Coulibaly, S.K., Simaga, I., Hami, H., Denfaga, B., Ouologueme, Y., Soulaymani-Bencheikh, R., Soulaymani, A., Maïga, A.I., 2015. Envenimations ophidiennes: expérience du Centre de Santé de Référence de Kati, Mali, à propos de trois cas. Antropo, 34, 61-67. www.didac.ehu.es/antropo


 

Envenimations ophidiennes: expérience du Centre de Santé de Référence de Kati, Mali, à propos de trois cas

 

Ophidian envenomation: Experience Health Reference of Kati Center, Mali. Report of three cases

 

S.K. Coulibaly1, 2, I. Simaga3, H. Hami2, B. Denfaga3, Y. Ouologueme3, R. Soulaymani-Bencheikh4, A. Soulaymani2, A.I. Maïga5

 

1 Faculté de Médecine et d’Odontostomatologie, Université des Sciences, des Techniques, et des Technologies de Bamako (USTTB), Mali

2 Laboratoire de Génétique & Biométrie, Université Ibn Tofaïl, Kénitra, Maroc

3 Centre de Santé de Référence de Kati, région de Koulikoro, Mali

4 Centre Anti Poison et de Pharmacovigilance de Maroc, Rabat Maroc

5 Faculté de Pharmacie, USTTB, Mali

 

Auteur correspondant: Dr Sanou Khô Coulibaly, Médecin, Ph.D. Toxicologie, Faculté de Médecine et d’Odontostomatologie de Bamako, BP 1805, USTTB. Mali. Email: sanoucoul@yahoo.fr

 

Mots clés: Morsures, serpents, gestes inappropriés, préfecture Kati, Mali

 

Keywords: Snakes bites, inappropriate gestures, Kati Prefecture, Mali

 

Résumé

Les morsures de serpent demeurent problématiques surtout en Afrique où il existe encore des retards d’admission mais aussi, des confusions entre morsures blanches et envenimations ophidiennes. Au Mali, certains gestes ancestraux et inappropriés (des garrots très serrés, application des talismans) sont actuellement visibles sur des victimes de morsures de serpent.

Dans la préfecture de Kati, les envenimations ophidiennes sont particulièrement gravissimes, compte tenu des difficultés d’accès aux centres de soins, de l’insuffisance de plateaux techniques et de formation du personnel soignant et la présence de certaines espèces dangereuses.

Nos trois descriptions cliniques de morsures de serpent enregistré en 2014 dans le Centre de Santé de Référence de Kati, est de mieux préciser les caractéristiques cliniques, l’intérêt du test de coagulabilité sur tube sec et la réalité des pratiques traditionnelles infligées aux victimes.

Selon nos observations et la plupart des cas rapportés dans la littérature, il existe des retards d’admission pour des raisons diverses et de l’insuffisance de précaution pour les promenades nocturnes surtout en milieu rural. Malgré les difficultés d’identification de l’espèce responsable et selon d’autres auteurs, les éléments cliniques et biologiques ont été importants pour le diagnostic et le succès thérapeutique.

 

Abstract

Snake bites remain problematic especially in Africa where there are still delays intakes but also confusion between bites and white ophidian envenomation. In Mali, some ancestral and inappropriate gestures (tight tourniquets, application of talismans) are now visible on the victims of snake bites.

In the prefecture of Kati, the ophidian envenomation are particularly very serious, due to difficulties of access to health facilities, inadequate technical facilities and training of health workers and the presence dangerous species.

Our three clinical descriptions recorded snake bites 2014 in the Health reference of Kati Center is to better define the clinical, interest of clotting test dry tube and the reality of traditional practices inflicted victims.

According to our observations and most cases reported in the literature, there are admission delays for various reasons and the precautionary insufficient for evening strolls especially in rural areas. Despite the difficulties identifying the species responsible and according to other authors, clinical and biological factors have been important in the diagnosis and treatment success.

