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Colloques du Groupement des Anthropologistes de Langue Française (GALF)

Samb, N.D., Sakho, P., 2012, Déterminants de l’utilisation des services de santé de la reproduction (SR) par les populations de transhumants pastoraux de la région de Matam. Antropo, 27, 97-104. www.didac.ehu.es/antropo


 

Déterminants de l’utilisation des services de santé de la reproduction (SR) par les populations de transhumants pastoraux de la région de Matam

 

Ngoné Déguène Samb1, Papa Sakho2

 

1Pharmacien/Microbiologiste/Economiste de la santé/Chercheur, Ministère de la santé/Division de lutte contre de SIDA-IPDSR/UCAD     

2Maître-assistant, Géographe, IPDSR-FLSH/UCAD

 

Mots clés: Transhumants, Matam, Ferlo, mobilité, utilisation services de SR

 

Résumé 

Chaque année, en fin de saison pluvieuse, les transhumants de la région de Matam quittent leurs villages d’attache situés au Nord pour aller vers le Sud qui offre plus de possibilités de satisfaire les exigences alimentaires très élevées des troupeaux et permet de les entretenir en saison sèche. Ces déplacements alternés, sur de longues distances, dans des endroits enclavés, créent une précarité et un éparpillement qui placent les éleveurs et leurs familles en situation de marginalité sociale et à l’écart des structures de santé. Les femmes, en particulier accompagnent leurs maris dans leurs déplacements et mènent leur grossesse jusqu’à terme, sans aucune consultation prénatale. La plupart accouchent à domicile (en brousse), sans assistance qualifiée ou ont recours aux accoucheuses traditionnelles, même en cas de complications. A ces éléments s’ajoutent l’analphabétisme, le bas niveau d’instruction ainsi que certaines pratiques socioculturelles (excision, mariages précoces et/ou forcés) qui accentuent la complexité de la Santé de la Reproduction (SR) des transhumants.

L’absence de données justifie cette recherche exploratoire, qualitative et inductive avec un échantillonnage en boule de neige, pour appréhender les déterminants explicatifs de l’utilisation des services de SR par les transhumants de la région de Matam.

Des entretiens individuels ont été réalisés avec 17 acteurs de développement, 2 leaders sédentaires des transhumants et 5 infirmiers chefs de postes de santé soit au total 24 personnes.

Les résultats ont permis d’identifier trois déterminants contextuels principaux qui influencent l’utilisation des services de SR par les transhumants de la région de Matam. Il s’agit de la difficulté d’accès géographique aux lieux de prestations, de la pauvreté de la carte sanitaire locale en infrastructures et en ressources humaines et du mode d’organisation et de fonctionnement du système de santé, basé sur la fixité, donc plus profitable aux populations sédentaires. La stratégie avancée préconisée pour les populations  des  zones  retirées,  est  irrégulière  et  insuffisante à cause du manque de moyens et de disponibilité des équipes, malgré l’implication des comités de santé, des ONG et de l’aide au développement. La stratégie mobile ne concerne que le Programme Elargi de Vaccination (PEV).

 

Introduction

Les populations survivent dans les zones sèches à arides grâce à leur mobilité, si bien que la transhumance constitue une pratique traditionnelle qui occupe une place très importante dans le système de production pastorale. C’est un mode de vie qui consiste à déplacer les troupeaux depuis les villages d’attache, chaque année, d’une zone de pâturage à une autre, sur de longues distances. Elle se distingue des deux autres formes de mobilité, le nomadisme et le semi-nomadisme pastoral. Dans le premier cas, les nomades, sans points d’attache fixe, vivent exclusivement des produits de l’élevage et se déplacent avec la totalité de l’unité d’exploitation (hommes et biens) en suivant des itinéraires qui changent chaque année. Quant aux semi-nomades, ils tirent leurs revenus à 50% de l’élevage et à 50% de l’agriculture (Mbaye, 2007; Wane, 2005). L es zones sèches qui correspondent au Sahel en Afrique de l’Ouest, s’étendent au Sénégal, sur le quart Nord et ont leur plus grande extension dans la région de Matam.

