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Bahbiti, Y., Benazzouz, B., Moutaouakil, F., Ouichou, A., El Hessni, A., Mesfioui, A., 2013. Etude anthropologique et épidémiologique de l’épilepsie dans la région de Tanger (Maroc). Antropo, 29, 57-67. www.didac.ehu.es/antropo 


 

Etude anthropologique et épidémiologique de l’épilepsie dans la région de Tanger (Maroc)

 

Anthropological and epidemiological study of epilepsy in the region of Tangier (Morocco)

 

Youssef Bahbiti1, Bouchra Benazzouz1, Fettouma Moutaouakil2, Ali Ouichou1, Aboubaker El Hessni1, Abdelhalem Mesfioui1

                 

1 Laboratoire de Génétique, Neuroendocrinologie et Biotechnologie Université Ibn Tofail Faculté des Sciences B.P: 133,Kénitra 14000-Maroc. E-mail: biodeug@hotmail.com

2 Service de Neurologie, Hôpital Al-Kortobi,Tanger 9000-Maroc.

 

Auteur correspondant: Abdelhalem Mesfioui (a.mesfioui@yahoo.fr)

 

Mots clés: Épilepsie, Connaissances, Attitudes, Croyances, Tanger.

 

Keywords: epilepsy, knowledge, attitudes, beliefs, Tangier.

 

Résumé

L’épilepsie est un désordre neurologique chronique caractérisé par des crises récurrentes.

Objectif. Cette étude a pour objectif de déterminer les connaissances, les attitudes et les croyances du public vis-à-vis de l’épilepsie dans la région de Tanger (Nord du Maroc).

Méthodologie. Ce travail a été réalisé au service de neurologie de l’Hôpital El Kortobi à Tanger, via un questionnaire standardisé sur l’épilepsie, mené sur 180 participants (patients et membres de familles).

Résultats. L’étude  a révélé que la maladie est méconnue dans cette région vue que 66,1% des personnes interrogées n’ont pas "lu" ou "entendu parler" d’une maladie appelée « Epilepsie », pourtant 90% des personnes interrogées ont assisté à des convulsions. L'attitude du public se caractérise par le rejet et la marginalisation des épileptiques. Ainsi, 69,4% ne permettent pas à leurs enfants de jouer avec les personnes qui souffrent parfois de convulsions, 78,9% des participants n’autorisent pas leurs enfants de se marier avec des personnes épileptiques, 50% des personnes interrogées pensent qu'un épileptique ne peut pas exercer n'importe quel métier. Plus grave encore,40% des participants à l'enquête ont estimé que l'épilepsie est une forme de déficience mentale. Alors que 15,6% des gens interviewés croient que la cause principale de l’épilepsie est une cause surnaturelle (djinns, ensorcellement), 20,6% estiment que le stress la provoque, 15,6% pensent qu’elle est liée à la consommation d’alcool et des drogues. Quant au traitement, 68,9% de notre échantillon suggèrent de demander l'avis du médecin pour traiter l'épilepsie, 46,7% l’aide des fkihs et 8,3% voir un psychologue. 11,10% des personnes épileptiques utilisent la plante Ruta graveolens pour traiter l’épilepsie.

Conclusion. L'épilepsie demeure donc une maladie méconnue encore sujette à des interprétations erronées. Les compagnes de sensibilisation devraient être menées afin de clarifier certains aspects concernant l’épilepsie.

 

Abstract

Epilepsy is a chronic neurological disorder characterized by recurrent seizures.

Objective. determine the knowledge, attitudes and beliefs of the public towards epilepsy in Tangier region (Northern Morocco).

Methodology. Performed in the Neurology Department at the Hospital El Kortobi Tangier, via a standardized questionnaire about epilepsy, conducted on 180 participants (patients and family members).

Results. The study revealed that the disease is unknown in this region because 66.1% of respondents have not "read" or "heard", about a disease called "epilepsy", 60% did not know a person with epilepsy, yet 90% of respondents attended convulsions. Concerning the public´s attitude towards epilepsy, the least we can say is that the rejection and marginalization watch with epilepsy: 70% do not allow their children to play with people who may suffer from convulsions. 80% of the participants not allow their children to marry sometimes with people making seizures. 50.6% of respondents believed that epileptics cannot exercise any craft. Worse, 40% of respondents believed that epilepsy is a form of mental retardation. 15.6% of people interviewed believe that the main cause of epilepsy is supernatural (jinn, witchcraft) and 20.6% think it's caused by stress, 15.6% think it is related to the alcohol and drugs. As for treatment, 68.9% of our sample suggested to ask doctor advice to treat epilepsy, 46.7% using Fkih's help, 8.3% see a psychologist. 11.10% of people with epilepsy use the plant Ruta graveolens to treat epilepsy.

