Prost, M., Boëtsch, G., 2008, Variabilité Patronymique et Marchés Matrimoniaux: Les Villes de la Province de Dauphiné du 16e au 19e siècle, Antropo, 17, 43-61. www.didac.ehu.es/antropo


 

Variabilité Patronymique et Marchés Matrimoniaux:

Les Villes de la Province de Dauphiné du 16e au 19e siècle

 

Patronymic Variability and Matrimonials Markets: The Cities of the “Dauphiné” Province (16th–19th centuries)

 

Michel Prost et Gilles Boëtsch

 

UMR 6578 (Anthropologie Bioculturelle). Université de la Méditerranée. CNRS, EFS. CS 80011, Bd. Dramard. 13344 Marseille Cedex 15, France.

 

Mots Clés: paramètres biodémographiques, diversité biologique, population urbaine, richesse patronymique.

 

Keywords: biodemographic parameters, urban population, biological diversity.

 

Résumé.

En anthropologie biologique, les patronymes sont employés pour effectuer diverses mesures concernant les structures de populations. Dans un corpus de 64 agglomérations formant 91% du réseau urbain de la province de Dauphiné, trois indices de biodémographie sont estimés. Près de 255000 actes de mariages sont observés sur une période de plusieurs siècles. Ayant confronté, de multiples manières les villes, plusieurs résultats contrastés peuvent être mis en avant. En matière d’isonymie matrimoniale, d’où découle la consanguinité, les bourgeois comme les ruraux y ont recours et ce ne sont pas les petites unités qui présentent les plus forts taux. On constate aussi que ce ne sont pas forcément les localités les plus importantes qui admettent la plus grande variabilité en matière de noms de famille. Prise sous l’angle exclusif de la biodémographie, cette province n’accueille qu’une véritable ville, Grenoble puis quatre agglomérations de moyenne importance Montélimar, Romans, Gap et Valence. Ensuite, pratiquement les 9/10e du semis urbain de l’Epoque Moderne n’apparaissent que comme des cités «mineures» voire des bourgs «ruraux».

 

Abstract.

Concerning biological anthropology, surnames are used as measure tools to study the structure of populations. Three biodemographic parameters are revealed in a 64 cities, which is to say 91 percent of the towns of the “Dauphiné” province. During a several century era, we observed almost 255000 marriages. With all that, we succeed in different outcomes. The bourgeois (inner cities people) as the rurals use the matrimonial isonymy, (the reason of consanguinity). Contrary to logic, smallest towns don’t show the highest rate of isonymy. We also observed that in the largest cities, the surname variability isn’t so developped. According to a biodémographic point of view, there is one main town, Grenoble, and four small agglomerations: Montélimar, Romans, Gap and Valence. The whole majority, that is to say 93 percent of the “Dauphiné” towns remain “minors” cities other called “bourgs-ruraux”.

 

 

A toutes les périodes de l’histoire, les villes se sont réparties en diverses classes d’après leur importance. Cette importance, qui provient avant tout de l’amplitude de rayonnement de leur fonction centrale, crée entre elles des différences d’espèce et pas seulement de degré (R. Mols, 1955)

 

Figure 1. Carte de France avec délimitation (en gris) de la province de Dauphiné et ses 3 départements.

Figure 1. Map of France with delimitation (gray) of the “Dauphiné” province and its 3 departments.

 

Introduction

Communément, les historiens estiment que, durant une large période historique, il apparaît très difficile de définir les contours séparant l’urbanité de la ruralité. «…rien n’est plus incertain que la notion urbaine au Moyen Age (…) on a pu signaler que le chiffre de la population, l’ancienneté de l’histoire, la nature juridique de l’administration locale, l’aspect même des agglomérations ne satisfaisaient en rien l’esprit. Il y a des villes closes où l’on trouve du bétail, des villes emmurés, des villes de 200 âmes et des villages de 2000, des communes urbaines et d’autres rurales…» (Fossier, 1970). En démographie historique, ce sont les niveaux de densité qui séparent les métropoles et les grandes villes provinciales comme Paris, Lyon et Caen, des villes dites «mineures» (Perrot, 1975). On évoque parfois d’autres critères, comme à Bourg en Bresse, ville d’environ 4000 habitants au XVIe siècle, «L’aspect le plus caractéristique de la culture urbaine est la présence d’une élite intellectuelle qui animait ce cadre urbain médiocre et le mettait en rapport avec le mouvement européen des idées.» (Turrel, 1986). Ailleurs, on soutient que «pour la statistique française, une ville est une agglomération d’au moins 2000 habitants (…). Pour les statistiques anglaises, le chiffre retenu est de 5000.» (Braudel, 1980). Ce dernier précisant même «que six cents feux (soit en gros 2000 à 2500 habitants) seraient, sans doute, une assez bonne limite inférieure». Mais il s’empresse d’ajouter: «Au XVIe siècle du moins, je pense que c’est situer la limite beaucoup trop haut…». Aucun élément probant ne paraît adéquat quand il s’agit de discriminer de véritables cités des gros villages, les habitants même de Chalon sur Saône n’hésitant pas à employer un oxymore pour qualifier leur lieu d’habitation de «ville champestre» aux XIV et XVe siècles (Albertelli, 1999). Il y aurait bien la diversité populationnelle, mais là encore, l’argumentation semble vacillante car en étudiant la ville de Boston entre 1880 et 1920 —3 paroisses, 15579 mariages—, on constate que la communauté italienne qui y réside forme un isolat génétique: 93,9–97,3% d’endogamie, 2,33% d’unions consanguines et 6,38% d’isonymie matrimoniale (Danubio, Pettener, 1997).

Les structures urbaines se révèlent donc, au fil des études produites dans différentes disciplines, comme des entités plurielles, souvent plus variées qu’ailleurs. Cette diversité se double pourtant de faux-semblants. Intra muros s’agrègent de nombreux flux de populations, on évoque alors pêle-mêle le foisonnement ou le brassage, mais c’est aussi là que se rencontrent des cloisonnements, des partitions d’une rare herméticité telles les «contrada» médiévales des villes toscanes qui subsistent actuellement (Vienna et al., 1998).

 

Problématique

Ici, nous cherchons à comprendre comment les marchés matrimoniaux urbains s’organisent en se diversifiant ou pas. En d’autres termes il s’agira de savoir si l’immigration matrimoniale procure aux structures urbaines toute la variabilité que l’on allègue quand on oppose populations agglomérées vs populations éparpillées ou rurales. Certes les cités regroupent en un espace restreint une quantité parfois impressionnante de personnes. Pour autant, quel pourcentage de celles-ci assure réellement la dynamique reproductive des villes? N’y a-t-il pas à l’intérieur des remparts qui généralement sont l’apanage du monde urbain, une population bourgeoise sédentaire, plutôt stable et une autre, laborieuse et mobile, qui ne fait qu’«aller et venir»?

Dans le même temps, nous cherchons à percevoir si les cités d’une même province forment une quelconque unité en matière de biodémographie. A l’aide d’outils nouveaux, on tentera d’établir un cadre de classement urbain en dehors des critères classiques définis par les historiens

 

Matériel et Critiques des Sources

Cette étude s’appuie sur un ensemble important d’actes de mariage pris dans plusieurs dizaines de villes. Celles-ci représentant la majeure partie du tissu urbain des trois départements qui composent la province de Dauphiné (Favier, 1993; Le Mée, 1999).

 

 

Semis urbain dauphinois existant

Structures urbaines observées

Isère

Drôme

Hautes-Alpes

Villes

13

12

3

6

3

Pseudo-villes

9

9

6

3

0

Cités

18

15

7

5

3

Bourgs

29

27

14

11

2

Ville-garnison

1

1

0

0

1

Ensemble provincial:

70 (100%)

64 (91,4%)

30 sur 31

25 sur 28

9 sur 11

Périodes observées

Unions (n.a.)

1529-1899

72254

64655

16856

Contrats de mariage (n.a.)

1511-1812

52368

48315

---

Ensemble provincial:

1511-1899

254448 actes

Tableau 1. Données quantitatives, en nombres absolus, distribuées selon la typologie et la géographie des structures urbaines considérées.

Table 1. Quantitative data, in absolute numbers, distributed according to the typology and the geography of urban structures.

