Talbi, J., Khadmaoui, A., Soulaymani, A., Chafik, A. 2006, Caractérisation du comportement matrimonial de la population marocaine. Antropo, 13, 57-67. www.didac.ehu.es/antropo
Caractérisation du comportement matrimonial de la population marocaine
Jalal Talbi1, Abderrazaq Khadmaoui2, Abdelmajid Soulaymani2, Abdelaziz Chafik1
1 Laboratoire d’Anthropogénétique et de Physiopathologie, Université Chouaïb Doukkali, El Jadida, Maroc.
2 Laboratoire de Toxicologie et de Pharmacologie, Unité de Génétique et de Biométrie, Université Ibn Tofail, Kenitra, Maroc.
Auteur chrgé de la correspondance: Jalal Talbi, Rue 92, N°113, Hay Lemsalla, Fkih Ben Salah, Maroc. E-mail: talbija@yahoo.fr
Mots-clés: Maroc, Endogamie, Evolution, Patrimoine socio-culturel.
Keywords: Morocco, Endogamy, Evolution, Socio-cultural heritage.
Le système des alliances dans le monde arabe et islamique dépend dans sa grande partie de son patrimoine culturel et traditionnel. L’endogamie est l’un des comportements matrimoniaux, ainsi motivés, qui caractérisent les populations arabo-musilmanes. Or, en augmentant son homogénéité, cette pratique contribue à l’appauvrissement, aussi bien, du patrimoine génétique que socio-culturel des populations. A l’instar de ces populations, la population marocaine perpétue cette tradition. Cependant, les données sur la situation et l’évolution de l’endogamie au Maroc sont encore rarissimes. Pour caractériser ce comportement matrimonial dans la population marocaine, y étudier son évolution, son impact, ainsi que les différents modèles familiaux, nous avons mené une étude sur 873 couples marocains appartenant à trois générations différentes. Les résultats ont révélé des niveaux d’endogamie spatiale élevés avec un taux d’évolution faible à travers les générations et une grande hétérogénéité selon les régions.
The system of alliances in the Arabian and Islamic world depends on its cultural and traditional heritage. So motivated by this heritage, the endogamy is one of the matrimonial behaviours that characterize the arabo-musilm populations. However, while increasing its homogeneity, this practice contributes to the impoverishment of the genetic and socio-cultural heritage of populations. Like these populations, the Moroccan population perpetuates this tradition. However, data on the situation and the evolution of the endogamy in Morocco still very rare. To characterize this matrimonial behaviour in the Moroccan population, to study its evolution, its impact, as well as the different domestic models, we led a survey on 873 Moroccan couples belonging to three different generations. The results revealed high levels of spatial endogamy with a weak evolution rate through the generations and a big heterogeneity according to the regions.
Assurant l’existence humaine, le mariage reste un des comportements humains les plus importants. En effet, c’est à partir de cette institution sociale que sont décidées la plus part des redistributions des gènes dans les populations au fil des générations (Baali, 1994). Dès lors, ce comportement, très sensible aux mouvements sociaux (Crognier, 1984), constitue un bon indicateur pour l’étude de l’évolution des attitudes matrimoniales (Baali, 1994), et pour l’appréciation de l’évolution du patrimoine génétique de la population lorsque la collecte d’informations biologiques est peu praticable sinon impossible (Sutter et Tabah, 1955).
Toutefois, en tant que comportement individuel, le mariage exprime dans sa variabilité les différents critères gérant le choix du conjoint (Girard, 1964) définissant, ainsi, les différents modèles familiaux. La distribution de ces modèles de familles dans les populations dépend de plusieurs facteurs d’ordre biologiques, socio-économiques, culturels, géographiques… Ainsi, deux régimes matrimoniaux se présentent : un régime panmictique dans lequel les unions entre les individus sont établies au hasard sans aucune forme de choix du conjoint (Roberts, 1976), et un régime d’homogamie qui correspond à un processus de choix matrimonial (Debra et Blackwell, 1998). Levi-Strauss, en 1977 avait précisé qu’il existe différents types d’endogamie : l’endogamie familiale, l’endogamie religieuse, l’endogamie intercommunautaire et l’endogamie spatiale. Toutefois, les contours définissant les groupes endogames sont difficilement identifiables et peuvent fluctuer au cours du temps (Baali, 1994). Par ailleurs plus ces contours sont conservés au cours du temps, plus le degré d’isolement et par la suite d’appauvrissement du patrimoine génétique et socio-culturel de la population augmente.
