Talbi, J., Khadmaoui, A. E., Soulaymani, A. E. M., Chafik, A. E. A., 2007, Etude de la consanguinité dans la population marocaine. Impact sur le profil de la santé, Antropo, 15, 1-11. www.didac.ehu.es/antropo


Etude de la consanguinité dans la population marocaine. Impact sur le profil de la santé

 

Study of Consanguinity in Moroccan population. Influence on the profile of health

 

Jalal Talbi1, Abd Errazzak Khadmaoui2, Abd El-Majid Soulaymani2, Abd El-Aziz Chafik1

 

1Laboratoire d’Anthropogénétique et de Physiopathologie, Université Chouaïb Doukkali, El Jadida, Maroc.

2Laboratoire de Toxicologie et de Pharmacologie, Unité de Génétique et de Biométrie, Université Ibn Tofail, Kenitra, Maroc.

 

Correspondance: Jalal Talbi, Rue 92, N°113, Hay Lemsalla, Fkih Ben Salah, Maroc. E-mail: talbija@yahoo.fr

 

Mots clés: Consanguinité, Population marocaine, Redistribution génique, homozygote, Affection de santé.

 

Keywords: Inbreeding, Moroccan population, Gene redistribution, homozygous, Health affection

 

Résumé

La consanguinité est reconnue comme une pratique matrimoniale qui décide du sort des redistributions géniques à travers les générations. En effet, la consanguinité augmente la fréquence des homozygotes dans la population et de là le risque d’atteintes morbides. Selon plusieurs études, ce comportement semble être étroitement lié au statut socio-économique et culturel des populations. Les populations arabo-musulmanes sont plus concernées par cette pratique que d’autres. Dans la population marocaine ce comportement fait encore partie des models familiaux les plus contractés. Pour y définir la situation de cette pratique ainsi que ses retombées sur le profile de santé de la population, nous avons mené une étude sur 873 couples marocains. Les résultats révèlent un niveau de consanguinité très élevé et une association significative avec l’incidence des affections de santé dans la population. L’influence du progrès technologique sur l’évolution de cette pratique dans la population est encore faible devant le manque de sensibilisation et l’attachement des individus à leurs valeurs culturelles traditionnelles.

 

Abstract

Inbreeding is recognized like a matrimonial practice that decides for the gene redistributions through the generations. Indeed, the inbreeding increases the frequency of the homozygous in the population and so the risk of morbidity. According to several studies, this behaviour seems to be closely associated to the socioeconomic and cultural statute of populations. The arabo-Muslim populations are more concerned by this practice than others. In the Moroccan population this behaviour stills one of the most contracted domestic models. To define the situation of this practice in Morocco as well as its repercussions on the population profile of health, we led a survey on 873 Moroccan couples. The results reveal a very elevated inbreeding level and a meaningful association to the impact of the health affections in the population. The influence of the technological progress on the evolution of this practice in the population stills weak in front of the lack of awareness and the attachment of the individuals to their traditional cultural values.

 

Introduction

L’endogamie familiale ou la consanguinité est en effet un cas particulier des liens matrimoniaux entre les conjoints. Cependant, la fréquence des unions consanguines dépend de la taille de la population, de son degré d’isolement et de l’existence de pratiques socio-économiques et culturelles qui favorisent ou évitent  un certain type d’unions (Valls, 1982; Calderón, 1983; Pineda et al, 1985; Khlat et al, 1986; Imaizumi, 1986). Le mariage est dit consanguin lorsque les conjoints ont un ou plusieurs ancêtres communs. L’union avec la cousine parallèle patrilatérale constitue la première forme d’endogamie familiale possible (Bou-assy et al, 2003).

Dans les sociétés arabes, toutes les catégories de cousins s’épousent entre elles (Conte, 1987). Des études réalisées dans le monde arabe et islamique montrent que l’endogamie familiale est une particularité du système des alliances encore contractée en Jordanie, en Palestine, en Syrie, en Iraq, au Koweït, en Arabie saoudite, au Kurdistan, en Iran, en Pakistan, en Égypte, au Soudan, en Afrique du Nord et au Liban (Chelhod, 1965; Khlat, 1989; Lamdouar Bouazzaoui, 1994; Hussain et Bittles, 1998; Denic, 2003).

