d'explorer le risque de toxicité des médicaments à travers une étude sur la prescription médicamenteuse chez les FE dans le service de gynécologie du Centre Hospitalier-Universitaire (CHU) de Point G. Ceci devrait permettre, de proposer un début de solution pour l’utilisation plus rationnelle et plus sécurisée de ces produits à l’endroit de cette couche plus vulnérable au Mali.

 

Patients et Méthodes

Il s’agit d’étude prospective descriptive et transversale auprès des FE reçus pour consultation prénatale et des prescripteurs assermentés, sur une période de 06 mois (02 Février au 31 Juillet 2015) dans le service de gynécologie obstétricale du Centre Hospitalier Universitaire Point G, Bamako.

Les données ont été saisies sur le tableur Excel qui a servi à effectuer les figures et tableaux. L’analyse statistique a été effectuée sur le Logiciel SPSS.10. Le lien entre deux variables qualitatives a été étudié par le test χ2 de Pearson.

La méthode OMS d’imputabilité applicable en pharmacovigilance a été adoptée en utilisant certains documents montrant les résumés sur les caractéristiques du produit (RCP), les interactions et les contre-indications médicamenteuses (Martindale, 2014; Vital-Durand et Le Jeune, 2015; Vidal, 2012).

 

Résultats

Durant cette étude, 332 FE ont été incluses avec une moyenne d’âge de 27 ± 6 ans. Le tableau 1 récapitule quelques paramètres épidémiologiques des FE au cours des CPN.

 

Femmes enceintes

Effectifs (%)

Niveau scolaire

Non scolarisée

119 (36%)

Primaire

18 (5%)

Secondaire

103 (31%)

Supérieur

92 (28%)

Parité

Primipare

119 (36%)

Multipare

213 (64%)

Terme de grossesse

(trimestre)

1

58 (17%)

2

148 (45%)

3

126 (38%)

Avortement spontané

(nombre de fois)

Néant

257 (77,4%)

1

51 (15,3%)

2

21 (6,3%)

3 et plus

3 (1%)

Tableau 1. Paramètres épidémiologiques des F.E au cours des CPN.

Table 1. epidemiological parameters of pregnant women in antenatal clinics.

 

Les femmes non scolarisées ont été legèrement plus répresentée (36% des cas). Néanmoins, la plupart d’entre elle avait un niveau (secondaire et superieur) souhaitable, 59% des cas. Les multipares (64% des cas) et les FE au 2ème trimestre (45% des cas) étaient les plus nombreuses. Il a été noté 75 cas d’avortement spontané (soit 23%). Le tableau 2 montre le statut matrimonial et professionnel des gestantes lors des CPN.

 

Statut professionnel

Statut matrimonial

Total

Mariées

Célibataires

Fonctionnaires

58

4

62

Commerçantes

25

0

25

Elèves

32

17

49

Etudiantes

42

3

45

Ménagères

132

5

137

Autres

11

3

14

Total

300

32

332

Tableau 2. Répartition des F.E en fonction de leur situation matrimoniale et professionnelle.

Table 2. Distribution of pregnant women according to their marital and professional.

 

Ces FE étaient mariées dans 300 cas (soit 90%) et ménagères dans 41% (soit 137 cas) avec une liaison statistique significative (χ2 = 47,01; P < 0,05; ddl: 5). Le tableau 3 montre le nombre de prescription médicamenteuse (en classes thérapeutiques) en fonction du terme de grossesse chez les FE, lors des CPN.

Le nombre moyen de prescription était de 4 ± 1 par ordonnance avec 5 ± 2 contre-indications médicamenteuses. Certains médicaments tels les vitamines et compléments alimentaires, les antifongiques et antibiotiques, ont été prescrits à des proportions presque identiques (20%). Les AINS ont été prescrits dans 5% des cas au cours du 2ème trimestre de la grossesse.

Les médicaments étaient prescrits sans motifs valables dans 11% des cas. Le figure 1 montre la distribution des événements indésirables et de l’avortement spontané en fonction des médicaments sans motif de prescription.

Selon le résultat, 86 cas d’avortement spontané et 30 cas d’interaction médicamenteuse (avec une corrélation de Pearson, χ2 = -0,302, P = 0,04 statistiquement significative)  et 13 cas d’événements indésirables de types troubles gastriques (diarrhée et constipation, nausée, vomissement, douleurs, contractures et crampes abdominales) ont été notés en rapport aux médicaments sans motif de leur prescription.

