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Populations anciennes et ADN ancien : état actuel de la question

Ancient populations and ancient DNA: current state of the question

Christine Keyser-Tracqui1, François Ricaut2, Eric Crubézy2, Bertrand Ludes1,2

 

1 Institut de Médecine Légale, Laboratoire d'Anthropologie Moléculaire, 11 rue Humann, 67085 Strasbourg Cedex, France. E-mail: ckeyser@mageos.com

2 Anthropobiologie, Université Paul Sabatier, CNRS, UMR 8555, 39 allées Jules Guesde, 31000 Toulouse, France

 

 

Mots-clés : ADN ancien, biologie moléculaire, marqueurs génétiques, ADN nucléaire, ADN mitochondrial, chromosome Y, STR, antropologie

 

Key words: Ancient DNA, molecular biology, genetic markers, nuclear DNA, mitochondrial DNA, Y chromosome, STR, anthropology.

 

Résumé

         Les possibilités offertes par la biologie moléculaire dans le domaine de l'anthropologie sont aujourd'hui largement reconnues. Après un rappel très succinct des marqueurs utilisés pour étudier l'ADN extrait de tissus anciens, cet article cherche à souligner les limites et les difficultés inhérentes à l'analyses de molécules dégradées et se propose de faire le point sur l'intérêt d'une approche moléculaire en anthropologie au travers d'exemples issus de la littérature.

 

Abstract

         The possibilities offered by the molecular biology in the field of anthropology are nowadays widely acknowledged. After a summary of the genetic markers used for ancient DNA analysis, this article tries to highlight some limitations and difficulties inherent to the study of old DNA molecules and to point up the interest of a molecular approach through examples from the literature.

 

 

Introduction

         Dés la plus haute antiquité les Hommes ont eu l’intuition de la très longue histoire du monde et de l’humanité et, sous les latitudes les plus diverses, ils ont tenté de lire le passé, d’enregistrer le présent, voire de transmettre au futur des traces de leurs activités.

         Pour lire le passé, les hommes ont développé puis utilisé toute une panoplie de supports et d'outils de recherche, fonction de leurs capacité du moment. Jusqu’au XIXème siècle, l’étude des populations du passé s’est résumée à une approche basée sur les recherches historiques, les découvertes archéologiques et la linguistique. Les restes osseux étaient rarement recueillis et étudiés, ou de façon partielle et dissociée du contexte archéologique. A partir du XXème, les vestiges osseux ont constitué un élément privilégié de toute étude concernant les populations du passé (étude des caractères discrets, détermination du sexe, de l’âge…). L'intérêt porté au matériel osseux dans la recherche des modalités du peuplement de l'Europe par exemple, s'est basé principalement sur les analyses craniométriques pour différencier les grands groupes de population. Dans les années 1950, l’étude des populations du passé a connu une petite révolution puisque l’anthropologie a commencé à travailler de concert avec l’archéologie, l’histoire et la biologie, et s’ouvrir ainsi à de nouvelles disciplines (paléo-nutrition, paléo-démographie, paléo-pathologie, paléo-épidémiologie, paléo-ethnologie). Mais l'un des faits les plus marquants reste le développement au cours des dernières décennies de la génétique et de son utilisation en anthropologie. Celle-ci prolonge alors la génétique des populations humaines qui jusque là n'avait pu qu'étudier indirectement le génome humain (groupes sanguins, enzymes, protéines).

 

 

Variations génétiques ou polymorphisme

         La mémoire génétique du monde vivant a pour support l'ADN (acide désoxyribonucléique). Présent au sein des cellules, l'ADN se compose d’une succession de quatre éléments différents appelés nucléotides. Chaque nucléotide est formé par l'association d'un sucre, d'un acide et d'une base dont il existe quatre variantes : l’adénine, la thymine, la guanine et la cytosine. L'ordre dans lequel se succède ces quatre bases tout au long de la molécule d’ADN constitue l'information génétique, propre à chaque être vivant.

         Deux types d’ADN peuvent être individualisés dans l'espèce humaine, l’ADN nucléaire et l’ADN mitochondrial.

- l’ADN nucléaire est localisé dans le noyau des cellules sous forme de chromosomes, il est hérité pour moitié du père et pour l'autre moitié de la mère. Il détermine le sexe des individus puisqu'il contient les chromosomes sexuels X et Y. L'information génétique portée par le chromosome Y est uniparentale, seuls les pères transmettent ce chromosome à leur descendance masculine.

- l’ADN mitochondrial (ADNmt), génome circulaire de petite taille, se trouve dans des organites du cytoplasme cellulaire, les mitochondries. Contrairement à l'ADN nucléaire, il est présent en de multiples exemplaires dans chaque cellule et se caractérise par une transmission exclusivement maternelle.