Chaque année, en saison sèche, ils quittent leurs villages d’attache avec leurs troupeaux pour rejoindre le Sud en fin d’hivernage, en utilisant des couloirs de passage à des moments déterminés de l’année. L’amplitude des déplacements varie en fonction de la proximité de l’eau, des conditions physiques, des caractéristiques des troupeaux, des conditions humaines et des impératifs économiques. Une forte mobilité, la dispersion, l’enclavement et la précarité les placent en situation de marginalité sociale et les éloignent des structures de santé. L’absence de données détaillées sur la population, les mouvements et les ressources justifient la pertinence de la thématique de recherche pour une meilleure compréhension de l’utilisation des services de Santé de la Reproduction (SR) dans un milieu socioculturel et économique marqué par la mobilité. Même si populations en transhumance sont majoritairement masculines, une attention particulière est portée à la situation des femmes à cause de la place qu’elles occupent dans la santé reproductive. Dans cette analyse exploratoire il s’agit d’étudier le contexte, les méthodes et outils ainsi que les résultats préliminaires pour amorcer la discussion théorique et conceptuelle.

 

Transhumance dans la région de Matam

Les transhumants de la région de Matam sont des Peuls dont les villages d’attache sont situés dans la vallée du fleuve Sénégal où restent généralement les personnes âgées et les enfants scolarisés. Deux fois dans l’année, dans leur recherche de pâturages, en saison sèche et en hivernage, les transhumants traversent le Ferlo ou Sahel sénégalais qui couvre 1/4 de la superficie du pays dont la plus grande extension se situe dans la région de Matam. Cette jeune région créée en 2002 comprend les départements de Ranérou-Ferlo, Matam et Kanel. L’espace de transhumance couvre tout le Département du Ranérou-Ferlo (Wane et al., 2006). Sur plus de la moitié (51%) du territoire régional (15.101 km2), il concentre les pistes de transhumance et les points de passage vers le Sud. la principale localité est la Commune de Ranérou (Fig. 1). La population évaluée à 41 660 habitants en 2002 a été estimée à 48.475 habitants en 2005. Elle parle majoritairement le pular alors que le wolof est parlé à Thionokho et le maure à Younoféré ainsi qu’à Vélingara.

 

Activités économiques en zones de transhumance

La faiblesse et l’irrégularité des pluies (200 à 400 mm) qui limitent les cultures font de Ranérou-Ferlo la zone à vocation d’élevage par excellence de la région de Matam. Quatorze (14) forages sur les 116 que comptent l’ensemble de la région, dont 13 sont dans l’arrondissement de Vélingara, sont complétés par des puits pastoraux, des marigots, des mares temporaires et permanentes pour satisfaire les besoins en eau des hommes et du bétail (Conseil régional de Matam, 2003). La seconde activité est le commerce (bétails, produits agricoles, denrées alimentaires) dans les marchés hebdomadaires. Le Département tire également partie des richesses végétales de la réserve sylvopastorale du Ferlo.

 

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Figure 1. La transhumance transfrontalière, d’après Sy (2010).

 

Pratiques culturelles et santé reproductive

Les croyances et pratiques culturelles séculaires, très enracinées dans le tissu social font que le transhumant, ne se déplace pas tous les jours de la semaine (Gomez, 1979) et que la majorité des femmes de la région de Matam sont excisées. La plupart des femmes sont enceintes de leur premier enfant à l’adolescence à cause des mariages précoces (Agence nationale de la statistique et de la démographie, 2007). L’analphabétisme ainsi que le bas niveau d’instruction entretiennent les tabous, les croyances, les rumeurs qui renforcent l’hostilité vis à vis de la planification familiale et les pratiques traditionnelles en matière de santé de la reproduction. Ces pratiques contribuent à la mortalité maternelle qui est la plus élevée de la Région et du pays.