A l’instar des pays arobo-musilmans, le système des alliances au Maroc est régi par l’ensemble des types d’endogamie sans qu’il y ait assez d’études pour comprendre et caractériser ce comportement et son évolution à l’intérieur de la population marocaine. A travers l’étude d’un échantillon de couples marocains nous avons essayé d’apprécier le niveau et la nature de l’endogamie au Maroc.
1. Enquête
L’étude a porté sur 291 étudiants de l’Université Chouaîb Doukkali d’Eljadida. Ces étudiants présentent la particularité d’appartenir à différentes régions du Maroc. Ils ont été invités à répondre à un questionnaire préétabli à l’unité de Génétique et Biométrie du laboratoire de pharmacologie et de toxicologie de l’Université Ibn Tofail de Kénitra. Sur ce questionnaire ont été recueillies des données généalogiques, biodémographiques, socio-économiques et culturelles portant sur les parents de chaque étudiant avant et après leur mariage (en tant que couple étudié (CE)) et sur leurs grands-parents (grands-parents paternels (GPP) et grands-parents maternels (GPM)). Sur le questionnaire ont été, également, recueillies des données sur les problèmes de santé dans la fratrie de l’interlocuteur et sur les problèmes de la vie reproductive de la mère. Ainsi, nous avons étudié 873 couples du Maroc, répartis sur trois générations de 291 couples. Les couples étudiés ont été établis entre 1940 et 1984.
2. Méthodes de calcul et d’analyses
Les calculs auxquels nous avons fait appel lors de cette étude ont été effectués selon les paramètres étudiés comme suit :
- Les taux de l’endogamie spatiale, de l’homogamie culturelle et de l’homogamie professionnelle ont été calculés comme suit :
[Nombre de couples homogames (endogames)/ Nombre total des couples]x100
- Les taux d’immobilité avant le mariage ont été calculés à l’échelle du lieu et du milieu comme suit :
[Nombre de conjoints qui ont résidé dans leur lieu (milieu) de naissance jusqu’au mariage/ Nombre total des conjoints]x100
- Les taux d’immobilité après le mariage ont été calculés à l’échelle du lieu et du milieu comme suit :
[Nombre de conjoints qui n’ont pas changé leur lieu (milieu) de naissance (résidence) après le mariage/ Nombre total des conjoints]x100
Les données recueillies ont fait l’objet d’une analyse statistique approfondie lors de laquelle nous avons fait appel au test t student, au test de corrélation, chi2 de Pearson et à une analyse factorielle des correspondances.
1. Endogamie spatiale
1.1. Selon le lieu (région) de naissance et de résidence des conjoints
L’étude des couples de notre échantillon témoigne d’une corrélation positive très hautement significative entre les âges des maris et ceux de leurs femmes. Ainsi, plus l’âge des maris est élevé plus celui de leurs femmes l’est aussi (Fig. 1). Toutefois, l’écart entre les conjoints est très hautement significatif puisque la moyenne d’âge des maris atteint 55,88 ans alors que l’âge de leurs femmes est en moyenne de 46,31 ans (Fig. 2). En effet, dans la population marocaine, plus la mariée est moins âgée (voire mineure) plus elle est tolérante, flexible, attentionnée et permissive avec son mari et ses beaux-parents.
Figure 1. Corrélation entre l’âge des maris et celui des femmes
Figure 1. Correlation of ages between husbands and wives
Figure 2. Variabilité de la moyenne d’âge entre les maris et les femmes
Figure 2. Variability of the age average between husbands and wives
Lors d’une étude menée récemment sur des femmes mariées ressortissant de la région de Kenitra (Maroc) âgées de 15 à 40 ans (et donc appartenant à une génération plus récente que celle des femmes de notre étude qui porte, entre autres, sur la région de Kenitra), les maris présentent, également, une moyenne d’âge plus élevée par rapport à celle de leurs femmes (Hami et al, 2005). Toutefois, l’écart entre les âges des conjoints relevé lors de cette étude est moins élevé par rapport à celui que nous avons trouvé dans la notre. Ceci pourrait témoigner d’une certaine évolution de la conception culturelle du comportement matrimonial due à l’ouverture de la population sur les autres cultures sous pression du progrès technologique.
