Abbad, Z.,
Oukarroum, A., Drissi, A., Abdelmajid, S., Khadmaoui, A., 2016. Etude génétique
de l’endogamie spatiale et son impact sur l’immobilité sociale dans la région
de Tiflet (Maroc). Antropo, 36, 47-55. www.didac.ehu.es/antropo
Etude génétique de l’endogamie spatiale et son impact sur
l’immobilité sociale dans la région de Tiflet (Maroc)
Genetic study of the spatial endogamy and its
impact on the social immobility in Tiflet’s region (Morocco)
Z. Abbad2, A. Oukarroum1,
A. Drissi2, S. Abdelmajid2, A. Khadmaoui2
1 Département de Chimie et Biochimie, Université de Québec à Montréal, C.P. 8888, Succ. Centre-Ville, Montréal, Québec, H3C 3P8 Canada. Email.
2 Laboratoire de Génétique et Biométrie, Département de Biologie, Faculté des Sciences, Université Ibn Tofail, B.P. 133, Kénitra 14000, Maroc. E-mail: abbad.zhour@courrier.uqam.ca
Mots clés: Choix du conjoint, endogamie spatiale,
population fermée, Tiflet, Maroc.
Keywords: Choice of spouse, spatial
endogamy, closed population, Tiflet, Morocco.
Résumé
Dans une population donnée, l’ampleur et l’évolution de l’endogamie et de l’exogamie sont de bons indicateurs de la répartition, la structure et l’hétérogénéité du patrimoine génétique. Elles sont comptées parmi les facteurs assurant l’immobilité sociale et, par conséquent, l’isolement génétique de différents regroupements. L’objectif principal, donc, de notre étude est de déterminer le taux d’endogamie géographique dans la région de Tiflet (Nord-Ouest du Maroc). Pour bien élucider la situation sociale de cette pratique, une enquête prospective a été réalisée sur 1000 couples échantillonnés au hasard entre juin et novembre de l’année 2012. En effet, à partir des données de l’enquête, le choix du conjoint est traité selon l’origine géographique (lieu de naissance) et le lieu de résidence avant et après le mariage des deux conjoints chez la génération des couples étudiés et la génération de leurs parents. Les résultats obtenus ont révélé des niveaux élevés d’endogamie spatiale et d’immobilité sociale. Comparés avec d’autres résultats obtenus dans différentes régions marocaines, nos résultats témoignent que la population de Tiflet est une population fermée.
Abstract
In a given population, the magnitude and evolution of endogamy and exogamy
are good indicators of the distribution, structure and genetic heterogeneity.
They are counted among the factors ensuring social immobility and,
consequently, the isolation of different genetic combinations. The main
objective, therefore, of our study is to determine the rate of geographical
endogamy in Tiflet’s region (northwestern Morocco). To elucidate the social situation of
this practice, a prospective study was conducted on 1000 pairs randomly sampled
between June and November of 2012. Indeed, based on the survey data, the choice
of spouse is treated by geographical origin (place of birth) and locality of
residence before and after marriage both partners in the generation of the
studied couples and their parents' generation. The results revealed high levels
of spatial and social immobility endogamy. Compared with other results from
different Moroccan regions, our results show that the population of Tiflet is a
closed population.
Introduction
Le mariage est à la fois une institution sociale qui consiste à stabiliser les intérêts collectifs, établir des alliances entre groupes familiaux et un comportement individuel qui exprime dans sa variabilité les différents critères gérant le choix du conjoint (Girard, 1964). Sensible aux mouvements sociaux, le mariage constitue un bon indicateur de l'étude de l'évolution des attitudes matrimoniales. Cette institution reste la base qui décide la plupart des redistributions des gènes entre les individus au fil des générations (Talbi et al., 2008).
La notion de choix dans
la recherche d'un conjoint est une notion récente.
