Artículo de revisión – Review article

Susanne, C., 2006, ET NOUS SOMMES NES... ! Tentative d’analyse anthropologique de la sexualité. Antropo, 13, 1-17. www.didac.ehu.es/antropo


 

ET NOUS SOMMES NES... !

Tentative d’analyse anthropologique de la sexualité

 

AND WE WERE BORN...!

An attempt of anthropological analysis of the sexuality

 

Charles Susanne

 

Lab. Anthropologie. Vrije Universiteit Brussel. Pleinlaan 2. 1050 Bruxelles, Belgique.

E-mail: scharles@vub.ac.be

 

Mots clés: sexualité, évolution humaine

 

Keywords: sexuality, human evolution

 

Résumé

L'histoire de la lignée humaine ne peut se résumer à une liste de date et d'espèces. C'est une histoire d'individus qui se reproduisent, se nourrissent, luttent contre les prédateurs et éduquent leurs enfants. Les fossiles n'étaient pas "fossiles".

La sexualité est un facteur important de cette vie humaine, un guide invisible de beaucoup de nos actions, la victoire de la vie sur la mort, "l'immortalité" de la transmission de nos gènes.

En tant qu'anthropologues, nous nous devons de comprendre cette sexualité et d'expliquer son importance sociale, en termes de mariage, relations sexuelles, conception, naissance, puberté, parenté, ... Quels en sont les fondements biologiques? Et comment ces fondements peuvent être influencés par la culture?

En termes sexuels, il s'agit d'ailleurs de distinguer ce qu'en anglais est appelé "sex" ou "gender". Le sexe correspond aux différences biologiques entre hommes et femmes, comme les différences visibles des organes génitaux externes. "Gender" (ou genre) est la classification masculine-féminine en termes culturels, psychologiques et sociaux, qui se surimpose donc aux différences biologiques.

 

Abstract

The history of the human group cannot be summarised by a list of periods and species. It is a history of individuals who reproduce, eat, struggle against predators and teach their children. Fossils were not "fossil".

The sexuality is an important centre of this human life, an invisible guide of many of our actions, the victory of life on death, the "immortality" of the transmission of our genes.

As anthropologists, we must understand our sexuality and explain its social importance, in terms of marriage, sexual relationships, conception, birth, puberty, parenthood, ... What are the biological foundations? And how these foundations can be influenced by culture?

In sexual terms, we have moreover to distinguish between sex and gender. Sex corresponds to biological differences between men and women, as the visible differences of the external genital organs. Gender is the masculine – feminine classification in cultural, psychological and social terms, which is a surimposition to the biological differences.

 

1. Introduction

L'histoire de la lignée humaine ne peut se résumer à une liste de date et d'espèces. C'est une histoire d'individus qui se reproduisent, se nourrissent, luttent contre les prédateurs et éduquent leurs enfants. Les fossiles n'étaient pas "fossiles" et l'étude de l’évolution ne se limite pas à l'étude de la bipédie ou du cerveau: la vie s'est construite à partir de rencontres, de croisements, d'adaptations.

La sexualité est un facteur important de cette vie humaine, un guide invisible de beaucoup de nos actions, la victoire de la vie sur la mort, " l'immortalité " de la transmission de nos gènes. Les poètes essaient de décrire nos passions, les juristes d'en définir les règles, et les prêtres de les contrôler, voire de les brimer.

Les besoins (biologiques) sexuels humains sont uniques tant ils sont influencés par des facteurs culturels et sociaux. Aucun de nos besoins n’est sujet à autant de dimensions normatives, morales, religieuses, légales que le comportement sexuel.

En tant qu'anthropologues, nous nous devons de comprendre cette sexualité et d'expliquer son importance sociale, en termes de mariage, relations sexuelles, conception, naissance, puberté, parenté, ... Quels en sont les fondements biologiques? Et comment ces fondements peuvent être influencés par la culture? Comment faut-il distinguer sexe et genre (le gender des anglophones)? Nous pouvons nous attendre naturellement à un mélange très étroit nature-culture.

En termes anthropologiques, sexe et amour seront considérés le plus souvent comme des moments magiques et mystérieux, un instrument de désirs et d'émotions parfois incontrôlées. Les Grecs distinguaient d'ailleurs dans le terme amour, eros pour la passion de l'amour sexuel et agape pour l'attachement non-sexuel à un autre être, dans la mythologie grecque eros et agape étaient souvent en conflit.