L’étude du métissage géographique et de la mobilité spatiale a révélé une distribution des mariages qui diffère de la distribution panmictique d’une manière très hautement significative. Ainsi, l’endogamie régionale étant très accentuée sur les différentes générations étudiées, témoigne d’une population plutôt fermée. En faite, le taux général d’endogamie parmi les 873 couples est de 91,98% selon le lieu de naissance et atteint 94,62% selon le lieu de résidence (Tab. 1).
|
N |
Taux d’endogamie* |
Taux d’immobilité* |
||||||
Lieu de naissance |
Lieu de résidence |
Maris |
Femmes |
||||||
% |
dl |
% |
dl |
% |
dl |
% |
dl |
||
Population |
873 |
91,98 |
64 |
94,62 |
72 |
96,56 |
64 |
97,48 |
72 |
Couple étudié |
291 |
72,51 |
575 |
78,69 |
460 |
80,41 |
529 |
79,73 |
500 |
Grand parents |
582 |
83,68 |
992 |
84,71 |
1024 |
86,60 |
992 |
87,80 |
1024 |
GPP |
291 |
78,69 |
648 |
78,35 |
650 |
79,08 |
702 |
80,41 |
600 |
GPM |
291 |
77,66 |
700 |
79,38 |
650 |
79,73 |
650 |
80,41 |
675 |
Tableau 1. Taux d’endogamie et d’immobilité. * La distribution des deux types du mariage endogame et de l’immobilité individuelle présentent une différence très hautement significative (p<0.001) par rapport à la distribution théorique et ce pour toutes les générations.
Table 1. Rate of endogamy and immobility. * The distribution of the endogamous marriages and individual immobility presents a very highly meaningful difference (p < 0.001) in relation to the theoretical distribution on all generations.
En considérant les régions, l’endogamie selon le lieu de naissance varie entre un minimum de 57,14% dans la région de Casablanca et un maximum de 92,86% dans la région de Béni Mellal. Selon le lieu de résidence, ce taux varie entre un minimum de 61,90 dans la région Casablanca supposée très ouverte et un maximum de 96,43 toujours dans la région de Béni Mellal (Tab.2).
Ville (Région) |
Endogamie selon le lieu de naissance (%) |
Endogamie selon le lieu de résidence (%) |
Eljadida |
85,43 |
88,40 |
Safi |
88,07 |
90,37 |
Settat |
90,47 |
90,57 |
Khouribga |
75,75 |
82,28 |
Beni Mellal |
92,86 |
96,43 |
Marrakech |
80 |
80 |
Nord |
89,29 |
89,29 |
Sud |
90,48 |
95,24 |
Casa |
57,14 |
61,90 |
Tableau 2. Taux d’endogamie régionale
Table 2. Rate of regional endogamy
En considérant les générations, le taux d’endogamie selon le lieu de naissance est plus faible chez la génération du couple étudié (72,51%) par rapport à celle des GPP (78,69%) et celle des GPM (77,66%) et l’est encore plus par rapport à celui calculé sur les grands-parents groupés (83,68%). Cette différence intergénérationnelle rappelle, en général, celle que présente le taux d’endogamie selon le lieu de résidence puisque la génération du couple étudié présente toujours un taux moins élevé par rapport à la génération des grands-parents (Tab. 1). Cette constatation ratifie le résultat de l’évolution chronologique de l’endogamie sur trois périodes que nous avons trouvé. En effet le taux d’endogamie présente une faible tendance de diminution depuis 1940 jusqu’à 1984, et ce, pour l’endogamie selon le lieu de naissance comme pour l’endogamie selon le lieu de résidence (Tab. 3).
Période |
Taux d’endogamie selon le lieu (%) |
|
de naissance |
de résidence |
|
1940-1965 |
90,63 |
95,31 |
1966-1975 |
81,43 |
88,06 |
1976-1984 |
75,27 |
83,87 |
Tableau 3. Evolution du taux d’endogamie de la population au cours du temps
Table 3. Evolution of the endogamy rate of the population during the time
Cette différence entre les générations a été également trouvée lors de l’étude réalisée sur la région de Kenitra par Hami, en 2005. Toutefois, En dépit du caractère récent des mariages qu’ils ont étudiés, ils ont relevé un taux d’endogamie selon le lieu de naissance de 70,48% et qui atteint 82,08% selon le lieu de résidence. Ces taux ne diffèrent pas beaucoup de ceux calculés lors de la présente étude.
