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Colloques du Groupement des Anthropologistes de Langue Française (GALF)

Ardagna, Y., Baud, M., 2012, Analyse anthropologique des trois adultes du tombeau F 48 de la nécropole royale d’Abou Rawach (Région du Caire, Egypte). Antropo, 27, 47-56. www.didac.ehu.es/antropo


 

Analyse anthropologique des trois adultes du tombeau F 48 de la nécropole royale d’Abou Rawach (Région du Caire, Egypte)

 

Mastaba F 48 Abu Rawash Royal necropolis (4th Dynasty, Cairo): Osteobiography of three adult skeletons

 

Yann Ardagna1, Michel Baud2

 

1UMR 6578 Anthropologie Bioculturelle CNRS-EFS-Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine de Marseille

2Département des Antiquités égyptiennes, Musée du Louvre, Paris

 

Abstract

            Abu Rawash Royal necropolis is composed by Mastabas dating to the 4th Dynasty. This Old Kingdom necropolis lies a hill around eight kilometres north of Giza. This is the location of Redjedef Pyramid (Kheop’s son) and mastabas. One of them F48, on the highest spot of the necropolis, is dated to the 4th Dynasty which accords well with the associated chapel (decoration dated to the middle of the Dynasty). But more recent artefact as large amount of comingled bones (human and animals) had been associated to the F 48 Mastabas. Those bones (probably post-antiquity) are probably linked to mastabas pits emptying. Thus comingled humans bones hand been discovered in several layers associated to the southern F 48 burials. A minimum number of 123 (101 adults) had been estimated by our anthropological examination. However, 3 adults skeletons were also identified. One old male adult was found fairly completed in the “descenderie”. In the south funerary chamber the bones of a old male individual were also found, which are certainly the remains of the tomb owner. And in the northern pit few bones of an adult were found. Those skeletons, especially the elderly adult of the “descenderie” pit provided palaeopathological informations: degenerative joint disease, occupational stess and relevant traumas.

 

Le site

Située à 8km au nord des Grandes Pyramides de Gîza, la nécropole royale d’Abou Rawach est un ensemble funéraire bipartite. Au sommet d’un haut plateau se dresse la pyramide du pharaon Rêdjedef (2250 av. J.-C.), fils et successeur de Khéops, dont l’élite est regroupée sur une colline 1km plus à l’est. Ce cimetière de mastabas des IVe-Ve dynasties (25e siècle av. J.-C.) fait l’objet d’une reprise des fouilles depuis 2001 (Baud et al. 2003; fig. 1).

Le tombeau F 48 de l’ensemble sud a tout particulièrement retenu notre attention (fig 2). Long de 39m, il contient deux caveaux anonymes et très largement pillés: l’un au sud profond de 18m et l’autre au nord de 12m (fig 3 et 4).

Devant ce mastaba, une tombe annexe présente (fig. 3) une descenderie ouvrant sur un caveau exigu (1,20m de long sur 0,80m de large, pour une hauteur de 0,45 m), fermé par un muret maçonné que des pillards ont partiellement démonté (Baud, 2007).

 

Figure 1. Plan de la  nécropole d’élite «F» de Rêdjedef. Iconographie M. Baud.

 

Figure 2. Plan  du mastaba F 48. Iconographie M. Baud.

 

Figure 3. Plan du caveau sud du mastaba F 48. Iconographie M. Baud

 

Figure 4. Mastaba F 48 caveau sud en cours de fouilles. Photo M. Baud.

 

La collection anthropologique

Chacun de ces trois caveaux a livré un sujet (I caveau sud, I caveau nord et I descenderie). Le matériel associé, essentiellement céramique, indique que les inhumations individuelles ont été plus ou moins perturbées au gré des pillages. Mais du point de vue anthropologique, ce mastaba a en outre livré un très grand nombre d’ossements épars mêlés à des restes fauniques, notamment des momies de musaraigne. Ces restes sont datés par le matériel associé au plus tôt du 4e siècle av. J.-C. et sont donc postérieurs de 2000 ans au tombeau F 48. Enterrés initialement dans les deux puits funéraires (sans contact avec les inhumations individuelles) puis évacués hors du mastaba par un pillage ancien, ils se présentent sous forme de couches de rejet. Avec un tel degré de réoccupation puis de pillage, il est miraculeux que les deux individus des puits (I caveau sud et I caveau nord) aient été conservés, aussi fragmentaires soient-ils. En revanche, le sujet du tombeau annexe (I descenderie) se présente en bien meilleur état.

L’étude de ces trois sujets a retenu des méthodes classiques de détermination de l’âge, de la stature et de diagnose sexuelle (Bruzek 2002; Lovejoy et al. 1985; Murail et al. 2005; Olivier et Tissier 1978; Schmitt 2005; Suchey et al. 1986).

Le niveau de représentation anatomique a été évalué grâce à l’Indice de Conservation Anatomique (Dutour 1989) tandis que l’état d’observabilité corticale est décrit par l’Indice de Qualité Osseuse (Bello 2000).