En termes sexuels, il s'agit d'ailleurs de distinguer ce qu'en anglais est appelé "sex" ou "gender". Le sexe correspond aux différences biologiques entre hommes et femmes, comme les différences visibles des organes génitaux externes. "Gender" (ou genre) est la classification masculine-féminine en termes culturels, psychologiques et sociaux, qui se surimpose donc aux différences biologiques. Les études ethnographiques illustrent les variétés culturelles entre sexe et genre. Par exemple, chez les Arapesh de Nouvelle-Guinée, hommes et femmes se comportent naturellement de manière "féminine" et chaque sexe s'occupe des soins aux enfants. Chez les Tchambuli de Nouvelle-Guinée, les deux genres existent mais ce sont les femmes qui ont le pouvoir économique et les hommes qui ont un intérêt pour l'esthétisme. Les Nairs, une caste guerrière du Kerala, ont une société matriarcale, les hommes appartiennent uniquement à la famille maternelle. Les Minangkabau d’Indonésie sont également matriarcaux et les femmes héritent des propriétés. Chez les chimpanzés, et spécialement les bonobos, la dominance des mâles n’est pas évidente: les mâles restent attachés à leur mère pendant leur vie et leur statut dans la troupe dépend du statut de leur mère.

Après des siècles de proscription, et des mythes parfois encore résistants, notre compréhension biologique et anthropologique de la sexualité humaine se clarifie en termes d'évolution de l'Homme au sein du règne animal. Ces connaissances de la sexualité humaine sont plus profondes que l'on ne réalise parfois, elles ont des impacts sociaux importants et rencontrent nos voeux de contrôler nos propres vies. Par exemple, le contrôle biologique permet aussi bien de vaincre l'infertilité que de nous aider à ne pas avoir d'enfants (ou d’avoir un nombre limité d'enfants).

Pour la Bible, la côte de l’homme est importante dans nos origines mais pour l’anthropologie et les sciences de l’évolution ce serait plutôt la hanche et le bassin ! C’est la forme du bassin humain qui est liée à la bipédie, mais qui rend l’accouchement difficile, celui-ci devenant, par l’aide dont la femme enceinte a besoin, un acte social. De plus, les dimensions de la tête étant plus élevées chez le nouveau-né humain que chez les Pongidés, la naissance humaine est relativement prématurée nécessitant une longue protection des nouveau-nés. D’autre part, par rapport aux chimpanzés, la réceptivité sexuelle de la femme est constante, la position ventrale de la copulation est unique également dans le monde animal, comme l’est d’ailleurs également l’orgasme féminin.

 

2. Reproduction sexuée

L'être humain est naturellement issu d'une reproduction sexuée. Même si le clonage deviendra réalisable et même si la fécondation in vitro se pratique à une large échelle, le plaisir de la "reproduction artisanale et très peu coûteuse" restera la règle.

Qu'on le veuille ou non, objets de fantasme, sources de plaisir, nos appareils reproducteurs assurent la lourde responsabilité de faire perdurer notre espèce.

Dans le monde animal, la reproduction asexuée existe chez les bactéries et les protozoaires par divisions mitotiques, ou chez les animaux coloniaux par bourgeonnement tels par exemple que les bryozoaires, les hydres, les coraux, ... Il s'agit d'un mode de reproduction où le potentiel génétique ne varie que très peu et où il est donc adapté à des niches écologiques très stables.

Mais, seul la reproduction sexuée crée une variation génétique par recombinaison des matériels génétiques parentaux. Si l'on prend l'exemple humain, sans tenir compte des mutations et des recombinaisons génétiques dues au crossing-over, un simple calcul montre que la seule recombinaison des chromosomes paternels et maternels donne à l'enfant 223 x 223 (8 388 608 x 8 388 608 = 70 368 744 178) combinaisons possibles !

Les chromosomes X et Y contiennent 300 millions d’années d’histoire de l’évolution de la détermination sexuelle chez les mammifères. L’analyse du génome humain révèle environ 1100 gènes au niveau du chromosome X pour seulement 76 au niveau du chromosome Y.

