Colloques du Groupement des Anthropologistes de Langue Française (GALF)

Burri, E., 2009, La Région des Trois-Lacs (Suisse) au Néolithique moyen II: culture matérielle et histoire des peuplements. Antropo, 18, 47-62. www.didac.ehu.es/antropo


 

La Région des Trois-Lacs (Suisse) au Néolithique moyen II: culture matérielle et histoire des peuplements

 

The “Région des Trois-lacs” (Switzerland) in the Middle Neolithic: material culture and populations history

 

Elena Burri

 

Département des infrastructures, Section archéologie cantonale, 10 pl. de la Riponne, 1014 Lausanne.

Département d’anthropologie et d’écologie, 12 rue Gustave Révilliod, case postale, 1211 Genève 4.

E-mail : Elena.burri@vd.ch

 

Mots- clés: Néolithique moyen, histoire des peuplements, céramique, silex, Plateau suisse

 

Keywords: Middle Neolithic, firestone,  populations history, pottery, Swiss Plateau

 

Résumé

Le Néolithique moyen de la Région des Trois-Lacs est particulièrement riche en sites lacustres, très précisément datés par la dendrochronologie et au matériel abondant. L’étude de la céramique du site de Concise (VD, CH) a montré la possibilité d’établir un scénario d’histoire des peuplements à partir de la culture matérielle. La maîtrise de la chronologie et l’analyse spatiale des occupations permet de clarifier la relation entre producteur et consommateur et de reconstituer l’histoire des potières venues à plusieurs reprises à Concise depuis l’autre versant du Jura. Nous étendons notre analyse à l’ensemble de la Région des Trois-Lacs. Puis, nous mettons en parallèle à l’histoire des potières l’histoire du silex, ce qui nous permet de proposer un scénario des peuplements pour toute la Région et de tenter une quantification des mouvements de population.

 

Abstract

The Middle Neolithic of  the “Région des Trois-Lacs” is rich with very precisely dendrochronologically dated laked-side dwellings with abundant artefacts. The study of the pottery from Concise (VD, CH) have allowed to propose an historic scenario for the potters. With the help of spatial analysis and ethnoarcheological models, we have conclude that the ceramic production was domestic and that potters, who were women, have come at several occasions to the Swiss Plateau from the other side of Jura mountain. We extend this analysis to all the “Région des Trois-Lacs” and we include the analysis of variations in firestone sets. This takes us to propose an history of the populations movements during the regional Middle Neolithic.

 

Introduction

Lors de l’étude de la céramique du Néolithique moyen de la station lacustre de Concise (Burri 2006, 2007), nous avions constaté dans plusieurs villages la coexistence très exceptionnelle de deux styles céramiques habituellement géographiquement séparés. Ceci nous avait permis, à l’aide de modèles ethnoarchéologiques et d’une étude spatiale et typologique minutieuse, de déterminer que le mode de production de la céramique est domestique et de proposer une histoire des peuplements du site basée sur l’histoire des potières. Les indices allaient dans le sens de sociétés segmentées dont les membres pouvaient se déplacer de manière autonome, avec des changements graduels qui n’affectent que certains domaines de la culture matérielle. Nous avons voulu vérifier la possibilité d’étendre ces résultats à l’ensemble de la région, de percevoir la dynamique des changements et d’observer d’autres indices de comportement polythéthiques des sociétés néolithiques, avec l’espoir de reconstituer l’histoire des peuplements de l’ensemble de la région et de comprendre la relation entre les différentes composantes de la culture matérielle. Nous avons donc décidé d’examiner le comportement de quelques éléments dans la Région des Trois-Lacs et ses environs.

 

Figure 1. Illustration des conséquences sur la culture matérielle de plusieurs scénarios d’histoire des peuplements. On voit que la relation n’est pas univoque. La question qui nous occupe est le reconstitution des scénarios à partir des changements de la culture matérielle. En rouge: éléments observables archéologiquement après construction de chronotypologies fiables, en bleu scénarios historiques possibles.

Figure 1. The possible consequences of several historic scenarios (blue) on the material culture (red). We will try to restituate historic scenatios on the basis of cultural changes.

 

Notre but était d’observer la dynamique des industries et d’aboutir à un modèle interprétatif permettant la reconstitution de scénarios historiques concernant l’histoire des peuplements. La restitution de scénarios historiques à partir de la culture matérielle se heurte à de nombreux obstacles et imprévus, notamment parce que des causes diverses peuvent avoir des effets semblables ou des causes proches des effets divergents (Figure 1). Malgré ce fait et l’absence complète de sépultures, la Région des Trois-Lacs semblait idéale pour des objectifs ambitieux. Cet article relate les premiers résultats et les interrogations que nos recherches ont amenées.

 

Figure 2. La Région des Trois-Lacs (en pointillé) à l’ouest du Plateau suisse, au pied du jura. Les voies de passage au travers de cette chaîne sont la trouée de Vallorbe –Pontarlier (1), la trouée de Belfort (2), des cols moins praticables comme la Givrine (3) ou la Vue des Alpes (4). A l’est de Concise (étoile), le Mont-Aubert plonge directement dans le lac de Neuchâtel (5). Fond de carte P. Moinat SACVD.

Figure 2. The « Région des Trois-Lacs » in yellow in the bottom of the Jura mountain. The natural passages are designed by arrows (1-4). The Mont-Aubert (5) is falling directly in the lake of Neuchâtel.