Mais dans de nombreuses sociétés,
aujourd'hui comme hier, le choix du conjoint demeure encore moins libre que
nous ne l'imaginons compte tenu de la modernisation (Ben M’rad et
Chalbi, 2004). En effet, la nature du
choix du conjoint détermine la structure génétique,
socio-culturelle voire économique de la société. Le
choix peut se faire au hasard (modèle de panmixie, deux tirages indépendants
dans la population) ou bien endogame. Dans ce dernier comportement matrimonial,
considéré
comme un facteur d’immobilité sociale
par de nombreux auteurs (Ben M’rad et Chalbi, 2004), l’individu
choisit son conjoint préférentiellement dans sa propre catégorie (religion, nationalité,
région, classe sociale, profession, etc..., à la
limite dans sa propre famille). L'intensité de
l'endogamie dépend de la parenté, de l'éloignement
géographique ou de la stratification sociale (Lathrop et Pison, 1982).
Le phénomène de l'endogamie a des conséquences directes sur la répartition, la structure et l'hétérogénéité du flux génétique d'une population. Ces conséquences peuvent toutefois varier considérablement en fonction de l'étendue et de la durée du phénomène (Ben M’rad et Chalbi, 2006).
Notre enquête sur la population de la ville de Tiflet a pour objectif de déterminer les critères géographiques, culturels et socio-professionnels qui régissent le choix du conjoint, d’une part, et, d’autre part, l’évolution intergénérationnelle de l’endogamie spatiale et culturelle dans le but d’avoir une image complète sur l’ouverture ou la fermeture de notre population.
Matériels et méthodes
Enquête
Une enquête prospective a été réalisée sur 1000 couples échantillonnés au hasard entre juin et novembre de l’année 2012 dans la ville de Tiflet, sise au Nord-ouest du Maroc. L’enquête a été menée à l’aide d’un questionnaire établi par le laboratoire de Génétique et Biométrie de la Faculté des Sciences de Kénitra. Les données recueillies concernent le lieu d’origine (lieu de naissance), le lieu de résidence avant et après le mariage des couples étudiés, de leurs propres parents et de leurs beaux-pères. Dans cette étude, sont concernés les mariages contractés entre 1920 et 2011 chez les deux générations.
Méthodes de calcul et d’analyses
Dans cette étude, nous avons eu recours au calcul des paramètres suivants :
-
Le taux d’endogamie spatiale: [Nombre de couples
endogames / Nombre total des couples] x100
-
Les taux d’immobilité avant le mariage: [Nombre de conjoints
qui ont résidé dans
leur lieu de naissance jusqu’au mariage/Nombre
total des conjoints] x100.
-
Le taux d’immobilité après le mariage:
[Nombre de conjoints qui n’ont pas changé leur lieu de naissance (résidence) après le mariage/ Nombre total des conjoints]
x100.
Les données recueillies ont fait l’objet d’une analyse statistique approfondie lors de laquelle nous avons fait appel au test de corrélation.
Résultats
Endogamie
spatiale selon le lieu (région) de naissance et de résidence des conjoints
Chez les couples étudiés, l’âge des maris, au moment de
l’enquête, varie entre un minimum de 20 ans et un maximum de 95 ans, avec un
moyen d’âge de 50 ans, alors que, chez les femmes, l’âge s’étend entre 18 ans
et 80 ans avec un moyen d’âge de 42 ans (figure 1A).
D’après les résultats illustrés dans la figure 1B, nous
constatons que, dans la génération des couples étudiés, les femmes se marient
plus tôt que les hommes. En effet, létendu de l’âge au mariage des femmes varie
entre 13 ans et 50 ans et leur âge moyen au mariage est de 20 ans, tandis que,
chez les hommes, l’intervalle d’âge au mariage oscille entre 16 ans et 58 ans
et leur âge moyen s’élève jusqu’à 28 ans.
Ces résultats
concernant l’âge des couples étudiés montrent une corrélation positive hautement
significative entre les âges des maris et ceux de leurs femmes. En effet, plus
l’âge des maris est élevé plus celui de leurs femmes l’est aussi soit au moment
de l’enquête (r= 0,926. p<0,05) (figure 1A) ou au moment du mariage (r =
0,445, p˂0,005) (figure 1B).