 

Hormis Guillestre dont les actes informatisés commencent dès 1529, la plupart des corpus urbains examinés (unions émanant des registres paroissiaux) débutent dans les premières décennies du XVIIe siècle. Les données pour Grenoble partent de 1600, celles de Vienne en 1612. Pour intégrer la totalité du XVIe siècle, un second ensemble a été constitué. Il s’agit, pour l’Isère, de contrats de mariage effectués par 305 notaires répartis dans 22 localités recensées parmi les 30 de ce département. Cet ensemble notarial comptabilise 52368 contrats passés durant la période 1512-1779 et 41848 de ces actes (80%) ont été exécutés entre 1512 et 1623 et ceci par 252 notaires soit 83% de l’ensemble. Pour la Drôme, ce sont 15 cités qui sont concernées par les dépouillements notariaux: 48315 actes allant de 1511 à 1812. Le corpus comprendra 153765 actes de mariage et 100683 contrats, soit un total de 254448 unions. Si la majorité des unions observées intègre la première moitié du XIXe siècle, seules quelques villes possèdent des fins d’observation dans les années 1895-1899. Au XVIe siècle, le corpus ne comprend qu’environ une dizaine de milliers d’actes. En définitive, la période d’étude va couvrir quasiment quatre siècles, en tout cas sûrement plus de 300 ans. Dans le tableau 1 sont regroupés les actes issus des registres paroissiaux, ceux de l’état civil et ceux concernant les notaires, le classement adopté est double. Les répartitions se fondent à la fois sur la typologie de la structure et sur la localisation géographique. L’Isère recueille 30 agglomérations soit 46,9% de l’ensemble, les deux autres départements se partageant le reste, 39,1% pour la Drôme et 14,0% pour les Hautes-Alpes. Cependant, le semis urbain n’est pas vraiment homogène dans la France du sud-est. Les Hautes-Alpes ne renferment que très peu d’unités urbaines, hormis Orpierre et Veynes, la totalité est ici observée. Pour la Drôme, 3 villes manquent: Le Buis, Moras –pour cette dernière, l’informatisation est faite, mais une lacune de plus de 30 années vient obérer l’information- et Serres en Viennois. Quant au département de l’Isère, seule manque la bourgade de Saint Symphorien d’Ozon qui, rattachée en 1967 au département du Rhône, ne dépasse jamais 1500 personnes durant l’Ancien Régime —1424 habitants en 1698 en agrégeant ceux du village proche de Solaise—.

Plusieurs critiques concernant les sources peuvent être émises. Certes, une seule partie des populations urbaines est observée, celle qui se marie. Néanmoins, c’est cette portion spécifique qui, en s’unissant, se reproduira et créera le renouvellement générationnel. Les quantités sans doute importantes d’hommes et de femmes —que l’on nomme communément «flux migratoire»— qui vont et viennent au sein des villes sont, de facto, exclus de cette enquête car en de rares occurrences, ils ne participent pas réellement à la dynamique générationnelle. Ensuite, nous rassemblons, sous quelques indices, des moyennes établies sur plusieurs siècles. Là encore, ces positionnements moyens «gomment» tout écart que l’on pourrait constater lors d’études sur un temps restreint ou durant une génération. Notre perspective étant d’apprécier une éventuelle diversité, seules des volumes importants de données peuvent rendre crédibles la statistique. Ces moyennes devraient représenter un concentré pertinent, en dépit de telles ou telles lacunes archivistiques qui, immanquablement, se rencontreront. Dans le même ordre d’idée, aucune description d’évolution ne pourra être entreprise, même si l’on subodore que les populations admettent de plus en plus de diversités, que les «cercles d’unions» s’accroissent, et que l’ouverture génétique est, au cours du temps, un fait avéré. En dernier lieu, les données sur lesquelles nous travaillons proviennent de différents centres généalogiques, elles ont été collationnées par une multitude de personnes. Des erreurs de lecture, d’informatisation ont pu, sans doute, être commises. En tout cas, dès qu’un patronyme présentait un quelconque état lacunaire, nous l’avons exclu de la base de données. Lacunes, omissions, défauts dans les transcriptions, mutations patronymiques, au vrai nous n’atteignons pas l’exhaustivité. Pour toutes ces raisons, nous avons pris le parti de travailler globalement en rendant compte des multiples indices à l’aide de moyennes arithmétiques et pondérées.

 

Méthodes

Etant donné l’ampleur numérique de la base de données, il ne s’agira pas de traiter telle ou telle étude de cas mais d’avoir une appréciation globale d’un ensemble urbain préalablement défini. Pour cela, on multipliera les «angles de vision» pour lesquels quatre indices seront élaborés: la population moyenne, l’indice de diversité patronymique (Idp), celui des 10 patronymes les plus fréquents (I10) et la fréquence d’isonymie matrimoniale (Fiso).

Le dénombrement de la population résulte de la moyenne arithmétique arrondie des différentes données démographiques recueillies au cours des siècles observés. Pour la plupart des villes, des évaluations sont faites dès la fin du XVIe siècle, puis à différentes périodes des XVII et XVIIIe siècles (cf. note 1, in fine). Au XIXe, les recensements quinquennaux fournissent un comptage précis, ceux de 1806, 1836 et 1872 entreront dans l’établissement de la moyenne. Le deuxième indice découle directement du premier, l’Idp se calcule comme le rapport de la quantité de patronymes différents recueillis sur le logarithme de la moyenne de la population, Idp = nb. patronymes différents/ log (population moyenne). Cet indice récent a été conçu à partir d’un index de diversité des espèces (Odum, 1971), il permet de classifier les populations en ne donnant qu’une importance relative à la démographie rencontrée. Le troisième, I10, s’établit aussi au moyen des patronymes, cette fréquence récapitule les 10 noms les plus portés par les hommes et les femmes qui s’unissent dans une population quelconque. Dans une ville par exemple très ouverte aux courants migratoires, les noms de famille sont très diversifiés, la fréquence I10 a donc tendance à demeurer très faible, souvent inférieure à 10%. Au contraire, dans des populations dites «fermées» ou isolées, les unions s’accomplissent entre autochtones, on aboutit généralement à des fréquences très importantes, parfois supérieures à 70%. Avec la fréquence des paires isonymes, ce sont les unions dont les deux conjoints portent le même patronyme qui sont recensées. L’isonymie matrimoniale se fondent sur le fait que, dans une population donnée, deux personnes qui se marient en ayant un nom de famille identique auraient une origine commune. De ce concept découle un calcul qui permet d’estimer, au moyen de cette fréquence isonymique, l’apparentement moyen de la population observée (Crow, Mange, 1965).

  Plusieurs tests statistiques seront étudiés et du fait de l’importance du corpus, la scission en plusieurs groupes d’observation de tailles différentes imposera une pondération pour rendre toute moyenne crédible. Cette dernière s’exercera sur la quantité de populations recensée dans chacun de ces groupes. Nous chercherons à tester les liens possibles qui relieraient les données biodémographiques, pour cela l’indice de Cramer sera employé. Cette mesure d’association lié au varie dans l’intervalle [0,1] et se calcule avec la formule, . Une valeur proche du 0 indique l’indépendance, une autre voisine de 1 confirme la dépendance. Plusieurs avantages s’attachent à cet indice, il est le seul, parmi les tests statistiques sur les tableaux de contingence, qui soit normé, maximum = 1, quelle que soit la dimension de la table de contingence. Il ne dépend pas de l’effectif total et atteint son maximum même lorsque le nombre de lignes est différent du nombre de colonnes. Il permet surtout d’estimer l’intensité du lien entre les variables testées, cette force étant mesurée à partir de limites précises. De 0,05 à 0,09, le lien est considéré comme faible (noté +), de 0,09 à 0,18 il est dit moyen (++), puis de 0,18 à 0,36 c’est un lien fort (+++) et finalement de 0,36 à 1 le lien est très fort (++++). Pour hiérarchiser les unités urbaines, il sera procédé à une classification ascendante hiérarchique (CAH). En théorie, la CAH s’utilise pour constituer des groupes similaires ou classes sur la base de leur description par un ensemble de variables quantitatives. On agrége progressivement les éléments selon leur ressemblance, mesurée au moyen d’un indice de similarité ou de dissimilarité. Il en résulte un arbre binaire de classification ou dendrogramme dont la racine correspond à la classe regroupant l’ensemble des individus. L’indice de dissimilarité choisi sera la «distance de Manhattan» avec une pondération uniforme des colonnes et un lien «fort» pour le critère d’agrégation. Dans la réalité, les éléments du dendrogramme sont biodémographiquement d’autant plus dissemblables que les segments qui les relient sont longs. Subsiste cependant un problème de méthodologie, celui de la quantité de villes observées dans l’une quelconque des catégories élaborées, elles ne seront pas forcément réparties équitablement dans chaque partition créée. Dans certains cas, par exemple pour la démographie, seules deux villes dépassent 7000 personnes: Vienne et Grenoble, de fait, un échantillonnage des distributions s’imposera. Ce procédé est utilisé afin de générer des données aléatoires et 1000 indices sont établis chaque fois à partir des 64 empiriques.

 

Résultats et analyses

1. Étude par départements

Une première partition est créée, son découpage est arbitraire puisque ce sont les limites départementales qui sont choisies. Ici nous testons l’homogénéité provinciale: le Dauphiné forme t-il, une unité populationnelle en matière d’urbanité? Rien que pour le département de l’Isère, de nombreuses tergiversations se sont produites dès novembre 1789 quant au découpage adopté, puis d’autres modifications importantes ont eu lieu en mars 1852. Pour les Hautes-Alpes, il y eut des atermoiements analogues, tandis que pour la Drôme, on évoque une «laborieuse délimitation» (Pellenc et al., 1844-1852; Brun, 1995; Martin, 1981).