 

La situation géographique, les obstacles à la circulation et les voies de passage

La Région des Trois-Lacs se trouve au pied du Jura, à l’ouest du Plateau suisse (Figure 2). Le Jura descend en pente relativement abrupte du haut de la chaîne jusqu’aux rives nord des lacs de Neuchâtel et de Bienne, ne laissant qu’une bande de quelques kilomètres vraiment exploitable pour les agriculteurs. Le Jura lui-même est constitué de plis parallèles interrompus par des affaissements transversaux qui permettent le passage au travers de la chaîne. Pour la Région des Trois-Lacs, on retiendra surtout la troués de Vallorbe Pontarlier qui permet le passage le plus aisé, par la Cluse de Montjoux. La trouée de Belfort, au nord-est, offre également une voie très praticable. D’autres passages plus difficiles permettent de passer des bords du Léman à la Franche-Comté au sud-ouest (par exemple les cols de la Faucille, de la Givrine). Des voies moins praticables que la trouée de Vallorbe permettent de traverser le Jura à l’est du lac de Neuchâtel: la vue des Alpes ou le Val de Travers. Sur la rive nord du lac de Neuchâtel, le Mont Aubert, dont les pans se jettent abruptement dans le lac, forme une barrière naturelle qui pouvait être infranchissable à pied en période de hautes eaux entre Concise et l’est du lac de Neuchâtel. Néanmoins, le passage aquatique était toujours possible. Sur les rives sud et le lac de Morat, le paysage est beaucoup plus ouvert et se dégage sur l’est du Plateau suisse, tandis qu’à l’ouest le passage vers le Léman et le Bassin du Rhône est aisé. La circulation entre les Trois-lacs, l’est du Plateau et le Léman est ouverte. La Région des Trois-Lacs se trouve donc au centre d’un réseau de circulation englobant le Plateau suisse, la Franche-Comté et le Bassin du Rhône, avec le meilleur passage connu liant Franche-Comté et Plateau au niveau de l’extrémité ouest du lac de Neuchâtel.

 

Figure 3. Carte des sites publiés qui vont être utilisés. Les numéros correspondent à ceux de la liste de sites de la Table 1. Fond de carte P. Moinat SACVD.

Figure 3. Map of the reference settings. The number correspond to wich of the Table 1.

 

Le contexte archéologique

Au Néolithique moyen II, la région est l’une des mieux connues de la Préhistoire, malgré l’absence de sépultures connues, grâce à une abondance de stations lacustres implantées sur les rives des lacs. Celles-ci ont livré d’impressionnantes quantités de matériel dans des niveaux précisément datés par dendrochronologie (Table 1, Figure 3). Les conditions de sédimentation et de conservation sont souvent idéales avec des villages occupés chacun durant environ une génération et une sédimentation rapide qui a scellé les niveaux en place (Figure 4). La périodisation intrasite est souvent très fine, tandis que les synthèses régionales et les publications de sites permettent de suivre l’évolution de la culture matérielle avec une périodisation de l’ordre du siècle pour le Plateau suisse, avec une chronologie basée sur les datations dendrochronologiques et l’évolution de la céramique qui permet d’intégrer des sites non datés en chronologie absolue (Burri 2007, Table 1). Les groupes culturels reconnus et séparés essentiellement sur la base des styles céramique ne sont pas monolithiques et leurs composantes se comportent parfois de manière indépendante, segmentant les entités culturelles (Jeunesse et al. 1998). En comparant les distributions diachroniques et synchroniques des artefacts et des matières premières entre les sites et en intégrant le contexte régional, on obtient une histoire de la culture matérielle, puis des groupes culturels. C’est elle que nous espérons interpréter en termes d’histoire des peuplements. Nous nous sommes concentrés sur deux matériaux qui ont l’avantage d’être largement publiés, d’avoir fait l’objet de synthèses récentes ou de recherches en cours et de présenter des caractéristiques assez contrastées pour permettre une étude bibliographique. Elle devra être complétée par la suite par des analyses typologiques plus détaillées, en tout cas pour le silex, et par l’étude d’autres matériaux. Nous avons choisi dans un premier temps la céramique, différenciée par son style en plusieurs groupes évoluant en chronologie, et l’industrie lithique avec deux paramètres: la provenance des matières premières et les supports des outils (lame ou éclat). Nous avons dû renoncer à intégrer la pierre verte, dont seule une des origines de la matière première, la pélite-quartz des Vosges, était abordable au niveau bibliographique, ce qui restreignait par trop la discussion. Nous avons choisi de considérer les fréquences relatives des différents éléments pour pouvoir intégrer des gisements aux effectifs très dissemblables.

 

No

Site

Couche

Culture

 

Av. J.-C.

BC call

Phase

7

Lattrigen-Riedstation

 

Cortaillod

palafitte

3393-3388

 

Cortaillod

5

Twann

UH

Cortaillod

palafitte

3405-3391

 

Port-Conty

6

Nidau-BKW

5

Cortaillod

palafitte

3410-3398

 

3500-3380 av. J.-C.