         Quel que soit leur mode de transmission, les molécules d'ADN accumulent des modifications au cours de leur évolution de sorte qu'une séquence d'ADN peut être différente d'un individu à l'autre ou d'une population à l'autre. C'est l'analyse de ces différences, connues sous le nom de polymorphisme génétique, qui sert de base aux biologistes moléculaires pour étudier les relations de parenté entre les individus ou l'histoire des peuplements.

         Outre les mutations ponctuelles (substitution d'une base par une autre), largement étudiées au niveau de l'ADNmt (essentiellement au niveau des deux régions hypervariables HVI et HVII), d'autres polymorphismes de séquence existent au niveau des chromosomes nucléaires, il s'agit notamment des microsatellites ou STR (Short Tandem Repeats). Ces séquences sont constituées par des motifs nucléotidiques (e.g. GATA) répétés les uns à la suite des autres en un nombre qui varie d'un individu à l'autre, permettant l'identification individuelle des individus ainsi que les recherches de proches parentés.

 

 

Analyse génétique de tissus anciens

         Substrats d'analyse des marqueurs génétiques, les molécules d'ADN conservées dans des tissus anciens sont, d'une manière générale, fortement fragmentées et altérées. Extraites en très petites quantités, leur analyse impose une étape de multiplication rendue possible grâce à la PCR (Polymerase Chain Reaction). Cette technique permet en effet d'amplifier rapidement une région particulière d'un acide nucléique donné et d'en obtenir plusieurs millions de copies qui deviennent ainsi accessibles à l'analyse.

         Derrière une grande simplicité, à la fois dans le principe et dans la réalisation de l'amplification par PCR, se cachent néanmoins de nombreux écueils susceptibles de remettre en cause la valeur des résultats obtenus.

         Un premier obstacle se trouve dans la taille des fragments amplifiés. L'expérience montre qu'il n'est guère possible, sauf cas exceptionnels (Haack et al., 2000), d'amplifier des séquences anciennes dont la longueur est supérieure à 400 paires de bases (pb). Les biologistes moléculaires se doivent donc de choisir ou de développer des stratégies permettant l'amplification de marqueurs génétiques courts et informatifs (construction d'amorces encadrant de petites régions chevauchantes, utilisation des STR, mise en place de nouveaux marqueurs tels que les polymorphismes d'un seul nucléotide ou SNP).

         Une deuxième difficulté est celle des contaminations. Il s'agit d'un problème majeur, particulièrement délicat lorsque l'on travaille sur l'espèce humaine (Krings et al., 1997). La contamination d'échantillons anciens par de l'ADN moderne est fréquente, les sources de contamination étant multiples. Même s'il est difficile de s'affranchir complètement de ce problème, certaines précautions permettent de diminuer considérablement le risque (organisation particulière du laboratoire, décontamination de l'ensemble du matériel utilisé, contrôles rigoureux à chacune des étapes de manipulation, validation des résultats par la réitération des expériences…). Le plus difficile reste néanmoins de certifier l'authenticité des résultats, surtout lorsque les séquences humaines anciennes étudiées ne sont pas clairement différentes des séquences humaines récentes.

         Un troisième obstacle est lié à la dégradation et aux modifications chimiques qui caractérisent les molécules d'ADN anciennes. Ces altérations peuvent générer des erreurs de lecture ou des artefacts d'amplification lors des cycles de duplication, et rendre aléatoires certains des résultats obtenus. Une connaissance éclairée de ces possibilités d'erreur ainsi que la réitération des analyses permet cependant une interprétation objective des données analytiques.

         Une fois dépassées les limites liées à la technique, d'autres obstacles se dressent devant les "paléogénéticiens". Ils concernent notamment la rareté des échantillons fossiles contenant de l'ADN suffisamment préservé pour être analysé. En effet, la conservation des acides nucléiques est le résultat de circonstances rarissimes dans un environnement particulier (glace, déserts, tourbières, grottes...) et, généralement, peu de spécimens représentatifs d'une espèce ou d'un groupe donné sont susceptibles de faire l'objet d'une analyse génétique. L'interprétation des résultats s'en trouve bien entendu largement affectée puisque ne reposant que sur un effectif réduit dont la représentativité peut être mise en doute. L'exemple le plus marquant concerne l'étude moléculaire des néandertaliens mis au jour en Allemagne (Krings et al, 1997, 1999), en Russie (Ovchinnikov et al, 2000) et en Croatie (Krings et al, 2000). Les interprétations issues de l'étude de petites régions de l'ADNmt (HVR-1 et HVR-2) concernant l'évolution, l'isolement ou la disparition de cette espèce sont nombreuses et variées (Krings et al. , 1997, 1999; Ovchinnikov et al., 2000, Höss, 2000; Hawks et Wolpoff, 2001) les données moléculaires étant simplement insuffisantes pour permettre de conclure clairement et simplement.