 

Utilisation des services de SR par les transhumants dans la région de Matam

La problématique de l’utilisation des services de SR par les transhumants se trouve dans les interrelations entre leurs caractéristiques sociodémographiques et l’environnement pastoral dans lequel ils évoluent ainsi que dans l’organisation et le fonctionnement du système de santé en vigueur (Figure 2).

L’analphabétisme et le bas niveau d’instruction entraînent une faible prise de conscience qui empêche les transhumants de comprendre les concepts médicaux et les rend moins attentifs au lien entre certaines pratiques culturelles et les maladies de la reproduction. L’hostilité du milieu et l’enclavement accentuent  la mauvaise répartition des points de prestation de services de SR et l’insuffisance des ressources humaines. Leur disponibilité variable selon le moment et le lieu rend difficile l’accès aux soins. En dehors des jours de marché, les transhumants trouvent difficilement des espèces pour payer les services dans les structures de santé.

Les quatre visites prénatales minimales recommandées par l’OMS sont rarement complètes. Les femmes ne les commencent qu’au 4ème mois de grossesse et le taux d’achèvement en Consultations Prénatales (CPN) est très faible. Peu de femmes transhumantes bénéficient d’une assistance qualifiée pendant les accouchements. Une césarienne nécessite le recours à l’hôpital d’Ourossogui qui se trouve à plus de 100 km. Le taux de mortalité maternelle dans les structures de santé du département de Ranérou-Ferlo est le plus élevé de la Région, faute de soins médicaux. Il est de 612 décès pour 100.000 naissances vivantes (NV), contre 401 pour 100.000 NV à l’échelle nationale.

 

Matériels et méthodes 

La démarche méthodologique adoptée comprend une revue documentaire analytique, une phase d’observation et une enquête qualitative à caractère exploratoire et inductive qui tire ses conclusions générales des informations et observations particulières collectées sur le terrain et analysées. Un échantillonnage en boule de neige a permis d’interroger 24 individus qui ont volontairement participé à l’enquête. Il est constitué de 17 acteurs de développement (14 à Matam, 3 à Ranérou), 2 leaders communautaires sédentaires des transhumants, la coordinatrice SR du Département de Ranérou-Ferlo, la sage femme du poste de santé (PS) de la Commune de Ranérou, les infirmiers chefs de poste (ICP) des villages de Youndouféré, Loumbol Samba Abdoul et Oudalaye. Les données ont été collectées par observation et par entretiens individuels semi-directifs à l’aide d’un guide pour chaque cible. Les questions ont porté sur le phénomène de transhumance, sur les actions de développement intégrant un volet SR, sur les comportements et pratiques traditionnelles susceptibles d’influencer l’utilisation des services de SR et sur l’offre de services de SR dans l’espace de transhumance.

Les entretiens individuels avec les leaders communautaires sédentaires des transhumants se sont déroulés dans la commune de Ranérou entre le 9 juin et le 24 juillet 2009.

 

Figure2. Déterminants de l’utilisation des services de SR dans la région.

 

 

Résultats

Une forte mobilité, du Nord vers le Sud

Les transhumants traversent plusieurs points de passages dans le département de Ranérou-Ferlo en suivant des axes bien connus pour la quête de fourrage et de points d’eau (Tableau 1). Les plus fréquentés  sont Loumbol, Ranérou-Ferlo, Fourdou, Yonoféré, Naouré, Louguéré Thiolly et Vélingara. Bien que séparées par de longues distances, ces villages ne sont dotées ni d’infrastructures routières, ni de moyens de transports. Les petits troupeaux constitués d’environ 40 à 70 têtes d’animaux, arrivés à hauteur de Mbam, Salalatou ou Mbem-Mbem s’arrêtent lorsqu’il y a de l’eau et de l’herbe. Avec le retour des pluies, ils rebroussent chemin, après un séjour de deux à trois mois. Les grands troupeaux composés d’au moins 100 bêtes, continuent en direction du Sud, vers Tambacounda, où les pluies sont plus précoces, pour profiter des résidus de récolte, avant de retourner au Nord.

Les forages et les marchés hebdomadaires constituent les principaux points de concentration des transhumants (Tableau 2).   

