Esclassan, R., Dalies, B., Sevin, A., Lucas, S., Crubezy, E., Grimoud, A.M., 2009, Influence de l’environnement carieux sur l’origine des pertes antemortem au sein d’un échantillon médiéval: étude préliminaire Antropo, 20, 29-39. www.didac.ehu.es/antropo


 

Influence de l’environnement carieux sur l’origine des pertes antemortem au sein d’un échantillon médiéval: étude préliminaire

 

Influence of the carious environment on the origin of antemortem tooth loss inside a medieval sample: a preliminary study

 

Rémi Esclassan*1,2,3, Benjamin Dalies*1,2, André Sevin1, Simon Lucas1,2,3, Eric Crubezy1, Anne-Marie Grimoud1,2,3

 

* co-premiers auteurs

1 Laboratoire d’Anthropobiologie Moléculaire et Imagerie de Synthèse (AMIS), CNRS FRE 2960. Université Toulouse III. 37, Allées Jules Guesde, 31073 Toulouse cedex 09

2 Faculté de Chirurgie Dentaire, 03 Chemin des Maraîchers, 31062 Toulouse cedex 09.

3 Service d’Odontologie de l’Hôtel-Dieu, 02 rue Viguerie, 31059 Toulouse cedex 09.

 

Auteur chargé de la correspondance: Rémi Esclassan. Laboratoire d’Anthropobiologie Moléculaire et Imagerie de Synthèse (AMIS), CNRS FRE 2960. Université Toulouse III. 37, Allées Jules Guesde, 31073 Toulouse cedex 09. E-mail : esclassa@cict.fr / esclassan.r@chu-toulouse.fr

 

Mots-clés: Caries, Perte dentaire, Antemortem, Médiéval

 

Key Words: Caries, Tooth loss, Antermortem, Medieval

 

Résumé

L’objectif principal de l’article était d’estimer si l’origine des pertes dentaires antemortem d’un échantillon d’époque médiévale (XIIème-XIVème siècles), était reliée à la distribution carieuse et à l’environnement carieux direct de ces absences. L’échantillon étudié était composé des maxillaires appariés de 54 individus adultes (25 femmes et 29 hommes) pour un nombre total de 1357 dents. Les caries ont été déterminées en fonction de leur localisation coronaire et radiculaire et les pertes dentaires ante et postmortem ont été notées. Les liens entre les différentes variables ont été établis grâce à des tests de corrélation simples (Chi-2). Le pourcentage total de caries était de 21 % et les groupes de dents les plus affectés par la carie sont les molaires (56.1%) et les prémolaires (28.8%). Les caries les plus fréquentes étaient les caries proximales (37,6%) et occlusales (20,5%). Le pourcentage de pertes était de 7,3% pour les pertes antemortem et de 9,2% pour les pertes postmortem. Les dents les plus absentes antemortem étaient les molaires (74.0%). Pour les pertes postmortem, les dents les plus absentes étaient les incisives (46.9%). Notre étude  montre  de manière significative (P<0.02) que les dents bordant directement les zones d’édentement antemortem des dents absentes sont atteintes par les caries: 37.5% des individus ont une dent adjacente cariée, mésiale (8.3%) ou distale (29.2%, P<0.05) et 27.1% ont les deux dents adjacentes cariées. Ces données suggèrent l’influence d’un environnement carieux dans la perte antemortem des dents. L’ensemble des pertes antemortem ne peut toutefois pas être expliquée par les seules caries.

 

Abstract

The main goal of the work was to assess whether the origin of antemortem tooth loss (AMTL) in a medieval sample was connected with the distribution of caries and the direct carious environment of these losses. The sample studied was made of paired maxillae from 54 adults (25 women and 29 men), for a total number of 1357 teeth. Carious lesions were determined by their coronal and root location and AMTL and postmortem tooth loss (PMTL) were noted. Chi-squared tests were used for the comparison of the different variables. The total percentage of caries was 21% and the groups of teeth most affected were the molars (56.1%) and the premolars (28.8%). The most frequent carious lesions were approximal (37.6%) and occlusal (20.5%). AMTL was 7.3% and postmortem tooth loss (PMTL) was 9.2%. The teeth most often lost antemortem were the molars (74.0%). For the PMTL, the teeth most often lost were the incisors (46.9%). Our study significantly shows (P<0.02) that teeth directly next to the AMTL area were affected by caries: 37.5% of the individuals had one carious tooth (P<0.05) and 27.1% had both neighbored teeth carious. These data suggest an influence of a carious environment in the AMTL. However, all AMTL cannot be explained by caries alone.