Par ailleurs, les
conjoints ont en moyenne un écart d’âge de 8 ans au profit des maris. Cette
différence d’âge est acceptée et considérée comme naturelle dans la société
marocaine majoritairement musulmane. Le
mariage précoce est aussi un facteur appuyant cette différence d’âge, car 56%
des femmes se sont mariées à un âge moins de 20 ans (Figure1B), ce résultat est
supérieur à celui déclaré dans une étude récente réalisée sur la population du
littoral (Msirda) située dans l’extrême ouest Algérien par Mortad (2013), qui a
trouvé que 17,81% des femmes enquêtées ont un âge inférieur à 18 ans au moment
du mariage
Les résultats de
notre étude montrent une analogie avec ceux d’une étude réalisée sur une
population de 291 couples ayant contracté des mariages entre 1940 et 1984 et
appartenant à différentes régions du Maroc (Talbi et al, 2006). En effet, l’écart d’âge entre les conjoints relevé
lors de cette étude (9 ans) est presque similaire à celui trouvé dans notre
population (8 ans). De même, la moyenne d’âge des maris est plus élevée par
rapport à celle des femmes, c’est le cas dans notre population. Cependant, dans
cette population précitée, la moyenne d’âge, au moment de l’enquête, chez les
maris et chez les femmes (55,88 ans et 46,31 ans respectivement) est plus
élevée que celle trouvée dans la nôtre (49,74 ans pour les maris et 41,64 ans
pour les femmes). Ceci pourrait témoigner d’une certaine évolution de la
conception culturelle du comportement matrimonial due à l’ouverture de la
population sur les autres cultures sous pression du progrès technologique.
Une population est
qualifiée ouverte ou fermée selon que le choix du conjoint s’effectue
préférentiellement à l’intérieur (endogamie) ou à l’extérieur du groupe
(exogamie) (Prost et Boëtsch, 2001).
Figure 1A. Corrélation entre l’âge, au moment de l’enquête, des maris et celui des femmes.
Figure
1A.
Correlation of ages, at the time of the survey, between husbands and wives.
Figure 1B. Répartition des couples étudiés selon l’âge au mariage.
Figure1B. Distribution of
couples studied by age at marriage.
|
|
Taux d’endogamie |
Taux d’immobilité |
||||||
Lieu de naissance |
Lieu de résidence avant mariage |
Maris |
Femmes |
||||||
Population |
N |
% |
ddl |
% |
ddl |
% |
ddl |
% |
ddl |
Total |
3000 |
95,4 |
100 |
94,7 |
110 |
84,9 |
110 |
87,33 |
100 |
GCE |
1000 |
96,2 |
100 |
96,68 |
110 |
92,7 |
110 |
94,4 |
100 |
GGP |
2000 |
95,1 |
100 |
93,85 |
100 |
84,4 |
100 |
83,8 |
100 |
GPM |
1000 |
99,6 |
100 |
94,48 |
100 |
89,5 |
100 |
89,2 |
100 |
GPF |
1000 |
90,7 |
100 |
93,67 |
100 |
79,3 |
100 |
78,4 |
100 |
Tableau 1. Taux de l’endogamie régionale et d’immobilité.
GCE : génération des couples étudiés; GPF: génération des
parents des femmes; GPM: génération des parents des maris; GGP: génération des
grands parents.
Table 1. Rate of
regional endogamy and immobility.
L’analyse des données concernant l’endogamie régionale et l’immobilité spatiale montre une différence hautement significative (p<0,05) entre la distribution des mariages endogamiques et la distribution des mariages panmictiques. En effet, dans notre population totale formée de 3000 couples (couples étudiés et leurs parents), le taux d’endogamie atteint 95,4% selon le lieu de naissance et 94,7% selon le lieu de résidence avant le mariage. De même, le taux d’immobilité dans cette population est de l’ordre de 87,3% chez les femmes et 84,9% chez les maris.
