Coulibaly, S.K., Dicko, H., Camara, B., Diallo, B., Doumbia, D., Soulaymani, A., Maiga, A.I., Coulibaly, Y., 2015. Intoxications aiguës aux pesticides: Expérience du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Point G, Bamako, Mali. Antropo, 34, 69-72. www.didac.ehu.es/antropo


 

Intoxications aiguës aux pesticides: Expérience du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Point G, Bamako, Mali

 

Acute pesticide poisoning: Experience at University Hospital Center Point G, Bamako, Mali

 

Sanou Khô Coulibaly1, 2, *, Hammadoun Dicko3, Broulaye Camara3, Boubacar Diallo3, Djénéba Doumbia1, 3, Abdelmajid Soulaymani2, Ababacar Ibrahim Maiga4, Youssouf Coulibaly1, 3

 

1 Faculté de Médecine et d’Odontostomatologie, Université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako, Mali

2 Laboratoire de génétique & Biométrie, Faculté des Sciences, Université Ibn Tofaïl, Kénitra, Maroc

3 Service des urgences, d’anesthésie et de Réanimation polyvalente, Centre Hospitalier Universitaire de Point G, Bamako, Mali

4 Faculté de Pharmacie, Université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako, Mali

 

*Auteur correspondant: Sanou Khô Coulibaly, Faculté de Médecine et d’Odontostomatologie, BP 1805, Université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako, Mali.

Email: sanoucoul@yahoo.fr

 

Mots-clés: Intoxications, pesticides, grossesse.

 

Key words: poisoning, pesticides, pregnancy.

 

Résumé 

Les pesticides organophosphorés sont des produits organiques de synthèse, essentiellement utilisés comme insecticides. Ils sont parfois gravissimes voire mortels pour l’homme. Nous nous proposons de décrire les caractéristiques cliniques, paracliniques et évolutives d’un cas d’intoxication aiguë aux pesticides chez une femme enceinte de 18 ans, admis en Octobre 2014, au CHU de Point G, Bamako. Selon notre observation, le tableau clinique était marqué par trois syndromes (témoin d’une inhibition classique des cholinestérases) coexistant chez cette patiente: le syndrome muscarinique, le syndrome nicotinique et le syndrome encéphalique. Compte tenu de non disponibilité de laboratoire pour certains dosages (pseudo-cholinestérase sérique et cholinestérase globulaire) le diagnostic a été retenu sur la base anamnestique montrant le syndrome cholinergique cliniquement évocateur. Les paramètres biologiques et gazométriques demandés n’ont pas retardé le traitement précoce, qui selon la littérature serait le seule moyen d’un succès thérapeutique dans un délai minimum. Selon le Poisoning Severity Score, c’était un cas d’intoxication de gravité modéré, sans retentissement fœtale et dont, l’évolution normale de la grossesse. La durée d’hospitalisation maximale était de 11 jours.

 

Abstract 

Acute poisonings with organophosphate pesticides on pregnancy: about a case Organophosphate pesticides are organic synthesis, mainly used as insecticides. They are sometimes very serious or even fatal to humans. We propose to describe the clinical, paraclinical and scalable from a case of acute pesticide poisoning in a pregnant woman of 18, admitted in October 2014 at the University Hospital of Point G, Bamako. According to our observation, the clinical picture was marked by three syndromes (control of conventional cholinesterase inhibition) coexisting in this patient: muscarinic syndrome, nicotinic syndrome and brain syndrome. Given non-availability of certain laboratory assays (serum pseudocholinesterase and red blood cell cholinesterase) diagnosis was retained on the basis anamnestic showing clinically evocative cholinergic syndrome. The biological parameters and gasometric requested did not delay early treatment, which according to the literature would be the only means of treatment success with minimum delay. According Poisoning Severity Score, this was a case of moderate severity of intoxication, without fetal repercussions of which, the normal development of the pregnancy. The maximum duration of hospital stay was 11 days.

 

Introduction

Les pesticides organophosphorés (POP) sont des produits organiques de synthèse utilisés essentiellement comme insecticides. Ce sont des anticholinestérasiques. Leur utilisation n’est pas sans risques, parfois gravissimes voire mortels pour l’homme. A l’inverse des organochlorés, leur dégradation dans l’environnement est rapide. L’exposition se fait essentiellement par voies cutanéo-muqueuse et respiratoire (inhalation). La voie d’exposition orale par ingestion accidentelle ou intentionnelle concernerait la population générale. Selon l’organisation mondiale de la santé (OMS), il y a chaque année dans le monde un million d’empoisonnements graves par les pesticides, à l’origine d’environ 220.000 décès par an (Cherin et al., 2012 ; Ouammi et al., 2009).

Au Mali, pays essentiellement agropastoral, le risque d’exposition aux POP demeure une des préoccupations des responsables en charge de la santé.

Nous nous proposons de décrire les caractéristiques cliniques, paracliniques et évolutives à propos d’un cas d’intoxication aux pesticides sur grossesse, admis en Octobre 2014, au CHU de Point G, Bamako, afin de le comparer avec les données de la littérature.

