Bahbiti, Y.,
Benazzouz, B., Moutaouakil, F., Ouichou, A., El Hessni, A., Mesfioui, A., 2013. Etude anthropologique et épidémiologique de
l’épilepsie dans la région de Tanger (Maroc). Antropo, 29, 57-67.
www.didac.ehu.es/antropo
Etude anthropologique et épidémiologique de
l’épilepsie dans la région de Tanger (Maroc)
Anthropological
and epidemiological study of epilepsy in the region of Tangier (Morocco)
Youssef
Bahbiti1, Bouchra Benazzouz1, Fettouma Moutaouakil2,
Ali Ouichou1, Aboubaker El Hessni1, Abdelhalem Mesfioui1
1 Laboratoire de Génétique,
Neuroendocrinologie et Biotechnologie Université Ibn Tofail Faculté des
Sciences B.P: 133,Kénitra 14000-Maroc. E-mail: biodeug@hotmail.com
2 Service de Neurologie, Hôpital
Al-Kortobi,Tanger 9000-Maroc.
Auteur correspondant: Abdelhalem Mesfioui
(a.mesfioui@yahoo.fr)
Mots clés: Épilepsie, Connaissances, Attitudes, Croyances,
Tanger.
Keywords: epilepsy, knowledge, attitudes, beliefs, Tangier.
Résumé
L’épilepsie est un
désordre neurologique chronique caractérisé par des crises récurrentes.
Objectif. Cette étude a
pour objectif de déterminer les
connaissances, les attitudes et les croyances du public vis-à-vis de
l’épilepsie dans la région de Tanger (Nord du Maroc).
Méthodologie. Ce travail a été réalisé au service de neurologie de l’Hôpital El
Kortobi à Tanger, via un questionnaire standardisé sur l’épilepsie, mené sur
180 participants (patients et membres de familles).
Résultats. L’étude
a révélé que la maladie est méconnue dans
cette région vue que 66,1% des personnes interrogées n’ont pas "lu"
ou "entendu parler" d’une maladie appelée « Epilepsie », pourtant 90%
des personnes interrogées ont assisté à des convulsions. L'attitude du public se
caractérise par le rejet et la marginalisation des épileptiques. Ainsi, 69,4%
ne permettent pas à leurs enfants de jouer avec les personnes qui souffrent
parfois de convulsions, 78,9% des participants n’autorisent pas leurs enfants
de se marier avec des personnes épileptiques, 50% des personnes interrogées
pensent qu'un épileptique ne peut pas exercer n'importe quel métier. Plus grave
encore,40% des participants à l'enquête ont estimé que l'épilepsie est une
forme de déficience mentale. Alors que 15,6% des gens interviewés croient que
la cause principale de l’épilepsie est une cause surnaturelle (djinns,
ensorcellement), 20,6% estiment que le stress la provoque, 15,6% pensent qu’elle
est liée à la consommation d’alcool et des drogues. Quant au traitement, 68,9%
de notre échantillon suggèrent de demander l'avis du médecin pour traiter
l'épilepsie, 46,7% l’aide des fkihs et 8,3% voir un psychologue. 11,10% des
personnes épileptiques utilisent la plante Ruta graveolens pour traiter
l’épilepsie.
Conclusion.
L'épilepsie
demeure donc une maladie méconnue encore sujette à des interprétations
erronées. Les compagnes de sensibilisation devraient être menées afin de
clarifier certains aspects concernant l’épilepsie.
Abstract
Epilepsy
is a chronic neurological disorder characterized by recurrent seizures.
Objective. determine the
knowledge, attitudes and beliefs of the public towards epilepsy in Tangier
region (Northern Morocco).
Methodology. Performed in
the Neurology Department at the Hospital El Kortobi Tangier, via a standardized
questionnaire about epilepsy, conducted on 180 participants (patients and
family members).