  D’emblée, une constatation s’impose, l’ensemble urbain de cette province est démographiquement très limité, voire indigent. En moyenne, moins de 2350 bourgeois y résident et, si l’on s’intéresse au modèle échantillonné, c’est à peine 2000 personnes. Ainsi, en dépit de villes qualifiées par les historiens «d’importantes i.e d’anciennes» comme Vienne, Grenoble, Montélimar, Die, Valence, Romans et d’autres, le réseau urbain dauphinois se présente, dans l’histoire, davantage comme un ensemble très modeste. Certes, plusieurs cités, dont Veynes [La population de Veynes en 1695 oscille entre 1300 et 1700 personnes, BMG R 9958] n’entrent pas dans cette étude, mais il n’est guère certain que celles-ci viennent bouleverser effectivement les moyennes précédentes (cf. note 2, in fine). Néanmoins, la limite en la matière reste floue. Dans une précédente étude, nous n’avions pas trouvé de différentiations biodémographiques pertinentes entre les populations bourgeoises de la plaine dauphinoise et celles rurales qui les environnent. Les cités qui constituaient le semis urbain de l’Epoque Moderne entre Grenoble et Lyon exclusivement ne pouvaient guère être assimilées à des villes à part entière. Mieux, en incluant dans cet ensemble urbain 3 structures rurales, une de ces dernières s’insérait parfaitement dans le classement hiérarchique opéré alors (Prost et al., 2004).

 

 

Drôme

Hautes–Alpes

Isère

Moyenne pondérée.

ratio maxi

Population moyenne

2179 [2275] (61)

1744 [2007] (74)

2187 [2500] (140)

2037 [2343] (92)

1,3 [1,2]

Idp

375 [407] (59)

208 [278] (112)

233 [244] (90)

272 [313] (87)

1,8 [1,7]

I10

12,4 [12,7] (38)

22,1 [23,1] (30)

15,0 [15,2] (34)

16,5 [15,3] (34)

1,8 [1,8]

Fiso

0,50 [0,54] (68)

1,81 [2,05] (62)

0,79 [0,83] (70)

1,03 [0,85] (67)

3,6 [3,8]

Tableau 2. Distribution des indices de biodémographie selon les 3 départements dauphinois à la fois pour les données échantillonnées et pour celles [observées] (CV% établis sur les données échantillonnées ).

Table 2. distribution of biodemographics index according to 3 departments of “Dauphiné” both for sampled data and for those [observed] (CV% establish on sampled data).

 

Si l’Isère atteint la moyenne de 2187 bourgeois ―2500 selon l’observation― avec pourtant l’appui de Grenoble et Vienne, le CV de 140%, dénote une variabilité considérable. Ce n’est pas le cas pour la Drôme et les Hautes-Alpes avec respectivement 61 et 74%, qui apparaissent, de ce point de vue, comme des départements nettement plus homogènes. Dans ce dernier, qui inclus Gap, Briançon et Embrun (cf. note 3, in fine), les entités urbaines ne sont que très faiblement peuplées, comprises dans une moyenne de 1700 à 2000 habitants. Les médiévistes évoquent parfois la situation dans les Alpes. «Embrun est une ville où les activités de type agricole sont importantes. Par conséquent, les locaux qui s’y rapportent y sont nombreux. La révision de 1447 insiste sur le grand nombre de granges et d’écuries qui prennent une large part du sol urbain». Ou bien, « Aux commissaires du Dauphin chargés de la révision des feux, ils disent que, seule la rue principale (d’Embrun), l’ancienne voie romaine est habitée. Ailleurs, c’est le désert et l’abandon ». Ils relèvent encore « Ville de paysans et de vignerons, de propriétaires et de chanoines, mais aussi de chapelains miséreux et de journaliers besogneux, Embrun, une «agroville» médiévale…» (Montpied, 1983). De façon antérieure, on note: «sans doute la campagne pénètre-t-elle toujours en ville: en 1380 encore à Paris, un cinquième de la surface enclose est en culture…» (Fossier, 1970). Et encore «…la superficie occupée ne doit pas excéder beaucoup les 15 ha (…) à l’espace circonscrit par l’enceinte de 1536 (…). Dans cet espace restreint une foule considérable ne pouvait évidemment se presser… Grenoble, qui n’avait pas plus de 1200 à 1500 habitants en 1350 (…) pour n’en avoir plus que 2300 à 2700 en 1475.» (Montpied, 1984). Dans cette dernière, les renseignements connus aux XVIIe siècle sont quasi-équivalents: « Les murailles de la ville enferment une partie de la montagne, toute couverte d’un grand vignoble et de plusieurs jardins qui ont leur bastide » (Jouvin de Rochefort, 1672). Les données que nous avons pu recueillir pour d’autres espaces urbains corroborent ces informations. Dans l’une des plus importantes villes du royaume, en 1742, on retrouve des descriptions analogues. «L’examen des plans montre même que la ville (de Lyon) occupe une surface encore plus restreinte que ces 364 hectares: la plupart des pentes de la Croix-Rousse sont encore garnies de jardins et de vignes; il en est de même d’une grande partie de la paroisse d’Ainay et de tous les coteaux de la rive droite de la Saône, au-delà de la grande rue Saint-Georges et de la montée du Gourguillon… (…). La surface totale utile se trouve ainsi réduite à cent cinquante hectares environ à la fin du XVIIIe siècle. C’est extrêmement peu pour une «grande ville»» (Garden, 1975). Ailleurs, un calcul précis de l’occupation foncière de la ville de Meulan en Vexin à la fin du XVIIIe siècle indique que les bâtiments d’habitation ne représentent qu’à peine 11% de la surface urbaine, le reste étant composé de terres, vignes, prés et bois (Lachiver, 1969). Entre le XIV et le XVIIIe siècle, au moins, il semble qu’il faille considérer que la ruralité occupe une place importante dans les agglomérations du royaume de France et en Europe. A cela, il faut ajouter que quantités de bâtiments ne sont pas ou peu occupés. On dénombre à Anvers, en 1578, que dans 4 quartiers, 19,3% des maisons sont vides, tandis qu’en 1597, la ville de Louvain renfermait, sur un total de 1523 maisons, 105 maisons vides et 402 en ruines (33,3%), contre 80 seulement (5,2%) qui n’abritaient plus d’un ménage (Mols, 1955). A Lyon, les mêmes considérations sont émises par les consuls recenseurs aux XVIe et XVIIe siècles, dans les quartiers du centre, certaines bâtisses sont inoccupées (Zeller, 1983). N’y aurait-il pas, du point de vue de l’histoire sociale, un amalgame entre une forte population qui vient travailler dans villes et un ensemble beaucoup plus restreint de familles sédentaires, qui formerait la véritable bourgeoisie, les premiers faisant que l’on dénombre une quantité de population bien plus grande qu’ailleurs? Dans les Hautes-Alpes, la population de Briançon comptabilise celle intra muros et celle des différents «écarts» ou «quartiers» qui gravitent, parfois fort loin, autour de la citadelle, Mas des Blais, Fort-ville, Font-Christianne, Le Fontenil, Chamandrin, Sainte Catherine, Pont de Cervières et Saint Blaise. Des 2368 personnes recensées dans cette ville en 1698, combien demeurent réellement à l’abri des remparts? Combien sont assujetties à la taxe de bourgeoisie? Combien participent réellement au renouvellement générationnel? A Embrun, vers 1763, la population dite «urbaine» est répartie en 6 hameaux, tandis qu’à Guillestre on en dénombre 10, le maximum étant atteint par la cité de Châteauroux avec 43 (Albert, 1783). Dans les Alpes, plusieurs communautés d’habitants i.e vallées possèdent une configuration identique: une «ville», dénommée comme telle et de multiples écarts. Celles-ci, foncièrement rurales, dépassent de beaucoup les populations observées à Briançon et Embrun à la fin du XVIIe siècle: Monêtier, 2450 personnes; Cézanne, 3324; Vallouise, 3104 et Bardonnèche, 3172. Au demeurant, les critères démographique et structurel n’apparaissent pas vraiment efficaces pour classifier les villes.