 

Patient et Observation

Une jeune femme âgée de 18 ans, sans antécédent médicochirurgical et psychopathologique, résidente à Bougouni (région de Sikasso, Mali), aurait ingérée volontairement un pesticide (non spécifié) au champ (d’agriculture), le 31/10/14, vers 10 heures du matin, suite à une dispute familiale. Les suites immédiates auraient entrainé une douleur abdominale diffuse, devant laquelle les parents l’auraient fait boire 1 litre de lait, provoquant des vomissements et des diarrhées. Admise au Centre de Santé Communautaire (CSCOM) de la localité, elle fut référée au Centre de Santé de Référence (CSRéf) de Bougouni, vers 14 heures (où elle aurait reçu un traitement à base de: 2 mg d’Atropine; 2 comprimés de Charbon activé; 2 comprimés de Métronidazole 250 mg, un bilan: glycémie 1,22 g/l; Hémoglobine 7,4 g/l). Transférée le lendemain, au service de réanimation polyvalente du Centre Hospitalier Universitaire de Point G (CHU Point G), le 10/11/14, vers 20 heures.

L’examen clinique à l’admission était marqué par un état général altéré associé à des signes muscariniques (hypersécrétions bronchiques, hypersialorrhée, hypersudation, larmoiements, diarrhées, incontinence fécale, myosis serré, tension artérielle: 117/81 mm Hg, fréquence cardiaque: 50/mn); des signes nicotiniques (faiblesse musculaire, fréquence respiratoire: 40/mn) et des signes centraux (céphalées, troubles de la conscience et l’évaluation de son état neurologique rapporté au Score de Glasgow Scall était de 6 sur 15). Les autres paramètres: température (37,7°C), saturation en oxygène  (SPO2: 85%) et diurèse (700 ml) étaient prises en compte. Cette patiente était en aménorrhée de 22 semaines sans aucune consultation prénatale.

Les hypothèses diagnostiques étaient une intoxication aiguë aux pesticides organophosphorés (OP) ou carbamates avec un score de gravité sévère (coma profond).

A défaut d’un laboratoire pour le dosage de l’activité anti-cholinestérasique et autres analyses toxicologiques, l’intoxication aux pesticides organophosphorés a été retenue sur la base clinique (en faveur des syndromes muscariniques, nicotiniques et centraux).

Les autres bilans complémentaires demandés en urgence, comportaient: la glycémie, la créatinémie, l’hématocrite, la numération formule sanguine, le taux de prothrombine, le temps de céphaline activé, l’ionogramme sanguin, l’amylasémie et un avis gynécologique qui a révélé une grossesse intra-utérine évolutive normale de 22 semaines avec absence de souffrance fœtale ce jour (confirmé à l’échographie obstétricale).

Il faut signaler que les bilans biologiques n’ont pu être réalisés pour faute de moyens financiers.

La prise en charge a consisté à un monitorage cardiovasculaire, une intubation orotrachéale, un lavage gastrique abondant, la mise sous ventilation mécanique en mode contrôlé sous sédation diazépam (5mg/h)-morphine (2mg/h), une réhydratation avec du sérum salé isotonique 0,9% (1500ml/24h) et du sérum glucosé 5% (1000ml/24h), l’administration d’Atropine 1 à 2 mg IV toutes les 10min jusqu’à disparition du Syndrome muscarinique et du myosis et d’Azantac (50mg/08h)

L’évolution était marquée par :

-  l’incontinence fécale jusqu’à la 6ème heure d’hospitalisation

-  la régression des signes cardio-respiratoires au 2ème jour

-  l’extubation et mise sous oxygène à la lunette au 3ème jour

-  l’amélioration du SGS à 14 sur 15 et l’arrêt de tous les signes à partir du 4ème jour.

Elle fut transférée au service de gynécologie-obstétrique au 5ème jour pour suivi de la grossesse. L’évolution à été favorable et elle fut exéatée une semaine plus tard, sans anomalie fœto-maternelle. Le suivi post-hospitalier n’a pu être fait (malade perdue de vue).

 

Discussion

Les intoxications aigües par les OP sont responsables d’une mortalité à grande échelle à travers le monde, en particulier dans les pays en voie de développement et dont les revenus sont basés sur les activités agro-pastorales. La plupart de ces décès sont imputables aux tentatives d’autolyse. Ces produits OP sont responsables d’intoxications de gravité variable selon la nature du composé et des quantités ingérées (Cherin et al., 2012;  Derkaoui et al., 2011).

Selon notre observation, le tableau clinique était marqué par trois syndromes coexistant chez cette patiente: le syndrome muscarinique (incontinence fécale, myosis, hypersécrétions bronchiquessalivaires et hypersudations, douleur abdominale, vomissement, diarrhée, bradycardie), le syndrome nicotinique (faiblesse musculaire) et le syndrome encéphalique (céphalée, trouble de la conscience et coma). Ces symptômes sont le témoin d’une inhibition classiquedes cholinestérases en phosphorylation (accumulation d’acétylcholine dans l’organisme). Il résulte une potentialisation de l’activité parasympathique post-ganglionnaire sur les muscles lisses et le cœur (Minton et Murray, 1988). Dans notre cas, compte tenu de non disponibilité de laboratoire pour certains dosages (pseudo-cholinestérase sérique et cholinestérase globulaire) le diagnostic a été retenu sur la base anamnestique montrant le syndrome cholinergique cliniquement évocateur (Cherin et al., 2012; Sungur et Guven, 2001; Mégarbane, 2013).