2

Auvernier Tranchée Tram

 

Cortaillod

palafitte

 

 

 

12

Clairvaux II

 

Cortaillod

palafitte

 

 

 

21

Arbon-Bleiche 3

 

Pfyn/Horgen

palafitte

3384-3370

 

 

1

Concise

E6

Cortaillod

palafitte

3570-3516

 

 

1

Concise

E5

Cortaillod

palafitte

3570-3516

 

 

5

Twann

OS

Cortaillod

palafitte

3596-3532

 

Cortaillod tardif/

2

Auvernier-Port

III

Cortaillod

palafitte

3627-3621

 

NMB récent/

5

Twann

MS1

Cortaillod

palafitte

3649-3607

 

Pfyn

1

Concise

E4

Cortaillod

palafitte

3645-3635

 

3650-3500 av. J.-C.

8

Muntelier-Strandweg

4

Cortaillod

palafitte

 

 

 

9

Yverdon-Garage-Martin

14-15

Cortaillod

palafitte

 

 

 

12

Clairvaux XIV

3_6

NMB récent

palafitte

 

 

 

19

Zurich-Mozartrasse

 

Pfyn

palafitte

3670-3600

 

 

1

Concise

E3

Cortaillod

palafitte

3666-3655

 

 

5

Twann

MS

Cortaillod

palafitte

3702-3662

 

Cortaillod moyen/

4

Thielle-Mottaz

 

Cortaillod

palafitte

3719-3699

4222-3819

NMB moyen/

16

Burgäschisee-südwest

 

Cortaillod

palafitte

3760-3748

 

Pfyn

9

Yverdon-Garage Martin

18-19

Cortaillod

palafitte

 

 

3760-3660 av. J.-C.

12

Motte-aux-Magnins

V

NMB

palafitte

3659-3525

 

 

12

Clairvaux XIV

1_2

NMB

palafitte

 

 

 

1

Concise

E2

Cortaillod

palafitte

3713-3675

 

 

14

Gardon

40/42

NMB

grotte

 

3795-3662

 

19

Zurich Kanalisationssanierung

 

Pfyn

palafitte

3728-3681

 

 

20

Feldmeilen Forderfeld

 

Pfyn

palafitte

 

 

 

18

Hitzkirch-Seematt

OS

Cortaillod

palafitte

3758

 

Cortaillod classique/

2

Auvernier-Port

Va-c

Cortaillod

palafitte

3791-3679

3940-3698

NMB ancien/

17

Egolzwil 4

 

Cortaillod

palafitte

 

3958-3798

Cortaillod ancien

5

Twann

US

Cortaillod

palafitte

3838-3768

 

zurichois

1

Concise

E1

Cortaillod

palafitte

3868-3793

 

3900-3760 av. J.-C.

19

Zürich-Mozartrasse

5

Cortaillod

palafitte

3864-3834

 

 

15

Hautecombe

 

NMB/Cortaillod

palafitte

3842-3835

3942-3793

 

13

Corsier

3

Cortaillod

palafitte

3859-3856

 

 

8

Muntelier-Dorf

 

Cortaillod

palafitte

3867-3854

 

 

8

Muntelier-Fischergässli

1 à 4

Cortaillod

palafitte

3895-3820

 

 

8

Muntelier-Strandweg

E1-3

Cortaillod

palafitte

 

 

 

19

Zürich-Mozartrasse

6

Cortaillod

palafitte

3908-3872

 

 

19

Zürich-Kleiner Hafner

4E

Cortaillod

palafitte

 

4040-3803

 

10

Onnens

 

Cortaillod

palafitte

 

 

 

3

Hauterive-Champréveyres

 

Cortaillod

palafitte

 

 

 

12

Clairvaux VII

 

NMB

palafitte

 

 

 

Table 1. Liste des sites retenus par phase chronologique. Les numéros sont ceux qui Figurent sur la carte (Figure 3), avec leur datations dendrochronologiques (av. J.-C.) ou 14C calibrées à un sigma par couche. Lorqu’il n’y a pas de datation, il s’agit d’une attribution typologique sur la base de la céramique à une des phases du Néolithique moyen II.

Table 1. List of the reference settings. The numbers correspond to those of the Figure 3. The datations are dendrochronological (av. J.-C.), BC cal (1 sigma) or typological after the pottery.

 

 

ACD Systems Digital Imaging

Figure 4. Exemple d’une stratigraphie du site de Concise, on voit bien la dilatation de la séquence du Néolithique moyen. Photo Ph. Müller, SACVD.

Figure 4. This stratigraphy from Concise shows the dilatation of the Middle Neolithic sequency.

 

Les sources de matières premières

Pour la détermination de provenances de silex, nous avons repris essentiellement les données de J. Affolter parues dans sa thèse (2002), et en partie dans la thèse de M. Honnegger (2001) ou dans des publications de sites du Plateau suisse (Bleuer éd 1993, De Capitani et al. 2002, Gross et al. 1987, Hafner et Suter 2000, Leuzinger 2000, Mauvilly et Boisaubert 2005, Ramseyer éd. 2000, Suter 1987), ainsi que les données de J.-F. Piningre et P. Pétrequin (Piningre 1989) pour la Combe d’Ain ou de Th. Perrin pour le Bugey (2001). Nous avons regroupé ces différentes sources et nous avons retenu 5 provenances principales qui permettaient d’obtenir des effectifs significatifs (Figure 5). Les silex allochtones sont rares et proviennent d’une distance de plus de 250 km des sites (p.ex. silex de l’Yonne, d’Italie). Les autochtones, qui ne représentent qu’un faible pourcentage des industries, sont ramassés dans les environs immédiats des sites et parfois débités dans les habitats (Boisaubert, Mauvilly 2006, Perrin 2001, Honnegger 2001), ce qui n’est pas le cas pour les silex régionaux importés (Honnegger 2001, Perrin 2001, Affolter 2002). Les gisements de silex régionaux importés se trouvent localisés dans trois zones: au nord-est du Plateau (silex du nord du Jura provenant de calcaires du Malm ou de l’Eocène), au sud du Jura dans des niveaux du Crétacé supérieur et sur l’autre versant du Jura, avec le Mont-Etrelles. Nous avons intégré à cette liste les quelques importations de cristaux de roche alpins.