Ce sont les cités de la Drôme qui présentent la plus grande variabilité patronymique avec un indice de richesse de 375 et 407 selon l’observation. C’est aussi dans ce département que la fréquence I10 atteint son taux minimum: 12,4%. Synchroniquement, c’est encore dans la Drôme urbaine que la fréquence des paires isonymie demeure la plus faible, 0,50%. Ces 3 indicateurs établissent que, dans la partie ouest de la province, en dépit d’une population urbaine relativement faible, moins de 2300 personnes, on se situe dans la fraction la plus diverse du Dauphiné. Une des explications plausibles semble être liée de la topographie. La Drôme est traversée par la vallée du Rhône, donc très ouverte aux mouvements migratoires de tous ordres. Par ailleurs, jouxtant la Provence, ces populations ont adopté cette habitude culturelle qui fait que l’on féminise souvent le patronyme paternel des épouses. Au fil des siècles, on constate qu’au mariage par exemple, Arnaud devient Arnaude, Martin Martine et Roux se change parfois en Rousse. On recense ainsi quantité de «nouveaux» noms de famille qui ne sont, en réalité, que de simples mutations patronymiques qui ne présentent aucun caractère de transmissibilité. Ces considérations géographico-culturelles concourent au fait que l’on dénombre là davantage de profusion qu’ailleurs. A l’opposé, les villes des Hautes-Alpes sont celles pour lesquelles la diversité se révèle la plus faible, l’Idp moyen est près de 2 fois moins important que dans celles de la Drôme, 208 contre 375. Quant à la quantité d’époux que l’on peut nommer avec 10 patronymes, son taux atteint 22,1%, 1,8 fois plus que dans la Drôme qui est pourtant contiguë. Dans les 9 villes alpines, presque des personnes participant au marché matrimonial peuvent être désignées par seulement 10 noms. C’est aussi dans les Hautes-Alpes que la fréquence d’isonymie matrimoniale est la plus forte: observée, 2,05%, échantillonnée, 1,81% alors qu’elle dépasse à peine 1% sur l’ensemble provincial échantillonné, 1,03%, 0,85% observée. A ce titre, on recense presque 4 fois plus d’isonymie dans les villes d’altitude que dans celles de la Drôme. Là encore, la géographie départementale pourrait expliquer ces différentiations considérables. Certes, en montagne, les populations présentent une variabilité patronymique et génétique nettement moindre qu’en plaine (Prost et al., 2006). Fondamentalement, il ne s’agirait pas d’un problème d’accessibilité ou de facilité dans les déplacements. La plupart des villes alpines se sont implantées sur des voies de passage internationales et pratiquent, de tout temps, des activités commerciales importantes (Blanchard, 1938-1956). Depuis le Moyen Age au moins, elles sont soumises à des flux populationnels très divers et surtout incessants (Sclafert, 1926). Il s’agirait plutôt de traditions culturelles qui font que les Alpins s’unissent plus volontiers entre eux qu’ailleurs, habitudes augmentées par le fait que très peu de prétendant(e)s osent s’immiscer dans les marchés matrimoniaux d’altitude (Prost, Boëtsch, 2001). Dans ces terroirs, ruraux comme urbains appliquent ces usages qui font que le choix du conjoint demeure très réduit (Prost, Revol, 2002). Pourvues d’une population moyenne légèrement plus importante, les 30 agglomérations de l’Isère présentent des indices véritablement intermédiaires entre ceux recueillis dans les deux autres départements. Le taux d’isonymie isérois est 1,6 fois supérieur à celui de la Drôme (0,79% contre 0,50%), tandis que l’Idp de l’Isère est 1,6 fois plus faible que l’indice drômois (233 contre 375). En revanche, pour le dernier indice, l’I10, l’écart observé reste faible 15,0% contre 12,4%, mais ce paramètre n’est guère sujet à d’amples variations dans le monde urbain.

Une proximité biodémographique ne semble donc pas être de mise entre les agglomérations des trois départements qui pourtant forment une même aire culturelle, appartiennent à une même entité politico-historique et sont censées s’inscrire dans un ensemble unique désigné par les historiens et les sociologues: le «monde urbain».

 

2. Étude par classes populationnelles

Une deuxième partition est opérée en fonction des quantités moyennes de populations répertoriées. Un découpage en trois classes a été effectué de façon à recueillir suffisamment de données pour chacune d’elles (deux autres classifications, statistiquement plus probantes, figurent en Annexe 1). Pourtant, la dispersion des moyennes est telle que chaque classe regroupe un nombre de villes très disproportionné. Le premier groupe en rassemble 28 ayant de 500 à 1499 habitants. Le suivant ne répertorie plus que 22 cités dans lesquelles on recense de 1500 à 2499 résidents. Enfin, un ensemble de 14 villes de plus de 2500 bourgeois a pu être constitué, ce sont Briançon, Chabeuil, La Côte Saint André, Crest, Die, Embrun, Gap, Grenoble, Montélimar, Romans, Tullins, Valence, Vienne et Voiron.

 

Habitants:

de 500 à 1499

de 1500 à 2499

> 2500

Ratio maxi.

Effectifs:

28

22

14

Population moyenne

1068 [1090] (23)

1821 [1842] (13)

4967 [5636] (70)

4,7 [5,2]

Idp

174 [187] (55)

257 [266] (54)

572 [637] (70)

3,3 [3,4]

I10

17,9 [18,4] (31)

13,8 [14,0] (33)

10,4 [11,2] (50)

1,7 [1,6]

Fiso

0,98 [1,03] (68)

0,57 [0,63] (75)

0,77 [0,86] (119)

1,7 [1,6]

Tableau 3. Distribution des indices de biodémographie en fonction de 3 classes démographiques créées, à la fois pour les données échantillonnées et pour celles [observées] (CV% établis sur les données échantillonnées).

Table 3. Distribution of biodemographic index according to 3 demographic classes, both for sampled data and for those [observed] (CV% establish on sampled data).

 

  La classe intermédiaire du tableau 3 rassemble 1,7 fois plus de population que la première, les 14 villes de plus de 2500 résidents, 4,7 fois plus et 5,2 si l’on considère le corpus observé. Dans ces conditions, les résultats concernant richesse des noms devraient s’inscrire dans une certaine logique: plus les populations sont importantes, plus on recueille de profusion patronymique. Ainsi les plus petites unités admettent un index de 174 quand les cités intermédiaires enregistrent 257, soit 1,5 fois plus. Les «vraies» villes atteignent 572: 3,3 fois plus que dans les plus petites bourgades. Avec la fréquence I10, on assiste à une régression continue dans une fourchette 18–10% selon que l’on se situe dans les petites ou les grandes structures urbaines. Seules le taux d’isonymie ne participe pas à cette la logique. Dans les bourgades, l’union entre conjoints portant un même nom se pratique à des fréquences comprises dans une fourchette étroite 0,98–1,03%, alors dans la classe intermédiaire, c’est une décroissance notable vers une moyenne de 0,6%. En revanche, dans les grandes agglomérations, les taux remontent franchement de 0,77 à 0,86%. Du fait de l’importante variabilité patronymique dû au brassage continuel inhérent à l’activité même des centres urbains, de très faibles taux devraient être enregistrés. Il y a là une indication qui permettrait, peut-être, de mieux entrevoir le fonctionnement des populations urbaines anciennes. Au demeurant, le système de bourgeoisie «fixe» une certaine population à l’intérieur des cités. Celle-ci croît véritablement sous la double action du solde positif naissance/décès et de l’apport migratoire. Par exemple, Briançon augmente de 2400 bourgeois en 1474 [ADI, B3757] à 3200 à la fin du XVIIIe siècle [ADI, 2C236, tome 17, année 1699, Briançon compte 535 feux, environ 2500 personnes auxquels il faut ajouter 3 curés et vicaires, la noblesse et 23 ou 24 religieux répartis dans les 3 couvents] quand Grenoble croît de moins de 10000 personnes au XVIe à 22129 au recensement de 1806 (cf. note 4, in fine). Montélimar, qui comptait 4767 personnes en 1685, voit sa population croître jusqu’à 5864 au même recensement du début du XIXe siècle (Martin, 1981). Les gens vont et viennent à l’occasion de foires, de marchés et des différents événements qui se produisent dans les cités. Les flux de nature économique ou autres dont on argue pour expliquer le brassage ne sont pas constants et surtout pas additionnables (cf. note 5, in fine). Seule une modeste partie de l’ensemble paraît se fixer véritablement, sinon nous observerions des croissances exponentielles et une profusion patronymique remarquable. Il est incontestable qu’aux yeux des observateurs, les villes accueillent nombre de personnes, les exemples ne manquent pas (cf. note 6, in fine). En dépit des multiples crises urbaines, il faut encore compter sur le renouvellement naturel de la population. A Marseille, on constate que dans chaque décennie de la période 1655-1734, ce sont toujours les mêmes patronymes qui sont recueillis parmi les 10 les plus fréquents: Blanc, Arnaud, Martin, Caillol, Jullien, etc.. Cette ville accueillant quelques 80000 personnes en 1670 et près de 100000 avant la peste de 1720 demeure l’une des plus importantes de France avec Lyon, «il semble à peu près certain que dès le début du XVIIIe siècle la population de Lyon était déjà supérieure à 100000 habitants, sans doute voisine de 110000 avec ses faubourgs» (Garden M., 1975). En Provence comme en Dauphiné, seuls les noms de famille émanant des unions ou des contrats de mariage sont comptabilisés. Ce sont ceux portés par les personnes susceptibles de se reproduire et de participer au renouvellement générationnel. Arrivent dans les villes quantité de personnes des deux sexes, souvent célibataires, tantôt mariées, parfois ce sont des familles. Tous ces neo-citadins ne participeront pas forcément à la reproduction générationnelle «interne», ils ne semblent pas s’établir réellement (cf. note 7, in fine). A cet égard, quand on examine la richesse patronymique de Marseille qui, par sa configuration portuaire est ouverte sur le monde, on perçoit mieux le phénomène. Un sondage portant sur 40000 contrats de mariage passés entre 1655 et 1724, permet de calculer que la variation décennale de l’Idp reste très faible, autour d’une moyenne légèrement supérieure à 620 (cf. note 8, in fine). Ceci est corroboré par l’indice de richesse établit de 1570 à 1808, pour plus de 120000 unions provenant des 8 paroisses de la cité phocéenne dont la moyenne s’élève au-delà de 650. La structure même d’une population est certes composite, néanmoins il semble qu’il faille vraiment considérer deux dimensions principales. Il y a d’abord le «noyau reproductif» qui demeure plus ou moins important en fonction de la démographie de l’ensemble étudié. Puis, en périphérie en quelque sorte, tout en ensemble de personnes qui constitue effectivement la population, mais qui ne participe pas forcément à la formation du noyau initial. L’anthropologie biologique, comme la génétique de population, considère que l’effectif «efficace» d’une population représente environ 30-33% de l’ensemble (Jacquard, 1970). A cela s’ajoute qu’avant la transition démographique, de 30 à 40% d’un groupe susceptible de se reproduire est stérile ou ne possède pas d’enfants (Fossier, 1968; Zeller, 1983). Il est nécessaire ensuite de garder à l’esprit que la quantité d’enfants-utiles par couple est particulièrement restreinte. Pendant une longue période historique, ce n’est qu’un nombre très limité de personnes qui participe effectivement à la dynamique générationnelle.