         Un autre biais dans l'interprétation des données provient du choix des marqueurs étudiés. Chaque région du génome a évolué de manière différente et il peut paraître hasardeux de prôner les conclusions déduites de l'analyse d'une seule de ces régions. Parce que peu de molécules d'ADN parviennent à subsister dans les fossiles, les paléogénéticiens ont toujours privilégié l'ADNmt, largement représenté dans les cellules. Mais les régions de variabilité portées par ce génome ne reflète pas nécessairement l'histoire d'une population comme le démontrerait l'étude réalisée par Adcock et ses collaborateurs (2001). Cette étude suggère que des séquences mitochondriales anciennes auraient pu disparaître au cours du temps chez Homo sapiens sapiens, autrement dit l'histoire des populations ne pourrait être déduite de la variabilité d'une seule région du génome.

 

 

Axes de recherche

         Malgré les limitations qui viennent d'être évoquées, la biologie moléculaire offre sans conteste des perspectives nouvelles pour reconstituer l'histoire de nos ancêtres. En rendant possible l'accès aux variations génétiques entre individus et populations elle permet d'investir les trois principaux axes de recherche décrits en anthropologie classique pour appréhender l'histoire des populations du passé (Crubézy, 1992).

 

1. Etude du monde des morts

         L'organisation et le recrutement des ensembles sépulcraux ont longtemps été abordés à partir des caractères discrets. Codés comme présents ou absents, ces caractères permettent de regrouper au sein d'une population des sujets apparentés sans qu'aucun lien familial ne puisse pour autant être précisé (Crubézy, 1991). Les règles d'évolution des marqueurs génétiques étant beaucoup mieux connues que celles des caractères discrets, une détermination plus précise des liens biologiques unissant les individus devient possible.

         Bien que des parentés génétiques puissent être déduites grâce aux marqueurs de l'ADNmt (Fily et al., 1998) ou du chromosome Y (Schultes et al., 1999), seule l'analyse des régions hypervariables de l'ADN nucléaire (STR autosomaux) permet de déduire des liens de proche parenté. C'est donc ces marqueurs que notre équipe a entrepris d'utiliser pour réaliser le typage génétique de restes humains issus d'ensemble sépulcraux et ce d'autant plus que les STR s'avèrent particulièrement adaptés à l'étude de molécules anciennes : (i) leur petite taille (< 400pb) permet l'amplification de molécules fragmentées, (ii) le polymorphisme de longueur généré pourrait être moins sensible aux erreurs de lecture de l'enzyme permettant la duplication de l'ADN lors des réactions d'amplification (par comparaison à un polymorphisme de séquence où chaque base est analysée), (iii) l'analyse simultanée de plusieurs marqueurs STR permet d'obtenir un pouvoir discriminant élevé à partir d'une quantité minimale de matériel génétique, enfin (iv) l'analyse multiloculaire permet une meilleure mise en évidence des contaminations et favorise l'authentification des résultats (Hummel et al., 2000).

         Jusqu'à ce jour, peu d'investigations génétiques à l'aide de marqueurs STR ont été réalisées sur des populations anciennes. Hauswirth et al. (1994) ont été parmi les premiers à amplifier un locus STR autosomal (APO-A2) sur une population humaine datant de 7000 à 8000 ans. Leurs analyses ont porté sur 6 individus, le but n'étant pas de retracer des liens de proches parentés mais de démontrer la persistance de l'ADN nucléaire dans des restes anciens. Zierdt et al. (1996) ont amplifié un marqueur STR (vWA) à partir de 72 individus issus d'un cimetière médiéval (V ème-VIII ème siècle) démontrant que la distribution allélique de ce marqueur ne différait pas de celle des populations contemporaines. L'analyse d'un seul marqueur STR ne leur a pas permis de mettre en évidence de parentés génétiques. Cette même équipe s'est alors attachée à tester la possibilité d'étudier simultanément plusieurs STR autosomaux sur des prélèvements anciens à l'aide d'un kit d'amplification multiple (Hummel et al., 1999). Si les résultats de ces travaux ont été positifs, ils ont également démontré que seuls des échantillons parfaitement bien conservés permettaient d'accéder à l'information codée par le génome nucléaire. Notre équipe a été la première à illustrer la possibilité d'étudier, sur des bases génétiques, le recrutement et l'organisation d'un ensemble funéraire datant de plus de 2000 ans en travaillant sur une nécropole Xiongnu située dans le nord de la Mongolie (Keyser-Tracqui et al., soumis pour publication). L'excellent degré de conservation des tombes (84 renfermant 99 sujets) lié aux basses températures rencontrées dans cette région a permis l'analyse simultanée de neuf marqueurs STR. Cinquante-six squelettes ont pu être analysés et pour 47 d'entre eux des profils génétiques plus ou moins complets ont pu être obtenus. Bien que relativement rares, des relations de parenté proche (parent/enfant) ont pu être mises en évidence. Si certaines d'entre elles intéressaient des tombes adjacentes, d'autres concernaient des tombes à distance. Aux vus de ces résultats, des hypothèses concernant l'organisation spatiale de la nécropole ont pu être formulées.