Le mode d’approvisionnement du silex n’est pas assuré. Les ateliers de taille du Néolithique moyen n’ont pas encore été découverts. On peut envisager des échanges de proche en proche gagnant finalement le Plateau ou des expéditions sur les gisements pour se procurer la matière première (Honnegger 2001, Affolter 2002). Un système du type places centrales/redistribution est exclu (Affolter 2002) et l’éloignement des gisements par rapport à la Région des Trois-Lacs rend l’approvisionnement direct peu probable. La solution la plus plausible semble suivre le même modèle que celui proposé par P. Pétrequin  pour la pierre polie (Pétrequin et Jeunesse 1995). Des communautés villageoises exploitent les gisements et effectuent un premier débitage. Les habitants d’un second cercle de villages, situés à environ 1-2 jours de marche des mines, effectuent la majorité de la mise en forme en se procurant les ébauches de manière massive lors d’échanges cérémoniels. Ensuite, par échanges de proche en proche, dans le cadre d’échanges symboliques ou de dots par exemple, les lames sont diffusées, avec un faible pourcentage de lames brutes. Ce mode d’échanges implique un gradient de fréquence de la source jusqu’aux communautés les plus éloignées, avec une décroissance brusque de la fréquence au niveau du second cercle des villages qui effectuent la majorité du façonnage (Pétrequin et Jeunesse 1995). En première approche, ce modèle peut convenir au silex, en tout cas au niveau de la diffusion de proche en proche d’outils finis depuis les environs des gisements de matières premières.

Nous avons choisi un second critère, semble-t-il plus culturel. Il s’agit du choix du support des outils. Ceux-ci sont façonnés sur deux types de support à choix: lames (ou lamelles) et éclats. Les lames sont au moins deux fois plus longues que larges et présentent des crêtes parallèles de débitage sur une face (Figure 5, en bas à droite). Ce critère a été utilisé par tous les auteurs et est donc aisément accessible en bibliographie. Nous adjoignons aux séries déjà publiées, les silex de Concise, qui sont encore en cours d’étude par J. Bullinger, que nous tenons à remercier pour ses remarques fructueuses.

 

Figure 5. Carte des principales sources de silex. Les silex allochtones ne sont pas représentés, les points oranges représentent des gisements de silex presque uniquement utilisés localement. Fond de carte P. Moinat SACVD. En bas à droite se trouvent des photos de lames à gauche et d’un éclat à droite en silex de Olten. Photos SACFR.

Figure 5. The principal firestone settlements. The autochtones settlements are colouring in orange. Photos of firestone blades and burst (on the right) are taken.

 

La céramique: les résultats du site de Concise

La céramique du Néolithique moyen de ce site est exceptionnelle par le mélange des styles et des dégraissants qu’elle montre dans certains niveaux (Burri 2006 ab, 2007). L’analyse spatiale de la céramique, l’application du modèle ethnoarchéologique de A.-M. et P. Pétrequin (1984) et l’analyse de la répartition des styles et des dégraissants permettent d’affirmer que la production de la céramique est domestique et que des groupes de potières de Franche-Comté sont venus au moins à trois reprises s’installer au bord du lac de Neuchâtel, à Concise, dans des villages au moins en partie occupés par des populations locales. Ce phénomène a lieu sur une longue durée avec des emprunts techniques réciproques. On a donc une transformation de la culture matérielle par immigration et acculturation. Des interrogations sur le reste de la culture matérielle nous ont fait penser que les potières étaient parfois venues seules, peut-être lors d’échanges matrimoniaux, lorsque seule la céramique semblait concernée par des changements (Burri 2007). En tout état de cause, le mode de production domestique implique qu’en première approximation différents styles contemporains sont le fait de différentes populations de potières et que les styles de céramiques reflètent immédiatement une partie du peuplement: celui des potières. Des études plus fines permettent de déterminer si les céramiques sont le reflet des styles originaux ou si ce sont des imitations. On estime que les artisans sont des potières par référence aux études ethnoarchéologiques qui montrent que dans le cas de production domestiques, ce sont certainement des femmes qui oeuvrent (Testart 1982, 1986, Arnold 1985, Knopf 2002). Les changements de style correspondent à des migrations de potières lorsque plusieurs styles contemporains régionaux sont en présence. Les styles céramiques ne sont par contre pas forcément le reflet de la population dans son intégralité et des phénomènes d’acculturation très rapide peuvent rendre difficilement détectables ces migrations (Gelbert 2003, Gallay 2005, Burri 2007).

 

 Figure 6. Carte des sites à céramique Cortaillod et NMB et céramiques représentatives de chacune des culture. Fond de carte P. Moinat SACVD.

Figure 6. The settings with Cortaillod (purple) or NMB (orange) pottery and one typical pottery of each style.