 

Introduction

En paléo-pathologie, l’étude des dents et plus particulièrement des caries fournissent de nombreuses informations sur la santé bucco-dentaire, l’environnement, les habitudes alimentaires et socio-culturelles  ainsi que les rites communautaires des populations étudiées (Alt et al 1998; Cucina et Tiesler 2003; Hillson 2003; Katzenberg et al, 2008). La carie, pathologie dentaire la plus fréquente, est un processus dynamique due à l’action de bactéries cariogènes qui colonisent et déminéralisent les surfaces dentaires grâce aux acides issus de la glycolyse des hydrates de carbone (Piette et Goldberg, 2001). Les caries représentent de véritables « marqueurs » de la santé bucco-dentaire et leur présence est identifiable avec un haut degré de confiance sur les dents d’individus des populations anciennes (Wasterlain et al 2009).

Toutefois dans la littérature, le recueil et l’analyse des caries ont longtemps manqué de cohérence et d’uniformité, rendant compliquée une comparaison objective entre différentes populations d’une époque donnée. Néanmoins, la méthodologie a bien évolué au cours des quarante dernières années. Aujourd’hui le codage et l’analyse des caries au sein d’une population archéologique sont mieux standardisés, grâce notamment aux recommandations de Chicago (Buikstra et Ubelaker, 1994), largement inspirées des travaux de Moore et Corbett (1971) sur le plan dentaire. Malgré cette évolution, il reste difficile de comparer de manière objective les fréquences carieuses d’une population à l’autre (Hillson 2001, 2003).

Selon les auteurs, la fréquence peut ainsi être calculée par rapport au nombre total de dents recueillies ou par rapport au nombre d’individus présents dans la population étudiée (Duyar, Erdal 2003). Les méthodes varient également selon que les dents sont étudiées séparément ou par groupe de dents (incisives, canines, prémolaires, molaires).

Par ailleurs, les fréquences carieuses obtenues ne sont jamais le reflet exact de la réalité, en raison de la nécessaire prise en compte des pertes dentaires  ante et post mortem (Erdal et Duyar 1999; Duyar et Erdal 2003; Hillson 2001). Il est par exemple admis que les caries sont plus fréquentes dans les secteurs postérieurs (prémolaires et molaires) mais que les pertes postmortem concernent majoritairement les dents antérieures (Hillson 2001, Duyar et Erdal 2003 ). Entre une collection archéologique avec un bon niveau de préservation et une collection moins bien conservée des variations importantes peuvent apparaître (Hillson 1990).

De nombreux auteurs se sont penchés sur ces biais afin de proposer des facteurs de correction. Hardwick (1960) a suggéré qu’un certain pourcentage des pertes dentaires antemortem était d’origine carieuse et a donc proposé que ce pourcentage soit rajouté à la fréquence carieuse déterminée. Cette proposition appelée « correction d’Hardwick » n’a toutefois pas trouvé d’écho à ce jour, au sein de la communauté anthropologique.

Une autre méthode est celle de Moore et Corbett (1971), reprise par Kelley (1991) pour remédier aux pertes antemortem. Il s’agit de « l’Indice Cariées  et Absentes (ICA: DMI en anglais pour Decayed and Missing Index). Cet indice a pour origine l’indice CAO (Cariées, Absentes et Obturées). Il correspond à la somme des dents perdues antemortem et le nombre de caries, divisé par la somme des dents examinées et le nombre de dents perdues antemortem.

Lukacs (1992, 1995) a mis en avant que les deux principales causes de perte dentaire chez  les populations préhistoriques sont les caries sévères et l’abrasion. Il a donc proposé une méthode appelée « facteur de correction carieuse » (FCC).

Cette méthode multiplie le nombre de dents perdues antemortem (Ante Mortem Tooth loss: AMTL) par le ratio d’exposition pulpaire des dents dont l’exposition est causée par des caries, afin de déterminer le nombre de pertes dentaires causé par les caries.

Le nombre de caries obtenu est alors additionné au nombre de caries observées et divisé par la somme des dents examinées et le nombre total de dents perdues antemortem.