Tenant compte des générations, le taux d’endogamie, selon le lieu de naissance, chez les couples étudiés atteint 96,2%, ce taux est légèrement supérieur à celui de la génération des parents (95,1%) (Génération des parents des maris 99,6% et génération des parents des femmes 90,7%). Selon le lieu de résidence avant le mariage, le taux d’endogamie chez les couples étudiés s’élève à 96,68% et il est supérieur à celui de la génération des parents (93,85%) (Génération des parents des maris 94,67% et génération des parents des femmes 93,67% (tableau 1).
Ces données révèlent que le taux d’endogamie selon le lieu de naissance a augmenté légèrement en passant de la génération des parents à la génération des couples étudiés. De même, le taux d’endogamie selon le lieu de résidence avant mariage a connu une augmentation marquée. Ces résultats confirment ceux trouvés dans l’évolution chronologique du taux d’endogamie sur trois périodes dans la population totale. En effet, selon le lieu de résidence avant mariage, le taux d’endogamie a augmenté dans les trois périodes établies entre 1920 et 2011, à savoir [1920-1959], [1960-1979] et [1980-2011]. Cependant, le taux d’endogamie, selon lieu de naissance, a connu une fluctuation en allant d’une période à l’autre (tableau 2). Généralement, nos résultats concernant l’évolution de l’endogamie au cours du temps ne s’accordent pas à ceux déclarés par Talbi et al., 2006.
Quant au taux d’immobilité individuelle
avant mariage, les résultats obtenus montrent que ce taux est plus élevé dans
la génération des couples étudiés par
rapport à celui dans la génération des parents. En effet, chez les couples étudiés,
ce taux représente 94,4% chez les femmes et 92,7% chez les maris, alors que chez la
génération des parents, le taux d’immobilité individuelle
n’est que 83,8% chez les femmes et 84,4% chez les hommes.
Taux d’endogamie selon |
||
Période |
Lieu de naissance |
Lieu de résidence avant le mariage |
1920-1959 |
97.67 |
93.69 |
1960-1979 |
92.83 |
95.17 |
1980-2011 |
95.75 |
95.29 |
Tableau
2. Evolution du taux d’endogamie
régionale de la population au cours du temps.
Table 2. Evolution of
the regional endogamy rate of the population during the time.
En tenant compte des régions, les résultats du tableau 3 montrent que le taux d’endogamie, selon le lieu de naissance, diffère d’une région à l’autre. En effet, il varie entre un minimum de 23,81% dans la région de Grand-Casa et un maximum de 98,39% dans la région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaer. En outre, si on tient compte du lieu de résidence avant mariage, nous constatons que le taux d’endogamie fluctue entre un minimum de 42,11% dans la région de Grand-Casa et un maximum de 100% dans les régions Doukkala-abda et Guelmim-Es-Semara.
Ces résultats sont en harmonie avec ceux trouvés par Talbi et al., 2006, qui rapporte que la région de Grand Casablanca est supposée être la région très ouverte parmi les autres régions du Maroc.
Région |
Endogamie selon le lieu de naissance(%) |
Endogamie selon le lieu de résidence(%) |
1 |
46,15 |
60,00 |
2 |
98,11 |
87,27 |
4 |
76,47 |
75,00 |
5 |
69,05 |
90,91 |
6 |
98,39 |
96,78 |
7 |
92,92 |
95,94 |
8 |
23,81 |
42,11 |
9 |
63,64 |
71,74 |
11 |
55,00 |
100,00 |
13 |
92,72 |
100,00 |
14 |
84,72 |
95,52 |
Tableau
3. Taux d’endogamie régionale.
Régions: 1:Tanger—Tétouan; 2:
Taza-Hoceima-Taounate; 4: Gharb-Chrarda-Beni-Hassen; 5: Fes-Boulmane; 6: Rabat-Salé-Zemmour-Zaer;
7: Meknès-Tafilalet; 8: Grand-Casablanca; 9: Chaouia-Ouerdigha; 11:
Souss-Massa-Daraâ; 13: Doukkalaabda; 14: Guelmim-Es-Semara
Table 3. Rate of regional endogamy.