 

La céramique et son histoire au cours du Néolithique moyen

Les styles céramiques  sont bien définis par la forme des récipients et en partie par leurs dégraissants (Figure 6). Dans la Région des Trois-Lacs, il s’agit essentiellement du Cortaillod et du Néolithique moyen bourguignon (NMB), et dans une moindre mesure du Pfyn. Le Cortaillod est la culture typique du Néolithique moyen de l’ouest du Plateau suisse avec ses jarres à profil en S et mamelons sur le bord. Le NMB est centré sur la Bourgogne et la Franche-Comté, avec des jarres segmentées à épaulement souligné de paires de mamelons. Le Pfyn est originaire de l’Est du Plateau et s’étend peu à peu vers l’Ouest au cours du Néolithique moyen. Ces trois styles se différencient à partir du début du Néolithique moyen à la confluence des courants de néolithisation danubien et méditerranéen. Les éléments caractéristiques sont abondants, la céramique bien connue et on suit site par site et période par période les fréquences relatives des différents styles (Table 2). Il existe des éléments Cortaillod en Franche-Comté dans la phase classique, entre 3850 et 3750 av. J.-C., à Clairvaux VII et Chalain 3, avec un dégraissant qui ne peut être local et qui indique que ce sont dans doute des importations du Plateau suisse (Pétrequin 1989, 2005). Au Cortaillod moyen, vers 3700 av. J.-C., un petit groupe de potières immigre au bord du lac de Neuchâtel à Yverdon et Concise depuis la Franche-Comté (Burri 2007). Il s’agit de quelques dizaines de potières au plus, au vu de la taille des villages. Parmi celles-ci, quelques-unes (sans doute moins d’une dizaine) ont suivi le pied du Jura pour arriver à Auvernier, Thielle et Twann. Ce scénario se répète encore au moins 2 fois au Cortaillod tardif, vers 3650 av. J.-C. et vers 3550 av. J.-C. Ensuite, au Port-Conty, vers 3400 av. J.-C., on remarque un changement notoire avec un retour sur la Franche-Comté où on assiste à un changement complet du style céramique à Clairvaux II. Il y a donc une immigration de potières du Plateau en Franche-Comté, le groupe est relativement important puisque la céramique est très largement Port-Conty, mais le remplacement des styles céramiques n‘implique pas forcément un changement global de population. Pendant ce temps, le Pfyn s’étend vers l’ouest et gagne petit à petit le Plateau suisse. A la fin de la séquence, au Néolithique final, vers 3200 av. J.-C., le Horgen qui découle du Pfyn va gagner l’ensemble du Plateau et parvenir en Combe d’Ain (Giligny 1994, 1997).

A partir de ce scénario (Figure 7), qui ne concerne que la céramique, plusieurs questions se posent.

S’agit-il uniquement d’échanges matrimoniaux de potières, de migrations de populations entières, de remplacement de population, de mélange de populations et de cultures, d’acculturation ?

Les échanges des autres biens sont-ils parallèles ou non au déplacement des potières, a-t-on des échanges réciproques de potières ?

Pourquoi les potières NMB se sont-elles presque exclusivement fixées à Concise ?

On peut répondre immédiatement à cette dernière question. En effet, il existe un blocage au niveau de Concise pour le NMB et le phénomène est quasiment inconnu sur la rive sud. Il faut envisager de petits groupes se scindant et partant d’un village pour s’installer dans un autre. La circulation est sans doute terrestre et la navigation joue un rôle négligeable puisque le Mont Aubert semble constituer un obstacle.

De plus, nous pouvons affirmer qu’il n’y a pas d’échanges réciproques de potières entre la Franche-Comté et la Région des Trois-Lacs par la trouée de Vallorbe-Pontarlier. En effet, les incursions de style NMB sur le Plateau et Cortaillod en Franche-Comté ne sont pas contemporaines. Si ces mouvements de potières correspondent à des échanges matrimoniaux, ils ne se font que dans un sens, ce qui peut être un indice de rapt de femmes, voire de "front pionnier" associé à un artisanat ou un genre, dans les cas où seules des potières se déplacent.

 

Cortaillod classique /NMB ancien

3900-3760 av. J.-C.

céramique

silex

 

NMB %

Cortaillod %

lame

éclat

alloch

Etrelles

NordJura

autoch

Sud Jura

quartz

Muntelier Dorf

 

100

53

47

21

 

65

13

 

1

Muntelier Fischergässli

 

100

46

54

19

 

80

1

 

 

Muntelier Strandweg

 

100

 

 

21

 

69

10

 

 

Corsier

 

100

 

 

 

 

 

 

 

 

Twann US

 

100

74

26

7

 

83

1

 

9

Egolzwil 4

 

100

 

 

 

 

 

 

 

 

Hitzkirch

 

100

 

 

 

 

 

 

 

 

Hauterive-Champréveyres

 

100

 

 

18

28

18

9

27

 

Auvernier-Port V

1

99

 

 

 

 

 

 

 

 

Clairvaux VII

86

14

maj

 

 

 

 

 

 

 

Hautecombe

25

75

 

 

 

 

 

 

 

 

Concise E1

 

100

78

22

oo

 

ooo

oo

o

 

Onnens

 

100

59

41

12

6

81

1

 

 

Zurich Kleiner Hafner 4d-4f

 

100

32

68

3

 

97

 

 

 

Zurich Mozartstrasse 5-6

 

100

36

64

2

 

93

3

 

1

Cortaillod moyen/NMB moyen

3760-3660 av. J.-C.

céramique

silex

 

NMB %

Cortaillod %

lame

éclat

alloch

Etrelles

NordJura

autoch

Sud Jura

quartz

Garage-Martin 18-19

25

75

80

20

 

 

 

 

 

 

Gardon 40/42

100

1

10

90

 

 

 

77

23

 

Clairvaux XIV 1-2

100

1

33

66

 

 

 

70

30?