Results. The study
revealed that the disease is unknown in this region because 66.1% of
respondents have not "read" or "heard", about a disease
called "epilepsy", 60% did not know a person with epilepsy, yet 90%
of respondents attended convulsions. Concerning the public´s attitude towards
epilepsy, the least we can say is that the rejection and marginalization watch
with epilepsy: 70% do not allow their children to play with people who may
suffer from convulsions. 80% of the participants not allow their children to
marry sometimes with people making seizures. 50.6% of respondents believed that
epileptics cannot exercise any craft. Worse, 40% of respondents believed that
epilepsy is a form of mental retardation. 15.6% of people interviewed believe
that the main cause of epilepsy is supernatural (jinn, witchcraft) and 20.6%
think it's caused by stress, 15.6% think it is related to the alcohol and
drugs. As for treatment, 68.9% of our sample suggested to ask doctor advice to
treat epilepsy, 46.7% using Fkih's help, 8.3% see a psychologist. 11.10% of people with epilepsy use the plant Ruta graveolens to
treat epilepsy.
Conclusions. Epilepsy
remains a misunderstood disease and still subject to wrong interpretation.
Awareness campaigns should be conducted to clarify certain aspects of epilepsy.
Introduction
L’épilepsie est une
maladie chronique, récidivante, définie par la répétition de crises spontanées paroxystiques d’origine
cérébrale chez un même sujet. Ces crises
sont la traduction clinique d’une décharge hypersynchrone, excessive
d’une population de neurones
hyperexcitables plus ou moins étendue (O.M.S, 2001).
L’épilepsie est la
maladie neurologique la plus fréquente, touchant plus de 50 millions de
personnes dans le monde, dont 10 millions en Afrique, indépendamment de la
race, de la religion, du sexe, du l'âge
et du statut social (O.M.S, 2001). Près de 374.000 personnes sont épileptiques
au Maroc d'après une étude faite à Casablanca (AMCEP, 1998). Si dans les
pays occidentaux la prévalence se situe entre 0,5 et 0,8%, dans les pays en
voie de développement, elle varie entre 1 et 5%. Au Maroc, elle est de 1,1% (Mseffer,
2007).
En pratique neurologique quotidienne, l’épilepsie est le
2ème motif de consultation après les céphalées (O.M.S, 2001). Toutefois, les
préjugés négatifs qui entourent la maladie sont autant d’obstacles à la prise
en charge des malades, à leur épanouissement et à leur intégration sociale.
Ainsi l’épilepsie
constitue, sous ces latitudes un problème majeur de santé publique de par
les conséquences médicales, sociales, culturelles et économiques qu’elle
entraine, à la fois pour les malades épileptiques que pour la société. La
présente étude s’intègre, dans une stratégie de recherche menée par notre
laboratoire ayant comme objectif l’étude anthropologique et épidémiologique de
l’épilepsie dans certaines régions du Maroc. Après la région de
Rabat-Salé-Zemmour-Zaer (résultats non encore publiés), le présent travail s’intéresse
à la région de Tanger au Nord du Maroc.
Matériel et
méthodes
Description
de l’Etude
Il s’agit d’une étude descriptive avec réalisation d’une
enquête en face à face auprès des patients vus de manière consécutive après la consultation,
l’examen de l’électromyogramme (EMG) et l’électroencéphalogramme (EEG) et/ou
leurs familles. Il s’agit d’une enquête du recueil d’assez d’opinions pour
formuler une généralisation à partir d’une partie réduite de la population
appelée échantillon, et qui est anonyme. Elle s’appuie sur l’opinion des
sondages pour servir de reflet à ce que pense le public marocain.
Lieu de
l’Etude
L’étude a été menée dans
la ville de Tanger, capitale du nord du Maroc. Elle est le
chef-lieu de la région de Tanger-Tétouan et de la préfecture de
Tanger-Asilah. Elle est la principale porte du Maroc sur l'Europe, dont elle est
séparée par les 14 km du détroit de Gibraltar. Sa population
s'élevait à 669 685 habitants au recensement de 2004, en faisant la
cinquième ville du Maroc. (Expo, 2012)
Ce choix a été dicté par
sa situation géographique au carrefour entre les continents africain et
européen, ce qui lui confère un caractère spécifique et attractif pour notre
travail.