 

 

Terme de grossesse

 

Classes thérapeutiques

T1

T2

T3

Effectif (%)

AINS

0

44

89

133 (8%)

Antipaludéens

45

25

61

131 (8%)

V.C.A.

63

144

131

338 (20%)

Antiacides

41

44

73

158 (9%)

Antibiotiques

58

145

126

325 (19,5%)

Antifongiques

58

141

126

329 (20%)

Vasculoprotecteurs

36

142

81

259 (15,5%)

Total

301

685

687

1673

Tableau 3. Répartition des classes thérapeutiques prescrites aux F.E en fonction du terme de grossesse, lors des CPN. T1, T2, T3: 1er 2èm, 3èm Trimestre; AINS: Anti-inflammatoires non stéroïdiens; V.C.A.: Vitamines et Compléments Alimentaires.

Table 3. Distribution of therapeutic classes prescribed to pregnant women according to the term of pregnancy during antenatal consultations.

 

Figure 1. Répartition des événements indésirables et d’avortement spontané en fonction des médicaments sans motif de prescription

Figure 1. Distribution of adverse event and spontaneous miscarriage according to drugs without prescription motif

 

Selon la méthode OMS, la figure 2 montre l'imputabilité des évenements indésirables médicamenteuses. Les évenements indésirables avérées (troubles gastriques) étaient notés dans 86 cas (soit 26%). La plupart d’entre eux, 24% étaient peu probablement liés aux médicaments.

 

Figure 2. Méthode OMS d’imputabilité des évenements indésirables médicamenteuses (troubles gastriques)

Figure 2. Method WHO of imputability adverse drug events (stomach upset)

 

La figure 3 montre les plaintes obstétricales chez les FE sous traitement au moment de l’enquête. Selon le résultat, la plupart  (105 cas) des FE sous traiement se plaignaient de leucorrhée.

La figure 4 répresente les antécédants pathologiques des FE. 61% des FE soufraient d’autres pathologies (sinusites, coliques néphretiques, colopathie fonctionnelle…).

La figure 5 montre la qualité des prescripteurs chez les FE. Les prescripteurs étaient connues dans 78% des cas.

 

Figure 3. Plaintes obstétricales chez les FE sous traitement au moment de l’enquête.

Figure 3. Obstetrical complaints of pregnant women taking drugs at the moment of investigation

 

Figure 4. Répartition des antécédants pathologiques des FE.

Figure 4. Distribution of disease histories of pregnant.

 

Figure 5. Qualité des prescripteurs chez les FE.

Figure 5. Qualification medical prescribers for pregnant women.

 

Discussion 

Au cours de cette étude, il a été recencé 332 FE lors des CPN avec une moyenne d’âge de 27 ± 6 ans. La plupart d’entre elle et selon d’autres études, avait un niveau scolaire souhaitable (59% des cas); les multipares (64%) et celle venue au 2ème trimestre (45%) étaient majoritaire et à 90%, mariées (P < 0,05) (Goïta, 2006; Lancry, 1997; Vial et Jonville-Bera, 2012).

 Selon nos résultats, comme dans d’autres études, le nombre moyen de prescription était de 4 ± 1 médicaments par ordonnance avec 5 ± 2 contre-indications médicamenteuses. Les AINS qui peuvent entrainer une fermeture prématurée du canal artériel (donc fortement contre-indiqués) au cours du 2ème trimestre de la grossesse, ont été prescrit dans 5% des cas. Il en est de même pour les antibiotiques (3,5% au 1er trimestre) sans mesurer le bénéfice-risque et dont certains pourraient être fœtotoxiques ou tératogènes. Toute fois, à cause des effets sympathiques et des infections assez fréquentes, les vitamines et compléments alimentaires, les antifongiques étaient largement prescrits (Beyens et al., 2003; Cretinon et Malek, 2012; Gremmo et al., 2003; Lacroix et al., 2007).

Certains médicaments ont été prescrits sans motif (11% des cas) en rapport avec les cas d’avortement spontané (26%) et d’interaction médicamenteuse (9%) à corrélation statistiquement significative, P<10-3, N = 0,04.