En définitive, le découpage par classes populationnelles fait ressortir une spécificité du monde urbain en infirmant partiellement le fait que les plus grandes agglomérations sont celles pour lesquelles la diversité biologique serait la plus importante. La fréquence d’isonymie débouchant directement sur une estimation de l’apparentement, les grandes villes de sud-est auraient un pool génique plus homogène que leurs homologues intermédiaires.

 

3. Étude par typologie de structures

Dans cette ultime partition, les 64 unités ont été réparties dans 5 classes selon la hiérarchie adoptée par les historiens (cf. l’annexe 2, in fine). Viennent d’abord celles qui sont habituellement répertoriées comme «villes», elles sont suivies des pseudo-villes, cette acception ayant été choisie du fait que les spécialistes hésitent entre la terminologie de «bourgs ou villes». Il semblerait que celles-ci soient difficilement classables en raison principalement de la quantité de personnes qui y demeure. Le 3e groupe rassemble 15 cités qualifiées ouvertement de «gros-bourgs». Reste un important ensemble de «bourgs» dont la population agglomérée avoisine les 1000 personnes et Mont Dauphin dénommée «place forte ou ville» parfois «ville-garnison» qui demeure seule dans sa catégorie. Le fait même que le terme générique de «bourg» soit employé dans cette hiérarchisation à trois reprises pour les trois catégories médianes, suggère une double remarque. D’abord, les historiens ne paraissent pas réellement convaincus du bien-fondé de la qualité proprement urbaine de la totalité de leur corpus, ensuite ils ont scindé à l’envi 51 entités qui en réalité n’en formaient qu’une.

 

Typologie:

Villes

Bourgs ou villes

Gros bourgs

Bourgs

Place forte

ratio

maxi

Effectifs:

12

9

15

27

1

Pop. moyenne

4994 [5862] (78)

1982 [2113] (39)

1551 [1618] (38)

1286 [1326] (26)

--- [500]

3,9 [4,4] 10,0*

Idp

632 [684] (69)

288 [322] (43)

204 [216] (46)

201 [206] (60)

--- [108]

3,1 [3,3] 6,3*

I10

10,1 [11,2] (51)

11,0 [11,5] (16)

14,4 [15,3] (34)

18,0 [18,4] (31)

--- [16,6]

1,8 [1,6] 1,6*

Fiso

0,66 [0,85] (146)

0,55 [0,59] (40)

0,58 [0,62] (76)

0,91 [0,97] (64)

--- [3,64]

1,4 [1,6] 6,6*

Tableau 4. Distribution des indices de biodémographie en fonction de 5 classes structurelles selon la taxinomie des historiens, données échantillonnées [données observées] (CV% établis sur les données échantillonnées).

* ratio calculé avec les données de la ville-garnison.

Table 4. Distribution of biodemographic index according to 5 structural classes according to the historians, sampled data [observed data] (CV% establish on sampled data). *ratio calculated with data of the garrison town.

 

  Dans le tableau 4, on remarque immédiatement la ligne consacrée à la population moyenne. Seules les villes se démarquent avec une quantité de bourgeois ne dépassant pas 5000 personnes (presque 5900 observées). Dans «les presque villes», dont la population oscille dans un intervalle réduit de 1980 à 2150 personnes, c’est-à-dire nettement en deçà du groupe précédent, la moyenne atteint presque 2,7 fois moins. Pris sous cet angle unique, ces 9 unités se rapprochent plutôt de leurs homologues des deux colonnes suivantes. Avec les gros-bourgs et les bourgs, c’est un groupe quasi-homogène qui est obtenu avec des effectifs variant de 1300 à 1600 résidents. Du point de vue de la démographie, il apparaît superfétatoire de scinder ces structures: ce sont 42 bourgades. Elles enregistrent en moyenne 4 fois moins de bourgeois que les villes. La Place-forte quant à elle demeure très en retrait, à peine 500 habitants.

  En ce qui concerne la biodémographie, l’Idp pointe bien la hiérarchie découverte précédemment. Dans les villes, l’index moyen se situe à 630-690, puis décroît très fortement vers 288-322 pour la catégorie suivante. Il y aurait eu 2 fois moins de profusion de noms de famille dans les pseudo-villes que dans les villes. Ceci conforte bien le fait que l’on ne puisse pas vraiment les assimiler dans la 1ère colonne. Dans les 3 et 4e groupes, les gros bourgs et les bourgs se rejoignent une nouvelle fois avec des index très semblables compris entre 201 et 216. Il est intéressant de constater par ailleurs que ce ne sont pas les villes les plus peuplées qui admettent forcément un plus fort Idp. Dans le tableau 3, les structures urbaines supérieures à 2500 habitants recueillaient une moyenne comprise entre les bornes 572–637. Dans le tableau 4, les entités définies précisément comme des villes admettent 632–684, les écarts ne se recouvrant que très partiellement. Il s’agit donc là d’un élément pertinent de la biodiversité des populations si tant est que la richesse en noms de famille soit fortement corrélée avec la diversité biologique. Ainsi pour Briançon, considérée comme une ville, dont la population moyenne dépasse 3200 personnes, on calcule un index de diversité de 273. Plus au sud, c’est Montélimar dont la population moyenne, supérieure à 5100 habitants, admet un index particulièrement élevé: 935. Là, la logique est respectée. Par contre, pour Saint Marcellin, comptée aussi parmi les villes, mais ne dépassant pas les 1800 personnes, on enregistre un fort index: 456, 1,7 fois supérieur à celui de la plus haute ville d’Europe, Briançon. Ce sont toutes des villes de passage, le brassage y est permanent, commerces, foires, garnison, pèlerinage concourent à une profusion de noms de famille. Néanmoins, en étudiant plus finement la structure d’une population, de nombreux clivages apparaissent. A Briançon où une garnison stationne, on ne relève que très peu d’unions entre autochtones et militaires parmi les 3100 unions observées au cours des XVII et XVIIIe siècles. Dans cette ville tout semble se passer comme si deux groupes distincts cohabitaient dans un espace très restreint sans qu’il y ait vraiment d'interactions l’un avec l’autre. Il faut néanmoins noter que les soldats de l’Ancien Régime s’ils sont mariés, se déplacent avec leur femme et leurs enfants, ce qui réduit notablement le potentiel mariable. Dans la dernière colonne du tableau 4, Mont Dauphin se marginalise avec un index comparable à celui que l’on calculerait dans des villages de l’Isère tels Anjou (Idp=116) ou bien Aoste (Idp=128) par exemple. Là encore, le phénomène de dichotomie populationnelle doit s’exercer entre bourgeois autochtones et soldats en garnison.