Le questionnaire
L’enquête est réalisée par l’intermédiaire d’un
questionnaire (en langue française traduite en arabe) qui est le document de
base pour la collecte des données, sur lequel sont inscrites les informations
obtenues par les enquêtés. Ce document s’appuis sur la compréhension, les
attitudes et les pratiques populaires des marocains envers l’épilepsie et aussi
la croyance dans les traitements de cette maladie.
Méthodologie
L’enquête est réalisée en face à face auprès des patients
et/ ou leurs familles. Après la récolte des questionnaires remplis, on s’est
servi du logiciel statistique « Sphinx plus 2 », Les résultats des
variables quantitatives sont exprimés en moyenne plus ou moins un écart-type et
ceux des variables qualitatives, en pourcentages. Les comparaisons de
l’effectif des variables qualitatives sont réalisées par le test de . Le seuil de signification choisi pour l’ensemble des
analyses statistiques est de 0.05.
Résultats et
discussion
Cette enquête sur les connaissances, les croyances et les
attitudes du public marocain de la région de Tanger à l’égard de l’épilepsie a
été réalisée auprès d’un échantillon de 180 personnes interrogées en face à
face du mois de février au mois de mai 2011 dans le Service de
Neurophysiologie à l’Hôpital El kortobi de Tanger.
Données
démographiques
Âge
L’âge moyen de l’échantillon est de 40,20 ans ±11,75 [18 ans, 70 ans], 63,4 % des interviewés sont
âgés de moins de 45 ans (Figure 1).
Sexe
Parmi les 180
participants qui ont répondu au questionnaire, on trouve 127 femmes (70,6%) et
53 hommes (29,4%) (Figure 2).
La différence avec la
répartition de référence est hautement significative: = 30,42 (p<0,001).
Contrairement aux autres
études (Tableau 1), on observe une forte participation féminine qui est
hautement significative (p<0,0001) que celle des hommes avec un sexe ratio
de 0,41. Cette prédominance peut être liée à la présence de temps libre chez
les femmes d'ailleurs la majorité des participantes sont des femmes au foyer et
peuvent trouver le temps d’accompagner leurs proches à l’hôpital.
Figure 1. Répartition
des participants à l’étude par tranche d’âge.
Figure 1. Distribution of study participants
by age.
Figure 2. Répartition
des participants à l’étude selon le sexe.
Figure 2. Distribution of study participants
by sex.
Pays |
Sexe ratio
(H/F) |
Cameroun (Alfred et al, 2009) |
1,1 |
Myanmar (New Nwe Win, 2002) |
0,7 |
Jordanie (Daoud
et al, 2007) |
1,1 |
Danemark (Jensen el al, 1992) |
1,1 |
Maroc-Rabat-Salé-Zemmour-Zaer (Andaloussi, 2009) |
0,47 |
Maroc- Oujda (Maimouni, 2008) |
1 |
Notre
échantillon |
0,41 |
Tableau 1. Sexe ratio selon les principales enquêtes mondiales.
Table 1. Sex ratio by major global surveys.
Résidence
La majorité des
participants (70,6 %) vivent en milieu urbain (29,4%) résident en milieu rural
(figure 3). Entre les 2 groupes étudiés (urbain et rural), la répartition de
référence est hautement significative. = 30,42 (p<0,001).
Niveau d’éducation
On constate que 55,6%
des participants sont non scolarisés (figure 4).
Les données démographiques de notre échantillon montrent que la
majorité des patients (50,60%) sont non
scolarisés pourtant, ils vivent en milieu urbain (70,60%), avec une forte
participation féminine (sexe-ratio H/F=0,41).
Figure 3. Milieu d’habitation des participants à l’étude.
Figure 3. Locality of residence of study participants.
Figure 4. Répartition des participants à l’étude selon le niveau d'éducation.
Figure 4. Distribution of study participants by level
of education.
La familiarité avec l'épilepsie
En matière de maladie en général et d’épilepsie en
particulier, il faut distinguer les croyances ainsi que du vécu et des
attitudes populaires vis-à-vis de toute maladie et en particulier l’épilepsie.