Lors d’une autre étude réalisée sur une population berbère semi-isolée du Haut-Atlas (toujours au Maroc), Baali (1994) a trouvé en étudiant 1281 mariages établis entre 1904 et 1985, que le taux d’endogamie a évolué de 78% à 74% à peine. Ceci témoigne d’une évolution plutôt lente et faible dans le sens d’une exogamie plus ou moins timide imposée par les enjeux socio-économiques, culturels et technologiques évolutifs. En effet, les perspectives socioprofessionnelles et culturelles limitées, instaurent une immobilité sociale intra-populationnelle qui se traduit à l’échelle géographique par une forte endogamie.
Cette thèse trouve son appuie dans les résultats des taux d’immobilité individuelle qui se présentent plus élevés chez la génération des grands-parents par rapport à celle du couple étudié (Tab. 1). Cette évolution infime du taux d’immobilité explique d’une part l’évolution timide de l’endogamie et d’autre part la différence entre le taux d’endogamie selon le lieu de naissance et celui selon le lieu de résidence. En effet, le taux d’endogamie selon le lieu de résidence est en général plus élevé par rapport à celui selon le lieu de naissance ce qui est plutôt normal puisque la résidence est un critère plus probable que le lieu de naissance (Tab. 1, 2, 3).
Par ailleurs, contrairement à la différence du taux que présente l’ensemble des couples et la catégorie du couple étudié, les grands-parents ne présentent aucune différence de taux d’endogamie entre ces deux paramètres. L’immobilité individuelle étant élevée dans la génération des grands-parents, les individus résident toujours dans leurs lieux de naissance. Devenue plus ou moins faible dans la génération du couple étudié, cette immobilité contribue à l’augmentation de la probabilité de mariage entre deux conjoints dont au moins un est un résident qui n’est pas né dans la région (Tab. 1).
Toutefois, l’endogamie dans la population marocaine trouve ses ripostes dans bien d’autres causes que la simple proximité géographique. Selon McPherson et al (2001) ce facteur se combine avec d’autres variables telles que les origines ethniques ou religieuses ou le milieu professionnel qui continuent à rapprocher les groupes d’individus homogènes dans les mêmes espaces. En effet, la représentation sociale du mariage endogame montre que cette tendance comportementale garanti une continuité de la manière d’être sociale, psychologique et professionnelle, une stabilité de vie conjugale et une meilleure dynamique familiale. Dès lors, chaque conjoint n’a pas à s’intégrer dans un nouveau milieu ni à faire des efforts pour répondre aux exigences de l’autre.
A l’échelle de la population, l’endogamie est une forme d’entre aide entre les familles, bénéfique pour les parents et la collectivité renforçant, ainsi, les liens inter et intrafamiliaux (Bou-assy et al, 2003). Selon Bourdieu (1980), l’endogamie a pour effet de contribuer de façon déterminante à créer un groupe intégré et de limiter sa tendance au fractionnement.
L’étude de l’immobilité post-mariage révèle des taux d’immobilité très élevés par rapport au lieu de naissance mais également par rapport au lieu de résidence. Les taux d’immobilité chez les femmes ne diffèrent pas de ceux de leurs maris sur les différentes générations. Ceci témoigne de l’unité de leurs lieux de naissance ou de leurs lieux de résidence et du bénéfice que leur a attribué l’endogamie en continuant à vivre dans leur milieu après le mariage (Tab. 4).