Les transhumants vivent la plupart du temps en pleine nature avec les troupeaux qu’ils ne peuvent regrouper que sur des aires très éloignées des habitations.

 

Localités

Distances en km

Type de point d’eau

Loumbol Samba Abdoul

25

Forage

Fourdou

25

Forage

Péthiel

30

Forage

Badagore

40

Puits pastoral

Oudalaye

45

Forage

Yonoféré (Nakara)

65

Forage

Mbam

75

Puits pastoral

Salalatou (Pas de téléphone)

85

Puits

Mbem-Mbem

90

Forage

Vélingara

100

Forage

Louguéré-Thiolly

110

Forage

Tionokho

155

Forage

Tableau 1. Points de passage selon la distance de la commune de Ranérou et type de point d’eau.

 

Jour de marché

Localité

Lundi

Louguéré Thiolly

Mardi

Vélingara

Mercredi

Mbem-Mbem

Jeudi

Barkédji*

Vendredi

Tionokho

Samedi

Linguère*

Dimanche

Dendoudi

Tableau 2. Principaux marchés hebdomadaires organisés dans et autour de Ranérou-Ferlo. *Hors du Département de Ranérou

 

Infrastructures

Nombre

Centre de santé

Postes de santé

Cases de santé

Maternités rurales

Banque de sang

Laboratoire d’analyses de biologie médicale

Pharmacie privée

Dépôts de médicaments

1 (récent et non opérationnel)

11

8

11

0

0

1 (Commune de Ranérou)

9/11 postes de santé

Ressources humaines

Nombre

Médecin chef de district (MCD) et  son adjoint

Anesthésiste

Sages-femmes formées en échographie

ICP pour le centre de santé,

Assistante-infirmière (CS)

Hygiéniste qui s’occupe du PEV

Assistant social chargé de l’EPS

ICP pour les localités autres que Ranérou

Matrones

Dépositaires de médicaments

1

0

2 (dont 1 coordonatrice SR)

4 (dont 1 infirmier major)

1

1

1 (pour le département)

11

14 (dont 3 dans la commune de Ranérou)

9

Tableau 3. Infrastructures sanitaires et ressources humaines dans le Département de Ranérou

 

Un accès difficile aux services de SR

La formation sanitaire de référence se trouve à 25 km au moins de la localité la plus proche et la banque de sang à 98 km au moins. Le Département de Ranérou-Ferlo compte trois ambulances. Ainsi, la plupart des décès surviennent au cours des évacuations. En outre, le Réseau de télécommunication se limite à la radio nationale (RTS) et la radio communautaire (Ranérou FM).  De surcroît, les fortes températures, surtout en saison sèche, affaiblissent la portée des émetteurs radio et limitent leurs performances. La téléphonie est déficiente ou totalement absente. La coordonatrice SR du département de Ranérou raconte avec beaucoup de regret: "En saison pluvieuse, il est difficile aux populations enclavées de joindre le centre de santé de référence, par téléphone, même après avoir parcouru plusieurs kilomètres en brousse. L’ambulance rebrousse est souvent obligé de rebrousser chemin à cause de la boue et des arbres qui tombent". Elle ajoute "A cause du recours tardif aux soins certaines parturientes meurent de suite de rétention placentaire".

Les infrastructures sanitaires et les ressources humaines sont en sous effectif. Le personnel a les compétences pour réaliser des césariennes et des échographies mais le bloc chirurgical n’était pas fonctionnel car non encore électrifié en 2009.

 

Une offre de services de SR limitée et payante

Le fonctionnement du système de santé est essentiellement basé sur la fixité, c'est-à-dire que les services de santé ne sont pratiquement disponibles qu’au niveau des infrastructures sanitaires fixes, installées en fonction des populations sédentaires. Entre le 17 avril et le 11 juillet 2008, l’infirmier chef de poste (ICP) d’Oudalaye, n’avait enregistré que 10 transhumants sur 256 consultants.