Conclusions. Epilepsy remains a misunderstood disease and still subject to wrong interpretation. Awareness campaigns should be conducted to clarify certain aspects of epilepsy.

 

Introduction 

L’épilepsie est une maladie chronique, récidivante, définie par la répétition de  crises spontanées paroxystiques d’origine cérébrale chez un même sujet. Ces crises  sont la traduction clinique d’une décharge hypersynchrone, excessive d’une population  de neurones hyperexcitables plus ou moins étendue (O.M.S, 2001).

L’épilepsie est la maladie neurologique la plus fréquente, touchant plus de 50 millions de personnes dans le monde, dont 10 millions en Afrique, indépendamment de la race, de  la religion, du sexe, du l'âge et du statut social (O.M.S, 2001). Près de 374.000 personnes sont épileptiques au Maroc d'après une étude faite à Casablanca (AMCEP, 1998). Si dans les pays occidentaux la prévalence se situe entre 0,5 et 0,8%, dans les pays en voie de développement, elle varie entre 1 et 5%. Au Maroc, elle est de 1,1% (Mseffer, 2007).

En pratique neurologique quotidienne, l’épilepsie est le 2ème motif de consultation après les céphalées (O.M.S, 2001). Toutefois, les préjugés négatifs qui entourent la maladie sont autant d’obstacles à la prise en charge des malades, à leur épanouissement et à leur intégration sociale.

Ainsi l’épilepsie constitue, sous  ces latitudes  un problème majeur de santé publique de par les conséquences médicales, sociales, culturelles et économiques qu’elle entraine, à la fois pour les malades épileptiques que pour la société. La présente étude s’intègre, dans une stratégie de recherche menée par notre laboratoire ayant comme objectif l’étude anthropologique et épidémiologique de l’épilepsie dans certaines régions du Maroc. Après la région de Rabat-Salé-Zemmour-Zaer (résultats non encore publiés), le présent travail s’intéresse à la région de Tanger au Nord du Maroc.

 

Matériel et méthodes 

Description de l’Etude 

Il s’agit d’une  étude descriptive avec réalisation d’une enquête en face à face auprès des patients vus de manière consécutive après la consultation, l’examen de l’électromyogramme (EMG) et l’électroencéphalogramme (EEG) et/ou leurs familles. Il s’agit d’une enquête du recueil d’assez d’opinions pour formuler une généralisation à partir d’une partie réduite de la population appelée échantillon, et qui est anonyme. Elle s’appuie sur l’opinion des sondages pour servir de reflet à ce que pense le public marocain.

 

 Lieu  de l’Etude 

L’étude a été menée dans la ville de  Tanger, capitale  du nord du Maroc. Elle est le chef-lieu de la région de Tanger-Tétouan et de la préfecture de Tanger-Asilah. Elle est la principale porte du Maroc sur l'Europe, dont elle est séparée par les 14 km du détroit de Gibraltar. Sa population s'élevait à 669 685 habitants au recensement de 2004, en faisant la cinquième ville du Maroc. (Expo,  2012)

Ce choix a été dicté par sa situation géographique au carrefour entre les continents africain et européen, ce qui lui confère un caractère spécifique et attractif pour notre travail.

 

Le questionnaire 

L’enquête est réalisée par l’intermédiaire d’un questionnaire (en langue française traduite en arabe) qui est le document de base pour la collecte des données, sur lequel sont inscrites les informations obtenues par les enquêtés. Ce document s’appuis sur la compréhension, les attitudes et les pratiques populaires des marocains envers l’épilepsie et aussi la croyance dans les traitements de cette maladie.

 

Méthodologie 

L’enquête est réalisée en face à face auprès des patients et/ ou leurs familles. Après la récolte des questionnaires remplis, on s’est servi du logiciel statistique « Sphinx plus 2 », Les résultats des variables quantitatives sont exprimés en moyenne plus ou moins un écart-type et ceux des variables qualitatives, en pourcentages. Les comparaisons de l’effectif des variables qualitatives sont réalisées par le test de . Le seuil de signification choisi pour l’ensemble des analyses statistiques est de 0.05.