|
N |
Taux d’immobilité post-matrimoniale* |
|||||||
Lieu de naissance |
Lieu de résidence |
||||||||
Maris |
Femmes |
Maris |
Femmes |
||||||
% |
dl |
% |
dl |
% |
dl |
% |
dl |
||
Population |
873 |
88,32 |
64 |
88,43 |
64 |
90,38 |
64 |
90,15 |
72 |
Couple étudié |
291 |
74,91 |
345 |
74,23 |
375 |
79,38 |
345 |
78,01 |
300 |
Grand parents |
582 |
82,99 |
248 |
83,51 |
256 |
83,68 |
256 |
84,02 |
256 |
GPP |
291 |
79,38 |
621 |
80,41 |
552 |
79,73 |
598 |
80,41 |
575 |
GPM |
291 |
76,63 |
575 |
76,63 |
621 |
77,32 |
598 |
77,32 |
575 |
Tableau 4.Taux d’immobilité post-matrimoniale. * La distribution de l’immobilité post-matrimoniale présente une différence très hautement significative (p<0.001) par rapport à la distribution théorique sur toutes les générations et pour les deux conjoints.
Table 4. Rate of post-matrimonial immobility. * The distribution of the post-matrimonial immobility presents a very highly meaningful difference (p < 0.001) in relation to the theoretical distribution on all generations and for the two spouses.
Evoquer le concept de métissage géographique suscite, en effet, de faire appel à la notion des échanges matrimoniaux interrégionaux. Ainsi la proximité géographique s’avère un critère important qui pourrait conditionner ces échanges bien qu’elle ne peut à elle seule définir les limites de la population.
Sur ce, nous avons effectué une analyse factorielle de correspondances entre le lieu de naissance de l’homme et celui de la femme (Fig. 3). Les trois dimensions expriment 37,08 d’inertie de la valeur du Chi2. La figure confirme le taux d’endogamie très élevé que nous avons relevé sur l’ensemble des couples étudiés (91,98%).
En effet, les échanges intra-régionaux dominent, voire masquent, les échanges interrégionaux. Toutefois, nous avons pu marquer certaines tendances préférentielles qui mettent, d’une part, Béni Mellal et Khouribga dans un seul groupe traduisant, ainsi, leur proximité géographique, et d’autre part la région d’Eljadida, Casa et le Nord exprimant la proximité géographique entre Eljadida et Casa. Cette tendance traduit également l’ouverture réciproque entre le Nord, qui présente le portail économique du pays sur l’Europe, et cette région considérée comme le cœur économique du pays. Les autres régions présentent des situations plutôt isolées.
Figure 3. Echanges matrimoniaux intra et interrégionaux dans la population
Figure 3. Matrimonial exchanges between and within regions
1.2. Selon le milieu (environnement) de naissance et de résidence des conjoints
Etant le cadre général au sein duquel sont décidés les critères socio-économiques, professionnels et culturels du choix matrimonial, le milieu d’appartenance est un facteur décisif dans le mariage préférentiel. Parmi les dimensions les plus importantes (outre les dimensions géographiques) qui définissent le milieu d’appartenance, on distingue le milieu rural, reconnu par la dominance des valeurs culturelles traditionnelles instaurant une forte endogamie, et le milieu urbain (l’urbanisme) qui est plutôt symbole de modernisation, d’ouverture, et de panmixie. Toutefois, cette répartition même est devenue un critère de choix matrimonial permettant à l’individu de continuer à vivre dans son environnement social sans difficulté. Le tableau 5 montre que l’endogamie selon ce critère est encore plus importante par rapport à celle selon la région.
|
N |
Taux d’endogamie* |
Taux d’immobilité* |
||||||
Milieu de naissance |
Milieu de résidence |
Maris |
Femmes |
||||||
% |
dl |
% |
dl |
% |
dl |
% |
dl |
||
Population |
873 |
95,07 |
1 |
96,45 |
1 |
97,14 |
1 |
98,28 |
1 |
Couple étudié |
291 |
88,32 |
1 |
91,75 |
1 |
93,13 |
1 |
96,56 |
1 |
Grands-parents |
582 |
98,45 |
1 |
99,14 |
1 |
99,14 |
1 |
99,14 |
1 |
GPP |
291 |
98,62 |
1 |
98,97 |
1 |
98,63 |
1 |
98,97 |
1 |
GPM |
291 |
98,28 |
1 |
98,63 |
1 |
99,66 |
1 |
99,31 |
1 |
Tableau 5. Taux d’endogamie et d’immobilité selon le milieu. * La distribution des deux types du mariage endogame et de l’immobilité individuelle selon le milieu présente une différence très hautement significative (p<0.001) par rapport à la distribution théorique et ce pour toutes les générations.