Avec l’index I10, villes et pseudo-villes font jeu égal dans une fourchette restreinte de 10-12%. A l’opposé, les trois autres catégories se rassemblent en un groupe presque homogène compris entre 16 et 20%. Ici, nous avons bien affaire à des structures urbaines pour lesquelles cet indice oscille entre les limites 10 et 20%. A titre comparatif, les écarts en la matière peuvent être considérables avec d’autres types de structures. En plaine et en montagne, on relève d’importants taux, en complète opposition avec ceux des villes. En Briançonnais par exemple, à Montgenèvre et à Villar Saint Pancrace, la fréquence I10 arrondie atteint respectivement 68 et 70% durant la période couvrant les XVII-XIXe siècles. A Crévoux en Embrunais, synchroniquement, l’index I10 dépasse 71%. Dans les Alpes, pendant près de trois siècles, presque les 3/4 des époux, hommes et femmes réunis, peuvent être nommés par 10 noms seulement. En ville, les fréquences sont nettement moindres mais les écarts peuvent être remarquables. Ainsi, en dépit de leur démographie et de leur richesse patronymique, Montélimar et Saint Marcellin sont sensiblement équivalentes, respectivement 7,2% contre 10,1%. Par contre, à Briançon, l’I10 arrondi atteint 32%, quatre fois plus que chez ses homologues de la plaine. Au sein de la société montagnarde, on enregistre une fermeture génétique du marché matrimonial, les époux se choisissent plus qu’ailleurs de façon endogamique. Cette habitude culturelle demeure manifeste et remarquable à la fois pour l’habitat rural et pour les structures urbaines. Briançon, située sur une importante voie de circulation, pratiquant, depuis le Moyen Âge un commerce international se présente, d’un point de vue biodémographique, comme une ville «repliée» sur elle-même. Là où le géographe et l’historien économiste considèrent Briançon comme une ville ouverte aux échanges de tous ordres et de toutes natures (cf. note 9, in fine), le biodémographe ne discerne qu’une structure fermée particulièrement close. A cet égard, le taux de dispense de consanguinité s’élève à 9,9% durant la période 1663-1767 et près de 5% des unions sont isonymes. En Haute Provence, Barcelonnette offre une perspective semblable. N’entrant pas dans le groupe des villes au recensement de 1806 (Le Mée, 1999), cette cité située à 1135m accueille une population moyenne de 2300 personnes au cours des XVII et XVIIIe siècles. L’index de diversité établi dans les mêmes conditions que précédemment renvoie 248, proche des 273 trouvé à Briançon. Quant à l’index I10, il reste important mais nettement inférieur à celui calculé en Briançonnais, 24%. Les rares entités urbaines françaises situées en altitude apparaissent manifestement moins diversifiées que leurs homologues implantées au bas (Prost, Revol, 2002). Quelle que soit la structure étudiée, on constate que des corrélations se profilent entre biodémographie et géographie, les lieux d’implantation des populations influant directement sur les marchés matrimoniaux.

 

Relations statistiques entre les paramètres observés

1. V de Cramer (V)

Cet outil statistique fournit la possibilité de synthétiser l’ensemble en estimant la «force» des liens qui relierait les variables.

 

 

Population

Altitude

Idp

I10

Altitude

0,402++++

---

 

 

Idp

0,175++

0,555++++

---

 

I10

0,082+

0,103++

0,244+++

---

Fiso

0,031

0,026

0,089+

0,148++

Figure 2. Matrice des coefficients V, issus de la mise en relation des éléments pris 2 à 2 avec indication de la «force» des liens les reliant.

Figure 2. Womb of Cramer’s coefficients (V), stemming of the placement in relationship of elements

taken 2 by 2 with indication of the "strength" of links connecting them.

 

   La matrice représentée par la figure 2 renvoie des résultats très contrastés, le ratio maximum atteint est ici supérieur à 21 (0,555/0,026); la moyenne du coefficient de Cramer s’établissant à 0,186, à la limite inférieure du lien fort (+++). Certains paramètres étudiés ne présentent pas de réelle liaison avec les autres, c’est le cas particulièrement pour l’isonymie. Dans le monde urbain, l’isonymie matrimoniale n’apparaît pas vraiment associée aux éléments de l’écosystème, ni à ceux de la biodémographie d’ailleurs: les coefficients mesurés se contingentant entre les bornes 0,026 et 0,148. Ainsi, l’occurrence de s’unir avec une personne portant le même nom que soi s’assimile davantage à une habitude culturelle pratiquée par les familles urbaines. Même si l’on enregistre un R² supérieur 59% entre l’isonymie et l’altitude d’implantation des villes, le lien entre les deux demeure statistiquement très faible: 0,026. Par contre, de très forts liens s’établissent entre la quantité de population des agglomérations et leur altitude (0,402) et entre cette dernière et la profusion patronymique (0,555). Ces fortes liaisons apparaissent en opposition totale avec les coefficients R² que nous avons calculés, respectivement 8,9% et 29,3%; pour ces deux taux, il doit s’agir d’un ou plusieurs points particuliers à l’intérieur du nuage qui ne permettent pas d’obtenir une corrélation pertinente.

 

2. Classification ascendante hiérarchique (CAH)

Pour tenter d’avoir une vision claire de la situation biodémographique nous procédons à une classification ascendante hiérarchique. Les éléments sont les 64 entités urbaines, les variables quantitatives étant: l’Idp, l’I10 et Fiso. La quantité moyenne de population ne figure ici que de façon sous jacente puisqu’elle permet de déterminer le premier indice, mais l’emploi du logarithme a pour effet de minimiser le poids des villes les plus peuplées. Cependant, inclure 64 éléments dans un même dendrogramme et le présenter relève de la gageure. Pour permettre une représentation appropriée, seul un tableau s’est avéré opérant.

La CAH a été obtenue à l’aide d’un indice de dissimilarité, en l’occurrence la distance de Manhattan, avec une pondération uniforme des données et un lien fort comme critère d’agrégation. Ce dernier faisant intervenir à la fois la moyenne des distances à l’intérieur de chaque groupe et la moyenne des distances entre les groupes, son utilisation conduisant à la formation de classes très compactes. La classification appliquée sur les villes à l’aide d’indices exclusivement biodémographiques retourne un résultat peu banal. Quatre classes complètement disproportionnées se découvrent. Gap et Valence se regroupent pour former une 1e classe, Grenoble seule en forme une deuxième. Une 3e classe est obtenue avec Montélimar et Romans. La longueur des segments —sur le dendrogramme non représenté ici— qui les sépare de la capitale dauphinoise donne déjà une indication de «l’éloignement biodémographique» rencontré. Statistiquement, c’est seulement un groupement de 5 «vraies» villes, avec Grenoble particulièrement détachée, qui apparaît dans la province du sud-est. Même si le tableau 5 ne permet pas de distinguer les segments reliant les différents objets d’étude, la hiérarchie calculée est respectée: par exemple Grenoble est «biodémographiquement» plus proche de Nyons et même de Bourgoin que de Saint Vallier et Voreppe. Une 4e classe est constituée, elle renferme 59 cités soit plus de 92% du semis urbain observé. Là se côtoient Roybon et Guillestre, Voiron et Briançon, Vienne et Pont de Beauvoisin et bien d’autres encore. De fait, il est loisible de considérer que le Dauphiné n’accueille qu’une poignée d’agglomérations véritables. Globalement, les diversités patronymique et génétique produisent des regroupements atypiques qui diffèrent passablement de ceux formés habituellement par les historiens. On remarquera encore que si 5 villes classées comme telles par ces derniers figurent dans les 3 premières partitions du tableau 5, les autres, Briançon, Crest, Embrun, Die, Saint Marcellin, Saint Paul 3 Châteaux et Vienne, sont doublement «rejetées» et dans l’ultime classe et dans le bas du tableau, de facto sont mathématiquement dissemblables des villes. Un autre particularisme de ce classement réside dans le fait que 3 villes sur 5 sont implantées dans le département de la Drôme. Ainsi, 60% des structures urbaines dauphinoises sont établies dans la partie sud-ouest de la province et si l’on inclut Gap, on atteint les 80%. Ce résultat conforte bien le classement par départements pour lequel la Drôme apparaissait comme bien plus diverses relativement à l’Isère puis aux Hautes-Alpes, graduellement plus hermétiques. La proximité géographico-culturelle de la Provence, mais aussi l’implantation de ces cités dans le couloir rhodanien (hormis Gap), peut expliquer cette variabilité. Une troisième spécificité se dévoile, celle concernant les «presque» villes des historiens. Selon eux, on ne pouvait ouvertement les inclure dans le groupe des villes. Ici, seules Nyons et Bourgoin se rapprochent du classement urbain. Les 7 autres sont reléguées en bas du tableau dans la dernière colonne, c’est-à-dire qu’elles sont d'autant plus dissemblables de la capitale qui, elle, figure la référence. Pour la classe terminale, il semble que les qualificatifs d’agroville ou de ville champestre adoptés aux temps médiévaux soient encore d’actualité au cours de l’Epoque Moderne. Die et Vienne, en dépit de leur ancienneté avérée, ainsi que les deux villes d’altitude Briançon et Embrun ne présentent qu’une variabilité particulièrement modeste voire restreinte. Pour celles-ci, la «distance biodémographique» les séparant des grands centres urbains est quasi-maximale. La structure même des marchés matrimoniaux de ces 4 villes dites «antiques» les fait assimiler, sur une période pluriséculaire, davantage comme proche du monde rural, où la fermeture génétique et la faiblesse de la diversité patronymique priment. En définitive, au vu des résultats précédents, il est possible de tenter un aménagement pour les quelques unités manquantes. A coup sûr, Saint Symphorien d’Ozon, Veynes, Le Buis, Moras, Serres en Viennois et Orpierre, ne peuvent véritablement pas s’insérer dans les trois premières partitions. Dès lors, on ne recenserait en Dauphiné qu’un semis urbain de 5 agglomérations, les 65 restantes n’étant à considérer que comme des localités, parfois pourvues de remparts et plus denses que celles du monde rural. D’ailleurs la classification obtenue dite «à classes optimales» (cf. annexe 1, infra) est encore plus sélective puisque dans cette occurrence, seules 3 villes c’est-à-dire moins de 4,5% se distinguent: Grenoble, Montélimar et Vienne; cette dernière apparaissant dans ce classement, mais c’est uniquement son poids démographique qui en est la cause.