Par ailleurs, la consanguinité est reconnue dans plusieurs études comme un facteur accroissant le taux des malformations congénitales telles que les cardiopathies et les néphropathies (Mustapha, 1997; Aoun et al, 1995; El-Kazen et al, 1993), l’incidence de la surdi-mutité (Akl, 1994), de la cécité (OMS, 1993) ainsi que des maladies génétiques comme l’encéphalopathie et certaines affections hématologiques (Mustapha, 1997). Selon Bou-assy et al, 2003, ces maladies constituent un sérieux problème médical et social du monde arabe, en particulier lorsqu'elles se traduisent par des déficiences et des incapacités évolutives. Mustapha, a rapporté en 1997, que selon Briard et ses collaborateurs, le risque dépend de deux catégories de facteurs: le lien de parenté entre les conjoints et l'existence dans la famille d'affections héréditaires récessives autosomiques ou multifactorielles.

L’objectif de la présente étude est, donc, d’évaluer la situation de la consanguinité et ses conséquences biologiques dans la population marocaine et de combler le manque encore enregistré des recherches sur ce sujet au Maroc.

 

Sujets et méthodes

1. Enquête

L’étude a porté sur 291 étudiants de l’université Chouaîb  Doukkali d’Eljadida. Ces étudiants présentent la particularité d’appartenir à différentes régions du Maroc. Ils ont été invités à répondre à un questionnaire préétabli à l’unité de Génétique et Biométrie du laboratoire de pharmacologie et de toxicologie de l’université Ibn Tofail de Kénitra. 

Sur ce questionnaire ont été recueillies des données généalogiques, biodémographiques, socio-économiques et culturelles portant sur les parents de chaque étudiant avant et après leur mariage (en tant que couple étudié [CE]) et sur leurs grands-parents (grands-parents paternels [GPP] et  grands-parents maternels [GPM]). Sur le questionnaire ont été également recueillies des données sur les problèmes de santé dans la fratrie de l’interlocuteur et sur les problèmes de la vie reproductive de sa mère (âge à la ménopause, nombre de grossesse et d’avortements, intervalles protogénésiques et intergénésiques, régularité du cycle monstruel...).

Ainsi, nous avons étudié 873 couples appartenant à la population marocaine, répartis sur trois générations de 291 couples. Les couples étudiés ont été établis entre 1940 et 1984. Les couples ont été assignés aux différentes régions selon leurs lieux de résidence après le mariage.

 

2. Méthodes de calcul et d’analyses

Le coefficient de consanguinité a été estimé selon deux méthodes:

1. En calculant le coefficient moyen de consanguinité selon la méthode de Jacobi et Jacquard (1971):                               

Ca=∑fiFi

fi est la fréquence relative des individus ayant le coefficient de consanguinité Fi.

2. A travers l’isonymie selon la méthode de Yasuda et Furusho (1971):

F=P/4 (Avec P= l’isonymie observée)

 

Résultats et discussion

1. Niveau de consanguinité dans la population

Ce type d’endogamie est sans doute le comportement qui présente le plus de risque sur la santé de la descendance et l’état de l’équilibre génétique de la population. En effet, le critère de choix étant la présence de lien de parenté, cette pratique régénère des clans dont l’homogénéité interne est très élevée. Dans la population étudiée, les pourcentages de consanguinité varient de 14,3% dans la région de Béni Mellal à 33,3% dans la région du Sud. Le coefficient de consanguinité varie également de 0,0033 dans la première région à un coefficient de 0,0137 dans la deuxième (Tableau 1). Cependant, les deux mesures (pourcentage et coefficient) n’affichent pas la même différence entre les régions ce qui est du principalement à la différence qualitative des types d’unions d’une région à l’autre.

 

Ville

(Région)

Pourcentage de

Consanguinité (%)

Coefficient de

consanguinité à travers

La parenté

L’isonymie

Eljadida

23,2

0,0088

0,0198

Safi

18,2

0,0094

0,0138

Settat

20,8

0,0090

0,0094

Khouribga

32,9

0,0116

0,0285

Beni Mellal

14,3

0,0033

0,0000

Marrakech

20

0,0086

0,0125

Nord

25

0,0067

0,0000

Sud

33,3

0,0137

0,0119

Casa

28,6

0,0137

0,0119

Total

22,79

0,0092

0,0166

Tableau 1. Répartition régionale du pourcentage et du coefficient de consanguinité

Table 1. Regional distribution of percentage and coefficient of inbreeding

 

La population marocaine présente dans son ensemble un pourcentage de consanguinité de 22,79% avec un coefficient de consanguinité de 0,0088. Ceci retraduit le taux élevé de l’endogamie spatiale que nous avons relevé sur la population marocaine (94,62%) (Talbi et al, 2006). Ces résultats sont, par ailleurs, très proches de ceux trouvés par Baali (1994) lors de son étude sur une population marocaine entre 1904 et 1985 (23,1% et 0,0098).

