Prost, M. et Boëtsch, G. 2007, Biodémographie et Structure Urbaine: le cas des 7 paroisses d’Avignon de 1501 a 1802. Antropo, 14, 1-17. www.didac.ehu.es/antropo


 

Biodémographie et Structure Urbaine: le cas des 7 paroisses d’Avignon de 1501 a 1802

 

Biodemography and Urban Structure: the case of the 7 parishes of Avignon from 1501 to 1802

 

Michel Prost et Gilles Boëtsch

 

UMR 6578, Laboratoire d’Anthropologie: adaptabilité biologique et culturelle. Université de la Méditerranée-CNRS. Faculté de Médecine. 27, Bd. Jean Moulin, F-13385 Marseille cedex 5.

E-mail: michelprost@wanadoo.fr

 

Mots clés: Biodémographie, Consanguinité, Endogamie géographique, Espace urbain, Isonymie, Paroisse.

 

Key words: Biodemography, Consanguinity, Geographical endogamy, Isonymy, Parish, Urban space.

 

Résumé

Différents indices de biodémographie sont estimés à partir de plus de 46000 unions qui se sont déroulées dans les 7 paroisses de la ville d’Avignon sur une large période historique. La cité des Papes, en dépit de son importante industrie textile, de son commerce international et de son artisanat n’est pas vraiment ouverte aux influences matrimoniales extérieures. Ne dépassant jamais plus de 27000 citadins durant les 300 années d’observation, elle admet un taux moyen d’endogamie géographique proche de 68%. Cet isolement reproductif se double même d’une consanguinité apparente non négligeable: 1,18‰ de gènes communs. L’étude de l’espace urbain par paroisses fait ressortir encore nombre de disparités et de zones de rupture. Aucune homogénéité n’est véritablement de mise, les ratios maximaux demeurent très significatifs d’une paroisse à l’autre: 2,5 pour le taux de dispenses, 3,5 pour la consanguinité apparente et 2,7 pour la consanguinité isonymique. Cette ville possède une structure composite, une véritable mosaïque paroissiale pour laquelle elle ne serait plus une entité mais un assemblage de populations.

 

Abstract

In this study, by means more of 46,000 marriages, we measure several parameters of biodemography in 7 parishes of Avignon (France). The city of Popes, in spite its important textile industry, its international trade and its craftsmanship does not present a structure truly as open to influence them external. The population never exceeds more 27,000 persons during 300 years of observation. It characterizes by a reproductive isolation with an average rate of geographical endogamy close to 68.0%. The apparent consanguinity is not negligible: 1.18‰ of common genes. The study of the  urban  space by  suitable parishes emerge from disparities and rupture zones.  The biodemographics indices present no homogeneity: the ratios are significant to a parish than an other, 2.5 for the rate of dispentations, 3.5 for the apparent consanguinity and 2.7 for the isonymic consanguinity. This city show a composite structure, a parish mosaic in order that Avignon no longer would be a urban entity but an aggregate of populations.

 

«Les maisons (de Paris) y sont si hautes qu’on jurerait qu’elles ne sont habitées que par des astrologues. Tu juges bien qu’une ville bâtie en l’air, qui a six ou sept maisons les unes sur les autres, est extrêmement peuplée et que, quand tout le monde est descendu dans la rue, il s’y fait un bel embarras

Montesquieu «Lettres persannes» (lettre 24). 1721.

 

Introduction

Un plan en 3 dimensions de la ville d’Avignon, dressé à la fin du XVIe siècle, fait ressortir nombres de particularismes dont en particulier celui de densité d’habitations à l’intérieur des remparts [Braun and Hogenberg, Civitates Orbis Terrarum II, 1575. Cosmographia, edition of Munster’s. cf. le plan in fin]. A l’examen attentif de cette gravure, on peut considérer que plus de la moitié de la superficie de la ville intra muros est occupée par une surface agricole. Sur le sommet du rocher des Doms, on distingue même 4 imposants moulins à vent. Cependant, cette situation est loin d’être unique dans l’espace urbain. Ainsi à Lyon en 1597, on mentionne qu’à l’intérieur des remparts, «tout ce vaste terrain est occupé par des jardins et des vignes…» (Zeller, 1983). Dans la ville de Meulan en Vexin, à la fin du XVIIIe siècle, un calcul de l’occupation foncière indique que les bâtiments d’habitation ne représentent qu’à peine 11% de la surface urbaine (Lachiver, 1969). Les alentours de la cité papale sont aussi exempts de tout faubourg: c’est véritablement un désert démographique. Hors les murs, Avignon est cernée par des prés et d’immenses vergers, par contre on y distingue que très peu de terres labourées. [On pourrait s’interroger sur le fait qu’Avignon, dans la seconde partie du XVIe siècle, soit une ville imposante pourvue d’une forte population car «les transformations urbaines répondent tantôt au besoin d’extension, tantôt à celui d’innovation (…) les faubourgs lillois au tout début du XVIIe siècle apparaissent comme des espaces mixtes, premiers débordements d’une ville à l’étroit, où cohabitent de petites «industries» déjà indésirables en ville…» (Varlet, 2001)]. Par contraste, en suivant le pont qui relie l’autre rive du Rhosne fluvius, on remarque la bourgade de Villeneuve: cette dernière apparaît, sur le dessin, comme beaucoup plus dense en immeubles.

D’un point de vue structurel, Avignon se présente comme particulièrement close de très hauts remparts -relativement aux maisons et immeubles dessinés qui ne dépassent d’ailleurs jamais deux étages- renforcés par une soixantaine de tours de plus ou moins grande importance. S’ajoute à cette impression d’herméticité, de larges fossés alimentés continûment par les eaux de la fontaine de Vaucluse. 12 ponts permettent d’accéder à l’intérieur de la cité des Papes, mais le cartouche explicatif situé en haut à gauche du document de 1575 ne mentionne que 7 portes, sans doute les principales. Apparemment, seule celle dite «de saint Michel» subsiste en tant que telle, les 6 autres ont été nommées de manière plus actuelle. Outre ces 7 portes, Avignon semble liée au chiffre 7, 7 paroisses, 7 couvents, 7 collèges, 7 hôpitaux, 7 palais mais seulement 6 monastères. [L’église de l’ancienne paroisse saint Etienne était à l’origine sur le rocher des Doms, près de la cathédrale. Au XIVe siècle lorsque les papes s’établissent dans la cité, Jean XXII transforme l’église paroissiale en chapelle privée et se l’approprie. Il s’installe alors dans l’ancien palais des évêques, le palais des papes n’étant pas encore en chantier. Cela ce fera juste après, sous le pontificat de Benoit XII. L’église paroissiale La Madelaine se situait dans la vieille ville, à l’angle des rues actuelles saint Etienne et petite-fusterie. Lorsque l’église saint Etienne fut privatisée par le pape, le titre paroissial de cette église fut transféré à La Madelaine (ainsi que sa pierre de dédicace aujourd’hui conservé au musée lapidaire). L’église porta alors les deux titres. L’un donna son nom à la rue saint Etienne, l’autre à la place de la Madelaine juste à côté (modifiée par les destructions du quartier de la Balance). Cette dernière (et saint Etienne) fut interdite au culte en 1734 alors qu’elle menaçait ruine. En 1792, elle est définitivement abandonnée. Seuls quelques vestiges subsistent dans les maisons de l’îlot situé entre la rue Racine, la rue petite-fusterie et le début de la pente de la rue saint Etienne. Saint Agricol: l’église qui porte ce vocable apparaît au XIIe siècle. Elle est érigée en collégiale en 1321 par le pape Jean XXII qui la dote de statuts et de revenus. Il est vraisemblable qu’à cette occasion s’opère le transfère des reliques du saint évêque de l’église st Pierre à celle de st Agricol où elles sont encore conservées. (Ce dernier mourut vers l’an 700, une charte de 919 mentionne que, évêque d’Avignon, il fut inhumé dans l’église dédié à saint Pierre)].

