Azzaoui, F-Z., Ahami, A.O.T., Rusineck, S., 2010, Etude d’impact du milieu environnant sur les fonctions cognitives des enfants marocains de la région du Gharb. Antropo, 21, 19-25. www.didac.ehu.es/antropo

Etude d’impact du milieu environnant sur les fonctions cognitives des enfants marocains de la région du Gharb

 

Impact of environment on cognitive functions of Moroccan children in Gharb region

 

F-Z Azzaoui1, A.O.T. Ahami1 et S. Rusineck2

 

1UFR Biologie Humaine et Santé des Populations (BHSP). Unité Neurosciences Cliniques,  Cognitives et Santé, Laboratoire Biologie et Santé, Département de Biologie, BP 133 Faculté des Sciences, Université IBN TOFAIL, Kenitra, Maroc. E-mail: azzaouifz@hotmail.com

2U.F.R. de Psychologie, Université Charles De Gaulle, Lille, France

 

Mots clés: Enfant, neurocognition, environnement, Gharb, Maroc

 

Key words: Children, neurocognition, environment, Gharb, Morocco

 

Résumé

Le dépistage précoce des déficits neurocognitifs permet un traitement efficace et une évolution neurocognitive normale de l’enfant. L’objectif de ce travail est de déceler ces déficits chez une population d’enfants marocains vivant dans la plaine du Gharb  (Nord Ouest du Maroc), région souffrant de pollution environnementale.

L’étude a été réalisée au niveau de la principale ville de cette plaine (ville de Kenitra) et de sa région, chez 129 enfants scolarisés en classe préparatoire de l'enseignement primaire public (CP1). Ces enfants sont âgés de 6 à 8 ans et habitent et étudient dans trois zones différentes de la région d’étude: urbaine (N= 38), rurale (N= 35) et périurbaine (N= 56).

Les résultats obtenus ont montré des différences significatives entres les performances des enfants selon la zone habitée. Généralement, les scores les plus importants sont enregistrés chez les enfants habitant la zone urbaine, alors que les plus faibles sont enregistrés chez les enfants habitant la zone rurale ou périurbaine. En outre, en l’absence d’une standardisation marocaine, la comparaison des résultats obtenus avec les normes internationales ont révélé aussi quelques déficits neurocognitifs.

 

Abstract

The present study aims to evaluate neurocognitive status of Moroccan children who lives in Kenitra city and its region (North West of Morocco), in order early revealing possible deficits.

129 children living and studying in urban (N=38), rural (N=35) and periurbain (N=56) zones of Kenitra city and its region were studied. They were aged between 6 and 8 years and schooled in the first year of primary public schools.

The obtained results have shown significant differences between children performances, depending to the living zone. Also, the comparison of these results to international standards (in the absence of Moroccan ones), have shown deficits in some neurocognitive performances.

 

Introduction

La plaine du Gharb ou -bas bassin versant du Sebou- est une région située dans le Nord Ouest du Maroc, se caractérisant par un potentiel agricole et industriel très important. Elle est traversée par le Sebou, l'un des Oueds les plus importants du pays. Toutefois, la diversité des activités anthropiques polluantes dans la région (agriculture, industries, trafic routier…), généralement installées le long de ses rives, ainsi que l’absence de stations d’épuration nuisent à la qualité de l’environnement de la région d’une part (Azzaoui, 2004; Azzaoui, 1999; Benasser, 1997). D’autres parts, les revenus faibles et irréguliers des ménages générés par ces activités influencent le niveau et la qualité de vie d’autres parts (Azzaoui, 2009). L’ensemble de ces facteurs environnementaux, socio-économiques et nutritionnels pourrait avoir des effets sur la santé de la population, spécialement la santé infantile.

Par ailleurs, la santé neurocognitive est une catégorie souvent écartée lors de la majorité des études réalisées à l’échelle nationale. En fait, les fonctions cognitives qui se divisent en quatre grandes classes, notamment les fonctions réceptives, la mémoire et l’apprentissage, le raisonnement et les fonctions exécutives (Bérubé, 1991) sont des fonctions qui s’avèrent très sensibles au statut nutritionnel et à la pollution du milieu environnant, surtout si l’effet de ces deux paramètres touche l’enfant en bas âge. En effet, Agarwal et al., (1955) ont démontré que la malnutrition altère la mémoire, les habilités concernant les informations personnelles et courantes, l’orientation et l’apprentissage. En plus, il a été mis en évidence que la carence en fer affecte aussi négativement les performances mentales (Lozoff et al., 1987) surtout quand la période de la carence est très longue (Walter et al., 1989).