 

Clairvaux Motte aux Magnins

100

1

30

70

 

 

 

 

 

 

Twann MS

8

92

97

3

22

 

65

4

 

9

Burgäschisee

 

100

80

20

 

 

70

 

 

 

Thielle-Mottaz

2

98

80

20

 

 

70

 

 

 

Concise E2-E3

38

62

69

31

ooo

oo

oo

oo

o

 

Feldmeilen Vorderfeld

 

 

27

63

 

 

99

 

 

1

Zurich Kanalisationssanierung

 

 

17

83

 

 

99

1

 

 

Cortaillod tardif /NMB récent

3650-3500 av. J.-C.

céramique

silex

 

NMB %

Cortaillod %

lame

éclat

alloch

Etrelles

NordJura

autoch

Sud Jura

quartz

Garage Martin 14-16

3

97

87

13

 

 

 

 

 

 

strandweg 4

 

100

 

 

7

 

49

22

3

19

Twann OS

6

94

69

31

34

 

58

1

 

7

Auvernier-Port 3

2

98

 

 

 

 

 

 

 

 

Twann MS1

3

97

97

3

25

 

74

4

 

10

Clairvaux XIV 3-6

99

1

30

70

 

 

 

70

 

 

Concise E4

53

47

41

59

ooo

ooo

oo

oo

o

 

Concise E5-6

14

86

56

44

ooo

ooo

oo

o

o

 

Zurich Mozartstrasse

 

 

52

46

 

 

98

2

 

 

Cortaillod Port-Conty

3500-3380 av. J.-C.

céramique

silex

 

NMB %

Cortaillod %

lame

éclat

alloch

Etrelles

NordJura

autoch

Sud Jura

quartz

Clairvaux II

 

100

70

30

 

20

 

80

 

 

Auvernier Tranchée Tram

 

100

 

 

 

 

 

 

 

 

Lattrigen

 

100

 

 

87

3

 

 

1

9

Twann UH

 

100

84

16

9

 

91

 

 

 

Nidau BKW

 

100

 

 

10

 

90

 

 

 

Arbon Bleiche 3

 

 

37.5

62.5

25

 

 

75

 

 

Table 2. Tableau des sites par phase du Néolithique moyen avec les pourcentages relatifs de céramique de type NMB ou Cortaillod (les sites qui n’ont ni céramique Cortaillod, ni NMB sont des sites de culture Pfyn) et les pourcentages relatifs des provenances du silex quand ils sont connus et des types de support.

Table 2. The relative percentages of Cortaillod and NMB  pottery styles, of the different origins and the two possible supports for the firestone.

 

 Figure 7. Histoire des migrations de potières entre les deux versants du Jura.

Figure 7. History of the potterwomen between the two side of the Jura mountain.

 

L’industrie lithique et son histoire au cours du Néolithique moyen

Le silex est importé en très grande majorité sur ces sites où il n’existe quasiment pas de débitage, si ce n’est du silex local de qualité médiocre (Honnegger 2001, Mauvilly et Boisaubert 2005, Affolter 2002). Les supports sont donc importés, soit sous forme d’outils finis, soit de préformes (Affolter 2002, Honegger 2001). Le silex est sans doute débité aux environs des gisements, seul le façonnage est rarement effectué dans les sites. La Région des Trois-Lacs étant dépourvue de silex de bonne qualité, on y trouve un approvisionnement diversifié bien corrélé en fréquence avec l’éloignement géographique des gisements (Figure 5). Ceci plaide en faveur d’échanges de proche en proche, sur le même mode que la pierre polie, avec des gradients décroissants en fréquence depuis les sources d’approvisionnement (Pétrequin et Jeunesse 1995). Comme les gisements de silex de bonne qualité sont tous relativement éloignés, on assiste à une grande disparité de provenance par rapport à la région de Zurich ou à la Combe d’Ain, avec des variations qui peuvent être considérables entre sites. Malgré tout, le silex du nord du Jura, le plus proche, est la plupart du temps le plus fréquent. La situation change au Port-Conty, et même à la fin du Cortaillod tardif, avec l’importation de grandes lames en silex d’origine lointaine, qui augmente les pourcentages d’éléments allochtones (Table 2). D’une manière générale, les types de support diffèrent entre l’ouest du Plateau suisse d’une part et l’est du Plateau suisse et l’autre versant du Jura d’autre part. Dans la Région des Trois-Lacs, ce sont les supports sur lames qui ont été privilégiés, contrairement à l’est et à la Franche-Comté où ce sont les éclats (Table 2).

 

Figure 8. Histoire du silex. En haut la proportion lames (lames)/éclats (en blanc), en bas les proportions des différentes matières premières.

Figure 8. Firestone history. Up: the proportion between  blade in black and burst in white. Down: the proportions of the different origins of firestone in the settings.