D’un point de vue historique, pour les gens du Dauphiné, le Comtat Venaissin semblait un vrai paradis fiscal puisque à la suite d’une enquête auprès de la population, les secrétaires delphinaux notaient en 1446: «(le Comtat) in quo nullam talliam solunt» [Archives Départementales de I’Isère, B 2739, fol. 92]. Néanmoins, les écrits de Pétrarque concernant la cité décrivent les conditions déplorables dans lesquelles résidait le monde urbain du moyen âge, sont-elles pour autant le reflet de la réalité? Les observateurs extérieurs n’ont-ils pas toujours tendance à dénigrer les faits qu’ils ne voient pas communément? A Livourne en 1781, le Marquis Bourbon del Monte, gouverneur de la ville remarque que «le bruit, les fortes et dégoûtantes odeurs, l’encombrement et autres inconvénients qui sont inévitables dans une ville de commerce de ce type» (Fettah, 2003). Plus proche de nous, Marseille est décrite en 1792-1793: «(c)’est la ville où nous voyons constamment fermenter l’écume des crimes vomie des prisons de Gênes, du Piémont, de la Sicile, de toute l’Italie, enfin de l’Espagne, de l’archipel de la Barbarie, déplorable fatalité de nos position géographique et de nos relations commerciales» (Gastaut, 2003).

  Le but de cette étude est de tenter de comprendre comment évolue le marché matrimonial urbain d’une importante ville du sud-est de la France sur une longue période historique. Comment, dans un espace géographiquement restreint et cerné mais soumis à d’incessants flux migratoires de tous ordres, mesurer les éventuels liens de parenté qu’entretiennent les Avignonnais entre-eux. Pour cela, différentes méthodes de biodémographie seront employées, celles ci se situant à l’interface de la démographie historique et de la biologie des populations humaines.

 

Estimation de la population

La cité avignonnaise, confinée à l’intérieur de son rempart, est divisée par différentes structures ecclésiastiques: ce sont les paroisses qui se partagent l’espace urbain [a la même époque, Marseille en compte: 8, Bourg en Bresse: 1, Reims: 13, Grenoble: 2 puis 4, Embrun: 3, Romans: 3, Vienne: 7 et Arles: 10. Mais en Italie, comme à Sienne, ce n’est pas moins de 17 églises qui sont recensées et dans la bourgade de Buti en terre toscane, on en dénombre jusqu’à 11], mais aussi une synagogue comprise dans un ghetto, et un temple protestant. D’après l’archiviste municipal, la superficie de la ville intra muros varie nettement d’une source à l’autre, pourtant il estime que 151ha 71a. est l’appréciation la plus vraisemblable. De sources archivistiques, le mur d’enceinte mesure exactement 4330m et si l’on considère qu’Avignon s’inscrit grosso modo dans un cercle, sa surface serait de 149h 27a, les deux mesures s’équivalent donc [(Girard, 1958): «cette enceinte terminée sous Urbain V (1362-1370), avait un périmètre de 4330 mètres et limitait une superficie de 151 hectares 71 ares qui faisait d’Avignon, après Paris, dit Ferdinand Lot, «la ville la plus grande de France». Elle aurait compté 30000 habitants vers 1376; mais ensuite la population ira en diminuant, soit par suite des pestes, soit à cause de l’exode des curiaux et des courtisans après le départ de Grégoire XI. Un recensement effectué alors montre qu’il n’en était resté que 3830 et encore, sur ce nombre, 1471 seulement acceptèrent le droit de cité avignonnaise, se décidant ainsi à un établissement définitif»].

C’est dans cet espace urbain relativement restreint qu’évolue une population fluctuante. Avant le XIVe siècle, les premières estimations indiquent 10000 personnes pour la ville, puis en 1300 environ, 20000. Au cours du XIVe siècle, les écrits les plus optimistes attribuent 40000 personnes à Avignon en arguant que, terre d’asile, la ville pontificale accueille de nombreux réfugiés politiques comme Pétrarque, ainsi qu’une communauté juive. Différentes informations, non vérifiables, accordent à la cité une démographie opulente: «(…) pour le Moyen-Age, c’était une «grosse ville», quoique sa population, selon Yves Renouard, ne dépassât pas 5000 à 6000 habitants. (…) D’après un contemporain, il y aurait eu à Avignon, sous Clément VI, plus de 100000 étrangers. Un autre assure que la peste y fit en 1348, 62000 victimes, ce qui n’aurait été, d’après un troisième, qu’un peu plus de la moitié de la population de la ville. Avignon aurait donc eu 120000 habitants, sous Clément VI… (…) il faut sans doute le réduire de plus des deux tiers pour arriver à  une évaluation à peu près vraisemblable…(Girard, 1958)» [soit environ 20000 personnes]. Entre 1350 et 1376, on évoque une population citadine située autour de 30000 personnes [(Girard, 1958): (Après le départ de la papauté), «L’Avignon d’aujourd’hui n’est plus celle que vous avez connue; ici, les choses paraissent mortes». En effet, l’énorme population flottante qu’attirait la papauté avait déserté Avignon. La population originaire, décimée par la peste, diminua elle-même, malgré la persistance de certains courants d’immigration, venus surtout d’Italie et, pour les classes populaires, des régions alpines. (…) en 1444, les syndics disaient que la ville était toute «dépeuplée et déformée»; en 1453, le chapitre de Notre Dame des Doms se plaignait de ne pouvoir louer ses immeubles «tant à cause de la peste que du petit nombre des habitants». Un siècle après, la population, qui avait compté peut-être 30000 âmes au temps des papes, n’en avait plus que 15000 à  peine, ce qui était tout de même alors, selon Ferdinand Lot, la population d’une «bonne ville» de France]. Beaucoup plus tard, vers 1553, un compte en recense à peine 15000 (Girard, 1958). Un calcul très sommaire impliquant le nombre de mariages par an qui se sont déroulés dans l’ensemble des paroisses de la ville aboutit, pour la période 1590-1609 à une population estimée à 18514 personnes auxquelles il faut ajouter les citadins appartenant aux communautés juive et protestante, dont nous ignorons le nombre exact. On suppute alors qu’Avignon abritait environ 20000 habitants à l’orée du XVIIe siècle. [Aux XVII et XVIIIe siècles, Avignon semble donc s’assimiler, d’un point de vue démographique, à Grenoble en Dauphiné; «Aussi la ville se développe et s’ouvre. Elle aurait gagné 500 habitants de 1350 à 1383, passant de 4000 à 4500 personnes » … « d’après un état des feux dressé en 1474, il y a dans la ville 2170 chefs de famille, taillables ou non, solvables ou miserabiles… on obtient 9765 personnes, ce qui, ajouté aux 365 clercs, donne environ 10000 habitants» … «l’intendant Bouchu, en 1698, donnant le chiffre de la population de Grenoble, 19800 habitants, déclare que la Révocation a fait perdre à la ville près de 3000 personnes» … «Un dénombrement de 1726 constate la présence à Grenoble de 22622 habitants (Archives Communales de Grenoble, BB 127 et CC 471)» (Blanchard, 1935). Tandis qu’à Lyon, le recensement de 1597 renvoie une estimation d’environ 27000 bourgeois à laquelle s’ajoutent 2000 autres correspondant à certaines omissions, ce qui aboutit après avoir appliqué un taux de correction de 20%, à une population comprise dans l’intervalle de 30 à 35000 habitants (Zeller, 1983)]. Cette faible croissance est sans doute à mettre au compte d’une crise épidémique car les archives stipulent que la ville fut décimée par la peste en 1580 [On cite aussi, sur une grande partie du territoire français, les nombreuses poussées et autres rémissions particulièrement en 1564, 1570, 1575, 1584, 1586, 1590-1591, 1596, 1600-1601 (Biraben, 1975)]. Entre 1690 et 1709, la même évaluation rustique faite au moyen des mariages renvoie 25331 bourgeois auxquels il faut ajouter la communauté juive, qui ne compte au XVIIe siècle que 200 à 300 personnes [Avignon reste un foyer de tolérance à l’égard des juifs. Ces derniers ont un quartier à part, théoriquement, ils ne doivent pas fréquenter les chrétiens. Ils n’exercent qu’un nombre restreint de métiers: tailleur d’habits, fripier ou commerçant]. Quant aux protestants, leur nombre est ignoré. Pour cette période donc, l’estimation la plus pertinente se situerait entre 26000 et 27000 bourgeois. En dépit d’un «mur de la peste» construit entre mars et juillet 1721 sur les ordres du Pape, Avignon est encore frappée par l’épidémie dès août 1721. Plusieurs décennies après, entre 1780 et 1792, Avignon renfermerait 22836 personnes sans les deux communautés précédentes, la population serait alors estimée entre 24000 et 25000 bourgeois. Ces évaluations successives paraissent se rapprocher de la réalité puisque le recensement précis effectué en 1801 indique une globalité: 22000 Avignonnais. Un siècle plus tard, en 1906, la croissance est fulgurante, 48312 personnes, puis en 1936, 59472 pour terminer en 1954 par 62768 habitants. [Une manière différente d’estimer la croissance démographique et socioéconomique dans les villes est de dénombrer les confréries qui les structurent. Dans la cité 6 groupes rythment la vie des 7 paroisses. Apparues dès le XIIIe siècle, les confréries de pénitents sont en plein essor aux XVI et XVIIe siècles. Leurs membres doivent s’entraider, faire pénitence publique et pratiquer les bonnes œuvres. On les distingue par la couleur du sac de toile dont ils se vêtent et par leur cagoule. Ces confréries possèdent des biens et des chapelles. Les gris (les plus anciens), les blancs (les plus aristocratiques), les bleus, les noirs de la miséricorde (confrérie fondée en 1586), les violets (nés du schisme avec les bleus en 1662) puis les rouges. La période révolutionnaire détruit en partie leurs activités mais certaines continuèrent. Au XIXe siècle, Frédéric Mistral décrit dans ses Mémoires une de leurs processions, «Les Pénitents faisaient leurs sorties après le coucher du soleil, à la clarté des flambeaux… Ils défilaient pas à pas, comme des spectres, par la ville, portant à bras, les uns des tabernacles portatifs, les autres des reliquaires ou des bustes barbus, d’autres des brûle-parfum, ceux-ci un œil énorme dans un triangle, ceux-là un grand serpent entortillé autour d’un arbre, vous auriez dit la procession indienne de Brahma». De nos jours, plusieurs confréries fonctionnent encore].