La stratégie avancée préconisée pour renforcer la stratégie fixe est irrégulière et réalisée par  des équipes déjà submergées. Elle consiste en une offre de services de SR spécialisés, par des équipes pluridisciplinaires, aux populations se trouvant  à 15 km, donc hors des limites de responsabilité des ICP. Les acteurs expliquent son insuffisance par la faiblesse des ressources apportées par l’Etat, les comités de santé, les ONG et les partenaires au développement. La stratégie mobile, elle, ne concerne dans le Ferlo, que le programme élargi de vaccination (PEV).

Les prestations de services de SR sont payantes avec des coûts qui varient entre 1000 et 2000 FCFA avec un maximum de 7.000 à 8.000 FCFA en hivernage. Le prix des produits est le même aussi bien dans les postes de santé (PS) qu’en stratégie avancée. Toutefois, les tickets d’accouchement sont gratuits au niveau de tous les PS du département de Ranérou-Ferlo.

Au niveau communautaire, les acteurs non étatiques (ONG/OCB, les relais communautaires etc.) et les populations s’impliquent directement pour satisfaire certains besoins locaux. En effet, des Comités d’Initiative d’Appui aux Actions Communautaires (CIAAC) et des comités mixtes d’évacuation des femmes et des enfants, ont été créés pour appuyer l’organisation des journées de mobilisation sociale et pour les urgences. Les comités des mamans gérés uniquement par les femmes s’occupent de la promotion de la SR.

 

Paquet minimum de soins et de services

Stratégie

Lieux d’offre

Soins obstétricaux et néonatals d’urgence de base (SONUB)

Planification familiale (PF), consultation prénatale (CPN), prévention de la transmission mère-enfant (PTME), consultation post natale (CPON)

Accouchement

Consultation néonatale

Soins après avortements (SAA), non disponibles dans les PS

PEV

IEC, sensibilisation et mobilisation sociale

 

F et A

 

 

F et A

F et A

F

F, A, M

F, A, M

 

CS et PS

 

 

CS et PS

CS et PS

CS

CS et PS, parcours

CS et PS

Services et produits SR offerts

 

 

Contraceptifs, ovules, préservatifs, antiseptiques

SP et moustiquaires imprégnées gratuites

Fer et vitamines gratuites

F et A

F et A

F et A

CS et PS

CS et PS

CS et PS

Tableau 4. Nature de l’offre de soins, de services et de produits SR dans le District de Ranérou. F: fixe. A: avancée  M: mobile.

 

Influence des pratiques culturelles sur la SR

L’excision, les mariages forcés et précoces, ainsi que les dures corvées d’eau, même pour les femmes enceintes, sont fortement incriminés dans la survenue d’accidents pendant la grossesse, au moment ou après l’accouchement. Pour fuir les "porteurs de gris-gris" appelés "Yishatabesdo" (Yishatabesdo signifie en peul, "n’accède pas à celle qui allaite". Selon les croyances, leur cheptel s’enrichirait s’ils parviennent à dénombrer 7 décès de nouveau-nés.), les parturientes se sauvent des services de SR sans bénéficier de soins du post partum et post natal. La médecine traditionnelle constitue la première référence en zone de transhumance. La médecine moderne n’est utilisée qu’en cas d’urgence ou lorsque la tradithérapie reste sans effet. Un agent d’encadrement rural témoigne: "A mon regard interrogateur devant le coupe-coupe ensanglanté et les cris du bébé, le transhumant me dit que sa femme venait d’accoucher plus tôt qu’il ne le pensait et qu’il n’avait pas eu le temps de s’approvisionner en lames de rasoir pour sectionner le cordon ombilical du nouveau-né, comme il en avait l’habitude. Je me dis que chacun des enfants du couple avait miraculeusement échappé à la mort. Je songeais à l’expression wolof "Moutiena" qui signifie "Elle est sauve", utilisée pour annoncer l’accouchement d’une femme". L’ICP du village de Loumbol disait: "Les hommes sont contre la planification familiale. Pourtant les femmes désirent se reposer entre deux grossesses. Elles ne sont malheureusement pas instruites, ne maîtrisent pas leur cycle menstruel et ignorent la protection avec les préservatifs".