 

Classe 1

Classe 2

Classe 3

Classe 4

Gap

Grenoble

Montélimar

Nyons

Valence

 

Romans

Bourgoin

 

 

 

Serres

 

 

 

Saint Jean de Bournay

 

 

 

Moirans

 

 

 

Saint Jean en Royans

 

 

 

Bourg d’Oisans

 

 

 

Roybon

 

 

 

Guillestre

 

 

 

Saillans

 

 

 

Saint Etienne de Saint Geoirs

 

 

 

Vinsobres

 

 

 

Chorges

 

 

 

Saint Bonnet

 

 

 

Mens

 

 

 

Saint Chef

 

 

 

Allevard

 

 

 

Châtillon en Diois

 

 

 

Corps

 

 

 

Goncelin

 

 

 

Tallard

 

 

 

La Tour du Pin

 

 

 

Montdauphin

 

 

 

Heyrieux

 

 

 

Morestel

 

 

 

Vif

 

 

 

Virieu

 

 

 

Crest

 

 

 

Bourg Les Valence

 

 

 

Bourg de Péage

 

 

 

Dieulefit

 

 

 

Saint Marcellin

 

 

 

Saint Paul 3 Châteaux

 

 

 

Chabeuil

 

 

 

Pierrelatte

 

 

 

Vizille

 

 

 

Lemps

 

 

 

La Mure

 

 

 

Pont en Royans

 

 

 

Beaurepaire

 

 

 

Crémieu

 

 

 

Saint Donat

 

 

 

Taulignan

 

 

 

Livron

 

 

 

Voiron

 

 

 

Briançon

 

 

 

Etoile

 

 

 

Donzère

 

 

 

Embrun

 

 

 

Tain

 

 

 

Loriol

 

 

 

Vienne

 

 

 

Pont de Beauvoisin

 

 

 

Die

 

 

 

Tullins

 

 

 

La Côte Saint André

 

 

 

Bourdeaux

 

 

 

Saint Vallier

 

 

 

Voreppe

Tableau 5. Classification ascendante hiérarchique, en 4 classes, des 64 populations observées

(en gras: les villes, en italiques: les pseudo-villes d’après les critères des historiens).

Table 5. Hierarchical classification (CAH), in 4 classes, 64 populations observed

(in bold: cities, in italic: the pseudo-cities according to the historians).

 

Conclusion

  A l’issue de cette étude, on est en droit de s’interroger sur le fait que le Dauphiné soit une «province-agricole» tout comme la Bresse qui le jouxte. En termes plus cursifs, existe-t-il véritablement un réseau urbain dans cette province du sud-est à l’Epoque Moderne? L’impression qui ressort incline à penser que l’on se trouve davantage en présence d’un désert urbain. Certes, Die, Grenoble, Vienne et d’autres ont bien une existence antique, on les retrouve par exemple sur les cartes des cités avec enceintes réduites dans des études médiévales (Fourquin, 1973). Mais dès les XIe–XIIIe siècles, elles «disparaissent» des documents indiquant les routes terrestres et maritimes de l’Europe où seules Lyon et Marseille figurent. Au XVe siècle, la situation est identique, les cartes des spécialistes ne mentionnent aucune ville en Dauphiné parmi le réseau urbain du royaume de France. Dans la moitié sud du pays, les plus petites entités urbaines reconnues sont: Bayonne, Perpignan et Nice, elles sont précédées de Toulouse, Montpellier et Marseille, seules Avignon, Bordeaux et Lyon apparaissent véritablement importantes (Bairoch et al., 1988). Le sud-est médiéval est donc un terroir dépouillé de véritables agglomérations. A l’Epoque Moderne, on reste encore dans l’expectative, car en Dauphiné surtout, en dépit de remparts et de chartes de liberté fort anciennes, on ne découvre que quelques populations plus agglomérées qu’ailleurs, où la faiblesse démographique le dispute au peu de variabilité patronymique. Les spécialistes d’histoire urbaine évoquent des villes mineures ou champestres, les médiévistes proposent le terme d’agrovilles, précédemment, nous avions même suggéré la locution antinomique de bourgs-ruraux. Mais quelles autres acceptions leur attribuer? Même si l’on parvient à recenser, ici ou là, des groupements humains plus denses, avec une bourgeoisie et une noblesse avérées, avec parfois des institutions et des administrations depuis longtemps établies, on ne peut guère soutenir que le Dauphiné soit une province marquée par l’urbanité.

Cette recherche globale met en perspective nombre de particularismes. Il faut se garder du fait que, dans une population ancienne, tous les adultes en âge de procréer participent effectivement à la reproduction humaine. Dans les groupements humains qui précédèrent la transition démographique, il y a ceux qui contribuent «efficacement» à la dynamique reproductive et les autres qui vont et viennent ou même restent en un site donné mais ne concourent aucunement au renouvellement générationnel. Ceci est certes un truisme, mais en ce qui concerne les populations urbaines, cela apparaît d’autant plus vrai, du simple fait que les seconds forment la multitude. Ce n’est pas parce qu’en un lieu se développent des activités commerciales foisonnantes que l’on recense forcément une structure populationnelle complexe et variée. En Dauphiné au moins, ce ne sont pas les entités urbaines les plus opulentes qui renferment la diversité la plus grande. En définitive, durant une longue période allant de la fin du Moyen Age au XIXe siècle, en Dauphiné, seule la capitale provinciale se révèle comme une ville dans notre classement. Elle est suivie de 4 agglomérations de moyenne importance: Montélimar, Romans, Gap et Valence et d’une masse considérable de cités. Ainsi, 7% des unités répertoriées s'insèrent dans le monde urbain dauphinois, les 93% restants ne présentant que peu de différences avec le monde rural d’alentours.

 

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Glossaire. ADHA: archives départementales des Hautes Alpes, Gap. ADI: archives départementales de l’Isère et de l’ancienne province de Dauphiné, Grenoble. BMG: bibliothèque municipale de Grenoble, Grenoble.

 

Les données informatisées proviennent: i) pour les Hautes-Alpes, de l’Association Généalogique des Hautes Alpes (AG05) de Gap. ii) pour la Drôme, du Cercle Généalogique de la Drôme Provençale (CGDP) de Montélimar et l’Etude Généalogique Drôme Association (EGDA) de Valence. iii) pour l’Isère, du Centre Généalogique du Dauphiné (CGD) de Grenoble.


Annexe 1. 2 modèles de discrétisations quantitatives.

 

A classes optimales

Classe 1

Classe 2

Classe 3

Classe 4

Ratio maxi

hormis la classe 3

Effectif:

61

2

0

1

Population

1837 (59)

7765 (23)

0 (-)

22375 (-)

12,2

IDP

282 (84)

613 (75)

0 (-)

1615 (-)

5,7

I10

15,8 (39)

6,1 (6)

0 (-)

6,0 (-)

2,6

FISO

0,88 (95)

0,24 (66)

0 (-)

0,24 (-)

3,7

A effectifs égaux

Classe 1

Classe 2

Classe 3

Classe 4

Ratio maxi

Effectif:

16

16

16

16

Population

947 (20)

1356 (11)

1848 (10)

5219 (94)

5,5

IDP

186 (59)

188 (52)

282 (54)

596 (75)

3,2

I10

17,4 (27)

18,4 (38)

14,3 (36)

11,2 (56)

1,6

FISO

0,96 (96)

0,98 (61)

0,64 (92)

0,85 (135)

1,5

 

Annexe 2. Semis urbain dauphinois selon les historiens: 70 unités (cf. Favier, 1993, carte p. 464).

 

13 Villes

9 Bourgs ou Villes

18 Gros Bourgs

29 Bourgs

1 Ville ou Place forte

Briançon

Bourgoin

Beaurepaire

Allevard

Mont Dauphin

Crest

Crémieu

Chabeuil

Bourdeaux

 

Die

Dieulefit

Etoile

Bourg de Péage

 

Embrun

La Côte Saint André

Guillestre

Bourg d’Oisans

 

Gap

La Mure

La Tour du Pin

Bourg Les Valence

 

Grenoble

Nyons

Livron

Châtillon en Diois

 

Le Buis

Pont de Beauvoisin

Loriol

Chorges

 

Montélimar

Saint Vallier

Moirans

Corps

 

Romans

Voiron

Moras

Donzère

 

Saint Marcellin

 

Morestel

Goncelin

 

Saint Paul 3 châteaux

 

Pierrelatte

Heyrieux

 

Valence

 

Pont en Royans

Lemps

 

Vienne

 

Saint Bonnet

Mens

 

 

 

Saint Jean de Bournay

Orpierre

 

 

 

Saint Symphorien d’Ozon

Roybon

 

 

 

Serres

Saillans

 

 

 

Tullins

Saint Chef

 

 

 

Veynes

Saint Donat

 

 

 

 

Saint Etienne St Geoirs

 

 

 

 

Saint Jean en Royans

 

 

 

 

Serre en Viennois

 

 

 

 

Tain

 

 

 

 

Tallard

 

 

 

 

Taulignan

 

 

 

 

Vif

 

 

 

 

Vinsobres

 

 

 

 

Virieu

 

 

 

 

Vizille

 

 

 

 

Voreppe

 

 

Annexe 3. Coefficient de détermination (R2)

 

L’équation permettant de formaliser cet indicateur s’élabore ainsi, , avec au numérateur cov (x, y) qui est la moyenne des produits des écarts pour chaque série d’observation, c’est-à-dire, représente l’espérance mathématique, la sommation s’étendant de j = 1 à j = n. Au dénominateur, il s’agit du produit de la variance des x par celle des y. La corrélation s’effectue sur les données biodémographiques prises deux à deux auxquelles nous avons adjoint un critère de géographie physique: l’altitude d’implantation. Il paraissait préférable de synthétiser l’ensemble des corrélations plutôt que de montrer 10 graphiques avec des nuages de points. Le meilleur ajustement a systématiquement été recherché.