  Une densité moyenne peut être ainsi déterminée que l’on comparera à d’autres villes étudiées. Pour la cité du Comtat, on atteint une moyenne de 158 habitants par hectare et de 3429 personnes par paroisses. A Bourg en Bresse, durant la période 1560-1600, la densité culmine à 197 habitants par hectare et 4000 personnes pour une paroisse unique (Turrel, 1986). Bien que Bourg ait une population très inférieure à celle d’Avignon, sa densité demeure nettement supérieure: est-ce à dire que la situation géographique décrite précédemment au XVIe siècle, perdure encore aux siècles suivants? Pour Marseille, la densité moyenne atteint 267 durant l’époque Moderne (Prost, Boëtsch, 2006b soumis), tandis qu’à Lyon, le nombre est similaire, 275 (Garden, 1975). Il est certain que, pour les villes particulièrement, il ne faut pas assimiler la population qui y demeure et s’y reproduit avec celle qui y travaille. Il y a là une partition qu’il est nécessaire d’évoquer. De tout temps, les cités ont attiré un nombre considérable de travailleurs ou autres qui ont fait croître de façon quasi «artificielle» la démographie. Mais ce flux migratoire, pris dans sa globalité, ne se fixe pas forcément intra muros. En sociologie, on parle de prolétariat flottant, d’ailleurs même les historiens évoquent cette acception de population flottante dès le Moyen Age (cf. la note 7 supra). Ainsi, pour la ville de Lyon, on stipule une population fixe en regard d’une autre certainement très mobile. Dans cette dernière, entre 1597 et 1636, «la proportion d’hommes nés hors de la ville y était (…) écrasante, significativement plus importante que celle caractérisant les chefs de feu» (Zeller, 1983). En anthropologie biologique, la restriction est rigoureuse puisque, communément, on considère que le potentiel mariable donc reproducteur d’une population est d’environ 30-33% du total recensé (Jacquard, 1970). A ce faible taux, on peut encore soustraire tous les couples stériles ou ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ne se reproduisent pas. En réalité dans les populations humaines, surtout avant la transition démographique, seul un faible nombre d’individus assure la dynamique reproductive, on évoque alors «l’effectif efficace» ou «l’enfant-utile» (Heyer et Cazes, 1999). Schématiquement, une population se compose d’un noyau d’hommes et de femmes qui participe effectivement à la reproduction générationnelle et d’une quantité importante –quantité d’autant plus grande que l’on se situe dans une ville- de personnes qui ne transmettront aucunement leur patrimoine génétique. D’ailleurs, l’historien urbain est là pour rappeler les faits: «nous atteignons sans doute là un des aspect essentiels de la précarité de l’établissement à Lyon de forains (sans doute par opposition à une population fixe précédemment évoquée) dont l’apport restait pourtant, pour la formation de la population lyonnaise, tout à fait essentiel» (Zeller,1983)

 

Matériel et méthodes

  Pour réaliser cette étude, plus de 46000 actes de mariage ont été pris en compte [Le dépouillement et l’informatisation sont l’œuvre des généalogistes amateurs du «Cercle Généalogique de Vaucluse et Terres Adjacentes», 31ter avenue de la Trillade, 84000 Avignon (Présidente: Mme. A.M. de Cockborne)]. Cette somme comprenant à la fois les unions qui se sont déroulées dans les paroisses et un corpus d’actes relevé durant la période révolutionnaire. Nous avons pris le parti d’étudier cet espace urbain à travers le prisme paroissial, les archives informatisées permettant ces diverses partitions. Cette décomposition d’un cadre urbain unique en de multiples fractions se montre relativement novateur. A Lyon, l’étude par quartiers dévoile de façon explicite que certains sont démographiquement figés quand d’autres sont en expansion brutale (Zeller, 1983). Néanmoins, il ne faut surtout pas négliger le fait que, pour des populations anciennes, le cadre paroissial est essentiel voire primordial. C’est dans cette structure, centrée sur l’église, que se déroulent les actes fondamentaux de la vie des hommes: baptême, mariage et sépulture. Cette prépondérance d’un «découpage ecclésiastique» sur d’autres types tels les quartiers, les groupes socioprofessionnels ou autres est apparue d’autant plus pertinente que nous observions la cité des Papes.

 

Paroisses

Périodes observées

Unions observées, n.a (n.r.)

La Principale

1595-1792

3106 (6,8)

St. Agricol

1501-1792

6823 (15,0)

St. Didier

1527-1792

5642 (12,4)

St. Etienne-La Magdelaine

1586-1792

5594 (12,3)

St. Genies

1568-1792

6094 (13,4)

St. Pierre

1586–1792

9481 (20,9)

St. Symphorien

1594–1792

8710 (19,2)

Ensemble paroissial

1501-1792

45450 (100,0)

Période Révolutionnaire

1793–1801

795

 

1501–1801

= 46245

Tableau 1. Distribution en nombre absolu et (relatif en %) d’unions observées dans les paroisses d’Avignon et indication de la période d’observation.

Table 1. Distribution in absolute number (relative in percent) of marriages observed in parishes of Avignon with the periods of observation.

 

  Le tableau 1 détaille les milliers unions recensées à Avignon durant environ trois siècles. Quantitativement, 3 groupes paroissiaux se distinguent: d’abord saint Pierre et saint Symphorien qui enregistrent chacun près de 20% des actes, puis quatre autres paroisses situées dans une fourchette de 12-15% et finalement La Principale, nettement en retrait, pour laquelle on recense moins de 7%. Au vu de ces données, la ville apparaît comme un assemblage de quartiers contigus pour lesquels la densité de population n’est pas uniforme. Il y aurait eu trois fois plus de personnes autour de saint Pierre qu’autour de la Principale qui pourtant sont mitoyennes. Cependant, il n’y a pas vraiment de concomitance exacte entre les périodes, certaines débutant au début du XVIe, d’autres à la fin. De plus, ces relevés nous ont été confiés, sans que nous sachions exactement leur exhaustivité, des lacunes sont toujours à craindre quand on s’appuie sur un seul type de sources. Néanmoins en effectuant une estimation de la population (cf. annexe 1, in fine), nous obtenons une perspective similaire. Ainsi, durant la période 1690-1709, La Principale reste la moins peuplée avec quelques 1710 paroissiens, puis vient le même groupe que précédemment avec environ 3107-3751 personnes. Demeurent les paroisses telles saint Pierre et saint Symphorien qui comptent 39% de la population avignonnaise avec respectivement 4806 et 5073 paroissiens. Selon ce calcul particulier, le rapport entre la paroisse la plus peuplée et celle la moins peuplée s’élève de nouveau à trois sur cette courte période.