 

2. Etude du monde des vivants

         La reconstitution du monde des vivants ou paléo-biologie s'articule autour de deux axes essentiels, l'étude de la démographie et celle de l'état sanitaire des populations du passé. En ce qui concerne la démographie, elle ne semble guère pouvoir être étudiée à partir des ensembles funéraires dont seul le recrutement (souvent bien loin de la démographie) paraît pouvoir être approché (Crubézy et al., 2000).

         L'étude du recrutement est basée entre autre sur la reconnaissance du sexe des squelettes. Chez les adultes, l'os coxal permet de préciser le sexe dans 95% des cas (Bruzek, 1996) mais chez les individus immatures (nourrissons et jeunes enfants) ou lorsque les squelettes adultes sont incomplets, la reconnaissance du sexe devient quasiment impossible. La biologie moléculaire joue alors un rôle important puisqu'elle permet d'amplifier des fragments d'ADN (locus de l'amélogénine) dont la longueur est spécifique du sexe et ce quelque soit le type d'échantillon osseux analysé ou l'âge du spécimen étudié. Faerman et al. (1997) ont ainsi pu préciser le sexe de 19 nouveau-nés retrouvés sur le site d’anciens thermes romains et suggérer des pratiques d'infanticide inhabituelles.

         L'étude de l'état sanitaire des populations du passé repose sur l'examen des pathologies dans une perspective paléo-épidémiologique c'est à dire en tentant de reconstituer les fréquences des maladies identifiées sur diverses populations anciennes. Cette discipline bénéficie également de l'approche moléculaire, la PCR permettant de confirmer la présence et l'identité de certains agents infectieux sur des séries de squelettes anciens. Parmi les pathologies les plus étudiées au niveau moléculaire figurent la tuberculose et la peste.

         La première résulte de l'infection de l'organisme par deux mycobactéries principalement: Mycobacterium tuberculosis et Mycobacterium bovis. Bien que provoquant chacune des atteintes osseuses, notamment au niveau de la colonne vertébrale, aucun critère ostéologique ne permet de distinguer les deux pathogènes. Cette distinction est possible au niveau moléculaire puisque des marqueurs spécifiques de chaque mycobactérie peuvent être amplifiés (Taylor et al., 1999). Après avoir contribué à la démonstration de l'ancienneté de la tuberculose dans le monde (Salo et al., 1994 ; Arriaza et al., 1995 ; Nerlich et al., 1997; Crubézy et al., 1998), la PCR permet aujourd'hui d'estimer l'incidence de cette maladie dans les populations du passé (Zink et al., 2001 ; Mays et al., 2001).

La peste est une pathologie infectieuse qui ne laisse pas de traces osseuses et ne peut donc faire l'objet d'études paléopathologiques directes. En amplifiant le génome de Yersinia pestis, l'agent pathogène responsable de la peste, Drancourt et ses collaborateurs (1998) ont confirmé l'étiologie des épidémies qui ont dévastées la Provence au XVIème et VXIII ème siècles. Cette même équipe a également démontré que la pandémie de "Mort Noire", à l'origine du décès d'environ un tiers de la population européenne au XIV ème siècle, était bien due à l'agent de la peste (Raoult et al., 2000).

         La biologie moléculaire permet également de déterminer comment sont apparues de grandes épidémies. Au début du siècle, le virus dit de la grippe espagnole s'est propagé partout dans le monde et a décimé en moins de deux ans plus de 20 millions de personnes. A partir de tissus fixés et conservés dans la paraffine, différents segments codants du génome viral ont pu être amplifiés. Une analyse phylogénétique a révélé la proximité de cette souche avec des virus de la grippe porcine. Le virus serait donc passé du porc à l'homme et ce transfert d'hôte se serait manifesté par une extrême virulence, ayant entraîné une épidémie mondiale (Tautenberger, 1997).