 

Résultats et discussion 

Cette enquête sur les connaissances, les croyances et les attitudes du public marocain de la région de Tanger à l’égard de l’épilepsie a été réalisée auprès d’un échantillon de 180 personnes interrogées en face à face du mois de février au mois de mai 2011 dans le Service de Neurophysiologie à l’Hôpital El kortobi de Tanger.

 

Données démographiques  

Âge 

L’âge moyen de l’échantillon est de 40,20 ans ±11,75  [18 ans, 70 ans], 63,4 % des interviewés sont âgés de moins de 45 ans (Figure 1).

 

Sexe

Parmi les 180 participants qui ont répondu au questionnaire, on trouve 127 femmes (70,6%) et 53 hommes (29,4%) (Figure 2).

La différence avec la répartition de référence est hautement significative:  = 30,42 (p<0,001).

Contrairement aux autres études (Tableau 1), on observe une forte participation féminine qui est hautement significative (p<0,0001) que celle des hommes avec un sexe ratio de 0,41. Cette prédominance peut être liée à la présence de temps libre chez les femmes d'ailleurs la majorité des participantes sont des femmes au foyer et peuvent trouver le temps d’accompagner leurs proches à l’hôpital.

 

Figure 1. Répartition des participants à l’étude par tranche d’âge.

Figure 1. Distribution of study participants by age.

 

Figure 2. Répartition des participants à l’étude selon le sexe.

Figure 2. Distribution of study participants by sex.

 

 

Pays

Sexe ratio (H/F)

Cameroun (Alfred et al, 2009)

1,1

Myanmar (New Nwe Win, 2002)

0,7

Jordanie (Daoud et al, 2007)

1,1

Danemark (Jensen el al, 1992)

1,1

Maroc-Rabat-Salé-Zemmour-Zaer (Andaloussi, 2009)

0,47

Maroc- Oujda (Maimouni, 2008)

1

Notre échantillon

0,41

Tableau 1. Sexe ratio selon les principales enquêtes mondiales.

Table 1. Sex ratio by major global surveys.

 

Résidence

La majorité des participants (70,6 %) vivent en milieu urbain (29,4%) résident en milieu rural (figure 3). Entre les 2 groupes étudiés (urbain et rural), la répartition de référence est hautement  significative.  = 30,42 (p<0,001).

 

Niveau d’éducation

On constate que 55,6% des participants sont non scolarisés (figure 4).

Les données démographiques de notre échantillon montrent que la majorité  des patients (50,60%) sont non scolarisés pourtant, ils vivent en milieu urbain (70,60%), avec une forte participation féminine (sexe-ratio H/F=0,41).

 

 

Figure 3. Milieu d’habitation des participants à l’étude.

Figure 3. Locality of residence of study participants.

 

Figure 4. Répartition des participants à l’étude selon le niveau d'éducation.

Figure 4. Distribution of study participants by level of education.

 

La familiarité avec l'épilepsie 

En matière de maladie en général et d’épilepsie en particulier, il faut distinguer les croyances ainsi que du vécu et des attitudes populaires vis-à-vis de toute maladie et en particulier l’épilepsie. Les opinions ou connaissances populaires sont un ensemble d’idées partagées sur une maladie; ce sont elles qui sont souvent recueillies lors des enquêtes (ex: c’est contagieux, c’est impur ...). Les attitudes sont les réactions comportementales attachées à une maladie (ex: sentiment de répulsion, dégoût, rejet ...). Enfin, les représentations anthropologiques situent la maladie dans un système de croyances culturelles, sacrées, magiques ou scientifiques (Nubukpo, 2003).

Au niveau de notre échantillon, 66,1% n’avaient pas "lu" ou "entendu parler" d’une maladie appelée épilepsie (Tableau 2) et ils n’ont pas  pu sortir son nom exact (en arabe ou en français) avec d’autres dénominations. Ainsi, elle est appelée «l’aryah », « maq’yous » en rapport avec l’interprétation de type irrationnel que des gens de la région se font de la maladie. Elle est nommée également, « la crise », « la maladie qui fait tomber » faisant évoquer des symptômes que présente le patient en crise. D’autres dénominations faisaient référence aux circonstances de survenue: « m’âassab » c’est à dire le stress qui peut favoriser une crise, « al’khalâa » faisant référence au caractère surprenant de la crise épileptique (Tableau 2).