Plusieurs méthodologies classiques en biodémographie seront utilisées. Dans un premier temps, nous chercherons à évaluer l’endogamie géographique pour apprécier le degré d’ouverture ou de fermeture de cette population. En mesurant la fréquence pour laquelle un Avignonnais s’unit à une Avignonnaise, on détermine un taux d’endogamie géographique et en multipliant ces mesures dans le temps, on peut juger de l’évolution de ce marché matrimonial (Bley, Boëtsch, 1999). Avec les dispenses de consanguinité relevées dans les actes de mariage une double recherche peut être entreprise. D’abord, on s’intéressera à la typologie de ces dispenses en les comparant à d’autres structures connues, puis en appliquant une équation aux différentes fréquences trouvées, il est possible estimer la consanguinité apparente (C) de cette population (Jacquard,1970). Cet index particulier permet l’estimation du potentiel génétique commun que possède une population.

C = 1/8 R1 + 1/16 R2 + 1/32 R3 + 1/64 R4 + 1/8 R5                                                                                                             (1)

où R1 représente la fréquence des unions au 3D (oncle-nièce), R2 celle des unions au 4D (cousins germains), R3 celle au 5D (cousins inégaux), R4 celle au 6D (cousins issus de germains) et R5 celle des mariages entre doubles cousins germains. Avec l’isonymie matrimoniale, on cherchera à déterminer une autre estimation de la consanguinité moyenne. En effet, en comptabilisant dans les corpus d’unions, les couples ayant un même patronyme, il est possible d’en déduire un coefficient nommé Fiso (Crow, Mange, 1965). La consanguinité isonymique Fiso est la somme de deux composantes: Fr qui représente la part structurelle et Fn qui représente la part conjoncturelle (Bley, Boëtsch, 1999).

Fiso = Fn + (1 – Fn) Fr                                                                                                                                                                                  (2)

où la contribution aléatoire Fr reflète la composition de la population, elle figure aussi une situation de panmixie, tandis que Fn, qui est fortement influencée par la fréquence des mariages isonymes, exprime une volonté de s’unir avec une personne portant le même patronyme que soi. Néanmoins, les quantités d’unions à traiter étant considérable, nous nous contenterons ici d’utiliser une approximation dont nous avons démontré récemment qu’elle ne travestissait pas la réalité mathématique (Prost et al., 2005).

 

Résultats et analyses

Choix géographique du conjoint, étude de l’endogamie

Pour élaborer le taux d’endogamie géographique, on repère parmi les unions celles dont les conjoints naissent dans le lieu considéré, en l’occurrence ici l’une quelconque des paroisses avignonnaises. Il en résulte une matrice 2x2 pour laquelle sont recensés: les époux nés dans le lieu observé, l’homme né ailleurs, l’épouse étant du lieu ou la situation inverse et finalement les deux personnes nées hors du lieu. Ici, nous avons procédé par sondages paroissiaux en prenant un nombre significatif d’unions (11103 soit 24% du corpus) parmi les 3 siècles de l’étude.

 

 

1590-1609

1690-1709

1780-1792

Ensemble pondéré

La Principale

205 (74,6)

299 (83,9)

122 (38,5)

(72,0)

St Agricol

292 (78,8)

658 (77,5)

336 (30,4)

(65,5)

St Didier

262 (58,8)

602 (80,6)

360 (39,4)

(63,8)

St Etienne

437 (64,1)

545 (76,9)

297 (35,5)

(62,9)

St Genies

524 (71,4)

607 (81,2)

334 (34,7)

(67,1)

St Pierre

1049 (87,5)

843 (80,1)

547 (41,7)

(74,7)

St Symphorien

479 (81,2)

890 (80,4)

620 (41,1)

(68,4)

Ensemble

3248 (76,9)

4444 (79,9)

---

---

Période révolutionnaire

---

---

795 (34,7)

---

---

---

3411 (37,3)

Moyenne : (67,77)

Tableau 2. Distribution par paroisses du nombre d’unions et des (taux d’endogamie en %) sur 3 périodes d’observation.

Table 2. Distribution in parishes of the number of unions and rate of geographical endogamy in percent during 3 periods.

 

Les données rassemblées dans le tableau 2 montrent qu’Avignon présente, dès l’origine une forte endogamie, presque 77%, qui se renforce encore durant la deuxième période, à la fin du règne de Louis XIV, vers 80%. C’est seulement dans les dernières décennies du XVIIIe siècle que l’on enregistre un effondrement du taux vers 37%. Ainsi, durant les 120 premières années de l’étude, soit environ 4 générations, pratiquement 8 mariages sur 10 unissent des Avignonnais de naissance. Globalement, ce sont 68% des unions recensées, taux pondéré du nombre total d’actes pris en considération, qui lient deux urbains du Comtat. Cette proportion semble importante dans une ville située à un carrefour de voies de communication, où l’on pratique des activités commerciales et industrielles de grandes ampleurs (Girard, 1958). Une des explications réside peut-être dans la géographie urbaine: une population autochtone confinée à l’intérieur de remparts est moins encline à rechercher des partenaires mariables à l’extérieur. La sécurité qu’offrent ces hauts murs contre les passages de troupes et les épidémies demeure aussi un obstacle à un apport de nouveaux conjoints. Cependant, des pratiques culturelles comme l’homogamie sociale -appartenance à une même classe sociale- et professionnelle -appartenance à une profession similaire- restent le fondement des sociétés européennes anciennes (Blossfeld and Timm, 2003) et renforcent communément l’endogamie qui mesure l’isolement reproductif d’une population [L’histoire de la ville apporte certains éclairages montrant l’hétérogénéité sociale de la population. En effet on sait par des écrits de vulgarisation que la société avignonnaise présente «de vigoureux contrastes entre riches et pauvres». Ceux-ci s’affrontèrent durement entre 1652 et 1659. Ailleurs on constate encore que «la ville était divisée entre partisans du rattachement à la France et partisans du maintien dans les états pontificaux». Néanmoins, le 14 septembre 1791, l’assemblée constituante vota la réunion du Comtat au territoire français]. S’ajoutent encore sûrement le fait que l’urbanité rejetant la ruralité [«… le deuxième trait caractéristique de l’essor urbain, directement issu du premier (…) est le brassage considérable des habitants, en raison de l’afflux des immigrés. Tandis qu’à la campagne le type d’activité demeure à peu près unique -si l’on excepte une poignée d’artisans, meuniers ou maréchaux-ferrants- et que les oppositions ne peuvent être que de degré, à la ville la division et la diversification du travail sont les fondements des discriminations sociales puis politiques. (…) la vie urbaine médiévale, glissant de l’économie au politique, offre beaucoup plus de variétés et de couleurs que la routine campagnarde» (Fossier, 1970)], il semble relativement difficile de rechercher un conjoint hors de la métropole. De plus, pour s’établir dans une cité, s’y fixer et accéder à la bourgeoisie, il est nécessaire d’appartenir à une classe sociale relativement fortunée, de s’acquitter de différents droits et d’avoir parfois un patrimoine immobilier d’une certaine valeur (Fettah, 2003). Pourtant, les quelques renseignements chiffrés que nous ayons sur le «monde urbain» font ressortir des estimations endogamiques similaires. En 1715, un taux recalculé d’après les données, certes sporadiques, de Marseille aboutit à 59,4% (Baratier, 1987). Ailleurs, les bourgs du Dauphiné, qui comptent de 2000 à 6000 personnes environ enregistrent, durant les XVIe - XIXe siècles, 58% (Prost et al., 2004). Ailleurs encore des villes moyennes comme Angers, Beauvais et Chartres admettent, au cours du XVIIIe seulement, des fréquences d’endogamie approchantes, respectivement: 68%, de 56 à 89% selon les paroisses puis 62% (Lebrun, 1985; Goubert, 1982; Vovelle, 1980). De même à Lyon de 1728 à 1730, on observe 57% d’endogamie contre 45 entre 1786 et 1788. Dans la France de l’Ancien Régime, en dépit de migrations massives inhérentes à l’attraction des villes et d’un brassage continuel des populations dû aux activités commerciale et artisanale, on découvre un monde urbain relativement replié sur lui-même, pour lequel 6 voire 8 mariages sur 10 unissent deux bourgeois. Ces proportions ayant une nette tendance à la décroissance à l’approche de la période révolutionnaire vers 3 à 4 mariages sur 10 comme à Bourg en Bresse, 44% entre 1785 et 1799 (Turrel, 1986). A l’étranger, à Smyrne, au XVIIIe siècle, dans cette cité cosmopolite, on distingue une population stable qui côtoie une quantité impressionnante de travailleurs, de saisonniers, d’artisans, de commerçants, de marins (Smyrnelis, 2003) [«Les habitants de Smyrne parviennent bien à nouer des liens entre eux, par delà leurs différentes appartenances, par delà leur rattachement à des groupes institutionnels divers, par delà l’existence de règles qui régissent leurs relations. Certes l’établissement de ces liens obéit, en réalité, à des règles implicites qui ne sont pas toujours formulées de manières précise : les barrières liées aux différentes confessions (ou même aux différents rites au sein de la même confession) sont difficiles voire impossibles à franchir, lors de la conclusion d’un mariage, et cela au XVIIIe comme au XIXe siècle, alors qu’en revanche, les sociabilités et les activités professionnelles permettent à des Ottomans (musulmans, grecs orthodoxes ou catholiques, arméniens apostoliques ou catholiques) et des Européens de nouer des liens entre eux pendant toute cette période (…)»]. A Sienne en Italie, l’endogamie au XXe siècle atteint encore 44% (Vienna et al., 1998).