Par ailleurs, la pollution du milieu environnant altère aussi les fonctions cognitives des enfants vivant dans ces milieux contaminés. En effet, certains polluants métalliques comme le plomb ou le mercure se sont avérés très néfastes pour les fonctions neurocognitives; conduisant à une diminution du quotient intellectuel, de la mémorisation, d’une augmentation de la distractibilité et à une apparition des comportements antisociaux (Tsuji et Nieboer, 1999; Grandjean et al., 1998).

L’objectif de la présente étude est d’évaluer l’état de santé neuropsychique chez des enfants de la plaine du Gharb, exposés à différents types de pollution, par différentes batteries de tests neurocognitifs et de comparer les performances des enfants ruraux, urbains et périurbains afin de mettre en évidence d’éventuels troubles qui pourront perturber leur développement neurocognitif normal.

 

Sujets et méthodes

Sujets 

129 enfants scolarisés en classe préparatoire de l'enseignement primaire publique (CP1), âgés de 6-8 ans et habitant et étudiant dans trois zones différentes: urbaine (n= 38), rurale (n= 35) et périurbaine (n= 56), de la région du Gharb (Nord Ouest marocain) et dont l’échantillonnage  a été fait au hasard.

 

Tests utilisés

Test des Matrices Progressives Standards de Raven (SPMR)

Ce test a été conçu afin d’évaluer l’intelligence, la capacité intellectuelle et l’habileté mentale générale par l’intermédiaire de la comparaison des formes et du raisonnement par analogie.

Il comprend 60 problèmes divisés en cinq séries (A, B, C, D et E) de 12 problèmes, d’un ordre de complexité croissante chacune, se réalisant en deux phases; la 1ère phase comportant les séries A, B et C (en 30 mn) et la 2ème phase comportant les séries D et E (en 20 mn) (Raven et al., 2003).

 

Test de l’empan des chiffres

C’est un subtest de l’échelle verbale du WISC III (Wechsler Intelligence Scale for Children) qui permet d’évaluer les capacités de mémoire verbale à court terme des enfants. Il consiste à déterminer le nombre maximal de chiffres que l’enfant est capable de répéter dans l’ordre où ils ont été énoncés: c’est l’empan de chiffres endroit (MCE). Quand le nombre de chiffres que l’enfant doit répétés est dans l’ordre inverse de celui où ils ont été énoncés: c’est l’empan de chiffres envers (MCI). Celui-ci permet une estimation des capacités de mémoire de travail (Wechsler, 1991; D’Amico et Guarnera, 2005; Deforge et al., 2006)

 

Test de barrage des cloches

 Le test de barrage des cloches est un test élaboré par Gauthier et al., (1989) afin d’évaluer la négligence visuelle chez les adultes cérébro-lésés. Il est utilisé dans cette étude afin de mesurer les capacités visuo-attentionnelles (BSEDS 5-6, 2003; ODEDYS, 2005) des enfants dans le cadre d’une épreuve de recherche de cible parmi des distracteurs. Le test consiste à présenter à l’enfant une feuille renfermant 112 dessins d’objets (scie, pomme, cheval, voiture, nuage….) dont 35 cloches. Il doit, durant 2mn, barrer le plus de cloches possibles. A la fin du test, le score (nombre de cloches barrées) est noté.

 

Résultats

Les résultats obtenus montrent des différences significatives entre les performances neurocognitives des enfants habitant dans les trois zones urbaine, périurbaine et rurale. L’étude statistique réalisée par le test de l’ANOVA, à un seul facteur, de l’effet de la zone de localisation de l’école sur l’intelligence générale et la mémorisation chez les élèves, a révélé des différences très significatives [FSPMR(2,110) = 7.71, p<0.001]; FMCE(2;123) = 11.35 à p<0.001; FMCI(2;119) = 6.03 à p<0.01].

L’étude post hoc par le test LSD, concernant l’intelligence générale, a démontré que cette différence a été très significative entre la zone urbaine et la zone périurbaine d’une part et entre la zone périurbaine et rurale d’autre part. En effet, les scores les plus importants sont obtenus chez les élèves de la zone urbaine et ceux de la zone rurale. En revanche, aucune différence entre la zone urbaine et rurale n’a été prouvée (Tableau 1).