 

Introduction

La situation des morsures de serpent demeure problématique surtout en Afrique. Les envenimations qui en résultent, constituent par leur fréquence et leur gravité un problème de santé publique. Selon l’OMS, bien que les chiffres soient sous-estimés, il existe plus d’un million de morsures de serpent chaque année, 600.000 cas d’envenimations et plus de 20.000 décès sur le continent (Chippaux et Goyffon, 2006; Chippaux, 1999; Lallié et al., 2011). Il ressort pour la plupart des cas, un retard d’admission mais aussi, une confusion entre morsures blanches (sans envenimation nécessitant simplement une observation) et envenimations ophidiennes (urgence médico-chirurgicale). Le Mali n’en demeure pas moins épargné où les gestes ancestraux et inappropriés sont encore visibles chez les victimes de morsures de serpent (Coulibaly et al., 2013). 

Nous nous proposons de décrire trois cas cliniques des morsures de serpent  enregistrés en 2014 dans le Centre de Santé de Référence (CSRéf) de Kati, région de Koulikoro pour mieux préciser les caractéristiques cliniques, monter l’intérêt du test de coagulabilité sur tube sec (TCTS) et la réalité des pratiques traditionnelles infligées aux victimes.

 

Observation 1

Une femme de 40 ans, ménagère dans la commune rurale de Faladjè (préfecture de Kati, région de Koulikoro) a été mordue au pied droit, le 24 Août 2014 vers 6 heures du matin par un serpent. Le siège de la morsure a été localisé au niveau du 2ème orteil droit (Fig.1 et 2). L’accident s’est produit lors des travaux de jardinage à 3 Km du village. La patiente a été admise le même jour à 14 heures au service de consultation externe du CSRéf de Kati. A l’arrivée, son examen physique a montré:

-  une patiente consciente et lucide, une corde traditionnelle de protection divine (talisman) autours de la jambe droite œdémateuse (noté grade 2) 

-  une goutte de sang noir desséché sur le point de morsure 

-  un  orteil droit insensible au pic-touche, très noir, œdémateux avec un étranglement à la racine du pied, laissant apparaitre les traces du garrot très serré

-  une hypotension artérielle (100/50 mm Hg)

-  une fièvre (38°C)

-  des pouls pédieux et tibiaux bien perçus.

Les figures 1 et 2 montrent le siège de la morsure.

Le bilan parasitologique a montré une goutte d’épaisse positive (30 éléments/champs).

Le bilan biologique est mentionné dans le tableau 1.

Selon ces résultats, il y’a une anémie régénérative; une hypoglycémie; une thrombopénie et un temps de céphaline (TCA) activé allongé à 1 minute.

 

Image morsure pied 4

Figure 1. Nécrose sèche de l’orteil droit avec une corde traditionnelle de protection divine (talisman) autours de la jambe œdémateuse; Source: Ouologueme Y., Centre de Santé de Référence de Kati, région de Koulikoro

Figure 1. Dry necrosis of the right toe with a traditional rope divine protection (talisman) goshawks the oedematous leg; Source: Ouologueme Y., health of reference center of Kati (Koulikoro region)

 

Image morsure au pied

Figure 2. Orteil droit nécrosé (vue de face); Source: Ouologueme Y., Centre de Santé de Référence de Kati, région de Koulikoro

Figure 2. necrosis toe right (front view); Source: Ouologueme Y., health of reference center of Kati (Koulikoro region)

 

Bilan

Résultats

 

Glycémie

3,4 mmol/l

 

Taux d’hémoglobine (Hb)

09 g/dl

 

Taux d’hématocrite

27%

 

Plaquettes

112 000/ mm3

 

Taux de prothrombine (TP)

56%

 

Temps de céphaline activé (TCA)

1 minute

 

Uricémie

5,7 mmol/l

 

Créatininémie

110 mmol/l

 

Tableau 1. Résultat de l’examen biologique

Table 1. Results of the blood test

 

L’espèce a été reconnue (vipère), mais non identifiable pour la classification en genre (la tête littéralement écrasée) selon la figure 3.

Le TCTS réalisé dès son admission a montré un sang avec des caillots friables (incoagulable).

La conduite à tenir a consisté à une perfusion de sérum glucosé (250 ml) contenant un flacon (10 ml) de sérum antivenimeux (Fav Afrik Sanofi, anti Echis, Bitis, Naja et Dendroaspis) pendant 1 heure de temps.  Le TCTS (avec 5 ml de sang) réalisé après cette 1ère perfusion a montré le sang encore friable. Ce qui a permis à une seconde dose d’antivenin conduisant à la normalisation de l’état hémodynamique. La sérothérapie était couplée à une couverture d’antibiothérapie (Métronidazole et Pénicilline G) et d’antalgique pour le traitement et la prévention des infections opportunistes et cela pendant une semaine depuis son admission.