 

I caveau sud

Ce sujet est en fait issu d’un «reconstruction» anatomique de quelques pièces éparses retrouvées dans ce caveau. Dans de telles circonstances, la conservation et la représentation anatomiques sont logiquement très moyennes (ICA 21% et IQO 55%).  Si, archéologiquement parlant, il s’agit en théorie du caveau principal dédié au propriétaire (masculin) du tombeau, aucun élément n’est malheureusement disponible pour la diagnose sexuelle. De même, nous déplorons le manque d’élément permettant l’estimation de l’âge au décès (fig. 5), hormis des pertes dentaires ante-mortem. Nous retiendrons que I caveau sud est un sujet adulte de sexe indéterminé.

 

Figure 5. I caveau sud, fiche de conservation

 

Les informations paléopathologiques sont assez nombreuses, avec de multiples signes enthésopathiques (enthésopathies bicipitale et tricipitale bilatérale, spicule calcanéenne postérieure droite) et diverses lésions dégénératives. Parmi celles-ci, les atteintes rachidiennes sont plus sévères. On note une arthrose C1-2 de l’apophyse odontoïde et une arthrose postérieure en C3-4. Au niveau thoracique et lombaire, les signes de discarthrose sont présents en T4-6 ,T8-11 (fig. 6) et L3-4.

Au niveau appendiculaire, on n’observe que des lésions dégénératives plutôt débutantes mais disséminées (coude droit, omarthrose gauche avec «pitting» central et «lipping» de la cavité glénoïde.

 

Figure 6. I caveau sud, T8-9 vue antérieure.

 

I caveau nord

Ce sujet a été lui aussi reconstitué anatomiquement à partir de quelques pièces éparses comparables (en plus d’une cohérence anatomique) en termes d’état de conservation, de gabarit mais aussi d’âge. L’individu est très peu représenté anatomiquement (fig. 7) et dans un médiocre état de conservation (ICA 12.5%  IQO 25%), comme le montrent les multiples esquilles d’os longs retrouvées en laboratoire.

 

Figure 7. I caveau nord, fiche de conservation

 

Présent dans le caveau nord, il s’agit sans doute, selon la coutume, de l’épouse du propriétaire du mastaba. Malheureusement, aucun élément ne s’est avéré disponible pour renseigner l’âge, le sexe ou la stature de cet individu. Néanmoins, quelques observations paléobiologiques ont pu être glanées, comme les signes de discarthrose thoracique et de bursite ischiatique du coxal droit.

 

I descenderie

Ce sujet est le plus documenté dans tous les domaines. Malgré les difficultés posées par l’exiguïté de son caveau (fig 8), la fouille a réussi à mettre en évidence les éléments archéothanatologiques suivants:

- La partie supérieure du sujet reposait en décubitus dorsal.

- La migration du crâne et de la mandibule.

- Le thorax (cervicales et thoraciques basses) très perturbé.

- Des membres supérieurs complètement déconnectés. On note par exemple, que l’humérus gauche est perpendiculaire à l’axe du rachis.

- Les membres inférieurs dans une position probablement très contractée.

- Un bloc calcaire étant tombé sur les pieds, détruisant les os et les connexions.

 

Figure 8. Le sujet I descenderie en cours defouilles.

 

Figure 9. Le sujet I descenderie, fiche de conservation.

 

Ces perturbations de la position d’inhumation initiale sont très probablement en lien avec un pillage qui n’a cependant pas altéré un assez bon état de conservation: ICA 61% et IQO 68% (fig 9). L’étude complète de l’os coxal et de la surface auriculaire évoque un  sujet adulte plutôt mature – âgé et de sexe masculin.  Une stature de l’ordre d’1,72m (+- 3,17cm) a été déterminée.

L’examen des pièces a livré des informations paléopathologiques multiples et d’origine étiologique diverse. Au niveau des dents mandibulaires, la secondaire prémolaire droite montre un large remodelage de l’os alvéolaire dénudant la racine de PM1 (fig 10).

 

Figure 10. Mandibule du sujet I descenderie.

 

Un abcès cicatrisé peut être évoqué. Au niveau rachidien, de multiples signes d’arthrose étagée ont été observés au niveau cervical (C1-2 fovea dentis, arthrose interapophysaire C2-3 et discarthrose de C3-C6). Ces lésions sont moins présentes au niveau thoracique (OA costo-vertébrale et ossification ligament jaune de T5 -12) contrairement aux lombaires où la discarthrose est assez sévère. Outre ces lésions arthrosiques, les apophyses épineuses de T5-T6 suggèrent la présence d’un probable cal de consolidation d’une fracture (fig. 11a et 11b).

 

Figure 11a. Vue latérale T5-6.

 

Figure 11b. Vue postérieure T5-6.

 

On note également au niveau de L5 une spondylolyse isthmique bilatérale non consolidée (fig 12) associée à une discarthrose prononcée avec S1.

 

Figure 12. Vue supérieure de L5.

 

Au niveau appendiculaire, les membres supérieurs livrent plusieurs fractures bien consolidées:

- Au niveau de la métaphyse distale du radius droit avec un une légère angulation et une arthrose radio-ulnaire associée (fig 13).