 

Au niveau diachronique (Table 2, Figure 8), on voit qu’au Cortaillod classique, les provenances sont très diverses, avec une majorité originaire du nord du Jura. Les lames dominent nettement, alors qu’à l’est ce sont les éclats. A Clairvaux VII, il existe une dominance des lames très étonnante en contexte NMB. Elle peut être mise en relation avec les quelques céramiques Cortaillod qu’on y trouve (Jeunesse et al. 1998). P. Pétrequin parle à ce sujet d’une immigration d’hommes venus du Plateau suisse jusqu’à Clairvaux (Pétrequin et Pétrequin 2005). Par contre, dans ce village, les provenances ne se démarquent pas de celles, locales ou du sud du Jura, habituelles en Combe d’Ain. Ceci montre bien qu’il doit y avoir déplacement de tailleurs ou tout le moins de savoir-faire et pas seulement une circulation de lames. On remarque aussi que dans le Cortaillod ancien zurichois, ce sont les éclats qui dominent, malgré une céramique Cortaillod, sur une matière première très largement originaire du nord du Jura. Les silex du nord du Jura sont débités tantôt en éclat et exportés dans la région de Zurich, tantôt en lames et exportés vers la Région des Trois-Lacs. A contrario, des matières premières différentes peuvent être débitées de la même façon (silex local et du Bugey pour la Combe d’Ain, silex de Olten pour la Région des Trois-Lacs)

Au Cortaillod moyen, les provenances sont plus homogènes, très majoritairement du nord du Jura, avec toujours une grande majorité de lames, tandis que les éclats dominent dans le NMB et le Pfyn. Il existe également une forme de dissociation entre matières premières et choix du support.  Les silex du nord du Jura étant débités tantôt sur lame, tantôt sur éclat. A Concise, rien ne diffère du reste du Plateau, malgré l’arrivée de potières NMB.

Au Cortaillod tardif, le silex de Olten domine toujours, avec des supports sur éclats dans le Pfyn et  sur lames dans la Région des Trois-Lacs, ainsi que des supports sur éclats en silex local ou du Bugey dans le NMB.  Mais il existe une nette augmentation de la fréquence des éclats à Twann et surtout à Concise, sans doute à mettre en relation avec une nouvelle arrivée de potières, qui seraient ici accompagnées par des utilisateurs de silex. De nouveau, il y a dissociation entre matières premières et supports puisque la matière première à Twann est la même qu’au Cortaillod moyen, sans augmentation des provenances du sud du Jura qui correspondrait à un apport venu de la Combe d’Ain. Le même problème se pose concernant le lieu de débitage des silex et l’identité des tailleurs.

L’absence de débitage dans les sites interdit de parler immédiatement d’immigration de tailleurs de silex-On peut parler d’hommes pour la taille du silex en référence au modèle ethnoarchéologique de Testart (1982, 1986). Celui-ci met en relation le tabou universel lié au sang pour la femme avec une différentiation sexuelle du travail qui interdit la fabrication ou l’utilisation de certains outils aux femmes. Néanmoins, le fait que les supports, contrairement aux matières premières, ne suivent pas un simple gradient de fréquence depuis les gisements, qu’ils sont en partie au moins indépendants de la matière première et sont choisis selon des territoires culturels, semble montrer qu’on n’est pas en situation d’échanges de proche en proche, mais qu’à un niveau ou un autre, les tailleurs de silex aux choix culturels ou aux savoirs-faire différents interviennent.

Au Port-conty, les matières premières proviennent toujours en majorité du nord du Jura, avec une augmentation de la fréquence des silex allochtones par le transfert de belles lames non retouchées provenant du midi. Ces importations représentent un nouveau phénomène qui émerge dès le Cortaillod tardif à Concise et qui annonce les importations massives du Néolithique final. Au niveau local, les supports sur lames ont tendance à diminuer dans la Région des Trois-Lacs (Honnegger 2001). Par contre, ils augmentent nettement à Clairvaux, avec à côté de ces lames non retouchées, un débitage d’outils sur lames en silex local (Piningre 1989). Ce changement dans le mode de débitage du silex accompagne l’arrivée des potières Cortaillod. Il semble que toute une population a migré depuis la Région des Trois-Lacs jusqu’en Combe d’Ain. Les domaines culturels ou de savoirs-faire semblent disjoints du support matériel, comme P. Pétrequin et Ch. Jeunesse (1995) l’ont remarqué pour la pierre polie où il existe un changement culturel complet au Vème millénaire, mais une grande stabilité des réseaux d’échange de matière première.

Il faut répéter que pour le silex, le support sur lame ou éclat semble avoir une valeur culturelle, qui ne peut être uniquement liée à la circulation de proche en proche des biens. Il semble que le choix du support se fasse très en amont du lieu d’utilisation, ce qui pose problème sur le mode de fonctionnement des échanges et de la taille. La Franche-Comté et l’est du Plateau préfèrent nettement les supports sur éclat, tandis que dans la Région des Trois-Lacs, ce sont les lames qui dominent. A Concise, l’arrivée massive des supports sur éclat survient dans un deuxième temps par rapport à la céramique venue de Franche-Comté. Dans les deux cas, il n’existe pas ou peu de diffusion dans le reste de la région. Au Port-Conty, la céramique et le support laminaire  suivent une migration parallèle depuis le Plateau suisse vers la Combe d’Ain, mais pas la matière première, puisqu’il n’y a pas importation massive de silex de Olten.