Les opinions ou connaissances populaires sont un ensemble d’idées partagées sur
une maladie; ce sont elles qui sont souvent recueillies lors des enquêtes (ex:
c’est contagieux, c’est impur ...). Les attitudes sont les réactions
comportementales attachées à une maladie (ex: sentiment de répulsion, dégoût,
rejet ...). Enfin, les représentations anthropologiques situent la maladie dans
un système de croyances culturelles, sacrées, magiques ou scientifiques (Nubukpo, 2003).
Au niveau de notre
échantillon, 66,1% n’avaient pas "lu" ou "entendu parler" d’une
maladie appelée épilepsie (Tableau 2) et ils n’ont pas pu sortir son
nom exact (en arabe ou en français) avec d’autres dénominations. Ainsi, elle
est appelée «l’aryah », « maq’yous » en rapport avec
l’interprétation de type irrationnel que des gens de la région se font de la
maladie. Elle est nommée également, « la crise », « la maladie
qui fait tomber » faisant évoquer des symptômes que présente le patient en
crise. D’autres dénominations faisaient référence aux circonstances de survenue:
« m’âassab » c’est à dire le stress qui peut favoriser une
crise, « al’khalâa » faisant référence au caractère surprenant
de la crise épileptique (Tableau 2).
La diversité des dénominations populaires de l’épilepsie
rencontrées dans cette étude laisse à penser que la maladie est méconnue dans
la ville de Tanger contrairement à l’étude faite dans la région Rabat-Salé-Zemmour-Zaër
(Andaloussi, 2009) « 83,2% avaient
"lu" ou "entendu parler" d’épilepsie et ils ont pu sortir son nom exact (en arabe ou en français) avec
d’autres dénominations, » La logique des dénominations mise en évidence
dans notre étude est retrouvée par d'autres auteurs comme au Mali, en milieu
rural (Nkwi
et Ndonko, 1989; Uchoa et al, 1993;
Arborio et al, 1999; Arborio et al, 2001).
Pays/année |
OUI (%) |
||
Q1 |
Q2 |
Q3 |
|
Cameroun (Alfred et al, 2009) |
99,3 |
89,7 |
87,7 |
Croatie (Bagić et al, 2009) |
97,3 |
55,5 |
44.6 |
Jordanie (Daoud
et al, 2007) |
88.0 |
- |
52.4 |
Myanmar (New New Win, 2002) |
82.0 |
25.0 |
78.0 |
Vietnam (Cuong et al, 2006) |
54,6 |
45,5 |
49,2 |
Hong kong (Fong et al, 2002) |
58,2 |
18,9 |
55.0 |
Hongrie (Mirnics et al, 2001) |
93,7 |
51,9 |
55,3 |
Danemark (Jensen el al, 1992) |
97,5 |
64.0 |
51,5 |
Indonesie (Gunadharma, 2004) |
97.0 |
- |
84.0 |
Maroc- Rabat-Salé -Zemmour-Zaer
(Andaloussi 2009) |
83,2 |
65,0 |
65,4 |
Notre échantillon |
33.9 |
40 |
90 |
Tableau 2. Comparaison de la familiarité avec l’épilepsie de la ville de Tanger
avec d’autres pays. Q1: Avez-vous déjà lu ou entendu une maladie appelée « Epilepsie »? Q2:
Avez-vous connu une personne atteinte d’épilepsie? Q3: Avez-vous vu une
personne qui a des convulsions?
Table 2. Comparison of familiarity with
epilepsy in the city of Tangier with other countries.
Concernant
la familiarité avec l’épilepsie, on peut dire que la diversité des dénominations populaires de
l’épilepsie rencontrées dans cette étude laisse penser que la maladie est
méconnue dans la région de Tanger. Pourtant, tous les patients interrogés
avaient préalablement été vus par un médecin qui leur avait communiqué et
prescrit le traitement. Or, un taux important (66,1%) ne connaît pas le nom
exact de leur maladie.