La diversité des dénominations populaires de l’épilepsie rencontrées dans cette étude laisse à penser que la maladie est méconnue dans la ville de Tanger contrairement à l’étude faite dans la région Rabat-Salé-Zemmour-Zaër (Andaloussi, 2009) « 83,2% avaient "lu" ou "entendu parler" d’épilepsie et ils ont pu sortir son nom exact (en arabe ou en français) avec d’autres dénominations, » La logique des dénominations mise en évidence dans notre étude est retrouvée par d'autres auteurs comme au Mali, en milieu rural (Nkwi et Ndonko, 1989; Uchoa et al, 1993; Arborio et al, 1999; Arborio et al, 2001).

 

Pays/année

OUI (%)

Q1

Q2

Q3

Cameroun (Alfred et al, 2009)

99,3

89,7

87,7

Croatie (Bagić et al, 2009)

97,3

55,5

44.6

Jordanie (Daoud  et al, 2007)

88.0

-

52.4

Myanmar (New New Win, 2002)

82.0

25.0

78.0

Vietnam (Cuong et al, 2006)

54,6

45,5

49,2

Hong kong (Fong et al, 2002)

58,2

18,9

55.0

Hongrie (Mirnics et al, 2001)

93,7

51,9

55,3

Danemark  (Jensen el al, 1992)

97,5

64.0

51,5

Indonesie (Gunadharma, 2004)

97.0

-

84.0

Maroc- Rabat-Salé -Zemmour-Zaer (Andaloussi 2009)

83,2

65,0

65,4

Notre échantillon

33.9

40

90

Tableau 2. Comparaison de la familiarité avec l’épilepsie de la ville de Tanger avec d’autres pays. Q1: Avez-vous déjà lu ou entendu une maladie appelée « Epilepsie »? Q2: Avez-vous connu une personne atteinte d’épilepsie? Q3: Avez-vous vu une personne qui a des convulsions?

Table 2. Comparison of familiarity with epilepsy in the city of Tangier with other countries.

 

  Concernant  la familiarité avec l’épilepsie, on peut dire que  la diversité des dénominations populaires de l’épilepsie rencontrées dans cette étude laisse penser que la maladie est méconnue dans la région de Tanger. Pourtant, tous les patients interrogés avaient préalablement été vus par un médecin qui leur avait communiqué et prescrit le traitement. Or, un taux important (66,1%) ne connaît pas le nom exact de leur maladie.

 

Les attitudes vis-à-vis de l’épilepsie 

Lors de notre interrogation, nous avons demandé aux participants s’ils permettent à leurs enfants de jouer avec des personnes qui souffrent parfois des convulsions, nous avons constaté que 69,4% des participants le refusent; craignant pour la sécurité de leurs enfants. Nous leur avons demandé encore s’ils autorisent à leur fils ou fille de se marier avec des personnes ayant parfois des convulsions: 78,9% des participants ne l autorisent  pas en raison que le couple serait instable, le divorce est inévitable, que l’épileptique est incapable de mener une vie conjugale normale à cause des crises récurrentes et qu’il y a un risque d’avoir des enfants épileptiques.

En parlant de droit du travail des épileptiques, on observe un sentiment d’exclusion sociale dont nous retrouvons 50,6% (Tableau 3) des personnes interrogées refusent que les épileptiques devraient travailler telles que les autres personnes, en ajoutant qu’ils ne peuvent pas exercer n'importe quel métier. Cette attitude négative peut être l’origine d’une discrimination, stigmatisation et une marginalisation sociale pouvant découler de la maladie de l’épileptique. Malheureusement, ce dernier ne peut pas exercer n’importe quel métier tel que l’échafaudage, le travail en hauteur, le travail isolé et la conduite de véhicule mais il a le droit de mener une vie régulière, de trouver et conserver un emploi même s’il est difficile à cause de ses crises.

Un autre point, qu'il nous a semblé important de souligner, est que 40% de la population pensent que l'épilepsie est une forme de déficience mentale. Au contraire, l’épilepsie n’est pas une maladie mentale. Les maladies mentales affectent la pensée, les sentiments, le comportement au point de menacer l’intégrité physique et sociale de l’individu (Gazzaniga et al, 2001). Ce qui n’est pas le cas pour la plupart des épileptiques qui peuvent continuer à vivre « presque » normalement.

L'attitude de notre échantillon de la population est parmi les plus négatives des attitudes relevées (Tableau 3).