Les évenements indésirables étaient notés dans 26% des cas (dont 24% peu probablement liés aux médicaments et 2% possibles) selon la méthode OMS d’imputabilité en pharmacovigilance (Centre Anti Poison et de Pharmacovigilance, Centre National de Pharmacovigilance de Rabat, Maroc, 2012).

Les plaintes obstétricales chez ces FE sous traitement au moment de l’enquête étaient de 105 cas. La plupart de ces femmes (61%) soufraient d’autres pathologies (sinusites, coliques néphretiques, douleurs otéo-articulaires…) pouvant expliquer la fréquence des prescriptions AINS, antipaludéens, antiacides. Ces données s’approchent légèrement à celles de Lacroix et al., (2007) et Damase et al., (2000).

Les prescripteurs étaient identifiables dans 78% des cas (44% médecins et 34% sages femmes) à travers les ordonnances. Cet état de fait met en evidence une inattention lors de prescription des médicaments (Beyens et al., 2003).

 

Conclusions

 Plus le nombre de prescription augmente, plus les interactions et les effets indésirables ne seront pas négligéables. Afin de bien mesurer le bénéfice/risque et de diminuer le nombre de consommation des médicaments chez les FE, une vigilance phamaco-toxicologique des prescripteurs serait nécessaire.

 

Conflit d’intérêt: Aucun

 

Références

Beyens, N., Guy, C., Ratrema, M., et Ollagnier, M., 2003, Prescription médicamenteuse pendant la grossesse en France: étude HIMAGE. Thérapie, 56 : 505-11.

Centre Anti Poison et de Pharmacovigilance, Centre National de Pharmacovigilance de Rabat, Maroc., 2012, Le manuel des bonnes pratiques de pharmacovigilance. Méthode OMS d’imputabilité, p.31-2.

Cretinon, S., et Malek, S., 2012, Les maux de la grossesse : actualités. Dossier  thématique remis par le Collège National des Sages Femmes (CNSF), p.5-10.

Damase, MC., Lapayre, MC., Moly, C., Fournie A., et Monstastruc, JL., 2000, Consommation de médicaments pendant la grossesse : enquête auprès de 250 femmes en consultation dans un Centre Hospitalier Universitaire. Journal de gynécologie obstétrique et biologie de la reproduction, 29 : 77-85.

Goïta, N., 2006, Evaluation de la qualité des consultations prénatales au service de gynécologie – obstétrique du Centre de Santé de Référence de la Commune V du district de Bamako. Thèse de médecine, M210. p.102.

Gremmo, FG., Dobrzynski, M., et Collet, M., 2003, Allaitement maternel et médicaments. Journal de  gynécologie obstétrique et biologie de la reproduction, 32: 466-75.

Haute Autorité Sanitaire (HAS)., 2005, Comment mieux informer les femmes enceintes? Recommandation par les professionnels de santé. Paris, HAS, p.134.

Jacqz, AE., 1988, Transfert placentaire des médicaments et risques fœtaux. Médecine thérapeutique, 4(9) : 1-15.

Lacroix, I., Damase, MC., et Hurault, C., 2007, Prescription de médicaments pendant la grossesse: étude à partir d’une nouvelle base de donnée française EFEMERIS. Centre Midi-Pyrénées de Pharmacovigilance, de Pharmaco-épidémiologie et d’Information sur le Médicament, 37 allées Jules Guesde, 31000 Toulouse.

Lancry, PJ., 1997, Âge, temps et normes: une analyse de la prescription pharmaceutique. Économie & prévision, 129 : 3-4.

Martindale, W. 2014. The complete drug Reference 38th ed. London:  Pharmaceutical Press.

Rongier, E. 2013. Prévalence de la consommation médicamenteuse (médicaments prescrits et automédication) chez la femme enceinte en fonction du trimestre de grossesse: étude de faisabilité. Ph.D. Thesis, Université de Clermont I.

Vial, T., et Jonville-Bera, AP., 2012, Médicaments et grossesse: prescrire et évaluer les risques. Issy-Les-Moulineaux: Elsevier Masson, p.1-20.

Vidal 2012. Le dictionnaire. 88ème édition. Paris: Vidal

Vital-Durand, D., Le Jeune, C., 2015. Dorosz Guide pratique des médicaments. 34e édition. Paris: Maloine.