 

Discussion

Au-delà de la situation de pauvreté de la carte sanitaire locale en infrastructures, en moyens matériels et en ressources humaines que le Ferlo partage avec toutes les zones rurales reculées du Sénégal, trois aspects retiennent l’attention: le rôle des moyens de télécommunications, l’écart dans la perception du territoire et de la notion du temps d’un système de santé fixe et des populations mobiles.

Les conditions de mobilité et de communication influent sur l’accès aux services de SR. Le degré de pénétration du poste récepteur dans les ménages des transhumants devait pouvoir accompagner, à moindre coût, les activités de sensibilisation, de mobilisation sociale et de transmission d’informations stratégiques. Son rôle dans la diffusion des messages stratégiques est malheureusement limité par des déficiences techniques.

Les stratégies d’offre de services de SR du système de santé fixe posent la question des différences de perceptions de l’espace et du temps. La superposition de deux perceptions du territoire notamment juridique (limites des responsabilités administratives des prestataires) et écologique (espace de transhumance) déteint sur la stratégie avancée. En effet, les transhumants évoluent hors des limites d’intervention des postes de santé, sur les parcours de transhumance non atteints par les matrones, les accoucheuses traditionnelles ou les relais polyvalents non itinérants). L’écart de temporalité se lit sur l’inadéquation entre les périodes et durées des séjours sur les parcours de saison sèche et celles des activités des prestataires (actions de santé publique, d’éducation pour la santé (EPS), d’information, de sensibilisation, de prévention, de suivi médico-social ou de soutien psychologique). La disponibilité des équipes partagées entre les tâches dans les structures sanitaires et les activités en stratégie mobile relève également de cette  difficulté de gestion des temporalités.

Si l’accessibilité financière dépend en partie de la faiblesse des ressources mobilisées, elle est à corréler avec l’absence de stratégies compensatoires des comités de santé (paiement en différé en cas d’urgence). Selon un agent communautaire qui évolue dans la localité: «les lenteurs dans les évacuations par l’ambulance sont dues au fait que les transhumants doivent vendre un animal ou emprunter de l’argent, puisqu’ils n’en ont pratiquement jamais sur eux». Les actions communautaires (caisses de solidarité et mutuelles) des associations de quartiers ou de villages bâties sur la corésidence semblent ignorer les populations mobiles. Les agents des services techniques de développement rural (eaux et forêts, santé animale, hydraulique rurale et élevage), pour avoir intégré dans leurs stratégies les dimensions spatiales et temporelles de la mobilité, atteignent plus facilement les transhumants que les acteurs de santé. Ils ne sont malheureusement pas mis à contribution pour renforcer le système dans la communication d’informations stratégiques et dans les évacuations sanitaires en cas de détresse chez les transhumants.

 

Conclusion

L’investigation exploratoire qualitative menée en 2009 a apporté des éléments d’informations sur l’acuité des problèmes de recours aux services de SR des transhumants de la région de Matam et des facteurs contextuels. Elle a surtout permis l’émergence de questions de fond dont les réponses permettront de cerner la SR des transhumants. Il s’agit des perceptions différenciées du temps et de l’espace comme facteurs d’attitudes et de comportements des prestataires et des bénéficiaires.

L’étude a en outre permis de concevoir une approche méthodologique adaptée qui va permettre d’appréhender les effets des territorialités et temporalités des acteurs de la SR dans le Ferlo.

 

Références Bibliographiques

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Gomez O.S., 1979. Contribution à l’étude de la transhumance au Sénégal: ses conséquences sur l’exploitation du cheptel et sur le développement économique et social des populations pastorales.Thèse Vétérinaire, 92p.

Mbaye, N., 2007. Systèmes de production et mutations des paysages ruraux dans la basse vallée du Ferlo au Sénégal. Thèse de géographie, Université Bordeaux III, 317 p.

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Wane, A., 2005. Marchés de bétail du Ferlo (Sahel sénégalais) et comportements des ménages pastoraux. Colloque SFER 2005, Montpellier

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