Les autres paramètres biologiques et gazométriques demandés en urgence étaient dans le but d’assurer une prise en charge symptomatique. Ces bilans n’ont toute fois pas retardé le traitement précoce, qui selon la littérature serait le seule moyen d’un succès thérapeutique (symptomatique et antidotique) dans un délai minimum (Bardin et Van Eden, 1990; Hantson et Bédry, 2006).

Les intoxications aiguës humaines accidentelles ou volontaires sont très graves, surtout s’agissant d’ingestion de produit commercial agricole pur, sous quelques formes que ce soit. Selon de le Poisoning Severity Score (PSS), notre cas d’intoxication était de gravité modéré. Probablement, la dose ingérée était sans retentissement fœtale expliquant l’évolution normale de cette grossesse bien que ces produits toxiques soit rémanents et certains même tératogènes (El Cadi et al., 2009; De Jaeger et al., 2012; Idrissi et al., 2010; Persson et al., 1998; Thabet et al., 2009).

Le cycle d’absorption, de distribution et d’élimination du toxique a été rapide, vue l’amélioration de l’état neurologique en quelques jours. La durée d’hospitalisation maximale (11 jours) a été observée au bout duquel la patiente fut libérée sans séquelles cliniquement décelable.

 

Conclusion

Les intoxications aux pesticides organiques montrent d’une part, les insuffisances réglementaires et économiques du pays et, d’autre part le faible niveau éducatif. En plus de l’atropine, un équipement adéquat aux niveaux des hôpitaux universitaires pourraient mieux aider à déterminer les toxiques en cause et rehausser le succès thérapeutique.

 

Références

El Cadi, M.A., Mezzane, A., Meddah, B., Khabbal, Y., Idrissi, L. 2009. Intoxications mortelles aux pesticides au Maroc (2000–2005). Revue d'Épidémiologie et de Santé Publique, 57, S6.

Bardin, P.G., et Van Eden, S.F., 1990, Organophosphate poisoning: grading the severity and comparing treatment between atropine and glycopyrrolate. Crit Care Med., 18: 956-960. 

Cherin, P., Voronska, E., Fraoucene, N., et De Jaeger, C., 2012, Toxicité aiguë des pesticides chez l’homme. Médecine & Longévité, 4(2): 68-74.

De Jaeger, C., Voronska, E., Fraoucene, N., et Cherin, P., 2012, Exposition chronique aux pesticides, Santé et longévité, Rôle de notre alimentation. Médecine & Longévité, 4(2): 75-92.

Derkaoui, A., Elbouazzaoui, A., Elhouari, N., Achour, S., Labib, S., Sba,i H., Harrandou, M., Khatouf, M., et Kanjaa, N., 2011, Intoxication aiguë sévère par les pesticides organophosphorés: à propos de 28 cas. The Pan African Medical Journal, 8: 16.

Hantson, P., Bédry, R., 2006, Les antidotes. Elsevier Réanimation, 15: 383-389.

Idrissi, M., Aït Daoud, N., Ouammi, L., Rhalem, N., Soulaymani, A., Soulaymani-Benchekh, R. 2010. Intoxication aiguë par les pesticides, données du Centre Anti Poison du Maroc., 4, 5-7. Toxicologie Maroc, 4, 5-7.

Mégarbane, B. 2013. Mesure de l’activité des cholinestérases pour intoxication par un composé organophosphoré: l’approche clinique reste primordiale. Annales francaises d'anesthesie et de reanimation. 12(32), 825-826).

Minton, N.A., et Murray, V.S.G., 1988, A review of organophosphate poisoning. Med Toxicol., 3: 350-375.

Ouammi, L., Rhalem, N., Aghandous, R., Semlali, I., Badri, M., Jalal, G., Benlarabi, S., Mokhtari, A., Soulaymani, A., et Soulaymani-Bencheikh, R., 2009, Profil épidémiologique des intoxications aux Maroc de 1980 à 2007. Toxicologie Maroc, N°1: 11.

Persson, H. E., Sjöberg, G. K., Haines, J. A., de Garbino, J. P. 1998. Poisoning severity score. Grading of acute poisoning. Journal of Toxicology: Clinical Toxicology, 36(3), 205-213.

Sungur, M., Guven M., 2001, Intensive care management of organophosphate insecticide poisoning. Crit Care Med., 5: 211-215. 

Thabet, H., Brahmi, N., Kouraïchi, N., Elghord, H., Amamou, M. 2009. Intoxications par les pesticides organophosphorés: nouveaux concepts. Réanimation, 18(7), 633-639.