En seconde analyse, on constate que les paroisses les plus peuplées sont celles pour lesquelles l’endogamie reste importante. Saint Pierre et saint Symphorien, qui regroupent 40% des mariages avignonnais, admettent les plus forts taux au XVIe, dépassent 80% durant la 2e période et ont encore les fréquences les plus fortes pour la 3e période, au-delà de 41%. Cette occurrence apparaît comme conforme en biodémographie, les populations les plus importantes ont un marché matrimonial plus ample, le choix du conjoint est plus aisé que dans celles comptant quelques centaines de personnes. Avignon intra muros se présente, en matière d’endogamie géographique, comme une mosaïque paroissiale où d’importants ratios sont observés, 1,5 durant la 1e période entre saint Pierre et saint Didier et 1,4 durant la 3e période entre saint Pierre et saint Agricol.

Dans le tableau 3 figurent les fréquences endogamiques observées (celles du tab.2) et attendues sous l’hypothèse panmictique, c’est-à-dire si tous les couples avignonnais se formaient au hasard (Jacquard, 1970). Dans l’ensemble, ces fréquences sont relativement proches. Pourtant, quelques écarts remarquables sont repérés: à saint Didier pour la 1e période (7,8), à saint Genies pour la 2e (19,8) et de nouveau à saint Didier pour la 3e (15,7). Globalement, durant les trois intervalles successifs, au vu de sa population paroissiale, Avignon se dévoile comme une cité repliée sur elle-même, fermée mais non hermétique, qui sortirait du «cercle endogamique» que tardivement, durant les dernières décennies du XVIIIe siècle. Alors qu’en 1791, on vote le rattachement du Comtat au territoire français, Avignon enserrée dans ses remparts, contingentée par le fleuve au nord et le réseau de douves en sa périphérie admettrait presque 29% d’endogamie en régime panmictique, dans la réalité c’est plus de 37% qui sont recueillis: il y a bien une ou des habitude(s) culturelle(s) ancienne(s) qui font que la ville demeure endogame. A Smyrme en Turquie, «il faut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour que le quartier européen s’ouvre aux non-Européens et devienne le lieu de résidence de tous les habitants aisés de la ville…» (Smyrnelis, 2003).

 

 

1590-1609

1690-1709

1780-1792

La Principale

74,6 (69,2)

83,9 (83,4)

38,5 (31,7)

St Agricol

78,8 (75,2)

77,5 (80,0)

30,4 (31,3)

St Didier

58,8 (51,0)

80,6 (75,2)

39,4 (23,7)

St Etienne

64,1 (59,9)

76,9 (74,3)

35,5 (28,5)

St Genies

71,4 (65,6)

81,2 (61,4)

34,7 (30,6)

St Pierre

87,5 (85,9)

80,1 (79,6)

41,7 (29,5)

St Symphorien

81,2 (78,3)

80,4 (76,5)

41,1 (33,8)

Ensemble

76,9 (72,7)

79,9 (75,1)

---

Période révolutionnaire

---

---

34,7 (24,7)

Ensemble

---

---

37,3 (28,8)

Tableau 3. Distribution par paroisses des taux d’endogamie géographique en % observés et (attendus) sous l’hypothèse de la panmixie.

Table 3. Distribution in parishes of the geographical endogamy rate in percent observed and (waited) under the panmixie hypothesis.

 

Choix du conjoint et apparentement

Les dispenses de consanguinité

Pour effectuer la recension de ce type d’information, nous nous sommes servis que d’une partie du corpus, celle pour laquelle les actes étaient les mieux renseignés. En usage depuis le haut Moyen Age, les ecclésiastiques en charge de la transcription des actes devaient mener une enquête approfondie sur les éventuels liens de parenté des futurs époux. De cette dernière résultait ou non une dispense dite de «consanguinité» qui indiquait précisément le degré d’apparentement liant les époux. Il ne subsiste dans les actes que les dispenses accordées par l’évêché, dans la mesure où les prêtres les ont bien retranscrites. Ne pouvant vérifier l’exactitude des transcriptions de ce type de données, il ne s’agira donc ici que d’un recensement a minima.

 

 

Unions observées

aux XVII et XVIIIe s.

Dispenses observées

en nombre absolu

Taux de dispenses observées

et (attendues)

La Principale

2444

17

0,696 (0,307)

St Agricol

6165

55

0,892 (0,775)

St Didier

5131

34

0,663 (0,645)

St Etienne

4092

32

0,782 (0,514)

St Genies

5122

18

0,351 (0,644)

St Pierre

7501

48

0,640 (0,943)

St Symphorien

6329

38

0,600 (0,796)

Ancien Régime

36819

242

0,657

Période révolutionnaire

795

17

2,138

 

 = 37614

 = 259

moyenne pondérée: 0,689

Tableau 4. Distribution des dispenses de consanguinité, en nombres absolus et relatifs (%), dans les paroisses avignonnaises durant les XVII et XVIIIes siècles.

Table 4. Distribution of consanguinity dispansiations, in absolute and relative numbers (in percent), in parishes of Avignon city during the XVII and the XVIIIth centuries.

 