Table 5. Rate of endogamy and immobility according to the environment . * The distribution of the endogamous marriages and individual immobility according to the environment presents a very highly meaningful difference (p < 0.001) in relation to the theoretical distribution on all generations.
En effet, le milieu de résidence et le milieu de naissance présentent des taux d’endogamie semblables très élevés sur toutes les générations avec une faible diminution dans la génération du couple étudié par rapport à celle des grands-parents. Les taux d’immobilité individuelle très élevés que présente chacun des conjoints sur toutes les générations, expliquent l’ampleur et la ressemblance de l’endogamie selon le lieu de naissance avec celle selon le lieu de résidence (Tab. 5).
Par ailleurs, les taux très élevés d’hommes et de femmes qui continuent à vivre dans leur milieu de naissance ou de résidence après leur mariage explicitent leur attachement à leur milieu et témoignent du bénéfice que leur procure l’endogamie (Tab. 6). En effet, quoique dans la population marocaine les statuts socio-économiques et culturels des deux milieux chevauchent voire se complètent entre eux quelques parts, l’écart entre les deux milieux est encore si important que les échanges matrimoniaux restent encore faibles.
|
N |
Taux d’immobilité post-mariage* |
|||||||
Milieu de naissance |
Milieu de résidence |
||||||||
Maris |
Femmes |
Maris |
Femmes |
||||||
% |
dl |
% |
dl |
% |
dl |
% |
dl |
||
Population |
873 |
80,99 |
1 |
81,79 |
1 |
83,62 |
1 |
82,82 |
1 |
Couple étudié |
291 |
66,32 |
1 |
69,07 |
1 |
73,20 |
1 |
71,13 |
1 |
Grands-parents |
582 |
88,32 |
1 |
88,14 |
1 |
88,83 |
1 |
88,66 |
1 |
GPP |
291 |
89,35 |
1 |
90,03 |
1 |
90,03 |
1 |
90,38 |
1 |
GPM |
291 |
87,29 |
1 |
86,25 |
1 |
87,63 |
1 |
86,94 |
1 |
Tableau 6. Taux d’immobilité post-matrimoniale selon le milieu. * La distribution de l’immobilité post-matrimoniale (selon le milieu) présente une différence très hautement significative (p<0.001) par rapport à la distribution théorique sur toutes les générations et pour les deux conjoints.
Table 6. Rate of post-matrimonial immobility according to the environment). * The distribution of the post-matrimonial immobility (according to the environment) presents a very highly meaningful difference (p < 0.001) in relation to the theoretical distribution on all generations and for the two spouses.
2. Homogamie culturelle
Rapporté par Bou-assy et al (2003), la théorie des représentations sociales, selon Moscovici (dans Abric, 1994), suppose qu’il n’y a pas de coupure entre l’univers extérieur et l’univers intérieur de l’individu ou du groupe. Ceci suggère que le discours ou la pratique de l’individu ou du groupe est, en effet, un comportement social reflétant sa situation psychologique et culturelle. Cette thèse a été confirmée après par Mannoni (1998) selon lequel ces représentations s’enracinent au cœur du dispositif social puisque elles se situent à la jonction du psychologique et du sociologique et sont, en effet, l’élément saillant et signifiant du discours. L’extrapolation de cette thèse à l’échelle des représentations sociales qui se rapportent à l’endogamie en tant que pratique sociale, signifie que ce comportement n’est autre que l’expression sociale d’un besoin psychologique de l’individu, de l’état de l’interaction entre son niveau culturel et les valeurs culturelles et traditionnelles qui définissent la collectivité.
Ainsi, dans le cas de notre population, la description du niveau culturel des conjoints témoigne d’un taux d’analphabétisme qui atteint 88,8% chez les femmes et 60,3% chez les maris (Fig. 4A). Ce taux a évolué de 98,3% et 96,6% chez les GPM et les GPP respectivement (Fig. 4C et Fig. 4D) à 71,5% dans la génération des couples étudiés pour ce qui concerne les femmes (Fig. 4B). Quant aux maris, l’ampleur de l’évolution de ce taux a été plus importante puisqu’il a diminué de 72,5% et 75,6% chez les GPM et les GPP respectivement à 32,6% dans la génération des couples étudiés. Ce recul du taux d’analphabétisme a cédé la place pour que des niveaux plus avancés (secondaire, supérieur), qui étaient quasi-absents dans la génération des grands-parents, deviennent plus ou moins fréquents dans la génération des couples étudiés.