Saunders et al (1997) ont été les premiers à prendre en considération les pertes postmortem avec « l’indice de caries et extractions » (Index of caries et extractio). Il s’agit de la première approche des pertes ante  et postmortem combinées. Cette méthode de calcul assume de manière implicite que toutes les pertes dentaires antemortem résultent des caries dentaires et que les pertes postmortem ne sont pas liées aux caries.

Erdal et Duyar (1999) ont proposé une modification de cet indice avec la distinction entre les dents antérieures et les dents postérieures, et leur différence de susceptibilité à la carie, les dents postérieures étant plus souvent cariées que les dents antérieures.

Il ressort de ces différents travaux que bien qu’intéressantes, ces différents méthodes restent difficilement applicables. A ce jour aucune d’entre elles n’a réussi à s’imposer comme une véritable référence. Il demeure impossible de déterminer les proportions exactes de pertes antemortem liées à la carie, à l’usure dentaire, aux maladies parodontales, aux traumatismes et les dents absentes par agénésie. Littleton et Frohlich (1993) dans une étude sur plusieurs populations anciennes du Golfe d’Arabie utilisent une approche intéressante de l’origine des pertes antemortem et prennent en compte l’influence des dents voisines et de l’environnement carieux ou parodontal.

Dans ce contexte de réflexion et de prise en compte des pertes dentaires, nous nous sommes plus particulièrement intéressés à l’étiologie supposée carieuse des pertes antemortem au sein d’une population médiévale du sud de la France. L’objectif principal de cette étude est de déterminer si l’origine des pertes dentaires antemortem de notre échantillon était en relation avec la distribution carieuse et l’environnement carieux direct de ces absences.

L’intérêt de notre travail est de suggérer des critères de probabilité quand à l’origine des pertes dentaires antemortem au sein d’un échantillon de maxillaires appariés d’individus adultes et de sexe déterminé.

 

Matériels et méthodes

Le matériel squelettique étudié provenait de la nécropole médiévale (IXème-XVème siècles) de Vilarnau d’Amont (Pyrénées Orientales), village aujourd’hui disparu, autrefois situé à l’est de Perpignan entre Château-Roussillon et Canet-en’Roussillon. La population de Vilarnau était essentiellement rurale et a été mise au jour lors d’une campagne de fouilles menée par l’INRAP (Institut National de la Recherche en Archéologie Préventive) entre 1997 et 2002 (Passarius et al 2008). Le cimetière se trouvait proche d’une église: l’église Saint Christophe, construite entre la fin du IXème siècle et la première moitié du Xème siècle. L’échantillon étudié était composé des maxillaires appariés de 54 individus adultes de sexe déterminé (25 femmes et 29 hommes), compris entre les XIIème et XIVème siècles, pour un nombre total de 1357 dents. L’état de préservation des maxillaires de notre échantillon a été déterminé selon le niveau de conservation le plus élevé dans la classification de Vodanovic et al (2005) (Tableau 1).

 

Niveau 1

Conservation du maxillaire et de la mandibule appariés avec plus de 50% d’os alvéolaire

Niveau 2

Conservation du maxillaire et de la mandibule appariés avec moins de 50% d’os alvéolaire

Niveau 3

Conservation du maxillaire ou de la mandibule avec plus de 50% de l’os alvéolaire

Niveau 4

Conservation du maxillaire ou de la mandibule avec moins de 50% de l’os alvéolaire

Tableau 1. Niveaux de conservation des maxillaires et mandibules (d’après Vodanic M., 2005)

Table 1. Maxillae and mandibles levels of conservation.

 

Chaque maxillaire devait comprendre au moins six dents par arcade afin de garantir un repositionnement correct des arcades en occlusion, avec des prémolaires et des molaires en nombre suffisant (Esclassan et al 2009).

La diagnose sexuelle a été effectuée grâce à la méthode de Bruzek (2002) qui évalue la forme sexuelle de cinq caractères morphologiques appartenant aux segments sacro-iliaques et ischio-pubiens. Leur utilisation simultanée permet une autorisation simultanée dans environ 95% des cas. L’âge squelettique a été déterminé par Olivier Passarius et Richard Donat (INRAP) selon les critères d’Owins-Webb et Suchey (1985), basés sur l’analyse du degré de fusion de l’extrémité médiale de la clavicule.