Seules 37614 unions servent pour cette partie spécifique, soit 81,3% de la totalité du corpus. 259 dispenses de différents degrés sont repérées parmi les actes, spécifions que les dispenses «d’affinité spirituelle», de «temps prohibé» ou autres n’entrent pas dans ce comptage. Ainsi, durant l’Ancien Régime, presque 0,7% des actes de mariage possèdent une dispense pour fait d’apparentement (tableau 4). Là, on découvre une nouvelle fois une mosaïque paroissiale pour laquelle 4 paroisses se situent dans la fourchette 0,6-0,7%. Saint Etienne et surtout saint Agricol étant beaucoup fournies avec respectivement 0,8 et 0,9%, seule saint Genies demeure en net retrait avec 0,4% de dispenses. Cette distribution détermine un important ratio maximum de plus de 2,5. Par comparaison avec l’hypothèse d’un régime panmictique, La Principale et saint Etienne apparaissent comme nettement plus pourvues en dispenses, alors que saint Genies et saint Pierre semblent véritablement déficitaires. Plusieurs motifs peuvent être avancés pour expliquer ces différentiations. Il y a d’abord le fait de l’enregistrement correct de ce type d’information, chaque prêtre étant, dans sa propre paroisse, habilité à opérer une enquête ou non. Il y ensuite la composition sociologique de telle ou telle paroisse qui fait que, on s’unit plus volontiers entre cousins. Le facteur démographique peut aussi jouer un rôle, «l’étroitesse» d’un marché matrimonial peut favoriser des unions dans la parenté. Déjà avec l’endogamie, on évoque communément l’isolement reproductif d’une population, avec ce paramètre concernant l’apparentement des couples, on assiste à une superposition supplémentaire de liens à l’intérieur des quartiers i.e des paroisses. Au fil des générations, se créent en Avignon, et même ailleurs en Provence (Piétri, 2003), des réseaux familiaux imbriqués qui font que cette ville ne serait qu’un agrégat de structures plus ou moins fermées: groupements familiaux, sociaux, professionnels et confessionnels. [Ailleurs encore, sur le pourtour méditerranéen, on rencontre ce type de stratégies comportementales, par exemple à Malte entre le XVIe et le XVIIe siècles (Brogini, 2003) ou à Livourne entre le XVIIe et le XIXe siècles (Fettah, 2003). Mais aussi à Lyon entre 1597 et 1636 dans les 36 quartiers qui composent la capitale des Gaules (Zeller, 1983)]. Les très rares données concernant le recensement dans les villes des dispenses de consanguinité font ressortir que les espaces urbains n’en sont pas exempts. Ainsi, la ville de Gap en Dauphiné, qui compte environ 5500 bourgeois durant la période Moderne, n’admet que 0,19% de dispenses, sans que nous sachions si l’enregistrement de tels actes ait été correctement réalisé. A l’inverse, c’est un taux considérable de 12,4% qui est calculé pour Briançon, toujours en Dauphiné, mais dont la population n’a jamais dépassé 4000 personnes. En dépit du brassage génétique dont elles sont l’objet, certaines villes du sud-est de la France possèdent un patrimoine génétique commun qu’il est loisible de mesurer. Par ailleurs, à Avignon, durant la période révolutionnaire, la fréquence d’unions dispensées croît au-delà de 2%. Habituellement, les quelques sondages que nous avons pu mener dans d’autres populations françaises montrent aussi un accroissement significatif de ces demandes. Avec l’instauration de l’état civil, il s’est produit une quasi-libération dans ce type de demandes, les contraintes imposées par l’église ayant disparues.

Chaque dispense qui suit ou précède l’acte de mariage indique, en principe, le degré de parenté qui lie les époux. Depuis la fin du XVIe siècle, l’Eglise catholique prohibait les unions jusqu’aux cousins issus de germains, dites du 4e degré de consanguinité, précédemment la prohibition remontait jusqu’au 7e degré (Burguière et al, 1986).

 

 

3D

4D

5D

6D

7D

8D

?

multiple

La Principale

0

0

5

0

6

6

0

0

St Agricol

0

7

3

11

9

23

2

0

St Disdier

1

4

5

14

5

5

0

0

St Etienne

1

8

4

10

4

4

1

0

St Genies

0

2

3

7

5

1

0

0

St Pierre

2

2

9

8

10

17

0

0

St Symphorien

1

2

9

13

6

7

0

0

Ancien Régime

5 (2,1)

25 (10,3)

38 (15,7)

63 (26,0)

45 (18,6)

63 (26,0)

3 (1,2)

0 (0,0)

Période révolutionnaire

2 (11,8)

9 (52,9)

1 (5,9)

2 (11,8)

0 (0,0)

3 (17,6)

0 (0,0)

0 (0,0)

Ensemble

7 (2,7)

34 (13,1)

39 (15,1)

65 (25,1)

45 (17,4)

66 (25,5)

3 (1,2)

0 (0,0)

Tableau 5. Distribution des dispenses en nombres absolus et (relatifs en %) dans les paroisses avignonnaises selon le degré de parenté rencontré.

Table 5. Distribution of exemptions in absolute and relative numbers (in percent) in the 7 parishes of Avignon according to the degree of kinship

 

Dans le tableau 5 est indiqué l’éventail des dispenses nécessitant l’accord de l’évêché. Cela va des unions entre oncle/nièce ou tante/neveu dites du 1e au 2e degré -notées 3D par les généticiens de population- jusqu’au degré multiple qui est une composition plus ou moins complexe des degrés précédents (Jacquard, 1970). L’addition des 3 premières colonnes, celles des dispenses qui unissent des cousins très proches, permet quelques comparaisons. Ainsi, durant l’Ancien Régime, les dispenses du 3D au 5D représentaient nettement moins d’1/3 de l’ensemble (28%), alors qu’entre 1794 et 1801, ces dernières atteignaient presque les 3/4, 71% exactement. Ce basculement notable entre les deux périodes observées dénote un changement culturel dans les habitudes matrimoniales des apparentés. A l’évidence, l’instauration de nouvelles structures politiques a permis une libération du «carcan religieux» dans laquelle elles étaient enserrées. De même, en élargissant d’un degré supplémentaire, le 3e (6D), les taux sont encore très différentiés: respectivement 54,1% des dispenses de l’Ancien Régime contre 82,4%. Alors que précédemment, nous avions noté une forte croissance de la demande de dispenses entre les deux périodes, dans la structure même de ces dispenses nous percevons un changement sinon radical en tout cas substantiel. Dans la population française de l’Ancien Régime, ce sont les dispenses du 4e degré (8D) qui sont majoritaires (Dupâquier et al., 1988), à Avignon, elle ne représentent qu’à peine 1/4 des dispenses obtenues, pratiquement à égalité avec celles du 3e degré (6D). Les structures urbaines se différentient-elles des autres populations ? A notre connaissance, aucune étude ne semble avoir été réalisée à ce sujet en France. Par contre, des chercheurs ont montré que, dans la ville de Boston, la communauté italienne qui y réside forme un véritable isolat génétique: de 93,9 à 97,3% d’endogamie géographique, 2,3% d’unions consanguines et 6,4% d’isonymie matrimoniale durant la période 1880-1920 (Danubio, Pettener, 1997). Sur le même continent mais au sud, une autre étude portant sur la consanguinité dans deux cités uruguayennes entre 1800 et 1994, pour lesquelles un total de 28393 unions a été observé, 2,23% d’entre-elles a nécessité une dispense. De plus 58,8% de ces unions dispensées sont le fait d’alliances entre cousins très proches (Lusiardo et al., 2004). Ailleurs dans les villes du Moyen Orient et pour le XXe siècle seulement, on relève une moyenne de 34% d’unions consanguines, les extrêmes allant de 22,1 à 63,4% (Khlat, 1989). Pour autant, sachant que la consanguinité moyenne décroît généralement dans le temps en France avec le phénomène dit «de rupture des isolats», on est en droit de s’interroger sur les taux que l’on aurait observés pour une période antérieur.

 

Consanguinité apparente (capp)

La consanguinité apparente C résultante de l’équation 1 sera notée ici Capp pour ne pas la confondre avec l’indice mathématique C de contingence (cf. infra, tableau 8).

 

 

Capp observée et (attendue)

La Principale

0,639 (0,550)

St Agricol

1,139 (1,390)

St Didier

1,460 (1,160)

St Etienne

2,212 (0,920)

St Genies

0,640 (1,150)

St Pierre

1,038 (1,690)

St Symphorien

1,158 (1,430)

Ensemble

1,184

Période révolutionnaire

11,05

Tableau 6. Distribution de la consanguinité apparente Capp. en ‰ observée (et attendue) dans les paroisses avignonnaises.