Par ailleurs, le test statistique en post hoc a pu prouver que les scores du test de la MCE sont significativement importants chez les élèves de l’école urbaine (p<0.01); ces élèves ont une bonne mémoire à court terme par rapport aux autres de la zone rurale et périurbaine, chez qui le test statistique n’a démontré aucune différence. En revanche, les scores de la MCI sont plus importants chez les élèves de la zone urbaine et périurbaine sans aucune différence significative entre eux, et sont significativement diminués chez les enfants de la zone rurale (p<0.01); ces élèves ont une bonne mémoire de travail par rapport aux ruraux. Par ailleurs, les résultats obtenus à partir des scores du test de barrage des cloches (BC) n’ont montré aucune différence significative entre les trois zones (Tableau 2).

 

 

Ecole urbaine

Ecole périurbaine

Ecole rurale

Test SPMR

9.35±0.77a

6.28±0.60b

9.47±0.70a

Tableau 1. Variation spatiale des moyennes des scores du test SPMR

Les résultats sont représentés par les moyennes ± l'erreur standard moyenne (SEM). Le seuil de signification est fixé à 0.01. Les valeurs qui ne partagent pas les mêmes lettres (a,b,c) sont significativement différentes à (p<0.01).

Table 1. Spatial variation of the score averages of the SPMR test The obtained results are expressed by mean standard error of means. The difference was significant at p<0.01. Values which haven’t the same letters (a,b,c) are significantly different at p<0.01.

 

 

Ecole urbaine

Ecole périurbaine

Ecole rurale

Test MCE

4,71±0,12a

4,05±0,12b

3,73±0,18b

Test MCI

1,71±0,15a

1,31±0,18a

0,76±0,19b

Test BC

16,32±0,85

18,62±0,92

18,48±1,32

Tableau 2. Variation spatiale des moyennes des scores des tests MCE, MCI et BC Les résultats sont représentés par les moyennes ± l'erreur standard moyenne (SEM). Le seuil de signification est fixé à 0.01. Les valeurs qui ne partagent pas les mêmes lettres (a,b,c) sont significativement différentes à (p<0.01).

Table 2. Spatial variation of the score averages of the MCE, MCI and BC tests. The obtained results are expressed by mean standard error of means. The difference was significant at p<0.01. Values which haven’t the same letters (a,b,c) are significantly different at p<0.01.

 

Néanmoins, afin de situer nos résultats au niveau international et vu l’absence d’une standardisation marocaine de ces tests étudiés, nous allons les classer selon  la standardisation britannique pour le SPMR et celle française pour les tests de MCE, MCI et BC. Les résultats obtenus ont abouti aux données suivantes:

 

Test  des Matrices Progressives Standards de Raven (SPMR)

Les résultats obtenus montrent que dans la classification des scores obtenus du test de la matrice progressive standard de Raven, selon la standardisation britannique, il n’y a aucune proportion des élèves qui est classée dans le grade I; grade représentant la capacité intellectuelle supérieure, seul 0.88% des élèves sont classés dans le grade II (au dessus de la capacité intellectuelle moyenne), 10.62% de scores d’élèves sont classés dans le grade III qui correspond à la capacité intellectuelle moyenne, 18.60% des scores sont situés dans le grade IV (au dessous de la capacité intellectuelle moyenne), alors que 69.90 % de scores sont classés dans le dernier grade (V) qui correspond à un état intellectuellement défectueux.

 

Test de la mémoire des chiffres endroit (MCE)

Le test de la mémoire des chiffres à endroit au niveau de la zone urbaine a montré que tous les élèves sont capables de répéter correctement les séquences de chiffres dans l’ordre. Cependant, au niveau de la zone rurale et périurbaine, les élèves ayant une mémoire endroit normale sont de l’ordre de 96.96% et 96.36% respectivement. En revanche, la mémoire à endroit pathologique a été enregistrée chez 3.03% des élèves dans la zone rurale et 3.64% des élèves dans la zone périurbaine.

 

Test de la mémoire des chiffres inverses (MCI)

Le test de la mémoire des chiffres inverses au niveau de la zone urbaine a montré que 78.95% des élèves sont capables de répéter les chiffres dans l’ordre inverse contre 52.94% et 33.33% respectivement dans la zone rurale et périurbaine. Par ailleurs, les élèves qui représentent une mémoire inverse pathologique  au niveau de la zone urbaine, rurale et périurbaine sont respectivement de l’ordre de 21.05%, 66.67% et 47.06%.

 

Test de barrage des cloches (BC)

Le test de barrage des cloches a montré que 100% des élèves de la zone urbaine ont réussi ce test. Par contre, il n’y a que 51,06% et 61,29% des élèves testés provenant, respectivement  de la zone périurbaine et rurale qui ont réussi ce test.