Le pourcentage ainsi que le coefficient de consanguinité de la génération des couples étudiés (25,43% et 0,0094) concordent avec ceux de la génération des GPM (25,5% et 0,0107) publié en 2005 sur la population de Kenitra (Maroc) qui fait partie de la présente étude (Hami et al, 2005). En effet, la génération des parents des couples qui ont été étudiés correspond plus ou moins à la génération des couples étudiés dans notre étude.

La comparaison intergénérationnelle révèle une légère augmentation du pourcentage de consanguinité en allant de la génération des grands-parents (21,48%) vers celle des couples étudiés (25,43%). Cependant, le coefficient de consanguinité n’affiche pas une différence importante entre les deux générations (Tableau 2). Baali (1994) a également signalé, lors de son étude, que le pourcentage de consanguinité a augmenté de 10,6% en 1904 à 28,3% dans la période 1965-1985. Toutefois, ceci ne témoigne plutôt que d’une sous estimation imposée par la faiblesse des données sur les générations anciennes que d’une tendance évolutive croissante de ce comportement matrimonial.

L’étude réalisée à Kenitra, citée ci-dessus, a révélé un pourcentage de consanguinité de 19,81% chez une génération plus récente que celle sur laquelle nous avons travaillée (25,43%), témoignant plutôt d’une diminution de cette pratique au cours du temps. Cette diminution n’est autre, en effet, que la continuité de la tendance décroissante au cours du temps dont témoigne le suivi de la consanguinité selon les périodes d’établissement des mariages (Figure1).

 

Génération

Consanguinité

N

%

Ca

Population

873

22.79

0.0088

Couple étudié

291

25.43

0.0094

Grands parents

582

21.48

0.0091

GPP

291

21.99

0.0092

GPM

291

20.96

0.009

Tableau 2. Niveau de consanguinité chez les différentes générations de la population

Table 2.  Level of inbreeding among different generations of the population

 

Figure 1. Evolution des mariages consanguins au cours du temps

Figure 1.  Evolution of the consanguineous marriages during the time

 

Néanmoins, l’ampleur et le rythme de la diminution de cette pratique matrimoniale restent encore très faibles. En effet, il ne s’agit aucunement d’une éradication de ce comportement ancré dans l’esprit de la culture arabo-musilmane, mais d’une évolution qualitative dans le concept de la consanguinité lui-même. L’évolution de la nature des types d’unions consanguines témoigne de ceci. En effet, il y’a une tendance décroissante des mariages consanguins intimes (entre cousins germains) en faveur d’une croissance de la fréquence des mariages consanguins entre apparentés plus ou moins lointains (entre CIG) (Tableau 3). Cette tendance a été également trouvée lors de l’étude de la population de Kenitra (Hami et al, 2005). Peut-on, ainsi, parler d’une ouverture qui reste dans le cadre de l’endogamie familiale, mais qui pourrait éventuellement être considérée comme un signe d’essouchement progressif de cette pratique sociale.       

Cependant, en dépit de la diminution que présente les mariages entre cousins germains au fil des générations, sa fréquence dans la population est encore très élevée puisqu’elle atteint 39,20% avec une dominance du mariage entre cousins germains patrilatéralement parallèles (23,62% des mariages entre cousins).

 

 

 

Population

Couple étudié

Grands parents

GPP

GPM

CG (%)

FFP

39,20

23,62

29,73

9,46

44,80

32,00

42,19

29,69

47,55

34,43

FFM

7,54

9,46

6,40

6,25

6,56

FSP

2,52

1,35

3,20

4,69

1,64

FSM

5,53

9,46

3,20

1,56

4,92

CIG (%)

 

19,10

 

25,68

 

15,20

 

18,75

 

11,48

 

DCG (%)

 

3,02

 

4,05

 

2,40

 

3,12

 

1,64

 

Tableau 3. Répartition des types d’unions consanguines pour les différentes générations.