Pendant les premières semaines, le sexe de l’embryon est indéterminé. Le déclencheur de la différentiation sexuelle sera le gène SRY, situé sur le chromosome Y, qui orientera le sexe vers le sexe masculin par le développement des testicules. Ceux-ci vont alors produire la testostérone et l’hormone anti-mullérienne (supprimant le développement du système reproducteur féminin). Notre sexe dépend donc de nos gènes et de nos hormones et nous serons clairement homme ou femme. Des conditions intersexuelles existent, mais elles sont exceptionnelles (environ 1 cas sur 12000).

Ainsi, la distinction est aisée entre les 46, XX et 46, XY, si ce n'est que pendant le développement de l'enfant le sexe et le genre masculin-féminin peuvent se nuancer et même diverger et si ce n'est que les structures sociales attribuent certaines fonctions à chaque sexe.

En chacun de nous, il y a une double réalité, l'individu dépendant de sa conformation chromosomique et de son potentiel génétique en général et la personne humaine immergée dans, et générée par, une communauté humaine. Notre genre est donc un concept plus complexe que le sexe, il inclut des rôles sociaux, de la psychologie de féminité et de masculinité. Le genre montre une considérable variation et chaque personne présente une combinaison à des degrés divers de féminité et de masculinité.

 

3. L'evolution

Pendant plus de 5 millions d'années, les Hommes ont vécu comme des communautés de chasseurs-cueilleurs. Ce n'est que depuis 10.000 ans (500 générations) qu'ils se sont sédentarisés, depuis 200 ans environ qu'une culture industrielle s'est développée. Actuellement les développements culturels s'accumulent de manière exponentielle et semblent même parfois nous dépasser. Mais que représentent en termes d'évolution (humaine) ces 200 ans (20 générations, 1/25000ième de l'évolution humaine, 1/20000000ième de l'ensemble de l'évolution!).

L'évolution est à l'origine de l'énorme variété d'espèces vivantes. Darwin dès 1859 lia l'origine des espèces au succès reproductif et ruinera petit à petit des siècles de spéculations poétiques, de raisonnements philosophiques et de "vérités" religieuses. L'évolution est largement acceptée par le monde scientifique, même si ce concept reste dérangeant pour beaucoup de religieux.

Certains en sont restés, en effet, au concept pré-darwinien de création divine et au concept que la complexité du monde vivant est la preuve même d'une présence divine (l'horloger ou watchmaker des philosophes du 19ième siècle (Paley, 1828) ou le dessein intelligent, intelligent design, d'aujourd'hui). En fait, l'horloger est aveugle (Blind Watchmaker, R. Dawkins, 1986) et le dessein "intelligent" le résultat de la roulette russe correspondant aux processus aléatoires de l'évolution bien expliqués par la biologie néo-darwinienne.

Toutes les sociétés ont eu leurs mythes créateurs et aussi leurs croyances sur la sexualité et sur l'origine de la vie humaine. Dans les cultures occidentales, la pensée d'Aristote a eu longtemps une influence considérable. Pour Aristote, l'embryon humain est produit par la "semence" de l'homme nourri par le sang menstruel, l'oeuf est formé par coagulation de la semence masculine dans le corps féminin. Il y ajoute la notion d'âme, successivement l'âme végétative dans les premiers stades embryonnaires, puis sensitive lorsque la mère perçoit les premiers mouvements (l'animal reste à ce stade) et enfin rationnelle d'origine divine et nous séparant des autres animaux.

Au 13ième siècle, Thomas d'Aquin continue à accepter ce concept, l'être humain est d'abord une chose vivante, puis un animal et enfin un homme. Pour cette raison, l'avortement était permis et il était conseillé de ne pas baptiser l'enfant trop tôt avant qu'il n'ait acquis l'âme rationnelle. Ce n'est qu'en 1869 que le pape Pie IX déclara l'avortement à tous les stades de la vie embryonnaire comme punissable.

Leonardo da Vinci dans ses dessins anatomiques conservait l'idée aristotélienne de l'origine de la semence à savoir la chorde spinale (et non les testicules) transmise par différents nerfs au pénis. Un conduit lie l'utérus aux seins, le lait étant supposé trouvé son origine dans le sang menstruel. Ce n'est que dans la première moitié du 17ième siècle que William Harvey déclare que la semence masculine fertilise l'oeuf de la femme et que la matrice conçoit l'embryon.

La méthode expérimentale permettra d'affiner ces notions, lorsque par exemple Reinier De Graaf (1641-1673) décrit les follicules ovariens et Antonie van Leeuwenhoek (1632-1723) observe les spermatozoïdes (appelés animalcules) au microscope.