|
|
Taux d’immobilité post-matrimonial |
|||||||
Lieu de naissance |
Lieu de résidence |
||||||||
Maris |
Femmes |
Maris |
Femmes |
||||||
Population |
N |
% |
ddl |
% |
ddl |
% |
ddl |
% |
ddl |
Total |
3000 |
86.63 |
110 |
86,63 |
110 |
83,93 |
121 |
82,57 |
110 |
GCE |
1000 |
87,00 |
- |
85,80 |
- |
90,90 |
- |
90,00 |
- |
GGP |
2000 |
86,45 |
110 |
87,15 |
110 |
80,45 |
110 |
78,85 |
110 |
GPM |
1000 |
96,50 |
100 |
96,20 |
100 |
87,30 |
100 |
86,40 |
100 |
GPF |
1000 |
76,40 |
110 |
78,10 |
110 |
73,60 |
110 |
71,30 |
110 |
Tableau 4.Taux d’immobilité post-matrimoniale.
Régions: 1:Tanger—Tétouan; 2: Taza-Hoceima-Taounate;
4: Gharb-Chrarda-Beni-Hassen; 5:
Fes-Boulmane; 6: Rabat-Salé-Zemmour-Zaer; 7: Meknès-Tafilalet; 8:
Grand-Casablanca; 9: Chaouia-Ouerdigha; 11: Souss-Massa-Daraâ; 13:
Doukkalaabda; 14: Guelmim-Es-Semara
Table 4. Rate of
post-matrimonial immobility.
La distribution de
l’immobilité post-matrimoniale montre une différence très hautement
significative (p<0,05) par rapport à la distribution théorique sur les deux
générations et pour les deux conjoints. En effet, l’analyse du taux
d’immobilité post-matrimoniale, dans la population totale, révèle que ce taux
est presque le même chez les femmes comme chez les maris, et ce, par rapport au
lieu de naissance comme par rapport au lieu de résidence. En effet, le taux
d’immobilité est de 83% selon le lieu de résidence et de 86% selon le lieu de
naissance chez les deux sexes.
Par ailleurs, selon le
lieu de résidence, le taux d’immobilité post-matrimoniale chez les couples
étudiés (90%) est plus élevé par rapport à celui chez la génération des parents
(86,45% chez les maris et 87,15% chez les femmes). Cependant, selon le lieu de
naissance, le taux d’immobilité post-mariage est presque le même dans les deux
générations (tableau 4).
L’endogamie
spatiale selon le milieu de naissance et de résidence des conjoints dans un environnement
rural ou urbain
La distribution des deux types du mariage endogame et de l’immobilité individuelle selon le milieu présente une différence très hautement significative (p<0,05) par rapport à la distribution théorique, et ce, pour les deux générations. En effet, d’après les résultats concernant l’endogamie selon le milieu d’appartenance (rural ou urbain), nous observons que le taux d’endogamie selon ce critère est plus élevé chez la génération des parents (98%) que chez la génération des couples étudiés (92%) quel que soit le milieu, milieu de naissance ou milieu de résidence. En revanche, le taux d’immobilité chez la génération des parents (97% chez les deux sexes) est légèrement élevé par rapport à celui chez les couples étudiés (95,30% chez les maris et 96,45% chez les femmes) (tableau 5).
La distribution de l’immobilité post-matrimoniale (selon le milieu) présente une différence très hautement significative (p<0,05) par rapport à la distribution théorique sur les deux générations et pour les deux conjoints. En effet, tenant compte de l’immobilité post-matrimonial selon le milieu d’appartenance (rural ou urbain), les résultats de notre enquête montrent que, chez les couples étudiés, un individu sur deux a changé, après le mariage, leur milieu de naissance et/ou leur milieu de résidence. Par contre, chez la génération des parents, ce n’est que un individu sur cinq a changé leur milieu d’appartenance. Par ailleurs, le taux d’immobilité post-matrimoniale, chez les individus de la population totale, reste élevé et dépasse 70%, et ce, selon de lieu de naissance comme le lieu de résidence (tableau 6).