CG: Cousins germains. CIG: Cousins issus de germains. DCG: Double cousins germains. FFP: Fille du frère du père. FFM: Fille du frère de la mère. FSP: Fille de la sœur du père. FSM: Fille de la sœur de la mère.

Table 3. Distribution of the types of inbred unions among different generations.

CG: First cousins. CIG: Second cousins. DCG: Double first cousins. FFP: Daughter of father’s brother.

FFM: Daughter of mother's brother. FSP: Daughter of father’s sister.  FSM: Daughter of mother’s sister

 

2. La consanguinité à travers l’isonymie

L’étude de l’isonymie montre que le pourcentage des mariages isonymes a diminué de 7,9% dans la génération des grands-parents à 4,12% dans la génération des couples étudiés. Le pourcentage total de l’isonymie dans la population étant de 6,64% (Tableau 4). La diminution du pourcentage de l’isonymie entre la génération des grands-parents et celle des parents est due à la diminution de la fréquence des mariages entre cousins germains patrilatéralement parallèles. En effet, la génération des couples étudiés ne présente plus la préférence que présentait la génération des grands-parents pour ce type de mariage entre cousins. Ainsi, les coefficients de consanguinité calculés par isonymie (Tableau 4) sont plus élevés que ceux calculés à travers les liens de parentés (Tableau 3) pour la génération des grands-parents mais ne présentent pas de différence dans la génération des couples étudiés.

 

Génération

Isonymie

N

%

Ca

Population

873

6,64

0,017

Couple étudié

291

4,12

0,010

Grands parents

582

7,90

0,020

GPP

291

6,87

0,017

GPM

291

8,93

0,022

Tableau 4. Pourcentage d’isonymie et coefficient de consanguinité par isonymie au niveau de chaque génération

Table 4.  Percentage of isonymy and coefficient of inbreeding calculated from isonymy among every generation

 

En considérant les régions (Tableau 1), les valeurs du coefficient de consanguinité calculé à travers l’isonymie sont plus élevées par rapport à celles du coefficient calculé via les liens de parenté pour la plupart des régions. Cette différence entre les deux coefficients trouve sa riposte dans la différence interrégionale de la fréquence des mariages entre cousins germains patrilatéralement parallèles. La figure 2 montre que plus les unions entre ce type de cousins sont fréquentes, plus l’écart entre les deux coefficients est important.

Par ailleurs la comparaison du niveau de la consanguinité entre le milieu rural et le milieu urbain montre que la fréquence de cette pratique ne diffère pas significativement entre les deux milieux (Tableau 5). Toutefois, en allant de la génération des grands-parents à celle des couples étudiés, la différence entre les deux milieux prend de l’ampleur puisque l’augmentation que présente le milieu rural par rapport au milieu urbain devient légèrement plus importante. Ceci, montre que l’écart culturel entre les deux milieux se creuse, certes, mais à un rythme très faible.

 

Figure 2. Corrélation du pourcentage d’unions entre cousins germains patrilatéralement parallèles avec l’écart entre le coefficient par isonymie et celui par parenté

Figure 2.  Correlation of the percentage patrilateral first cousins unions with the gap between the coefficient calculated from isonymy and the one calculated from relationship

 

En effet, des études menées en Inde (Dronamaraju et Khan, 1962-1963; Rao et Inbaraj, 1979), en Egypte (Hafez et al, 1983), au sud du Brésil (Freire-Maia et al, 1983) et au Maroc (Talbi, 2002; Hami, 2007) ont montré que le niveau de consanguinité est plus élevé dans le milieu rural.

L’étude de l’hérédité du comportement matrimonial montre que 32,81% des hommes consanguins s’engagent dans des mariages consanguins contre 24,59% des femmes consanguines (Tableau 6).

En effet, 28,38% des mariages consanguins sont formés de maris consanguins, alors que seulement 19,82% des mariages non consanguins le sont. Cependant, les femmes consanguines s’engagent dans les deux types de mariages avec des taux très proches (Tableau 7). Ceci témoigne d’une forme d’hérédité de la consanguinité acheminée plutôt par les hommes.