- Une fracture en baïonnette de la diaphyse du 5e métacarpien droit (fig 14).

- Une fracture de la métaphyse distale de l’ulna gauche avec une légère angulation et une arthrose radio-ulnaire associée (fig 15).

 

Figure 13. Vue latérale de la fracture du radius D.

 

Figure 14. Vue latérale du MC5 D.

 

Figure 15. Vue de la fracture de l’ulna G et de l’arthrose radio-ulnaire.

 

            On constate également une fracture costale droite bien consolidée ainsi que de discrètes lésions des phalanges. De part et d’autre du fût diaphysaire des phalanges proximales de la main droite, on observe en effet des excroissances osseuses symétriques (fig. 16) au niveau des insertions des muscles fléchisseurs. Ces lésions s’apparenteraient à des enthésopathies de ces zones dites en berceau.

 

Figure 16. Vue supérieure Phalange proximale main 3e rayon D.

 

Conclusion

Les informations biologiques livrées par ces trois sujets sont plutôt minces et inégales. Toutefois certaines lésions paléopathologiques permettent d’approcher leur ostéobiographie. Par exemple, le probable cal de consolidation des apophyses épineuses de T5 et T6 du sujet de la descenderie suggère un diagnostic différentiel assez complexe. Une fracture de l’apophyse épineuse consécutive à un choc direct (Resnick and Niwayama, 1995) est envisageable, bien que très rare surtout en paléopathologie. Les plus fréquentes fractures postérieure de l’arc vertébral sont liées à une hyperflexion voire à une «avulsion» du ligament supra-épineux ou du point d’ossification de l’apophyse épineuse chez le sujet jeune. Il convient de parler dans ce cas de fracture du terrassier (clay-shoveller’s fracture, root-puller’s disease, Schipper’s disease ou Schmitt’s disease chez l’immature). Ceci dit, ces  fractures du terrassier sont plutôt typiques sur le segment C6-T3 (Resnick and Niwayama, 1995) or, pour ce sujet, ce sont les 5e et 6e vertèbres thoraciques qui sont touchées (Fig. 8). De plus, on enregistre un cal plutôt que la classique pseudarthrose très fréquemment décrite dans la littérature (Annan 1945; Knüsel et al. 1996; Resnick and Niwayama 1995). Certains auteurs rapportent même que la consolidation de ce type de traumatisme est assez rare (Solaroglu et al. 2007). L’autre lésion singulière touche les phalanges proximales (ici du 3e rayon de la main fig. 13) du même individu, rappelant des enthésopathies, synonymes d’objet agrippé avec force à l’échelle d’une vie. Elles ont d’ailleurs été fréquemment enregistrées dans l’amas d’ossements épars des couches de rejet du mastaba F 48. Des divergences interprétatives quant à ces exostoses existent selon le type d’objet agrippé et le contexte « social»: soit les doigts agrippent en flexion un stylet, tel que proposé pour la momie thébaine du scribe Penpi (Kennedy, 1989), soit les doigts enserrent un objet/outil (marteau) dans un contexte traumatisant relevant des activités intenses de mineurs ou de carriers (Bailly-Maître, et al. 1996). Deux conditions sociales (scribe vs carrier) très différentes, mais possibles selon la notion d’intensité de la lésion, en parallèle avec les types d’activité. Des comparaisons avec des sujets aux activités documentées étaieraient ces interprétations et l’ostéobiographie de ces trois sujets du mastaba F 48.

 

Références Bibliographiques

Baud, M., Farout, D., Gourdon, Y., Moeller, N., Schenk, A.,  2003, Le cimetière F d’Abou Rawach, nécropole royale de Rêdjedef (IVe dynastie), BIFAO, 103, 17-71.

Baud, M., 2007, Abou Roach: nécropoles privées,  BIFAO 107, 2007, 260-264.

Annan, J.-H., 1945, Shoveller's fracture, The Lancet 10, 174-175.

Bailly-Maître, M.-C., Simonel B., Barré N., Boulle E. L., 1996, Travail et milieu. Incidences sur une population au Moyen Age. Dans L'identité des populations archéologiques. XVIe rencontres internationales d'Archéologie et d'Histoire d'Antibes, édité par Buchet L. editeur, (Editions APDCA, Sophia Antipolis) p. 211-243.

Kennedy, K., 1989, Skeletal markers of occupational stress. Dans Reconstruction of life from the human skeleton, édité par Iscan M. Y. et  Kennedy K. (New York: Liss) p. 130-160.

Knusel, C. J., Roberts C. A. et Boylston A., 1996, Brief communication: when Adam delved ... an activity-related lesion in three human skeletal populations, AJPA, 100(3), 427-434.

Resnick, D. et Niwayama G., 1995, Diagnosis of bone and joint disorders (Philadelphia: Saunders)

Solaroglu, I., Kaptanoglu E., Okutan O. et  Beskonakli E., 2007, Multiple isolated spinous process fracture (Clay-shoveler's fracture) of cervical spine: a case report. Ulus Travma Acil Cerrahi Derg 13(2), p162-164.