Les attitudes vis-à-vis de l’épilepsie
Lors de notre
interrogation, nous avons demandé aux participants s’ils permettent à leurs
enfants de jouer avec des personnes qui souffrent parfois des convulsions, nous
avons constaté que 69,4% des participants le refusent; craignant pour la
sécurité de leurs enfants. Nous leur avons demandé encore s’ils autorisent à
leur fils ou fille de se marier avec des personnes ayant parfois des
convulsions: 78,9% des participants ne l autorisent pas en raison que le couple serait instable, le divorce est inévitable, que
l’épileptique est incapable de mener une vie conjugale normale à cause des
crises récurrentes et qu’il y a un risque d’avoir des enfants épileptiques.
En parlant de droit du
travail des épileptiques, on observe un sentiment
d’exclusion sociale dont nous retrouvons 50,6% (Tableau 3) des personnes
interrogées refusent que les épileptiques devraient travailler telles que les
autres personnes, en ajoutant qu’ils ne peuvent pas exercer n'importe quel
métier. Cette attitude négative peut être l’origine d’une discrimination,
stigmatisation et une marginalisation sociale pouvant découler de la maladie de
l’épileptique. Malheureusement, ce dernier ne peut pas exercer n’importe quel
métier tel que l’échafaudage, le travail en hauteur, le travail isolé et la conduite
de véhicule mais il a le droit de mener une vie régulière, de trouver et
conserver un emploi même s’il est difficile à cause de ses crises.
Un autre point, qu'il
nous a semblé important de souligner, est que 40% de la population pensent que
l'épilepsie est une forme de déficience mentale. Au contraire, l’épilepsie
n’est pas une maladie mentale. Les maladies mentales affectent la pensée, les
sentiments, le comportement au point de menacer l’intégrité physique et sociale
de l’individu (Gazzaniga et al, 2001). Ce qui n’est pas le cas pour la plupart
des épileptiques qui peuvent continuer à vivre « presque »
normalement.
L'attitude de notre échantillon de la population est parmi
les plus négatives des attitudes relevées (Tableau 3).
Dans une étude réalisée
aux États-Unis (Caveness et al, 1980) comparant l'évolution de la perception de
l'épilepsie dans la population étudiée entre 1949-1979, il a été observé que la
proportion de personnes qui ont accepté que les épileptiques doivent être
inclus dans le marché du travail passe de 45% en 1949 à 79% en 1979 et que 59%
des personnes qui pensaient que l'épilepsie n'est pas une forme d'aliénation
mentale en 1949 est passé à 92% en 1979. Furthermore,
research studies carried out in Korea 13 and Hungary 9 demonstrated that educational campaigns are effective
in changing knowledge about epilepsy among the population and diminish the
negative attitudes against patients with this disease. En outre, des
études de recherche menées en Corée (Kim et
al, 2003) et en Hongrie (Mirnics et
al, 2001) ont démontré que des campagnes de sensibilisation sont efficaces
pour l'évolution des connaissances sur l'épilepsie de la population et pour la
réduction des attitudes négatives à l'égard des patients atteints de cette
maladie.
Les attitudes vis-à-vis de l’épilepsie sont caractérisées
par le rejet et la marginalisation des épileptiques, 69,4% ne permettent
pas à leurs enfants de jouer avec les personnes qui souffrent parfois de
convulsions, 78,9% des participants n’autorisent pas leurs enfants de se marier
avec des personnes épileptiques, 50% des personnes interrogées pensent qu'un
épileptique ne peut pas exercer n'importe quel métier. Plus grave encore,40%
des participants à l'enquête ont estimé que l'épilepsie est une forme de déficience
mentale.