Les individus ont été classés en deux groupes: 20 à 30 ans et supérieur à 30 ans. Après 30 ans la précision des indicateurs est très faible, surtout chez les individus plus âgés (Whittaker 1996). Les méthodes utilisées pour estimer l’âge sont basées sur des indicateurs de sénescence qui varient beaucoup chez les individus et selon les populations étudiés (Schmitt 2002).

Deux observateurs (RE et BD) ont relevé la présence des caries à l’’il nu sous un bon éclairage, à l’aide d’un petit pinceau et d’une brosse à dents pour éliminer la terre et la poussière ainsi que d’une sonde d’examen n°17 pour relever les caries (Hillson 2003). Les opérateurs étaient munis d’une tenue vestimentaire adéquate (gants, masques et blouses) afin d’éviter toute contamination des échantillons, potentiellement préjudiciable à d’autres études. Des tests inter et intra observateurs ont été réalisés à quinze jours et à un mois. Ces tests ont permis de relever les caries au niveau des mêmes  dents que lors du premier examen et n’ont pas décelé de nouvelles lésions carieuses. Les caries ont été déterminées  en fonction de leur localisation coronaire (vestibulaire, lingual ou palatin, occlusal, proximal, collet et pénétration pulpaire) et radiculaire (vestibulaire, lingual ou palatin, proximal et pénétration pulpaire) (Hillson 2003; Vodanovic 2005). Sont considérées comme carieuses les cavités affectant l’émail, la dentine, le cément ou la pulpe.

Les pertes dentaires ante et postmortem ont été notées. Lors d’une perte antemortem, l’alvéole osseuse montre des signes de remaniement physiologique (perte d’angle vif et signe de cicatrisation tissulaire). Dans le cas d’une dent perdue après la mort, l’alvéole reste vide avec des berges saillantes et des bords aigus (Hillson 2001).

Sur le plan des méthodes statistiques, les liens entre les différentes variables ont été établis grâce à des tests d’associations simples avec le test de Chi-2. Les résultats sont considérés comme statistiquement significatifs si P<0.05.

 

Résultats

Le tableau 2 recense les nombre de dents présentes et les pourcentages de perte ante et postmortem. L’échantillon était composé de 1357 dents  sur 1728 possibles (78%). Pour l’ensemble de l’échantillon, le pourcentages des dents absentes antemortem et postmortem étaient respectivement de 7.3% et 9.2%.

Le tableau 3 montre que pour un total de 1357 dents, 285 (21.0%) étaient cariées. Par ordre décroissant les groupes de dents les plus cariées étaient les molaires (56.1%), les prémolaires (28.8%), les incisives (8.1%) et les canines (7.0%).

 

 

 

Dents présentes

Dents perdues ante mortem

Dents perdues post mortem

Maxillaires

651

78

78

Mandibules

706

49

82

Total (%)

1357 (/1728)

127 (7.3%)

160 (9,2%)

Tableau 2. Dents présentes, dents perdues ante et postmortem.

Table 2. Teeth present, teeth lost ante and postmortem

 

Types de dents

Incisives

(I1+I2)

Canines

(C)

Prémolaires

(P1+P2)

Molaires

(M1+M2+M3)

TOTAL

Nombre de dents présentes (maxillaires et mandibulaires)

329

202

383

443

1357

Nombre de dents cariées

( % )

23

(8.1 %)

20

(7.0%)

82

(28.8%)

160

(56.1%)

285

(100 %)

Tableau 3. Prévalence carieuse globale (maxillaire et mandibulaire) de l’échantillon.

I1=incisives centrales I2=incisives latérales C=canines P1= premières prémolaires P2=deuxièmes prémolaires M1= premières molaires M2=deuxièmes molaires M3=troisièmes molaires.

Table 3. Global carious prevalence (maxilla and mandible) of the sample

 

Le tableau 4 montre la distribution des caries en fonction des groupes de dents (I, C, P, M), de la localisation coronaire et radiculaire et des différentes faces atteintes. Le pourcentage de caries coronaires était de 89,9% et de 19,1% pour les caries radiculaires. Au niveau coronaire, les caries les plus fréquentes étaient les caries proximales mésiales (22,1%), puis les caries occlusales (20,5%), les caries atteignant la pulpe (19,1%) et enfin les caries proximales distales (15,5%). Les caries proximales (mésiales et distales) représentent à elles seules plus du tiers des localisations carieuses (37,6%). Au niveau des molaires, il existe une différence statistiquement significative entre les caries coronaires mésiales et les caries distales (P<0.05). Les caries mésiales sont trois fois plus nombreuses que les caries distales (37 vs 12). Les molaires étaient les dents les plus atteintes par les caries (51,2%), suivies par les prémolaires (32,3%) puis les canines et les incisives (8,3%).