 

R2 optimisé [linéaire]

Population

Altitude

Idp

I10

Altitude

8,89* [3,11]

---

 

 

Idp

78,66** [60,59]

29,32* [13,15]

---

 

I10

37,90* [14,36]

51,74** [51,05]

55,79* [31,53]

---

Fiso

6,09* [2,31]

62,90** [57,61]

15,08* [7,46]

48,12** [43,91]

Matrices des coefficients R2, exprimés en %, issus de la corrélation des éléments pris 2 à 2.

(* courbe de puissance, ** courbe polynomiale du 2e degré)

 

            Une forte corrélation s’établit entre la quantité de population et la diversité patronymique, ce qui se révèle très logique, presque 79%. Ce coefficient de détermination ne résulte pas ici d’une simple corrélation linéaire ―60,6%―, il émane du meilleur ajustement possible. Dans cette occurrence, il s’agit d’un polynôme du deuxième degré. Avec le gradient altitudinal, on recueille encore deux coefficients supérieurs à 50%. Là, l’indice I10 (R2 linéaire équivalent à celui ajusté: 51,05 contre 51,74%) et la fréquence d’isonymie (respectivement 57,6 et 62,9%) présente une importante corrélation en fonction du lieu d’implantation des villes. Comme pour d’autres structures que nous étudions, le fait de résider en altitude réduit significativement la variabilité patronymique, et par contre accroît considérablement la fréquence pour laquelle on s’unit entre personne portant le même nom. Une des explications possibles provient du fait que l’immigration en altitude est constamment rejetée par les populations anciennes. La montagne alpine apparaît, dans l’histoire, comme un véritable repoussoir où rien ne permet aux hommes de perdurer. Seuls les autochtones ruraux et urbains, établis depuis très longtemps, ont pu se maintenir en altitude grâce à un faisceau d’adaptations appropriées (Prost et al., 2006). Les autres coefficients, inférieurs à 50% et pour 5 d’entre eux inférieurs à 15%, ne témoignent d’aucune corrélation pertinente.

 

Note 1: Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les données chiffrées proviennent principalement des Archives départementales de l’Isère: 4 G 271 à 296 (1672–1786) et II C 310 à 331 (1697–1706) et de la Bibliothèque Municipale de Grenoble: U 908 (1698), U 439 et U 441 (XVII et XVIIIe siècles). Puis II C 651 (1755) et II C 116 (1777) aux AD de l’Isère et U 511 (1710) et U 5210 (vers 1748) pour la BM de Grenoble et de l’ouvrage de Vallentin du Cheylard (1912). Pour le XVIe siècle, nous avons procédé à une estimation au moyen du nombre de mariages recensé dans les paroisses.

 

Note 2: Dans une province mitoyenne la situation apparaît comme semblable, bien qu’il y ait un léger décalage temporel: «Ainsi, à côté de deux villes principales (Bourg et Montluel), qui ont plus de 4000 habitants, se situe une catégorie d’une dizaine de gros bourgs fortifiés qui s’échelonnent entre 1300 et 800 âmes. La faiblesse de ce réseau urbain ne surprend pas: la Bresse est un pays agricole d’habitat dispersé…» (Turrel, 1986). A titre comparatif, l’auteur évalue la population des «capitales» proches de la Bresse: Chambéry, en 1561 ne compte que 4500-4700 personnes, tandis que Lyon oscille entre 60000 et 70000 bourgeois.

 

Note 3: A Gap on recense 4108 bourgeois en 1698 tandis que Briançon en accueille 2368 la même année et Embrun environ 2800 (BMG, R 9958). Plus tard, vers 1748, les 596 familles de Briançon constituent une population de 2470 personnes et les 548 familles d’Embrun, 2322 personnes exactement (BMG, U 5210). Néanmoins, Embrun apparaît comme nettement plus agricole que Briançon, puisqu’un état des animaux impute 410 bêtes pour la première (118 chevaux, 69 mulets, 100 bourisques, 117 bœufs et 6 vaches), contre à peine 133 pour la seconde (10 chevaux, 110 mulets et 13 bourisques).

 

Note 4: (Blanchard, 1935), «Aussi la ville se développe et s’ouvre. Elle aurait gagné 500 habitants de 1350 à 1383, passant de 4000 à 4500 personnes » … « d’après un état des feux dressé en 1474, il y a dans la ville 2170 chefs de famille, taillables ou non, solvables ou miserabiles… on obtient 9765 personnes, ce qui, ajouté aux 365 clercs, donne environ 10000 habitants» … «l’intendant Bouchu, en 1698, donnant le chiffre de la population de Grenoble, 19800 habitants, déclare que la Révocation a fait perdre à la ville près de 3000 personnes» … «Un dénombrement de 1726 constate la présence à Grenoble de 22622 habitants (AC Grenoble, BB 127 et CC 471)».

 

Note 5: (Fossier, 1970), «La ville des Xe et XIe siècles paraît donc plus que toute autre chose un marché, marché aux grains, au pied d’un château (Bâle, Bonn, Fribourg), marché des métaux et du bois à un point de passage ou en terre nouvelle (…). Cette prépondérance de la fonction économique sur la fonction politique est la raison capitale du considérable changement de structure interne qu’a subi la population.»… «… le deuxième trait caractéristique de l’essor urbain, directement issu du premier (…) est le brassage considérable des habitants, en raison de l’afflux des immigrés. Tandis qu’à la campagne le type d’activité demeure à peu près unique – si l’on excepte une poignée d’artisans, meuniers ou maréchaux-ferrants- et que les oppositions ne peuvent être que de degré, à la ville la division et la diversification du travail sont les fondements des discriminations sociales puis politiques. (…) la vie urbaine médiévale, glissant de l’économie au politique, offre beaucoup plus de variétés et de couleurs que la routine campagnarde

 

Note 6: Au XVIe siècle déjà, Charles Expilly le constatait pour la ville de Grenoble: «L’affluance de habitans alloit toujours augmantant en sorte que (…) à paine y avoit-il assez de maisons pour comprendre et loger tant de monde qui tous les jours y accouroit de diverses parts».

- «il est possible d’affirmer que la moitié des chefs de famille de Rouen étaient des immigrants» (Bardet, 1983).

- «Ces différentes approches, dans le domaine social et culturel, montrent la tendance naturelle des sources à privilégier toujours le même milieu des classes aisées. Au-delà de cette analyse interne de la ville, s’impose la nécessité d’une vision globale, qui replace Bourg dans son environnement régional, et la resitue même au sein d’ensembles économiques et politiques plus vastes. Les flux vitaux qui relient la ville à sa région se traduisent par des échanges réciproques d’hommes, de marchandises et d’influences.» (Turrel, 1986)

 

Note 7: A Lyon, de la fin du XVIIe au début du XVIIIe siècle, Maurice Garden montre que 40% des adultes sont célibataires. Ailleurs, dans un colloque (celui de la Société de Démographie Historique, INED, janvier 2005) qui s’est tenu récemment à Paris, on a cité le chiffre de 50% de migrantes basques adultes qui demeurent célibataires dans les villes de Bayonne et de Bordeaux du XIXe au début du XXe siècle.

 

Note 8: Vient peut-être se greffer là un phénomène de globalisation qui biaise ou masque une certaine évolution car ici les couples sont étudiés sur une large période de 70 ans. Néanmoins l’exemple cité plus haut dans le texte, consacré à Marseille, montre bien que, d’une décennie à l’autre, ce sont les mêmes patronymes qui demeurent amplement majoritaires sur une période de 51 ans (1670-1720). La situation semble cependant évoluer considérablement après la période d’épidémie car les sondages effectués par Michel Terrisse en 1971 font ressortir 47,1% d’immigrants dans les mariages marseillais au cours du XVIIIe siècle (chiffrage cité par Jean Pierre Bardet, 1983).

 

Note 9: (Blanchard, 1938-1956), «Briançon, était un des caravansérails de l’Europe occidentale et son marché des changes était fort animé. Une activité commerciale aussi intense enrichissait le pays [le Briançonnais] particulièrement sa petite capitale. Ses habitants ont pris des habitudes d’existence confortable (honeste vivere); ils abandonnent dans leur tenue les grossières étoffes locales et leur préfèrent les draps fins qu’apportent les marchands étrangers. Ils ne s’astreignent plus, déclarent-ils en 1447, aux travaux de la terre dont ils se sont déshabitués; toute leur ardeur va au négoce…».