Table 6. Distribution of the apparent consanguinity Capp. in ‰ observed (and waited) in parishes of Avignon

 

  Toutes les dispenses recensées dans le tableau 5 n’entrant pas dans l’élaboration de Capp, il n’y a forcément pas de corrélation directe entre les fréquences observées au sein des paroisses et la consanguinité moyenne. A ce titre, saint Agricol dont le taux atteignait le maximum 0,9% ne se situe ici qu’en 4e position avec 1,14‰ de gènes communs (tableau 6). Alors qu’avec les dispenses un ratio maximum de 2,5 était observé, avec Capp , celui- ci atteint 3,5. Dans cette cité géographiquement close et ecclésiastiquement fractionnée, la population se renouvelle mais des divisions se produisent pour lesquelles d’une paroisse à l’autre on s’unit plus volontiers entre parents, découpant ainsi l’espace urbain en un véritable puzzle. A saint Etienne, on attend en régime de panmixie une fréquence génique de 0,92‰, dans la réalité c’est 2,21‰ qui est enregistrée: 2,4 fois plus. Dans cette paroisse la plus au sud de la ville où l’endogamie reste inférieure à la moyenne pondérée de l’ensemble, on découvre une volonté très affirmée de s’unir dans la parenté proche. Il est certain que ce type d’étude globalisante ne permet guère de connaître la véritable sociologie des quartiers avignonnais. [Des recherches d’histoire urbaine ont montré, entre autres, que dans les villes anciennes se côtoient dans les quartiers, les rues voire les immeubles, des groupes sociaux très diversifiés (Zeller et Faron, 1999)]. Néanmoins, tout donne à penser, qu’ici résident en majorité des groupes sociaux ou professionnels liés par des intérêts tels que l’apparentement des couples garanti leur pérennité. Dans la paroisse adjacente de saint Genies au contraire, sous l’hypothèse panmictique, 1,15‰ de gènes communs sont attendus, donc une forte consanguinité et l’on en découvre presque 2 fois moins: 0,64‰. S’agit-il d’un espace de transit? Quelle est la composition sociologique véritable de ce quartier? Rien ne vient vraiment étayer cette différentiation. Peut-être s’agit-il d’un défaut d’enregistrement des actes qui perturbe le résultat. Un élément de réponse: à Lyon en 1636, un recensement par quartiers dévoile que celui de saint Georges renferme presque 68% de misérables; «(…) une proportion qui met assez en évidence combien la pauvreté règne en maîtresse dès que l’on s’éloigne des quartiers privilégiés où résident les familles marchandes et consulaires…» (Zeller, 1983). Avec la période révolutionnaire, on assiste à un accroissement considérable de la consanguinité avignonnaise vers 11‰. Ce très fort taux traduit un repli sur soi de nombreuses familles bourgeoises alors que, concomitamment, on observait l’ouverture exogamique du marché matrimonial après le rattachement du Comtat au territoire national. Il y a là un phénomène dichotomique assez singulier. D’une part, une fraction non négligeable de la population s’unit entre cousins au point de faire croître significativement la consanguinité moyenne, d’autre part une arrivée assez considérable de nouveaux partenaires dans le potentiel mariable capable de faire chuter l’endogamie géographique vers 37% des unions. C’est là un fractionnement remarquable dans cette structure urbaine dont nous ignorons tout des conséquences pour le XIXe siècle. Néanmoins, on peut supputer l’amorce d’une scission qui ira en s’amplifiant avec l’arrivée massive de migrants qui fera énormément croître la ville entre 1801 et 1906, nous l’avons constaté précédemment. Il est possible que les émeutes internes, signalées par les historiens de 1658 à 1660, entre la partie la plus aisée de la ville et celle la plus pauvre furent l’une des conséquences de l’épidémie de 1630. Sans doute s’agissait-il d’une réorganisation du marché matrimonial avignonnais et d’une nouvelle répartition des biens immobiliers et productifs après la peste du début du XVIIe qui fit de nombreux morts dans les provinces du sud de la France. A Lyon mais aussi à Paris, des troubles analogues sont observés au cours des XVIIe et XVIIIe siècles démontrant l’importance des phénomènes de diversité sociale liés à la proximité géographique inhérents à l’habitat urbains (Zeller et Faron, 1999).

 

L’isonymie matrimoniale

Dans un corpus d’unions, trois types d’actes sont envisagés concernant les patronymes des époux. Il y a d’abord les paires isonymes pour lesquelles on recense 2 noms identiques, ayant la même graphie, puis les paires répétées, pour lesquelles un quelconque doublet de noms se répète une fois ou plus. De ces répétitions découlent un indicateur spécifique (Rp) servant en biodémographie à connaître le degré de fractionnement d’une population. Enfin, toutes les unions n’entrant pas dans les 2 catégories citées sont dites paires uniques, elles forment habituellement la très grande majorité des actes observés, sauf dans les populations de montagne de l’arc alpin.

 

 

Taux de paires

isonymes observées

Fiso

calculée et (attendue)

La Principale

0,19

0,4829 (0,1750)

St Agricol

0,16

0,4030 (0,3840)

St Disdier

0,16

0,3987 (0,3180)

St Etienne

0,07

0,1787 (0,3140)

st Genies

0,18

0,4512 (0,3430)

St Pierre

0,10

0,2373 (0,5320)

St Symphorien

0,16

0,4018 (0,4890)

Ensemble

0,15

0,3648

Période révolutionnaire

0,13

0,3144

Tableau 7. Distributions, par paroisses, du taux, en %, d’unions isonymes recensées et des taux, en ‰, de consanguinité Fiso calculés (et attendus).

Table 7. Distributions by parishes of the rate, in percent of isonymous marriages and rate, in ‰, of the Fiso consanguinity calculated (and waited).

 

  Dans le tableau 7, figure en 1e colonne la fréquence des unions isonymes. La première remarque s’adresse à la période révolutionnaire, pour cet indice spécifique, il n’y a pas vraiment de rupture marquée avec l’Ancien Régime, 0,13% contre 0,15%. Tout semble se passer comme si l’habitude culturelle qui consiste à épouser une personne portant le même patronyme que soi perdurait au sein de l’espace avignonnais. De même, 5 paroisses sur 7 sont quasi-également pourvues en couples isonymes, dans une fourchette restreinte 0,16-0,19%. Seules saint Etienne et dans une moindre mesure saint Pierre demeurent en retrait avec respectivement 0,07% et 0,10%. Rien n’explique a priori cette dichotomie paroissiale si ce n’est que saint Pierre est la paroisse la plus populeuse mais aussi la plus endogame. Cependant, du fait de la quantité, la probabilité d’observer des paires identiques est moindre. Mais il est possible qu’il y ait un continuel brassage interne, les spécialistes évoquent à ce propos une «mobilité géographique intra-urbaine» (Zeller et Faron, 1999). A l’opposé géographique, au sud, saint Etienne est la moins isonyme, 2,7 fois moins que la Principale située au cœur des remparts. Pourtant, c’est dans celle-ci que nous relevions précédemment le plus fort taux de consanguinité apparente. Nous voyons ici explicitement «l’étendue» de l’information décrite par les 2 méthodes. L’isonymie matrimoniale relate une consanguinité moyenne issue de mariages pour lesquels l’ancêtre commun, porteur du nom, peut se situer généalogiquement de façon très éloignée, parfois au-delà de 5 générations ou plus (Prost et al., 2005). Au contraire, Capp exprime une consanguinité «proche» puisque estimée à partir de dispenses entre cousins rapprochés. En comparant les calculs avec la situation de panmixie, nous constatons que plusieurs paroisses s’écartent ouvertement des résultats attendus. C’est le cas particulièrement pour La Principale où 0,18‰ de gènes communs sont attendus alors qu’on en comptabilise 2,7 fois plus: 0,48‰. A contrario, saint Pierre et saint Etienne ont, toutes deux, de faibles taux en regard de ceux attendus en régime panmictique, respectivement 0,23 contre 0,53‰ et 0,18 contre 0,31‰. Ainsi l’estimation de la consanguinité par la méthode des paires isonymes montre des comportements recherchés ou évités alors que la méthode de la consanguinité apparente exprime plutôt la structure populationnelle.