 

3. Etude de l'évolution et de l'histoire du peuplement

         Si l'anthropologie classique a longtemps étudié l'évolution et l'histoire du peuplement à partir de données continues (métriques) et/ou discontinues (caractères discrets), crâniennes et post-crâniennes, l'anthropologie moléculaire permet aujourd'hui d'aborder ce thème au travers des données moléculaires collectées sur des populations actuelles. Les marqueurs génétiques les plus adaptés pour préciser l'origine des différentes populations humaines sont les marqueurs uniparentaux tels que l'ADN mitochondrial et le chromosome Y. Transmis sans modification d'une génération à l'autre (ils échappent tous deux au brassage génétique), ces marqueurs permettent de retracer des lignées maternelles ou paternelles sur un grand nombre de générations.

         Pour exemple, ces deux marqueurs ont été utilisés pour tenter de retracer les mouvements migratoires du Moyen-Orient en Europe et estimer la contribution du paléolithique et du néolithique à la diversité génétique des populations européennes. L'analyse de plus de 4000 séquences d'ADNmt, issues de populations du Proche Orient, d'Europe et du nord du Caucase, suggère que la majeure partie des lignées maternelles ancestrales auraient été introduites en Europe en plusieurs vagues successives au cours du paléolithique supérieur (Richards et al., 2000). Il y aurait eu ensuite (20000 ans avant notre ère) un effet fondateur ou un goulet d'étranglement à partir duquel dériverait la plus grande partie des lignées persistantes. La diversité génétique introduite par les fermiers du néolithique représenterait quant à elle moins d'un quart de la diversité du génome mitochondrial des Européens modernes. Dans le même temps, l'analyse comparée de marqueurs spécifiques du chromosome Y sur plus de 1000 individus issus de 25 régions d'Europe et du Moyen-Orient a mis en évidence deux lignées paternelles présentes en Europe au paléolithique supérieur (30000-20000 ans). Selon les auteurs de cette étude (Semino et al., 2000), les autres lignées seraient apparues en Europe ultérieurement. Sur les 22 haplotypes (ensemble des variations d'un même chromosome) définis par les auteurs, 2 ont été retrouvés chez plus de 50 % des populations européennes étudiées, mais avec une distribution géographique contrastée. La fréquence du premier décroît d'ouest en est (avec une fréquence optimale chez les Basques) tandis que celle du second augmente d'ouest en est atteignant sa valeur maximale pour la Pologne, la Hongrie et l'Ukraine. Selon toute vraisemblance, la distribution opposée des ces marqueurs pourrait refléter un mouvement de populations isolées de la Péninsule Ibérique et de l'Ukraine après le maximum de la dernière glaciation (20000-13000 ans). Quatre autres haplotypes témoigneraient de la contribution des fermiers du Néolithique venus du Moyen Orient à la diversité génétique des populations d'Europe. Cette contribution compterait pour 22 % de la contribution totale.

         Si dans cet exemple les données du chromosome Y corroborent celles de l'ADNmt il n'en va pas toujours ainsi. Dans certains cas en effet l'histoire du chromosome Y n'est pas la même que celle de l'ADNmt. L'étude comparée de ces marqueurs permet alors de mettre en évidence des différences liées au sexe lors de pratiques culturelles ou d'événements migratoires (Passarino et al., 1998).

         Quoiqu'il en soit, l'important est que les modèles théoriques d'évolution élaborés à partir d'études sur des populations actuelles puissent être confrontées à des données issues de populations anciennes de manière à être validés. Kaestle et Smith (2001) ont ainsi confirmé l'hypothèse d'une migration récente des populations parlant le "Numic" dans le Grand Bassin (côte ouest des Etats-Unis) en comparant la distribution de différents haplogroupes mitochondriaux (ensemble d'haplotypes voisins) chez des populations anciennes et contemporaines d'indigènes d'Amérique.

 

 

Conclusion

         L'introduction des techniques de biologie moléculaire dans le domaine de l'anthropologie représente sans nul doute une avancée considérable comme en atteste le nombre grandissant d'articles publiés sur le sujet. Pour autant, ces techniques ne permettent pas toujours de fermer des questions restées ouvertes par d'autres disciplines, et ne peuvent en aucun cas fournir à elles seules les réponses attendues. A l'heure actuelle, il apparaît de plus en plus évident que seule l'analyse de plusieurs régions du génome permet une interprétation fiable des données génétiques collectées, cette interprétation ne pouvant se faire qu'à la lumière des données anthropologiques, archéologiques et linguistiques.

 

 

Bibliographie

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