L'oeuf devient la base essentielle de la procréation, il contient un programme préétabli de développement (le préformationnisme oviste). D'autres, cependant, vont considérer les animalcules spermatiques comme préformés.

Ce n'est qu'en 1827 que l'Allemand Karl von Baer observe un ovule de mammifère et en 1875 que le belge Edouard van Beneden décrit la fertilisation et ce ne sera qu'en 1875 qu'Oscar Hertwig (1849-1922) décrivit la fécondation (un seul spermatozoïde pénétrant l'ovule) et la fusion des deux noyaux spermatique et ovulaire (la syngamie). Le problème essentiel de l'hérédité ne sera décrit qu'au 20ième siècle.

Les dualismes corps-âme et hommes-animaux n'ont plus de base biologique, même s'ils continuent à imprégner nos sociétés occidentales.

 

4. Le choix matrimonial

La sélection sexuelle, contrairement à la sélection naturelle, n'est pas une "lutte pour la vie" mais elle est liée aux caractéristiques du choix des partenaires et des habitudes de vie. Sa compréhension dans les populations humaines varie considérablement en fonction du contexte culturel, et est sensible à de nombreuses conditions sociales et écologiques.

La reproduction sexuée implique naturellement un choix de partenaires. Même dans des populations d'origine européenne, où le libre choix du partenaire existe et où les mariages se déterminent par amour, l'analyse des données de mariage montre la présence de barrières de différentes origines. Ces barrières limitent les populations en groupes (ou cercles) de mariages. Un outil utile dans l'étude des barrières géographiques est celui des distances matrimoniales, à savoir la distance géographique séparant les lieux de naissances des partenaires ou leur lieu de résidence avant le mariage (Lepage, 1978).

Le concept de migration matrimoniale est fondamental pour de nombreux problèmes d'anthropologie. Le flux génique entre populations avoisinantes permet de comprendre la structure génétique des populations humaines ainsi que la sélection matrimoniale. Wright (1943) a appelé les limitations que la distance impose au mouvement "isolation par distance". Malécot (1950) a étudié ces limitations en termes de diminution avec la distance des corrélations entre populations: le coefficient de kinship entre populations avoisinantes sera plus élevé que celui entre populations plus distantes. En conséquence, des réseaux de migrations sont des facteurs importants dans la détermination de la structure génétique des populations et dans l'organisation de l'espèce humaine en unités mendéliennes, les migrations étant le véhicule du flux génique. Ces réseaux de mouvements sont très variés, l'exogamie et l'endogamie spatiale permettant d'étudier la correspondance entre unités géographiques et génétiques.

Naturellement, la distance n'est pas le seul facteur influençant la rencontre de partenaires et leur mariage. A distance équivalente, la proportion de mariages dépendra du nombre de personnes appropriées en termes de nationalité, de groupe ethnique, de statut socio-économique, de profession, d'âge, de religion, ... mais aussi de la densité de lieux de rencontre potentielle tels qu'écoles, centres récréatifs, centres commerciaux, clubs sportifs, ...

L'homogamie socio-économique est souvent élevée (Susanne, 1974, 1979): elle est liée en réalité au concept de connaissance du voisinage (Boyce et coll., 1967), le district résidentiel étant directement lié au niveau social des parents. Le choix du voisinage est lui-même corrélé aux possibilités de rencontres socioculturelles, aux types d'écoles fréquentées et donc indirectement au niveau d'éducation.

Ainsi, dans la définition du cercle de mariage, le choix du partenaire est sérieusement limité par les tendances à l'homogamie raciale, ethnique, philosophique, socio-économique, linguistique, politique, géographique, de statut professionnel, de niveau d'études, d'âge ou d'état civil. Le "choix" du partenaire est en fait typique de ce que la population "autorise": lieu et circonstances de rencontre des futurs partenaires sont caractéristiques de la population étudiée et des normes tolérées (Cavalli-Sforza, 1986).