 

Génération

N

%

Ca

Rural

Urbain

Rural

Urbain

Population

873

23,01

22,30

0,0092

0,0092

Couple étudié

291

27,64

23,81

0,0105

0,0087

Grands parents

582

21,83

19,20

0,0089

0,0100

GPP

291

22,18

20,93

0,0088

0,0111

GPM

291

21,46

18,97

0,0089

0,0092

Tableau 5. Pourcentage et coefficient de consanguinité dans le milieu rural et urbain pour chaque génération

Table 5.  Percentage and coefficient of inbreeding in the rural and the urban environment among every generation

 

 

 

 

Maris consanguins (N=64) (%)

 

Femmes consanguines (N=61) (%)

 

Couples

Consanguins

Hétérogames

32,81

26,56

24,59

18,03

Homogames

6,25

6,56

Couples non consanguins

67,19

 

75,41

 

Tableau 6. Taux d’hérédité de la consanguinité en tant que comportement matrimonial

Table 6.  Rate of heredity of the inbreeding as a matrimonial behaviour

 

Durkheim (1982), cité par Ela (1995), avait avancé que tout individu, membre de la communauté, intègre les normes et les valeurs sociales pendant la croissance et les reproduit de manière consciente ou inconsciente à travers son comportement. La plupart des sociologues sont unanimes que les comportements ou les opinions des individus dépendent des structures sociales dans lesquelles ils s’insèrent.

Par ailleurs, cette forme d’hérédité du comportement matrimonial trouve ses ripostes, aussi, dans l’intervention des parents lors du choix du futur conjoint. En effet, les parents, convaincus de la réussite de leur mariage tendent à le reproduire au niveau de leurs enfants. Plusieurs études ont, en effet, souligné l’importance de l’influence des parents sur la structure des modèles familiaux dans la génération suivante (Bouchard, 1989; Barry, 1998; Kalmijn, 1998; Hussain et Bittles, 1998; Jurdi et Saxana, 2003; Ben M’rad et Chalbi, 2004; Hamamy et al, 2005; Abbasi Shavazi et al, 2006).

En tant que critère de choix homogame la consanguinité du conjoint ne joue pas un grand rôle du moment que la proportion des hommes et des femmes qui s’engagent dans des mariages consanguins homogames est relativement faible, soit respectivement 6,25% et 6,56% contre 26,56% et 18,03% qui s’engagent dans des unions consanguines hétérogames (Tableau 7).

 

 

Mariages Consanguins

(N=74) (%)

Mariages

non Consanguins

(N=217) (%)

Tous les mariages

Mari consanguin

28,38

19,82

Femme consanguine

20,27

21,20

Mariages hétérogame

Mari consanguin

22,97

15,21

Femme consanguine

14,86

16,59

Mariages homogames

5,41

4,61

Tableau 7. Répartition des unions selon la contribution des conjoints consanguins

Table 7.  Distribution of unions according to the contribution of the inbred spouses

 

3. Association entre la consanguinité et les problèmes de santé

Nous avons avancé que plusieurs études ont souligné les conséquences néfastes de la consanguinité sur la santé de la descendance et de la vie reproductive (Charlesworth et Hughes, 1999; Charlesworth et Charlesworth, 1999). En effet, l’homogénéisation du pool génétique de la population se traduit à l’échelle des individus par l’accumulation des allèles récessifs à l’état homozygote au niveau des loci augmentant, ainsi, le risque d’expression des maladies monogéniques voire multifactorielles

Ainsi, nous avons essayé dans la présente étude d’apprécier l’état général de la santé de la descendance et de la vie reproductive en ciblant toute forme d’affections sanitaires et de complications de reproduction. Les résultats montrent que sur toutes les régions étudiées la descendance issue de mariages consanguins présente une incidence de maladies plus élevée par rapport à la descendance non consanguine (Tableau 8). La prévalence globale de maladies chez les consanguins, atteint 66,22% contre 47% chez les non consanguins. Par ailleurs, le pourcentage de consanguinité dans la fraction des malades est également plus élevé que celui chez les sains sur toutes les générations, soit un pourcentage global de 32,45% chez les malades contre 17,86% chez les sains. Ces résultats confirment en effet, ceux de plusieurs études qui ont reporté des prévalences d’affections élevées sur des populations consanguines, entre autres l’hypertension sanguine, le cholestérol, la dépression et le cancer (Rudan et al, 2003; Halberstein, 1999; Krieger, 1968; Martin et al, 1973).