|
Q4 % (non) |
Q5 % (non) |
Q6 % (oui) |
Q7 % (oui) |
Cameroun (Alfred
et al, 2009) |
42,7 |
75,8 |
35,1 |
35.1 |
Croatie (Bagić et al, 2009) |
6,7 |
24,0 |
- |
2.5 |
Jordanie (Daoud
et al, 2007) |
52,4 |
89,0 |
43.7 |
9.3 |
Sénégal (Ndoyea et al, 2005) |
40,0 |
68,0 |
- |
- |
Vietnam (Cuong et al, 2006) |
18,7 |
56,0 |
57,9 |
23.8 |
Hong kong (Fong et al, 2002) |
11,2 |
32,2 |
77,5 |
- |
Hongrie (Mirnics et al, 2001) |
16,0 |
41,1 |
62,0 |
- |
Madagascar (Andriantseheno et al, 1998 ) |
43,7 |
28,0 |
66,1 |
- |
Danemark (Jensen el al, 1992) |
7,0 |
- |
- |
- |
Maroc- Rabat-Salé-Zemmour-Zaer (Andaloussi, 2009) |
44,3 |
64,6 |
47,1 |
21,4 |
Notre échantillon |
69,4 |
78,9 |
49,4 |
40 |
Tableau 3. Comparaison des données de différents
pays sur les
attitudes du public vis-à-vis de l’épilepsie.
Q4: Voulez vous que vos enfants jouent avec des personnes qui souffrent parfois
des convulsions? Q5: Voulez vous que
votre fils ou fille se marie avec des personnes ayant parfois des convulsions? Q6: Vous pensez que les personnes épileptiques
devraient travailler telles que les autres personnes? Q7: Pensez-vous que l’épilepsie est une forme
de déficience mentale?
Table 3. Comparison of data from different countries
on public attitudes towards epilepsy.
Les connaissances vis-à-vis de
l’épilepsie
Lorsque nous avons interrogé les interviewés sur les causes de l’épilepsie, nous avons
trouvé que 28,9%
n’ont aucune idée et 20,6% pensent que le stress la provoque, et 15,6% pensent
que l’alcoolisme, le tabagisme et les drogues peuvent causer l’épilepsie, 25,6
croient que l’épilepsie est une cause
surnaturelle (djinns, ensorcellement) (voir Tableau4). On peut retenir parmi les théories explicatives de
l’épilepsie que la croyance en une cause surnaturelle (djinns, mauvais œil,
ensorcellement, épreuve divine) est plus importante que le dysfonctionnement
du cerveau (6,1%). Cela révèle, à notre avis, la confusion qui règne dans la
population à propos des manifestations névrotiques, psychiques et les crises
épileptiques organiques.
La notion de l’origine
surnaturelle de l’épilepsie est récurrente dans d’autres études menées dans
d’autres pays en voie de développement: le Sénégal (Adotevi et al, 1981) la République
Centrafricaine (Bernet-Bernady et al,
1997); la Mauritanie (Traoré et al, 1998).
Cette croyance est ancienne mais évolue avec le temps et est plus marquée dans
les sociétés traditionnelles.
Toujours quant aux
causes de l’épilepsie, l’hérédité est incriminée dans 9,4% des cas dans nos
résultats; ce qui est inférieur aux pourcentages retrouvés dans les séries du
Cameroun avec 18,9% (Alfred et al, 2009).
Ce pourcentage est nettement inférieur à Hong-Kong avec 50% (Frcpch et al, 2004), au Myanmar avec 33% (New
New Win, 2002) et la Croatie
avec 22.1% (Bagić et al, 2009) (Tableau 4).
Dans la plupart des cas,
l'épilepsie ne se transmet pas héréditairement. En réalité, il existe des gènes
prédisposant, mais ils ne sont pas réellement une cause, mais même en présence
d'une prédisposition, certaines conditions doivent exister dans le cerveau
avant que des crises épileptiques n'apparaissent.