|
Taux d’endogamie |
Taux d’immobilité |
|||||||
Lieu de naissance |
Lieu de résidence |
Maris |
Femmes |
||||||
avant mariage |
|||||||||
Population |
N |
% |
ddl |
% |
ddl |
% |
ddl |
% |
ddl |
Total |
3000 |
96,67 |
9 |
96,30 |
9 |
97,03 |
9 |
97,00 |
9 |
GCE |
1000 |
92,30 |
9 |
91,60 |
9 |
95,30 |
9 |
96,10 |
9 |
GGP |
2000 |
98,85 |
9 |
98,70 |
9 |
97,90 |
9 |
97,45 |
9 |
GPM |
1000 |
98,10 |
9 |
99,50 |
9 |
97,40 |
9 |
98,40 |
9 |
GPF |
1000 |
99,70 |
9 |
97,90 |
9 |
98,40 |
9 |
96,50 |
9 |
Tableau
5. Taux d'endogamie et d'immobilité
fonction de l'environnement.
GCE: génération des couples étudiés; GPF: génération des
parents des femmes; GPM: génération des
parents des maris; GGP: génération des grands parents
Table
5. Rate of endogamy and immobility
according to the environment.
|
|
Taux d’endogamie |
Taux d’immobilité |
||||||
|
|
|
|
Lieu de résidence |
|
|
|
|
|
|
|
Lieu de naissance |
avant mariage |
Maris |
Femmes |
||||
Population |
N |
% |
ddl |
% |
ddl |
% |
ddl |
% |
ddl |
Total |
3000 |
71,03 |
9 |
72,73 |
9 |
72,8 |
9 |
74,57 |
9 |
GCE |
1000 |
50,2 |
3 |
54,6 |
3 |
53,9 |
3 |
57,6 |
3 |
GGP |
2000 |
81,45 |
9 |
81,8 |
9 |
82,25 |
9 |
83,05 |
9 |
GPM |
1000 |
82,4 |
9 |
82,9 |
9 |
75,8 |
9 |
84,3 |
9 |
GPF |
1000 |
80,5 |
9 |
80,7 |
9 |
79,7 |
9 |
81,8 |
9 |
Tableau 6. Taux d’immobilité post-matrimoniale en fonction de
l'environnement (Urbain/Rural).
Table 6. Rate of
post-matrimonial immobility according to the environment.
Discussion
Les mots endogamie et exogamie ont été inventés par Mac Lennan en 1866, pour désigner les règles matrimoniales selon lesquelles les unions ne peuvent être établies qu’entre personnes appartenant à un même groupe ou, au contraire, entre personnes appartenant à des groupes différents (Descamps 1927). Une population est qualifiée d’ouverte ou fermée selon que le choix du conjoint s’effectue préférentiellement à l’intérieur (endogamie) ou à l’extérieur du groupe (exogamie) (Prost et Boëtsh, 2001).
L’endogamie constitue une pratique bénéfique pour les parents et la collectivité, et une forme d’entraide entre les familles. Elle renforce les liens interfamiliaux et intrafamiliaux d’un même groupe en contribuant de façon déterminante à créer un groupe intégré et de limiter sa tendance au fractionnement (Bou-Assy et al. 2003).
Dans la population de Tiflet, nous avons étudié l’intervention de l’endogamie spatiale dans le choix du futur conjoint ou de la future conjointe. Ce critère est traité dans deux volets du point de vue régional et environnemental (milieu rural ou urbain).
L’analyse des pratiques endogamiques dans la région révèlent que le taux de l’endogamie régionale reste très élevé dans la génération des couples étudiés comme dans la génération des parents. De plus, ce taux d’endogamie a augmenté légèrement chez la génération des couples étudiés selon le lieu de naissance, tandis qu’il a connu une hausse marquée selon le lieu de résidence. Ces résultats ne rejoignent pas ceux trouvés par Hami et al (2006) qui a trouvé, dans la population de la région de Gharb-Chrarda-Beni Hssen (Maroc), un taux de 70,48% de l'endogamie dans la génération des couples étudiés, tandis que dans la génération des parents du mari et ceux des parents de la femme, elle a déclaré respectivement 92,31% et 85,85%.