  Les différentes études que nous avons pu mener sur des structures urbaines renvoient des fréquences géniques issues de l’isonymie beaucoup plus fortes (Prost, Boëtsch, 2006a soumis). Ainsi, la globalité des 12 plus grandes cités de la province de Dauphiné -Grenoble, Vienne, Montélimar, Valence, Romans, Saint Marcellin, Briançon, Embrun, Crest, Die, Saint Paul 3 Châteaux et Gap-, renfermeraient 2,18‰ de gènes communs, selon la même méthodologie et pour une période similaire, 1511-1899. Il y aurait eu 6 fois plus de consanguinité dans les bourgades dauphinoises que dans la capitale du Comtat. Ce résultat peut s’avérer acceptable dans la mesure où ces villes, hormis Grenoble, n’ont qu’un faible potentiel démographique. Cette province, qui jouxte la Provence, ne possède pas un véritable réseau urbain mais plutôt un ensemble épars de «bourgs-ruraux» disséminés sur un immense terroir. Avec les 5 paroisses intra muros de Marseille, on atteint une moyenne arithmétique de 1,02‰ pour la période 1575-1808 (Prost, Boëtsch, 2006b soumis). La cité phocéenne aurait eu 2,8 fois plus de consanguinité isonymique que son homologue papale. Cet état de fait est difficilement explicable. Certes pour le Dauphiné, nous avons affaire principalement à des agrovilles, mais pour la 2e ville de France, aucun argument plausible ne peut être avancé en l’état de la recherche actuelle. D’ailleurs, plusieurs invariants sont repérés: les 2 cités sont enserrées par des remparts, les paroisses organisent les populations, le commerce et l’industrie procurent, de part et d’autre d’importants flux migratoires. Pour Marseille, l’ouverture au monde par le port n’engendre finalement pas vraiment de brassage génétique. Il s’agirait plutôt d’une lente intégration des populations venues de l’extérieur, essentiellement des migrants des Préalpes provençales ou de la montagne alpine.

 

Eléments de statistique

Pour tenter de comprendre si les indices de biodémographie que nous avons étudiés présentent d’éventuelles corrélations, nous employons les coefficients de détermination (R2) et de contingence (C).

Le tableau 8 regroupe les 4 indices biodémographiques pris deux à deux, les coefficients R2 et C étant présentés superposés. Ici, la ville entière est considérée comme objet de recherche, c’est un rassemblement de paroisses. Les deux types de coefficient de détermination R2, linéaire et [maximal], ne laissent entrevoir que de rares corrélations. Si l’endogamie géographique n’est que faiblement liée linéairement au nombre de dispenses, environ 20%, la recherche du coefficient optimal est atteinte à l’aide d’une courbe polynomiale du 2e degré: près de 61%. Ceci présente une certaine logique. Ainsi, l’isolement reproductif, c’est-à-dire la répétition génération après génération, sur 300 ans, de mariages entre personnes nées dans la ville, fait que, mécaniquement, on comptabilise davantage unions entre parents proches nécessitant une dispense de consanguinité. Néanmoins, le C de contingence, 0,028, induit qu’aucun lien statistiquement pertinent demeure entre l’endogamie et le nombre de dispenses. Le second R2 important est repéré entre les coefficients de consanguinité isonymique et apparente, 58% avec une droite des moindres carrés et 59% en l’optimisant avec une courbe exponentielle. Là, le C de contingence exprime un lien fort: 0,288+++ entre les deux indices. Avignon apparaît alors, sous cet aspect particulier, comme quasiment paradoxale: Capp et Fiso décrivant habituellement une part respective de la consanguinité moyenne d’une population. La dichotomie entre les deux mesures étant avérée dans nombre d’études, cette relation est difficilement explicable. Toutefois, Avignon étant prise comme unité d’étude, nous l’avions observée précédemment par parties. Ces éléments statistiques résultent donc d’une compilation des données paroissiales moyennes. Il est toujours possible que des antagonismes ou des concomitances se créent qui font que nous aboutissons à ce résultat spécifique.

 

R2

Endogamie

Capp

Fiso

Capp

13,99 [21,85*]

---

---

Fiso

3,72 [8,02*]

57,64 [58,79**]

---

Nb. dispenses

20,20 [60,85*]

24,35 [31,48***]

9,94 [11,51**]

C de contingence

 

Capp

0,062

---

---

Fiso

0,067

0,288+++

---

Nb. dispenses

0,028

0,165++

0,167++

Tableau 8. Matrices des coefficients de détermination (R2 en %) et de contingence (C) des indices de biodémographie pris deux à deux, [optimisation du meilleur coefficient: *, polynôme; **, exponentielle; ***, puissance], indication de la puissance du lien: ++, moyen; +++, fort.

Table 8. Wombs of determination coefficients (R2 in percent) and contigency (C) of biodémographic indices taken two by two, [optimization of the best coefficient: *, polynomial; **, exponential; ***, power], indication of the bond power: ++, means; +++, fort.

 

Conclusion

  Du point de vue de l’historien et du sociologue, la capitale du Comtat se présente comme une entité ouverte à de multiples flux: ils sont d’ordre démographiques, sociaux, religieux et surtout économiques. Plusieurs auteurs décrivent l’agglomération, du Moyen age à l’époque Moderne, comme un carrefour où se croiserait le «monde entier». A contrario, pour le géographe et l’urbaniste, la cité papale s’organise dans un espace limité par un imposant rempart, lui-même fortement contingenté sur sa périphérie et par le Rhône et par des fossés sans cesse alimentés. A l’intérieur de cette partie circonscrite à laquelle il faut encore soustraire une importante superficie agricole se concentrent, selon les époques, de 19000 à 27000 citadins. C’est dans cette perspective presque antinomique que la structure biodémographique de cette population est observée sur une période de trois siècles. Les différentes mesures nous présentent une population bourgeoise repliée sur elle-même pour laquelle chaque paroisse qui la compose semble avoir une identité propre. Certes, notre approche d’Avignon n’est pas globale, nous nous servons d’une sériation par paroisses, par quartiers, pour parvenir à cette recherche. Le quadrillage imposé par l’Eglise morcelle l’espace social laissant apparaître une mosaïque populationnelle pourvue d’une diversité notable. L’endogamie dévoile un isolement reproductif certain -8 unions sur 10 sont endogames pour les périodes anciennes-, isolement qui ne s’estompera que tardivement, au moment de l’accession du Comtat au territoire national. A cet égard, la confrontation avec la situation de panmixie laisse percevoir une volonté marquée de s’unir entre bourgeois avignonnais. Néanmoins, si les 7 paroisses demeurent à l’unisson quant à cette mesure, la densité disloque la démographie: d’une paroisse contiguë à une autre, on compte jusqu’à 3 fois plus d’habitants. Avec les dispenses, c’est encore une dispersion de fréquences qui est observée, l’unité de la ville se trouve de nouveau mise en défaut: le passage d’une paroisse à une autre produit des zones de rupture, parfois de continuité. La consanguinité apparente procure un autre fractionnement important puisque le ratio maximal atteint 3,5. Dans certains secteurs de la ville, on s’unit bien davantage dans la parenté que dans d’autres, l’explication la plus vraisemblable étant sans doute le regroupement par professions ou par strates sociales qui génère l’homogamie socioprofessionnelle. Au final, Avignon durant les XVIe - XVIIIe siècles révèle de flagrants contrastes: c'est une cité close, relativement peu peuplée, mais qui reste soumise à de forts apports démographiques liés aux commerces et à l’industrie. Son marché matrimonial dévoile une structure composite, un véritable puzzle où se mêle l’endogamie, l’apparentement et la consanguinité. Dans ces conditions, il paraît bien difficile de trouver une quelconque unité à la capitale du Comtat qui, du seul point de vue de la biodémographie, n’aurait été qu’un agrégat de populations. Mais l’étude démographique des quartiers de Lyon à la même époque (Zeller, 1983) ne révèle t-elle pas une semblable vision ?

 

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Annexe

 

1590-1609

1690-1709

1780-1792

La Principale

10,25 (100)

14,95 (100)

9,38 (100)

St Agricol

14,60 (142)

32,90 (220)

25,85 (276)

St Didier

13,10 (128)

30,10 (201)

27,69 (295)

St Etienne-La Magdelaine

21,85 (213)

27,25 (182)

22,85 (244)

St Genies

26,20 (256)

30,35 (203)

25,69 (274)

St Pierre

52,45(512)

42,15 (282)

42,07 (449)

St Symphorien

23,95 (234)

44,50 (298)

47,69 (508)

Ensemble, mariages / an

162,4

222,2

200,3

Population estimée

18514

25331

22836

Communauté juive

?

200-300

?

Communauté protestante

?

?

?

Estimation globale

19000-20000

26000–27000

24000-25000

Tableau 9. Estimation de la population par la méthode «du nombre de mariages par an».

Table 9. Estimation of the population by the "the number of marriages per year" method.

 

Figure 1. Représentation de la ville d’Avignon en 1575.

Figure 1. Representation of Avignon city in 1575.