Et la beauté dans tout cela. Le critère de beauté y est pour peu de choses, le critère de beauté est un jugement essentiellement social, culturel et individuel, donc d'une extrême variabilité. Comme le disait Voltaire, pour un crapaud c'est sa crapaude qui est belle ! Dans ce contexte social, les signes de son clan sont inscrits sur son corps et même souvent dans sa peau. L'Homme dessine son corps et s'efforce de le marquer d'artifices, par des tatouages, des scarifications, des peintures, une parure, une coiffure …. Chaque groupe définit son esthétique: le pied de la Chinoise bandé et ligaturé, le cou de la Birmane allongé et déformé par des anneaux, le tatouage en Polynésie, le cou fin et les yeux de génisse des Ouolofs du Sénégal … parfois des dents limées, des lèvres prolongées de plateaux, des narines percées, des parties du corps scarifiées… et très souvent un léger embonpoint, surtout des fesses, chez les hottentots d’Afrique australe. La danse intègre "ces beautés" au mouvement, au vêtement et à la parure.

 

5. Familles et organisation sociale

Si une vie de groupes se retrouve chez d'autres mammifères, tels que loups, chiens sauvages ou éléphants, le plus souvent cependant mâles et femelles vivent sur des territoires séparés ne se rencontrant qu'aux périodes où la femelle est réceptive. Les groupes sociaux mixtes caractérisent, au contraire, les Primates.

Chez les primates, les membres d’un groupe social seront tour à tour partenaires sexuels, partenaires de jeux ou de grooming, compétiteurs pour la nutrition, partenaires alliés dans des oppositions agressives, protecteurs des jeunes, collaborateurs dans des rencontres entre groupes différents, etc... Les interactions sont donc nombreuses, même chez des espèces solitaires: elles favorisent le fitness du groupe social lui-même. Dans le cas de grooming (fonction hygiénique de déparasitage mais aussi d'établissement de relations amicales), d'alarme aux prédateurs ou d'alliance contre un individu plus dominant, certains auteurs parlent même de comportement altruiste. Les chimpanzés ont des relations sociales intenses avec un besoin continu de se rassurer par attouchements, embrassades, baisers, "grooming"; le statut social se gagne plus par alliance au sein de la troupe, menant à un système bien orchestré de dominance.

Les stratégies sociales chez les Primates sont liées à des facteurs écologiques: le risque de prédation peut stimuler la formation des grands groupes de défense alors qu'au contraire une compétition pour des ressources alimentaires limitées peut résulter en une dispersion du groupe.

Chez les chimpanzés, les mâles (souvent des mâles apparentés) forment le corps du groupe, ils défendent une zone commune: cette zone est partagée avec des femelles s'approvisionnant avec leurs jeunes. Les préférences de relation sexuelle sont variables, certaines femelles ne s'accouplent qu'à un seul mâle, d'autres avec plusieurs mâles.

Le système ancestral des premiers Hominidés aurait pu être équivalent à celui des chimpanzés puisque ceux-ci sont nos parents les plus proches et qu'ils occupent un biotope, à la lisière de la forêt et de la savane, probablement similaire à celui des premiers Hominidés. Nous savons que les premiers Hommes exploiteront plus la savane, le système "matrimonial" devra s'adapter à ce nouvel environnement. Les adaptations appropriées sont liées à la distribution des ressources et aux possibilités d'approvisionnement: une mère Hominidée portant ses enfants sans défense n'a que des possibilités limitées à ce niveau. Ce facteur lié à la pression de prédateurs peut laisser suggérer que l'homme doit protéger cette unité familiale. Environnement, enfants sans défense, bipédie amènent, en combinaison, à la structure des premières familles humaines.

Ces groupes familiaux étaient favorisés par le nouveau comportement sexuel, la réceptivité permanente de la femme: la perte de l'œstrus permet cette plus grande réceptivité et ouvre à la possibilité du choix d’un partenaire ainsi qu’à une plus grande compatibilité sociale.

Dans les tribus africaines actuelles de chasseurs-cueilleurs, l’Homme vit dans de petits groupes de 20 à 50 individus, occupant un territoire bien défini; ils chassent ensemble et ont des obligations sociales vis-à-vis des individus plus âgés par exemple. Ces groupes locaux font partie de populations régionales plus grandes d'environ 500 individus.

Chez les chasseurs-cueilleurs, c'est souvent l'environnement qui détermine les dimensions du groupe. En cas d'abondance, les groupes sont grands et peuvent même se réunir en camps. Lorsque la nourriture se fait plus rare, le groupe devient moins grand et peut même être limité au noyau familial. Leur organisation sociale n'est pas permanente, elle est flexible, les regroupements ou les dissociations dépendant des ressources.

Pour de courtes périodes, de chasses ou de rituels par exemple, différentes populations régionales se rassemblent et des échanges de partenaires de mariage peuvent s'effectuer. Les mariages sont exogames de telle manière qu'inceste mais aussi haut taux de consanguinité peuvent être évités.