Une amputation chirurgicale de l’orteil nécrosé fut réalisée avec succès à partir de la 2ème semaine. Après deux semaines d’observation la patiente fut libérée.

 

Photo0191

Figure 3. Espèce responsable de morsure; Source: Coulibaly S.K., Faculté de Médecine et d’Odontostomatologie de Bamako

Figure 3. Responsible bite of Species; Coulibaly S.K., Faculty of Medicine and Dentistry of Bamako

 

Observation 2

Un homme de 43 ans, cultivateur à Mpièbougou (préfecture de Kati) a été admis au CSRéf de Kati pour morsure de serpent à la main droite. La morsure était survenue le soir vers 19 heures dans un champ maraîcher le 14 Septembre 2014. L’examen physique a retrouvé un patient très lucide mais anxieux; une petite lésion de grattage et un garrot autours du doigt (majeur) mordu selon la figure 4. Par ailleurs, aucune autre symptomatologie n’était décelable. Le serpent en fuite a été non identifié par la victime.

Après ablation du garrot et désinfection du point de morsure, la victime a été mise sous 24h d’observation puis libéré. Un suivi de 72 heures n’a révélé aucune anomalie.

 

Image morsure main droite

Figure 4. Garrot autours du doigt mordu (majeur droit); Source: Ouologueme Y., Centre de Santé de Référence de Kati, région de Koulikoro

Figure 4. Garrote around the bitten finger (right middle finger); Source: Ouologueme Y., health of reference center of Kati (Koulikoro region)

 

Observation 3

Un garçon de 18 ans a été mordu par un serpent au cours d’une promenade nocturne, le 29 Septembre 2014 vers 21h. Par inattention, il aurait marché sur le serpent dans l’obscurité. Selon les figures 5 et 6, la blessure siège sur le pied gauche montrant les traces de crochets.

 

Morsure pied 1'

Figure 5. les traces de crochets de serpent sur le 4ème orteil gauche; Source: Ouologueme Y., Centre de Santé de Référence de Kati, région de Koulikoro

Figure 5. traces of snake hooks on the left fourth toe; Source: Ouologueme Y., health of reference center of Kati (Koulikoro region)

 

Morsure pied 2'

Figure 6. Les traces de crochets de serpent sur le 4ème orteil gauche (vue de profil); Source: Ouologueme Y, Centre de Santé de Référence de Kati, région de Koulikoro

Figure 6. Traces of snake hooks on the left fourth toe (seen in profile); Source: Ouologueme Y, Centre de Santé de Référence de Kati, région de Koulikoro

 

Admis trois jours plus tard au CSRéf de Kati vers 13h, le patient présentait un pied gauche modérément œdémateux avec des traces de crochets bien visibles. En dehors d’une tachycardie sinusale et d’une pâleur conjonctivale, le reste des examens physiques étaient sans particularité.

Les examens biologiques avaient montrés: une anémie avec un taux d’hémoglobine à 10 g/dl et l’hématocrite à 26%; une hyper leucocytose (>10.103/mm3). L’urémie, la créatininémie et la glycémie étaient respectivement à 3,3 mmol/l, 105 mmol/l et à 3,10 mmol/l. Les TP étaient à 40% et le TCA était 1,9 min. Le taux des plaquettes à 70.000/mm3.

Le TCTS réalité dès son admission a montré des caillots de sang légèrement friables occasionnant une perfusion de sérum glucosé (250 ml) contenant une dose de 10 ml de sérum antivenimeux (Fav Afrik Sanofi, anti Echis, Bitis, Naja et Dendroaspis) en 1h de temps. Un autre test réalisé a montré un sang parfaitement coagulable sans caillot anormal. Le traitement antivenimeux était associé aux traitements symptomatiques (désinfection de la plaie, antalgique, anti-inflammatoire).

 

Discussion

L’expansion démographique et les mesures d’urbanisation sont des facteurs qui perturbant le biotope des animaux venimeux et non négligeables dans les morsures de serpents. Les activités humaines représenteraient une menace pour ces animaux qui vont mordre par peur ou en quête de nourriture (Dabo et al., 2005). Nos deux dernières observations en sont des illustrations.