Cette diminution du taux d’analphabétisme entre les deux générations vient pour expliquer la diminution du taux d’endogamie spatiale et du taux d’immobilité que nous avons signalée ci-dessus. En effet, l’analphabétisme présente le terrain adéquat pour la prépondérance des valeurs culturelles traditionnelles repliant, ainsi, le groupe sur lui-même et limitant ses perspectives. Cependant, plus les niveaux culturels avancés sont fréquents, plus les perspectives du groupe se multiplient et plus sa résistance vis-à-vis la récurrence des tendances ancestrales devient plus importante.
Par ailleurs, le niveau d’instruction des maris est généralement plus élevé par rapport à celui des femmes qui présentent le taux d’analphabétisme le plus élevé. Ce résultat a été également trouvé par Hami et al en 2003, ce qui témoigne d’une population qui favorise les hommes. En effet, dans la période étudiée, l’instruction de la femme est de l’ordre de l’accessoire puisque sa tache principale est d’élever les enfants et répondre aux besoins de son époux et de ses beaux-parents. L’homme, par contre, étant le chef de foyer qui tiens la responsabilité en main, doit améliorer son niveau culturel pour augmenter ses connaissances et de là ses perspectives professionnelles et assurer le niveau de vie le plus confortable pour sa famille. Il s’agit, ainsi, d’une population plutôt masculine dans laquelle l’homme contribue dans la situation d’endogamie beaucoup plus que la femme qui subit son choix en tant que tuteur (Père, grand frère) et en tant que mari.
Figure 4. Répartition des niveaux d’instruction chez les maris et les femmes de chaque génération
Figure 4. Distribution of the education levels among husbands and wives of every generation
Le taux de l’homogamie culturelle dans la population atteint en général 62,43%. La génération des grands-parents présente un taux de 74,57% qui a diminué à 38,14% dans la génération des couples étudiés (Tab. 7). Ces taux d’homogamie correspondent presque aux taux de maris illettrés. Ainsi, quoiqu’ils présentent une distribution significativement différente de la distribution théorique, il s’agit plutôt d’une situation d’homogamie imposée par la dominance de la catégorie d’illettrés que d’un choix prémédité.
|
N |
Taux d’homogamie selon le niveau d’instruction |
||
% |
dl |
p |
||
Population |
873 |
62,43 |
9 |
*** |
Couple étudié |
291 |
38,14 |
9 |
*** |
Grand parents |
582 |
74,57 |
3 |
** |
GPP |
291 |
76,98 |
3 |
** |
GPM |
291 |
72,16 |
3 |
NS |
Tableau 7. Taux d’homogamie culturelle dans les différentes générations
Table 7. Rate of cultural homogamy among the different generations
3. Homogamie socioprofessionnelle
Ce qui a été dit sur le niveau culturel est également valable pour le niveau socioprofessionnel qui reflète la situation culturelle de la population. Ainsi le caractère masculin du groupe s’affiche encore par le grand déséquilibre dans la répartition des professions entre les deux sexes. En effet, les hommes monopolisent la totalité des professions ne permettant qu’une faible participation féminine puisque 97,24 % des femmes de la population sont sans emploi (femmes de foyer) (Tab. 8). La répartition des professions montre que le travail agricole et les petites professions libres sont les plus fréquents dans la population. Toutefois, contrairement à toutes les autres professions, seul le travail agricole a régressé depuis la génération des grands-parents vers celle des couples étudiés. Ceci, confirme l’apport positif de l’évolution du niveau culturel dans l’instauration de nouvelles perspectives professionnelles telles que l’administration, l’enseignement, l’industrie, le commerce et d’autres professions libres. Néanmoins, la régression du travail agricole explique également l’évolution du taux d’endogamie spatiale, témoignant, ainsi, du rôle important de l’agriculture dans l’institution d’un système matrimonial endogame dans la population.