Au niveau radiculaire, les faces les plus atteintes par les caries étaient par ordre décroissant les faces proximales distales (6,9%), les faces vestibulaires (6,3%), les faces proximales mésiales (5,6%) et les faces linguales (0,3%).

 

Localisation

Caries

Incisives

Canines

Premolaires

Molaires

Total

Coronaire

Collet vestibulaire

1

0

1

2

4 (1,3%)

Sillon vestibulaire

0

0

0

1

1 (0,3%)

Sillons occlusaux

0

0

2

4

6 (2,0%)

Occlusale

1

4

13

44

62 (20,5%)

Mésiale

1

5

24

37

67 (22,1%)

Distale

4

4

27

12

47 (15,5%)

Pénétration pulpaire

6

5

18

29

58 (19,1%)

Radiculaire

 

Vestibulaire

11

3

2

3

19 (6,3%)

Linguale

0

0

0

1

1 (0,3%)

Mésiale

0

1

4

12

17 (5,6%)

Distale

1

3

7

10

21 (6,9%)

 

Total

25 (8,3%)

25 (8,3%)

98 (32,3%)

155 (51,1%)

303 (100%)

Tableau 4. Distribution carieuse générale de l’échantillon.

Table 4. Carious distribution of the sample

 

Le tableau 5 représente la répartition des différentes absences dentaires (antemortem, postmortem et indéterminées). Les groupes de dents les plus absentes antemortem sont par ordre décroissant les molaires (74.0%), les prémolaires (13.4%) et les incisives (12.6%). Pour les pertes postmortem, les groupes de dents les plus absents sont les incisives (46.9 %) et les molaires (31.9 %).

 

Dents

Incisives

(I1+I2)

Canines

(C)

Prémolaires

(P1 + P2)

Molaires

(M1+M2+M3)

TOTAL

Pertes post mortem

75

(46.9 %)

11

(6.9%)

23

(6,9%)

51

(31.9%)

160

(100%)

Pertes Antemortem

16

(12.6 %)

0

(0%)

17

(13.4 %)

94

(74.0 %)

127

(100%)

Indéterminé

13

(15.0 %)

3

(3.4 %)

9

(10.3 %)

62

(71.3%)

87

(100%)

Tableau 5. Répartition globale des différentes absences dentaires (%)

Table 5. Global repartition of teeth losses (%)

 

Environnement carieux des pertes antemortem

Sur les 54 individus étudiés, seuls 48 ont été inclus pour l’étude de l’environnement carieux. Six  individus ont été exclus car ils ne présentaient pas de perte antemortem encadrées par au moins deux dents adjacentes. Le tableau 6 et les figures 1 et 2 montrent qu’au sein des quarante-huit individus retenus, les pertes antemortem sont entourées de manière significative par une ou deux dents cariées (P<.0.05). Ainsi, dix-huit (37.5%) avaient une dent adjacente cariée; sur ces dix-huit individus, quatre (8,3%) présentaient une carie sur la dent mésiale bordant l’édentement et quatorze (29,2%) présentaient une carie sur la dent distale bordant l’édentement. Les dents distales sont statistiquement plus cariées que les dents mésiales par rapport à l’édentement (P<0.05).

Notons également que treize individus  (27,1%) avaient les deux dents adjacentes cariées. Dix-sept individus (35.4%) ne présentaient pas de caries.

Compte tenu de la faiblesse relative de l’échantillon, nous avons également choisi d’appliquer la loi statistique de Hardy-Weinberg à partir d’un taux moyen de caries de 25%. Le nombre d’individus calculés par rapport à cette nouvelle extrapolation montre qu’il existe une différence significative (Khi2 = 8.016, ddl=2, soit P< 0.02).