Le schéma que présente la relation entre la consanguinité et les problèmes de santé reproductive est plutôt confus. En effet, la région de Khouribga et Settat présentent des incidences de problèmes de reproduction plus élevées chez les couples consanguins par rapport aux non consanguins, et des pourcentages de consanguinité également plus élevés chez les souffrants de ce genre de problèmes. Cependant, dans les autres régions la situation est plutôt inversée.

La nature des problèmes de santé reproductive vient éclairer cette situation. En effet, contrairement aux maladies qui dépendent beaucoup de la composante génétique et de la prédisposition endogène aux affections, les problèmes de la santé reproductive dépendent plus de la composante environnementale ce qui est susceptible de masquer ainsi, leurs éventuelles étiologies génétiques. Ainsi, ce paramètre pourrait s’avérer plus informatif en traitant individuellement les problèmes et en excluant ceux dont l’étiologie environnementale est plutôt évidente. Des études qui ont été effectuées selon ce principe soulignent une association étroite entre la consanguinité et les problèmes de reproduction entre autres la mortalité infantile (Charlesworth et Hughes, 1999; Bittles et al, 1991; Wright et Hastie, 2001).

Par ailleurs, les informations sur la vie reproductive des femmes étant rapportées par la descendance et non pas par les femmes concernées elles mêmes, pourrait être une source de biais susceptible de masquer toute éventuelle association entre la consanguinité et les problèmes de la vie reproductive de la femme.

 

 

Maladies

(%)

Consanguinité (%)

Problème

de santé

reproductive (%)

Consanguinité (%)

Malades

Sains

Malades

Sains

Eljadida

C

71,05

32,53

17,46

36,84

18,42

34,29

NC

51,85

57,40

Safi

C

60

27,27

12,77

33,33

12,82

24,39

NC

36,92

52,31

Khouribga

C

53,85

41,18

40

53,85

43,75

37,5

NC

52,63

47,27

Settat

C

66,67

20

12,5

66,67

18,18

14,29

NC

53,33

60

Autres

C

80

50

14,29

40

25

42,86

NC

40

60

Global

C

66,22

32,45

17,86

40,54

20

31,21

NC

47

55,30

Tableau 8. Incidence de maladies et de problèmes de santé reproductive chez les consanguins et les non consanguins. C: Consanguins / NC: Non consanguins

Table 8.  Impact of illnesses and problems of reproductive health  among inbred and  non inbred. C: Consanguineous / NC: Non consanguineous

 

Conclusion

A l’issue des résultats présentés et discutés ci-dessus, nous pouvons conclure que la population marocaine ne fait pas exception aux populations arabo-musilmanes quant à la pratique de la consanguinité. A l’instar de ces populations le niveau de la consanguinité dans la population marocaine est très élevé. Toutefois, quoique le niveau de cette endogamie familiale au Maroc reste très proche de ceux reportés sur quelques pays tels que l’Algérie (Ben Allegue et Kedji, 1984), l’Egypte (Hafez et al, 1983), le Liban (Khlat, 1989) et Oman (Rajab et Patton, 2000), il reste de loin moins élevé par rapport aux taux relevés sur beaucoup d’autres pays entre autres, le Pakistan (Hussain, 1998), l’Arabie Saoudite (Al-Husain et albunyan, 1997), le Kuwait (Al-Awadi et al, 1985), les Emirats (Abdulrazzaq et al, 1997), la Syrie (Jaber et al, 1996), le Yémen (Gunaid et al, 2004), la Jordanie (Khoury et Massad, 1992), la Tunisie (Zakaria, 1999), et le Soudan (Ahmed, 1979).

La distribution de l’endogamie familiale ainsi que l’endogamie spatiale à l’intérieure de la population marocaine est très hétérogène. Cette distribution ne reflète aucune relation entre les deux types d’endogamie. En effet, l’endogamie spatiale répond plus à des contraintes socio-économiques, alors que c’est plutôt la composante socio-culturelle qui conditionne la pratique de la consanguinité.

Par ailleurs, la portion consanguine  dans la population présente une incidence d’affections très élevée affaiblissant, ainsi, le profile de santé générale, ce qui est susceptible de priver la société de la stabilité et des bénéfices socio-économiques qu’elle s’est procurés de ce comportement matrimonial.

 

Références bibliographiques

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