Domaine de travail |
Population (%) |
C.E (%) |
GPP (%) |
GPM (%) |
||||
M (/860) |
F (/860) |
M (/279) |
F (/288) |
M (/291) |
F (/291) |
M (/291) |
F (/290) |
|
Libre |
20,50 |
0,69 |
30,47 |
1,39 |
15,12 |
0,69 |
16,49 |
- |
Agricole |
55,16 |
- |
25,10 |
- |
71,13 |
- |
68,38 |
- |
Commercial |
11,12 |
0,12 |
15,41 |
- |
8,25 |
- |
9,62 |
0,34 |
Administratif |
2,20 |
0,69 |
4,66 |
2,08 |
1,03 |
- |
0,69 |
- |
Services |
1,74 |
0,46 |
2,51 |
0,69 |
1,72 |
0,34 |
1,03 |
0,34 |
Industriel |
5,56 |
- |
12,54 |
- |
1,72 |
- |
2,75 |
- |
Enseignement |
1,39 |
0,81 |
4,30 |
2,43 |
- |
- |
- |
- |
Sans |
2,32 |
97,24 |
5,02 |
93,40 |
1,03 |
98,99 |
1,03 |
99,31 |
Tableau 8. Répartition des professions chez les conjoints de chaque génération
Table 8. Distribution of professions among spouses of every generation
Devant un tel déséquilibre de professions entre les deux sexes, la profession du conjoint ne peut être, dans cette population, un critère de choix homogame. L’homogamie qui atteint 3,60% dans la population et 8,24% dans la génération des couples étudiés témoigne de ceci (Tab. 9). Toutefois, en tant que niveau (origine) social, la profession semble être un critère de choix matrimonial. En effet, le taux d’identité de la profession des maris avec celle des pères de leurs femmes atteint 20,07% qui augmente à 51,20% lorsqu’il s’agit de l’identité de la profession entre les pères des deux conjoints. L’attachement à la terre y est encore pour quelque chose puisque le travail agricole présente la proportion majeure de ces taux. En effet, l’agriculteur préfère marier sa fille plutôt à un agriculteur ou fils d’agriculteur puisque 21,88% des maris héritent la même profession de leurs pères dont principalement le travail agricole, leur permettant, ainsi, de s’occuper de l’héritage de leurs femmes tout en y adhérant le leur.
Valeurs en % |
Population |
C.E |
M/Père |
M/PF |
PM/PF |
M/F |
M/F |
||||
Homogamie Source d’homogamie |
3,60 |
8,24 |
21,86 |
20,07 |
51,20 |
Libre |
0,23 |
0,36 |
3,23 |
5,02 |
1,72 |
Agricole |
- |
- |
17,20 |
13,98 |
48,80 |
Commercial |
0,12 |
- |
1,43 |
0,72 |
0,34 |
Administratif |
0,47 |
1,43 |
- |
- |
- |
Services |
- |
- |
- |
- |
- |
Industriel |
- |
- |
- |
- |
0,34 |
Enseignement |
0,47 |
1,43 |
- |
- |
- |
Sans |
2,33 |
5,02 |
- |
0,36 |
- |
Tableau 9. Taux d’homogamie selon la profession et l’origine socio-professionelle des conjoints
Table 9. Rate of homogamy according to the profession and the socio-professional origin of spouses
M : Mari (husband)/ F : Femme (wife) / PF : Père de la femme (wife’s father)/ PM : Père du mari (husband’s father)
En général, l’endogamie dans la population marocaine tend à diminuer d’une génération à une autre. Toutefois, le rythme de cette diminution y est encore très faible sous le témoignage d’études sur des populations plus récentes qui présentent des taux encore élevés (Hami et al, 2003). L’évolution de cette pratique matrimoniale dans la population marocaine répond à l’évolution du statut culturel et socio-professionnel de la collectivité. L’analphabétisme, la perpétuation des valeurs culturelles traditionnelles et l’attachement des individus à la terre et au travail agricole semblent être la motivation principale du mariage préférentiel.
En effet, ce type de mariage semble procurer à la population un confort social et une stabilité socio-économique. Il assure la continuité de l’appartenance de l’individu au groupe, renforce la solidarité collective et consolide les liens interfamiliaux au sein de la population. La question reste, cependant, à quel point la richesse génétique et culturelle de la population est elle affectée à cause de la perpétuation de ce comportement?
Références bibliographiques
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