 

 

 

Nombre d’individus observé (/48) et pourcentage (%)

Nombre d’individu calculé  par rapport à un taux estimé de 25% de caries (%)

Une dent adjacente cariée

 

Une dent adjacente (mésiale ou distale) cariée

18 (37.5 %)

18  (37.5%)

Dent mésiale adjacente cariée

 

 

4 (8.3%)

 

9 (18.75%)

Dent distale adjacente cariée

 

14 (29.2%)

9 (18.75%)

Deux dents adjacentes cariées

13 (27.1%)

3 (6.25%)

Absence de carie sur les dents adjacentes

17 (35.4%)

27 (56.25%)

Tableau 6. Environnement carieux des pertes antemortem

Table 6. Carious environment of antemortem tooth loss

 

Figure 1. Environnement carieux des pertes antemortem

Figure 1. Carious environment of antemortem tooth loss

 

Figure 2. Pourcentage en fonction des dents distales et mésiales

Figure 2. Percentage of mesial and distal teeth concerned

 

Discussion

Notre étude a porté sur un échantillon de 54 individus issus d’une population rurale du sud-est de la France, sélectionnés pour leur bon état de conservation. Tous appartenaient au niveau 1 de la classification de conservation des restes osseux et dentaires, décrite par Vodanovic et al (2005) et Caglar et al (2007).

Ce choix de pièces squelettiques en bon état de conservation constitue un biais de sélection quant à la représentativité de l’échantillon, mais il a également été fait par d’autres auteurs (Whittaker et al 1981; Molnar et al 1989; Kerr 1990; Whittaker et Molleson 1996; Boldsen 2005; Esclassan et al 2009) et se justifie par l’objectif principal de l’étude qui nécessite des maxillaires et mandibules en bon état, avec un environnement osseux et dentaire facilement identifiable.

La prévalence carieuse de notre échantillon est de 21.0% et le pourcentage de perte antemortem est de 7.3%. La comparaison avec d’autres populations médiévales européennes montre que les pourcentages de perte antemortem sont relativement proches mais que la prévalence carieuse de Vilarnau est supérieure à celles des autres échantillons (Tableau 7).

 

Site archéologique (pays / période)

Bijelo Brdo (Croatie /10tè-11è S.)

Vilarnau d’Amont (France /12è-14è S.)

Iznik

(Turquie/ 13è S.)

Whithorn (Ecosse/ 13è-15è S.)

Turku (Finlande/15è-16è S.)

Nombre d’individus

81

54

56

35

410

Nombre de dents examinées

979

1357

280

459

4581

Pourcentage de perte antemortem

6.7 %

7.7 %

6.5%

7.6 %

13.6 %

Prévalence carieuse

9.5 %

21.1.%

11.1%

7 %

13.1 %

Tableau 7. Comparaison de la population de Vilarnau avec d’autres populations médiévales européennes en fonction des individus, des dents observées, des pertes antemortem et des fréquences carieuses.

Table 7. Comparison of the Vilarnau sample with other European populations in terms of individuals, teeth observed, AMTL and carious prevalence

 

Ces écarts de prévalence peuvent s’expliquer par des différences dans le mode de recueil des caries qui n’est pas toujours identique d’une étude à l’autre (Wasterlain et al 2009). Un autre critère important concerne l’opérateur et sa formation dans le dépistage de caries (Ismail 1997). La plupart des études récentes publiées n’a pris en compte que les cavités carieuses dont les observateurs étaient absolument certains (O’Sullivan et al 1993; Whittaker et Molleson 1996; Watt et al 1997; Lingström et Borrman 1999; Cucina et Tiesler 2003, Vodanovic et al 2005). Les fréquences carieuses sont donc vraisemblablement sous estimées. Ismail (1997) a montré qu’une fois correctement formés, les opérateurs détectent plus de lésions, en particulier non cavitaires, notamment au niveau des sillons.

Les absences dentaires d’origines indéterminées sont faibles (3,4%) exceptées pour les troisièmes molaires (64,4%). Ces absences peuvent s’expliquer par un problème de conservation des restes (absence d’alvéole) ou bien à des cas d’impossibilité d’identification sans l’aide de la radiographie. De nos jours, l’absence des troisièmes molaires est fréquente (jusqu’à 72% des cas) en raison d’un manque de place et par sa forte propension aux inclusions et aux agénésies (Esposito et Coulthard 2008).

Une autre explication est liée à la chronologie d’éruption, la troisième molaire ne faisant son éruption qu’entre 18 et 25 ans au sein de la cavité buccale. Les individus concernés par ces agénésies dans notre étude seraient plutôt des jeunes adultes (20-30 ans).

La distribution carieuse suit un gradient  croissant des dents antérieures vers les dents postérieures, ce qui est en accord avec les autres études européennes similaires (Moore et Corbett, 1971, Kerr 1988, Watt  1997, Vodanovic et al 2005, Caglar et al 2007).