Dans la préfecture de Kati, les envenimations ophidiennes sont particulièrement gravissimes, compte tenu des difficultés d’accès aux centres de soins (état des routes défectueuses), de l’insuffisance de plateaux techniques et de formation du personnel soignant et la présence de certaines espèces dangereuses (Coulibaly et al., 2013; Trape et Mané, 2006). Ce sont autant de difficulté qui pourront motiver les victimes à s’orienter vers les charlatans. Selon ces trois observations, le talisman autours du pied, le garrot autours du doigt et le retard de consultation (3 jours plus tard) sont des témoignages précis.

Dans cette étude et selon les données de la littérature, certains gestes importants (TCTS, bilan biologique, parage et désinfection des points de morsures) ont été effectués (Chippaux et al., 1998).

Dans cette observation comme dans la plupart des cas, il existe un problème d’identification. L’animal est soit en fuite, soit abattu et abandonnée, non identifiable (Fig. 3). Dans ce cas les éléments cliniques seraient un point important pour le diagnostic et la prise en charge (Leclerc et al., 2008).

Selon la littérature, la prise en charge des morsures de serpents est essentiellement symptomatique. Mais l’immunothérapie antivenimeuse reste le seul traitement efficace contre les envenimations ophidiennes. Ces indications sont actuellement bien claires. Une première dose suffit en générale pour supprimer les signes généraux et les signes biologiques. Parfois, il arrive parfois que l’œdème ou les perturbations biologiques continuent à progresser; dans ce cas une seconde dose et même plus, sont justifiables (Chippaux, 2005; Larreché et al., 2008). Ces données sont corroborées par les gestes thérapeutiques dans notre observation (cas 1 et 3).

 

Conclusion

Afin de mieux orienter la conduite à tenir face aux morsures de serpent, des moyens logistiques au niveau des structures de santé de proximité pourront diminuer l’emprise des sciences occultes sur les victimes.

 

Références

Chippaux, J.P., 1999, L’envenimation ophidienne en Afrique: épidémiologie, clinique et traitement. Ann Inst Pasteur-Actualités, 10(2):161-71.

Chippaux, J.P., 2005, Evaluation de la situation épidémiologique et des capacités de prise en charge des envenimations ophidiennes en Afrique subsaharienne francophone. Bull Soc Pathol Exot, 98(4): 263-268.

Chippaux, J.P., Amadi-Eddine, S., et Fagot, P., 1998, Validité d’un test de diagnostic et de surveillance du syndrome hémorragique lors des envenimations vipérines en Afrique Sub-saharienne. Med Trop., 58(4): 369-371.

Chippaux, J.P., Goyffon, M., 2006, Envenimations et intoxications par les animaux venimeux et vénéneux. I. Généralité. Med trop, 66(3): 215-220.

Coulibaly, S.K., Hami, H., Hmimou, R., Mokhtari, A., Soulaymani, R., Maiga, A., et Soulaymani, A., 2013, Les envenimations ophidiennes dans la région de Koulikoro au Mali. Antropo, 29, 41-47. www.didac.ehu.es/antropo.

Dabo, A., Diawara, S.I., Dicko, A., Katilé, A., Diallo, A., et Doumbo, O., 2005, Evaluation des morsures de serpent et de leur traitement dans le village de Bancoumana au Mali. Bull Soc Pathol Exot, 95(3): 160-162.

Lallie, H., Hami, H., Soulaymani, A., Chafiq, F., Fekhaoui, F., Mokhtari, A., Esmaili M., Soulaymani, R., 2011, Epidémiologie des envenimations ophidiennes au Maroc. Med Trop, 71(3): 267-271.

Larréché, S., Mion, G., et Goyffon, M., 2008, Indications de l'immunothérapie antivenimeuse dans le cadre des envenimations ophidiennes  proposition d'une gradation clinico-biologique. Med Trop, 68(4): 391-392.

Leclerc, T., Debien, B., Perez, J.P., Petit, M.P., et Lenoir, B., 2008, Envenimation cobraïque en France Métropolitaine: Repenser la prise en charge des envenimations exotiques. Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation, 27(4): 323-325.

Trape, J.F., Mané, Y., 2006, Guide des serpents d’Afrique occidental, Savane et Désert. Identification des serpents. Paris, Ed IRD, pp. 31.