La question portant sur
les causes de la maladie traduit une autre ambiguïté de la perception des
interviewés: ceux-ci confondent en effet les causes de la maladie avec les
facteurs déclenchant les crises. Invités à choisir dans une liste des causes de
l'épilepsie, les interviewés proposent à des pourcentages équivalents des
causes réelles, un dysfonctionnement du cerveau ou l'hérédité, et des facteurs
déclenchant comme par exemple le stress, l'alcoolisme. En revanche, la folie
qui n’est ni une cause ni un facteur déclenchant, ne récolte qu’un score
marginal.
|
Notre échantillon (%) |
Maroc Rabat-Salé-Zemmour-Zaer (Andaloussi, 2009) (%) |
Hong-Kong (FRCPCH et al, 2004) (%) |
Cameroun (Alfred et al, 2009) (%) |
Croatie (Bagić et al, 2009) (%) |
Myanmar (New Nwe Win, 2002) (%) |
Lésion
cérébrale |
8,9 |
12,1 |
- |
- |
- |
33,0 |
Dysfonctionnement
du cerveau |
6,1 |
22,5 |
48,0 |
- |
8,8 |
33,0 |
Folie et
démence |
1,1 |
6,1 |
12,5 |
15,9 |
- |
25,0 |
Malformation
congénitale |
2,2 |
12,9 |
29,0 |
- |
- |
- |
Hérédité |
9,4 |
15,0 |
50,0 |
18,9 |
22,1 |
33,0 |
Infection
(bactérie/virus) |
1,1 |
6,4 |
- |
- |
- |
- |
Stress |
20,6 |
45,0 |
12,5 |
- |
6,6 |
36,0 |
Alcoolisme /Tabagisme/Drogues |
15,6 |
3,9 |
- |
- |
- |
- |
causes
surnaturelles |
20,5 |
45,7 |
- |
34,4 |
- |
- |
Aucune idée |
28,9 |
3,9 |
- |
- |
47.1 |
16,0 |
Autres choses |
10 |
30,4 |
- |
- |
7,8 |
13,0 |
Tableau 4. Comparaison
des données de différents pays concernant les causes de
l’épilepsie.
Table 4.
Comparison of data from different countries concerning the causes of
epilepsy.
Concernant les avis pour le traitement de l’épilepsie, 68,9%
des interviewés recommandent en 1er la consultation du médecin, mais
ce pourcentage pourrait être une surestimation, étant donné que les sujets ont
été présents dans un établissement de santé.
Le Fkih apparaît avoir un rôle central dans l’offre du
traitement traditionnel pour les personnes épileptiques. Ainsi, 46,7% des participants proposent ses services (Tableau 5). Selon
les témoignages, des produits végétaux, minéraux, parfois des produits
d’origine animale sont prescrits, mais les hjâbs (amulettes),
les incantations (paroles magiques), les
produits à inhalations (produits végétaux le plus souvent) restent les recettes
les plus utilisées pour traiter l’épilepsie. Selon notre échantillon,
le pourcentage de ceux qui ont recommandé un fkih, guérisseur ou sorcier est
très supérieur que l’étude menée au Cameroun (16,6%) (Alfred et al, 2009), alors que ceux qui ont proposé
l’aide du médecin est très inférieur que Hong-Kong (97%) (Frcpch et al,
2004), Myanmar (74%) (New Nwe Win, 2002) et aussi au Cameroun (95%) (Alfred et al, 2009) (Tableau 5).
|
Cameroun (Alfred et al, 2009) (%) |
Myanmar (New Nwe Win,
2002) (%) |
Hong-Kong (FRCPCH et al,
2004) (%) |
Maroc- Rabat-Salé-Zemmour-Zaer (Andaloussi,
2009) (%) |
Notre
échantillon (%) |
Demander
l'avis du Médecin |
95, 0 |
74, 0 |
97, 0 |
59,6 |
68,9 |
Médecine
traditionnelle |
40,4 |
27, 0 |
25, 0 |
10,7 |
3,3 |
Acupuncture |
41,4 |
5, 0 |
25, |
0,4 |
- |
Demander l'aide
de Dieu |
- |
46, 0 |
- |
23,9 |
2,2 |
Pas de
traitement |
2,3 |
4, 0 |
0 |
0 |
1,1 |
Aller voir le
Fkih |
16,6 |
- |
0 |
48,2 |
46,7 |
Voir un
psychologue |
- |
- |
- |
20,0 |
8,3 |
Aucune idée |
0 |
16, 0 |
4, 0 |
0,4 |
0,0 |
Autres choses |
12, 0 |
2, 0 |
0 |
0,0 |
- |
Tableau 5. Comparaison des données de différents pays
sur le type de traitement suggéré.