Les dents les plus affectées par les caries sont les molaires (56.2%) et les moins touchées sont les canines (7.0%). Cela peut s’expliquer par l’anatomie plus complexe des molaires en particulier au niveau de la face occlusale triturante, propice à la rétention de débris alimentaires cariogènes (Hillson 1990, 2003). De nos jours, la première molaire (également appelée « dents de six ans », en raison de sa chronologie d’éruption dans la cavité buccale) est la dent la plus fréquemment cariée chez les enfants et les adultes et la plus absente avec l’âge (Piette et Goldberg, 2001). Cette prédisposition à la carie de la première molaire est liée à son éruption précoce et à son immersion dans la cavité buccale provoquant un contact prolongé avec les bactéries cariogènes de la plaque dentaire issue de l’alimentation.

Notre étude montre de manière significative que les dents bordant directement l’édentement antemortem des dents sont atteintes par les caries. Ces données suggèrent donc l’influence directe d’un environnement carieux mésial et/ou distal. Le fait que les dents distales soient plus cariées que les dents mésiales s’expliquent également par une hygiène plus difficile, favorisant une plus grande accumulation de la plaque bactérienne dans les secteurs les plus  postérieurs (Hillson, 2003).

L’influence de l’environnement carieux direct des pertes antemortem n’a été que très peu étudiée dans la littérature. Saunders et al (1997), au même titre que Harris (1968) et Menaker (1980), estiment que la majorité des dents perdues antemortem le sont en raison des caries, mais ils n’ont pas étudié l’état carieux des dents voisines. Littleton et Frohlich (1993) se sont penchés sur l’état des dents adjacentes et soulignent que selon les échantillons et le type de nourriture, les caries, l’usure ou les atteintes parodontales sont responsables des pertes antemortem. Au sein de leur échantillon du site de Ras el-Khaimah, les caries sont nombreuses et peuvent donc avoir joué un rôle important dans les pertes antemortem. Notons que plus les sujets sont âgés, plus les pertes antemortem sont importantes, ce qui est également le cas dans de nombreuses études (Littleton et Frohlich 1993; Hillson 2001; Esclassan et al 2009; Wasterlain et Hillson 2009). Ainsi, Wasterlain et al (2009) ont montré que la perte des molaires augmentait avec l’âge et était particulièrement marquée chez les individus de la classe d’âge 60-69 ans de leur échantillon.

Ces pertes antemortem ne peuvent pas être expliquées par les seules caries, ce qui est souligné par de nombreux auteurs (Brothwell 1963; Littleton 1987; Lucaks 1989; Lukacs 1992; Lukacs et Pal 1992). Littleton et Frohlich (1993) suspectent que l’usure dentaire serait la cause principale des pertes dentaires chez la population de Umm an Nar, associée à une infection parodontale et la présence de tartre. Nelson et al (1999) ont suggéré que dans la population de Samad les caries concerneraient surtout les pertes antemortem des molaires, alors que l’usure dentaire concernerait plutôt les pertes antemortem des dents antérieures.

Ces différents auteurs ne se sont pas penchés sur l’environnement carieux direct des pertes antemortem et n’ont donc pas cherché à établir de corrélation entre caries présentes et dents voisines absentes. En revanche, de telles études ont été réalisées de nos jours chez les enfants et montrent des résultats statistiquement significatifs, notamment entre les caries présentes sur des deuxièmes molaires transitoires et sur les premières molaires permanentes, en particulier sur les faces mésiales (Vanderas et al 2004).

En ce qui concerne les pertes postmortem de notre échantillon, notons que les dents les plus touchées sont les incisives (46.9%), ce qui s’explique notamment par leur anatomie monoradiculée et par la faible épaisseur d’os alvéolaire, les rendant moins rétentives et moins résistantes aux effets de la taphonomie (Hillson 2001).

A notre connaissance aucune étude n’a encore porté sur l’analyse de l’influence de  l’environnement carieux sur les pertes dentaires antemortem, au sein de populations anciennes. Nos résultats constituent un faisceau d’arguments concordant pour suggérer que les pertes dentaires antemortem de notre échantillon médiéval ont probablement pour cause principale la maladie carieuse. Cette étude constituant un travail préliminaire, il sera intéressant de confirmer ces résultats sur un échantillon plus important et sur d’autres populations.

 

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