Le taux d’endogamie régionale déclaré par Talbi et al. en 2006 dans la population marocaine est similaire à celui trouvé dans notre population selon le lieu de résidence, Par contre, il est inférieur au nôtre selon le lieu de naissance.
Quant au taux d’immobilité individuelle
selon les régions, il a augmenté dans la génération
des couples étudiés, ce qui confirme, d’une part, l’évolution
de l’endogamie
selon le lieu de naissance et le lieu de résidence
en allant de la génération des parents à la
génération des couples étudiés et, d’autre part, l’évolution
chronologique du taux de l’endogamie entre 1920 et 2011.
A l’instar du taux d’endogamie, le taux d’immobilité dans la
génération des couples étudiés de
notre population est supérieur à
celui dans la génération
des parents.
Talbi et al., (2006) a déclaré que le pourcentage d’immobilité dans la population marocaine a diminué en passant de la génération des parents à la génération des couples étudiés.
Nos résultats semblent amener à dire que la génération des couples étudiés est plus stable que celle de leurs parents, ceci pourrait être attribué au fait que la ville de Tiflet a connu dans les dernières décennies une croissance économique et un développement social très marqués, facteurs qui ont participé à cette stabilité.
L’immobilité post-matrimoniale selon les régions, dans la population totale, reste la même chez les individus des deux sexes selon le lieu de résidence comme selon le lieu de naissance. Toutefois, dans la génération des couples étudiés, on remarque que, comparé à celui de la génération des parents, le taux d’immobilité post-matrimoniale selon le lieu de résidence est très élevé, ceci témoigne et confirme que la résidence est un critère plus probable que le lieu de naissance, même constatation a été faite par Talbi et al. (2006).
Ces résultats révèlent que nous sommes devant une population caractérisée par une grande stabilité spatiale. Cette stabilité s’explique, d’une part, par le fait que la majorité des couples, dans les deux générations, n’ont pas changé ni la région de leur lieu de naissance ni celle de leur lieu de résidence avant le mariage voire après le mariage, et, d’autre part, par le fait que la génération des couples étudiés qui ont conservé et renforcé le mariage endogame. En effet, le choix du conjoint est encore régi par plusieurs facteurs géographiques, culturels et socio-professionnels. Par ailleurs, de nombreux auteurs considèrent l’endogamie géographique comme un facteur renforçant l’immobilité sociale et, par conséquent, l’isolement génétique des différentes populations (Segalen et Jacquard, 1973; Reddy, 1984; Kucher et al. 1999; Ben Arab et al. 2004; Manfredini, 2005). Dans les familles dites traditionnelles, sous l'ancien régime, le choix est lié aux biens, à la dot, au nom, et même à la propriété de la terre (Ben M’rad et Chalbi, 2004).
Le taux d’endogamie selon le lieu d’appartenance (rural ou urbain) comme le taux d’immobilité individuelle restent élevés et dépassent 90% chez les deux générations même s’ils ont connu une diminution en passant de la génération des parents à la génération des couples étudiés.
D’ailleurs, plus de 80% des individus de la génération des parents et plus de 50% de ceux de la génération des couples étudiés n’ont pas changé leur milieu d’appartenance après mariage. Ces pourcentages très élevés des femmes et des hommes qui conservent leur milieu d’appartenance après le mariage prouve leur attachement à leur lieu de naissance et/ou de résidence. Ces résultats tendent à confirmer ceux déclarés par Talbi et al. 2006 dans la population marocaine.
Conclusion
Au terme de notre étude, il s’avère que l’endogamie géographique, régionale ou environnementale, est un facteur déterminant dans le choix du conjoint, et un point de renforcement de l’immobilité sociale et, par conséquent, l’isolement génétique de la population.
Références
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