Dans une étude réalisée aux États-Unis (Caveness et al, 1980) comparant l'évolution de la perception de l'épilepsie dans la population étudiée entre 1949-1979, il a été observé que la proportion de personnes qui ont accepté que les épileptiques doivent être inclus dans le marché du travail passe de 45% en 1949 à 79% en 1979 et que 59% des personnes qui pensaient que l'épilepsie n'est pas une forme d'aliénation mentale en 1949 est passé à 92% en 1979. Furthermore, research studies carried out in Korea 13 and Hungary 9 demonstrated that educational campaigns are effective in changing knowledge about epilepsy among the population and diminish the negative attitudes against patients with this disease. En outre, des études de recherche menées en Corée (Kim et al, 2003) et en Hongrie (Mirnics et al, 2001) ont démontré que des campagnes de sensibilisation sont efficaces pour l'évolution des connaissances sur l'épilepsie de la population et pour la réduction des attitudes négatives à l'égard des patients atteints de cette maladie.

Les  attitudes vis-à-vis de l’épilepsie sont  caractérisées  par le rejet et la marginalisation des épileptiques, 69,4% ne permettent pas à leurs enfants de jouer avec les personnes qui souffrent parfois de convulsions, 78,9% des participants n’autorisent pas leurs enfants de se marier avec des personnes épileptiques, 50% des personnes interrogées pensent qu'un épileptique ne peut pas exercer n'importe quel métier. Plus grave encore,40% des participants à l'enquête ont estimé que l'épilepsie est une forme de déficience mentale.

 

 

Q4 % (non)

Q5 % (non)

Q6 % (oui)

Q7 % (oui)

Cameroun (Alfred et al, 2009)

42,7

75,8

35,1

35.1

Croatie (Bagić et al, 2009)

6,7

24,0

-

2.5

Jordanie (Daoud et al, 2007)

52,4

89,0

43.7

9.3

Sénégal (Ndoyea et al, 2005)

40,0

68,0

-

-

Vietnam (Cuong et al, 2006)

18,7

56,0

57,9

23.8

Hong kong (Fong et al, 2002)

11,2

32,2

77,5

-

Hongrie (Mirnics et al, 2001)

16,0

41,1

62,0

-

Madagascar (Andriantseheno et al, 1998 )

43,7

28,0

66,1

-

Danemark (Jensen el al, 1992)

7,0

-

-

-

Maroc- Rabat-Salé-Zemmour-Zaer (Andaloussi, 2009)

44,3

64,6

47,1

21,4

Notre échantillon

69,4

78,9

49,4

40

Tableau 3. Comparaison des données de différents pays sur les attitudes  du public vis-à-vis de   l’épilepsie. Q4: Voulez vous que vos enfants jouent avec des personnes qui souffrent parfois des convulsions?  Q5: Voulez vous que votre fils ou fille se marie avec des personnes ayant parfois des convulsions?  Q6: Vous pensez que les personnes épileptiques devraient travailler telles que les autres personnes?  Q7: Pensez-vous que l’épilepsie est une forme de déficience mentale?

Table 3. Comparison of data from different countries on public attitudes towards epilepsy.

 

Les connaissances vis-à-vis de l’épilepsie 

Lorsque nous avons interrogé les interviewés  sur les causes de l’épilepsie, nous avons trouvé que 28,9% n’ont aucune idée et 20,6% pensent que le stress la provoque, et 15,6% pensent que l’alcoolisme, le tabagisme et les drogues peuvent causer l’épilepsie, 25,6 croient que l’épilepsie est une cause surnaturelle (djinns, ensorcellement) (voir Tableau4). On peut retenir parmi les théories explicatives de l’épilepsie que la croyance en une cause surnaturelle (djinns, mauvais œil, ensorcellement, épreuve divine) est plus importante que le dysfonctionnement du cerveau (6,1%). Cela révèle, à notre avis, la confusion qui règne dans la population à propos des manifestations névrotiques, psychiques et les crises épileptiques organiques.

La notion de l’origine surnaturelle de l’épilepsie est récurrente dans d’autres études menées dans d’autres pays en voie de développement: le Sénégal (Adotevi et al, 1981) la République Centrafricaine (Bernet-Bernady et al, 1997); la Mauritanie (Traoré et al, 1998). Cette croyance est ancienne mais évolue avec le temps et est plus marquée dans les sociétés traditionnelles.