 

Discussion 

L’examen psychologique pourra être considéré comme, une image  à un moment de la phase du développement du potentiel  neurocognitif  et du fonctionnement psychique de l’enfant. L’utilisation des tests neurocognitifs, lors de cette étude, a visé la mise en exergue de l’effet du milieu environnant sur les capacités neurocognitives des enfants étudiés et la mise en évidence d’éventuels déficits neurocognitives qui pourront affecter le développement normal de l’enfant et influencer sa formation et ainsi son futur en comparant ses performances à celles des enfants d’une population française standard.

L’évaluation neurocognitive a montré des différences significatives entres les performances des enfants selon la zone habitée. Généralement, les scores les plus importants sont enregistrés chez les enfants habitant la zone urbaine, alors que les plus faibles sont enregistrés chez les enfants habitant la zone rurale ou périurbaine.

 Ces différences pourraient être dues à plusieurs facteurs; socio-économiques, nutritionnels et/ou environnementaux. En fait, la région de l’étude « la plaine du Gharb » est une région dont les principales activités anthropiques sont l’agriculture et l’industrie, exception faite de la zone urbaine où se rajoutent les fonctions dont le revenu est plus régulier. Il est connu que l’agriculture et l’industrie sont des domaines où l’activité est jugée par les conditions climatiques et /ou économiques fluctuantes, ce qui se répercute sur le revenu et ainsi sur le statut socio-économiques des ménages. Aboussaleh et Ahami (2005) ont montré que le revenu des parents en milieu urbain et plus élevé que celui en milieu rural dans la région de Kenitra, principale ville de la plaine. Or, nous avons démontré dans une autre étude (réalisée au niveau de la même zone d’étude), l’existence des corrélations significatives entre les paramètres socio-économiques et environnementaux d’une part et les indices de malnutrition d’autres parts (Azzaoui et al., 2008).

En fait, les liens entre le statut socioéconomique et les performances cognitives ont été prouvés au niveau de plusieurs sociétés. Une étude interculturelle a démontré que les indicateurs socioéconomiques sont fortement liés au développement cognitif depuis la petite à la moyenne enfance (Bradley et al., 1996).

En plus de cela, d’autres travaux de l’équipe ont montré que les enfants  de la 6ème année primaire (vivant dans la région de Kenitra) souffraient d’un retard de croissance en plus d’un déficit pondéral (Aboussaleh et Ahami, 2005) et que 12,2% de ces enfants âgés de 6-16 ans souffraient d’une anémie et que 24% d’entres eux ont des carences en fer et que les jeunes sont doublement exposés par rapport aux plus grands (Elhioui, 2007).

D’autres auteurs ont mis en évidence, aussi, l’effet néfaste de la malnutrition en bas âge (Galler et al., 1983; Agarwal et al., 1995), de la déficience protéino-calorique (Nwuga, 1977; Brown et Politt, 1996) et l’anémie ferriprive (Sungthong et al., 2002; Walker, 1998; Hurtado et al., 1999 et Elhioui, 2008) sur les capacités intellectuelles de l’enfant.

Récemment, nous avons aussi mis en évidence que les taux en plomb étaient très élevés chez les enfants habitant cette région (Azzaoui, 2009). En effet, plusieurs études ont démontré que certains polluants  tel que  le plomb, le mercure, ainsi que certains pesticides affectent les fonctions neurocognitives chez l’enfant (Muñoz et al., 1993; Grandjean et al., 1997; Lizardi et al., 2008).

 

Conclusion

L’étude réalisée a pu mettre en exergue certains déficits neurocognitifs surtout au niveau rural et périurbain de la région de la plaine du Gharb. Ces résultats susciteraient plus d’efforts de notre part « en tant que chercheurs » ainsi que de la part des autres intervenants dans le domaine de la santé scolaire. Ces efforts devraient se fixer l’objectif de cerner l’ensemble des facteurs induisant ces troubles et les différentes méthodes d’y remédier d’une part, ainsi que d’essayer d’adapter les tests neurocognitifs utilisés, sur la population marocaine en dépit de la diversité culturelle de ces individus, d’autres parts.

 

Remerciements.  Travail  réalisé dans le cadre du PROTARS III et co-soutenu par le GDRI-Nneuro (CNRS et CNRST). Nos remerciements vont aux élèves et aux parents d’élèves d’avoir accepté de participer à cette étude, à la Délégation du Ministère de la Santé et de la délégation du Ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur, de la Formation des Cadres et de la Recherche Scientifiques à Kenitra qui ont autorisé et qui ont participé à cette étude, ainsi qu’aux directeurs des écoles et aux instituteurs et institutrices qui nous ont beaucoup facilité les différentes étapes de cette étude.

 

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