Des résultats encore non définitifs de J. Affolter sur la matière première du silex de Concise indique une forte particularité du site. Si l’ensemble E1 ne se démarque pas, il existe dès l’ensemble E2 une apparition non négligeable du silex du Mont-Etrelles ainsi que des silex allochtones de l’Yonne les deux provenances devenant majoritaires dès l’ensemble E4 du Cortaillod tardif. Il y a donc un décalage entre l’apparition précoce des silex du nord-ouest, alors que les supports ne changent que dans l’ensemble E4. Surtout, J. Affolter note une abondance tout-à-fait exceptionnelle de silex originaires d’Italie et normalement absents des séries de la Région des Trois-Lacs.

 

Synthèse

Nous pouvons proposer un scénario qui demande à être confirmé par d’autres éléments de la culture matérielle et une meilleure compréhension de la relation entre producteurs et consommateurs, au moins pour le silex. Les estimations quantitatives demandent également à être confirmées. Elles proviennent de l’analyse spatiale du site de Concise (Burri 2006, 2007), dont les différents villages comprennent moins de vingt maisons avec une cohabitation entre potières Cortaillod et NMB.

Au Cortaillod classique, vers 3800 av. J.-C., quelques tailleurs de silex traversent le Jura depuis la Région des Trois-Lacs, sans doute accompagnés d’un faible nombre de potières. Ils s’installent en Combe d’Ain. Vers 3700 av. J.-C., au Cortaillod moyen, une vingtaine de potières au plus font le chemin inverse pour s’installer à Concise, quelques-unes continuant sur Yverdon, d’autres sur la rive nord du lac de Neuchâtel. Au Cortaillod tardif, vers 3640 av. J.-C., puis vers 3600 av. J.-C.  et vers 3550 av. J.-C., quelques potières, cette fois accompagnées de tailleurs de silex, représentant une population restreinte de quelques dizaines d’individus, émigrent depuis la Franche-Comté vers Concise, Yverdon et le long de la rive nord du lac de Neuchâtel jusqu’à Twann. Au Port-Conty, vers 3400 av. J.-C., c’est toute une population qui part du Plateau suisse pour envahir la Combe d’Ain où l’intégralité de la culture matérielle change. Cette situation se reproduira au début du Néolithique final, où la culture de Horgen, venue de l’est du Plateau arrive jusqu’en Combe d’Ain.

On remarque que les sociétés sont nettement polythétiques, avec une partition en sous-groupes de la culture matérielle et parfois la coexistence de populations venues de régions différentes dans un même village. Les éléments de la culture matérielle semblent être le reflet de la population, au moins des segments liés à des spécialités artisanales, sans doute dépendantes du genre. Des migrants en nombre très restreint peuvent avoir localement un impact considérable sur la culture matérielle. Il semble que les sociétés sont encore très labiles. En effet, les segments des différents groupes de population sont relativement indépendants. A partir du Cortaillod Port-Conty et surtout du début du Néolithique final, avec le Horgen, l’homogénéité est plus grande. Les populations sont moins segmentées, avec des déplacements de populations entières et des territoires mieux marqués. Ceci est peut-être lié à une plus grande pression démographique et/ou à une structuration sociale plus importante avec l’émergence de chefferies (Gallay 1995).

En tout cas, des microchronologies régionales et des études spatiales intrasites devraient permettre de mieux comprendre et assurer le comportement des matières premières et des composantes stylistiques dans le but d’affiner notre connaissance de la relation entre producteur et consommateur. L’histoire des peuplements que nous proposons doit être confirmée par d’autres sources. Nous pensons notamment à la possibilité d’étudier le comportement de la culture matérielle au niveau microchronologique, avec des périodisations plus fines, de l’ordre de la génération. Surtout, il faut préciser quels sont les éléments caractéristiques des sous-groupes qui partitionnent les populations en observant quels groupes de matériaux se comportent de manière semblable pour les interpréter en termes sociaux. L’interprétation demandera l’utilisation de modèles ethnoarchéologiques portant sur le partage du travail, la structure des sociétés… La constitution de ces sous-groupes demande d’une part d’affiner les typologies et de considérer l’ensemble des sites régionaux dans des chronologies brèves, d’autre part d’examiner les comportements intrasites. Dans ce contexte, et comme l’a déjà montré l’étude de la céramique, le site de Concise jouera sans aucun doute un rôle pivot. Les études en cours et la confrontation des différents matériaux semblent extrêmement prometteurs. D’une part, on a l’assurance de pouvoir effectuer des analyses spatiales sur de larges surfaces, représentant de bonnes proportions de chacun des villages et ce sur plusieurs siècles (Winiger 2003, 2006). Ceci permettra d’assurer le comportement diachronique et synchronique des éléments et de restituer une éventail représentatif des objets d’une maisonnée. D’autre part, on sait déjà que pour au moins deux types d’artefacts, la céramique et l’industrie lithique sur silex, il existe pour plusieurs villages une cohabitation entre styles appartenant en principe à des populations différentes et la preuve, dans le cas des potières, d’un mélange de populations. De plus, P. Chiquet (2005, 2007) a mis en évidence des changements dans le cortège faunistique, sans doute liés à un apport de population. Le comportement des sous-groupes déterminés à l’échelle régionale devrait amener à une véritable histoire des peuplements régionaux, avec, dans le meilleur des cas, une quantification des mouvements de population, ainsi qu’une meilleure connaissance générale des sociétés néolithiques et de la manière dont elles se comportent. Ces modèles doivent permettre de comprendre de manière plus globale la mise en place des peuplements néolithiques.

 

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