Toujours quant aux causes de l’épilepsie, l’hérédité est incriminée dans 9,4% des cas dans nos résultats; ce qui est inférieur aux pourcentages retrouvés dans les séries du Cameroun avec 18,9% (Alfred et al, 2009). Ce pourcentage est nettement inférieur à Hong-Kong avec 50% (Frcpch et al, 2004), au Myanmar avec 33% (New New Win, 2002) et la Croatie avec 22.1% (Bagić et al, 2009) (Tableau 4).

Dans la plupart des cas, l'épilepsie ne se transmet pas héréditairement. En réalité, il existe des gènes prédisposant, mais ils ne sont pas réellement une cause, mais même en présence d'une prédisposition, certaines conditions doivent exister dans le cerveau avant que des crises épileptiques n'apparaissent.

La question portant sur les causes de la maladie traduit une autre ambiguïté de la perception des interviewés: ceux-ci confondent en effet les causes de la maladie avec les facteurs déclenchant les crises. Invités à choisir dans une liste des causes de l'épilepsie, les interviewés proposent à des pourcentages équivalents des causes réelles, un dysfonctionnement du cerveau ou l'hérédité, et des facteurs déclenchant comme par exemple le stress, l'alcoolisme. En revanche, la folie qui n’est ni une cause ni un facteur déclenchant, ne récolte qu’un score marginal.

 

 

Notre échantillon

(%)

Maroc Rabat-Salé-Zemmour-Zaer

(Andaloussi, 2009)

(%)

Hong-Kong

(FRCPCH et al, 2004)

(%)

Cameroun

(Alfred et al, 2009)

(%)

Croatie

(Bagić et al, 2009)

(%)

Myanmar

(New Nwe Win, 2002)

(%)

Lésion cérébrale

8,9

12,1

-

-

-

33,0

Dysfonctionnement du cerveau

6,1

22,5

48,0

-

8,8

33,0

Folie et démence

1,1

6,1

12,5

15,9

-

25,0

Malformation congénitale

2,2

12,9

29,0

-

-

-

Hérédité

9,4

15,0

50,0

18,9

22,1

33,0

Infection (bactérie/virus)

1,1

6,4

-

-

-

-

Stress

20,6

45,0

12,5

-

6,6

36,0

Alcoolisme

/Tabagisme/Drogues

15,6

3,9

-

-

-

-

causes surnaturelles

20,5

45,7

-

34,4

-

-

Aucune idée

28,9

3,9

-

-

47.1

16,0

Autres choses

10

30,4

-

-

7,8

13,0

Tableau 4. Comparaison des données de différents pays concernant les causes de l’épilepsie.

Table 4. Comparison of data from different countries concerning the causes of epilepsy.

 

Concernant les avis pour le traitement de l’épilepsie, 68,9% des interviewés recommandent en 1er la consultation du médecin, mais ce pourcentage pourrait être une surestimation, étant donné que les sujets ont été présents dans un établissement de santé.

Le Fkih apparaît avoir un rôle central dans l’offre du traitement traditionnel pour les personnes épileptiques. Ainsi, 46,7% des participants proposent ses services (Tableau 5). Selon les témoignages, des produits végétaux, minéraux, parfois des produits d’origine animale sont prescrits, mais les hjâbs (amulettes), les incantations (paroles magiques), les produits à inhalations (produits végétaux le plus souvent) restent les recettes les plus utilisées pour traiter  l’épilepsie. Selon notre échantillon, le pourcentage de ceux qui ont recommandé un fkih, guérisseur ou sorcier est très supérieur que l’étude menée au Cameroun (16,6%) (Alfred et al, 2009), alors que ceux qui ont proposé l’aide du médecin est très inférieur que Hong-Kong (97%) (Frcpch  et al, 2004), Myanmar (74%) (New Nwe Win, 2002) et aussi au Cameroun (95%) (Alfred et al, 2009) (Tableau 5).