Table 5. Comparison of data from different countries on
the type of treatment suggested.
Plantes médicinales et épilepsie
Nous nous sommes aussi intéressés à savoir les plantes médicinales
utilisés pour traiter l’épilepsie. En effet, à cause de sa
situation géographique et ses caractéristiques climatiques et édaphiques, les
plantes médicinales sont omniprésentes dans la région de Tanger-Tétouan. Nous
avons constaté que cette population consomme beaucoup de plantes médicinales
pour traiter des maladies telles que les céphalées et la migraine qui sont souvent associées à l’épilepsie.
La question destinée aux
patients et leurs familles est scindée
en deux:
Est ce que vous utilisez
des plantes médicinales pour traiter l’épilepsie?
Est-ce que vous utilisez
des plantes médicinales pour votre santé?
La majorité des
personnes interviewées n’utilisent pas de plantes médicinales spécifiques pour traiter l’épilepsie. En revanche, on a remarqué
une grande utilisation de la verveine (Verveine officinale) vue
ses effets curatifs sur le système nerveux. Elle apaise la tension nerveuse et exerce une
action régénératrice sur les nerfs. Elle serait légèrement antidépressive. Elle
combat plus spécifiquement l'anxiété et la fatigue nerveuse découlant d'une
longue période de stress (Edith, 2001).
Nous avons constaté que
11,10% des personnes épileptiques utilisent la plante Ruta pour traiter
l’épilepsie dans cette région. En effet, la rue (Ruta graveolens) est utilisée
pour régulariser l'apparition des règles, car elle a un effet stimulant sur les
muscles de l'utérus. En Europe, elle sert à soigner des pathologies aussi
diverses que l'hystérie, l'épilepsie, le vertige, la colique, les parasites
intestinaux, l'empoisonnement et les affections des yeux (Edith, 2001).
Figure 5. Quelques plantes
médicinales utilisées dans la région de Tanger.
Figure5. Some medicinal plants used in the
Tangier region.
Conclusion
Notre propos a consisté, dans cette étude, à mettre en
évidence quelques-uns des points déterminants de la dimension socio-culturelle
de l’épilepsie dans la région de Tanger.
Pour cela, nous avons porté notre étude sur 180 participants
(patients et leurs familles) suite à un échantillonnage aléatoire au service de
Neurologie Hôpital El Kortobi. Ces interviewés
ont été soumis à un questionnaire élaboré par notre équipe.
Notre travail nous a permis de constater que l’épilepsie est
méconnue et nommée différemment, plus de 6 dénominations ont été répertoriées. Le mot même
d’épilepsie déclenche encore de nos jours des images et des jugements négatifs.
Nous avons constaté que les préjugés
entraînent la persistance des interdits qui entravent la vie sociale,
affective, professionnelle de ces malades. Ces préjugés du public font de l’épilepsie
une maladie à part, qui a trait au silence et rare à en parler, une maladie pas comme les autres.
Ces résultats, entre
autres, soulignent plus que tout, l’urgence d’une information suffisante des
patients sur la réalité de leur affection et d’améliorer la compréhension par
l’entourage du patient et le public que l’épilepsie est une maladie neurologique
universelle, non transmissible et curable.
Nous proclamons que
l'épilepsie est une priorité de santé publique au Maroc; et qu’un programme
national spécifique doit être développé ce qui permettrait:
- de lutter contre les préjugés néfastes et les
discriminations dans tous les aspects de la vie, en particulier à l’école et au
travail. Ainsi, il convient d’éduquer les enseignants, les employeurs et le
public au sujet de l’épilepsie afin de réduire les stigmates sociaux et les
préjugés qui sont y associés;
- d'améliorer la
formation des professionnels en matière d'épilepsie;
- d'instituer une
Journée Nationale pour l'épilepsie à l’instar d’autres pathologies;
- d'encourager la
recherche fondamentale et appliquée sur l'épilepsie;
- d'encourager la
coopération nationale et internationale.
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