 

 

Cameroun

(Alfred et al, 2009) (%)

Myanmar

(New Nwe Win, 2002) (%)

Hong-Kong

(FRCPCH et al, 2004)  (%)

Maroc- Rabat-Salé-Zemmour-Zaer

(Andaloussi, 2009) (%)

Notre échantillon

(%)

Demander l'avis du Médecin

95, 0

74, 0

97, 0

59,6

68,9

Médecine traditionnelle

40,4

27, 0

25, 0

10,7

3,3

Acupuncture

41,4

5, 0

25,

0,4

-

Demander l'aide de Dieu

-

46, 0

-

23,9

2,2

Pas de traitement

2,3

4, 0

0

0

1,1

Aller voir le Fkih

16,6

-

0

48,2

46,7

Voir un psychologue

-

-

-

20,0

8,3

Aucune idée

0

16, 0

4, 0

0,4

0,0

Autres choses

12, 0

2, 0

0

0,0

-

Tableau 5. Comparaison des données de différents pays sur le type de traitement suggéré.

Table 5. Comparison of data from different countries on the type of treatment suggested.

 

Plantes médicinales et épilepsie

Nous nous sommes aussi intéressés à savoir les plantes médicinales utilisés pour traiter l’épilepsie. En effet, à cause de sa situation géographique et ses caractéristiques climatiques et édaphiques, les plantes médicinales sont omniprésentes dans la région de Tanger-Tétouan. Nous avons constaté que cette population consomme beaucoup de plantes médicinales pour traiter des maladies telles que les céphalées et la migraine qui sont   souvent associées à l’épilepsie.

La question destinée aux patients et leurs familles  est scindée en deux:

Est ce que vous utilisez des plantes médicinales pour traiter l’épilepsie?

Est-ce que vous utilisez des plantes médicinales pour votre santé?

La majorité des personnes interviewées n’utilisent pas de plantes médicinales spécifiques  pour traiter l’épilepsie. En revanche, on a remarqué une grande utilisation de la verveine (Verveine officinale) vue ses effets curatifs sur le système nerveux. Elle  apaise la tension nerveuse et exerce une action régénératrice sur les nerfs. Elle serait légèrement antidépressive. Elle combat plus spécifiquement l'anxiété et la fatigue nerveuse découlant d'une longue période de stress (Edith, 2001).

Nous avons constaté que 11,10% des personnes épileptiques utilisent la plante Ruta pour traiter l’épilepsie dans cette région. En effet, la rue (Ruta graveolens) est utilisée pour régulariser l'apparition des règles, car elle a un effet stimulant sur les muscles de l'utérus. En Europe, elle sert à soigner des pathologies aussi diverses que l'hystérie, l'épilepsie, le vertige, la colique, les parasites intestinaux, l'empoisonnement et les affections des yeux (Edith, 2001).

 

Figure 5. Quelques plantes médicinales utilisées dans la région de Tanger.

Figure5. Some medicinal plants used in the Tangier region.

 

Conclusion

Notre propos a consisté, dans cette étude, à mettre en évidence quelques-uns des points déterminants de la dimension socio-culturelle de l’épilepsie dans la région de Tanger.

Pour cela, nous avons porté notre étude sur 180 participants (patients et leurs familles) suite à un échantillonnage aléatoire au service de Neurologie Hôpital El Kortobi. Ces interviewés  ont été soumis à un questionnaire élaboré par notre équipe.

Notre travail nous a permis de constater que l’épilepsie est méconnue et nommée différemment, plus de 6 dénominations ont été répertoriées. Le mot même d’épilepsie déclenche encore de nos jours des images et des jugements négatifs. Nous avons constaté que  les préjugés entraînent la persistance des interdits qui entravent la vie sociale, affective, professionnelle de ces malades. Ces préjugés du public font de l’épilepsie une maladie à part, qui a trait au silence et rare à en parler,  une maladie pas comme les autres.

Ces résultats, entre autres, soulignent plus que tout, l’urgence d’une information suffisante des patients sur la réalité de leur affection et d’améliorer la compréhension par l’entourage du patient et le public que  l’épilepsie est une maladie neurologique universelle, non transmissible et curable.

Nous proclamons que l'épilepsie est une priorité de santé publique au Maroc; et qu’un programme national spécifique doit être développé ce qui permettrait:

- de lutter contre les préjugés néfastes et les discriminations dans tous les aspects de la vie, en particulier à l’école et au travail. Ainsi, il convient d’éduquer les enseignants, les employeurs et le public au sujet de l’épilepsie afin de réduire les stigmates sociaux et les préjugés qui sont y associés;

- d'améliorer la formation des professionnels en matière d'épilepsie;

- d'instituer une Journée Nationale pour l'épilepsie à l’instar d’autres pathologies;

- d'encourager la recherche fondamentale et appliquée sur l'épilepsie;

- d'encourager la coopération nationale et internationale.

 

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