L'existence d'exogamie requiert une structure sociale assemblant plusieurs groupes et favorisant l'échange de partenaires matrimoniaux. Dans notre (pré)histoire, un mariage n'était pas (uniquement) un contrat entre deux personnes mais entre deux groupes.

Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs actuels, ayant peu ou pas de biens, et aucune propriété, la relation homme-femme tend à être égalitaire, la virginité n'est pas spécialement appréciée et le divorce n'est qu'une séparation lorsque l'affection s'est refroidie. Dans les sociétés qui se sédentarisent, où le pouvoir se lie à la possession de propriétés agraires, l'inégalité des sexes augmente et dans les cas extrêmes la femme sera considérée ni plus ni moins que comme le cheptel du mari.

Une caractéristique de la relation sexuelle du Primate est sa flexibilité. Il n'y a donc pas de raison d'imaginer que l'Homme aurait perdu cette flexibilité pendant son évolution, même si la pression sexuelle sur la femme est augmentée par la plus longue dépendance des enfants chez Homo sapiens: la monogamie a probablement découlé de cette situation. La monogamie est aussi de règle dans les populations actuelles de chasseurs-cueilleurs, même s'ils peuvent avoir différents partenaires au cours de leur vie et même si, dans des sociétés agricoles, une polygamie apparaît pour quelques hommes suffisamment riches.

Dans les populations humaines actuelles, de considérables variations existent. La polyandrie est cependant rare (c'est le cas cependant au Tibet, une femme s'associant à plusieurs hommes, souvent des frères): cette situation est souvent liée à des conditions environnementales de limitation de ressources alimentaires et à l'infanticide des filles limitant le nombre de jeunes filles nubiles. Un recensement mondial classerait la majorité des familles comme monogames, bien que nombre de sociétés soient polygynes: 70% des cultures humaines peuvent être considérées comme polygynes, même si la majorité des couples y restent monogames, la polygynie restant limitée aux hommes de statut social élevé.

La monogamie, pour être favorable à l'augmentation du succès reproductif, doit être liée à une meilleure protection parentale, à l'assistance de l'homme à la femme pour protéger, porter et éduquer des enfants, à une sélection de l'homme par la femme, à une protection territoriale.

Notre espèce, comparée à d'autres Primates, présente un investissement parental du père plus important. Dans toutes les sociétés de chasseurs-cueilleurs, le mariage est présent, pas nécessairement monogame et pas nécessairement stable; la femme y cherche l'homme robuste et/ou intelligent, aidant à la protection de l'enfant, même si l'homme n'est pas toujours attentionné. A l’origine, l'attention n'est pas d'offrir des fleurs mais d'apporter de la nourriture en cadeau ! Cette structure implique donc une attraction mutuelle au sein du couple, elle peut être influencée par des facteurs de type socio-économique.

L'Homme a combiné la stratégie reproductive des Primates avec une vie sexuelle variée et de multiples arrangements sociaux et culturels pour réguler la sexualité. C'est cette riche combinaison, de la biologie et de la culture, qui domine nos pensées, règle la majeure partie de notre vie et se retrouve dans notre comportement social. Le mammifère est d'un sexe déterminé, l'Homme peut développer une psychologie sexuelle ("gender") nuançant son sexe biologique et éventuellement contradictoire à celui-ci.

Pratiquement dans toutes les sociétés, l'homme se "bat" pour le pouvoir, l'aisance, le statut, au point que cela en devient parfois une fin en soi et que certains anthropologues le lient au comportement sexuel. Il est vrai que l'influence et le prestige permettent dans toutes les sociétés de "séduire" les femmes. Même dans des sociétés de chasseurs-cueilleurs, où les biens matériels sont minimes, le bon chasseur et l'homme charismatique aura accès à plus de partenaires sexuels et aura plus d'enfants.

En termes évolutifs, les comportements des premières populations humaines pourraient avoir changé sous forme de:

- plus longue réceptivité de la femme;

- plus fréquentes initiatives de séduction prises par la femme;

- activités sexuelles (érotiques) plus variables;

- influence réduite des phéromones, ou substances olfactives produites par le corps (les régions olfactives du cortex de l’Homme sont moins bien développées, au contraire des régions corticales visuelles et auditives ainsi que du cortex moteur);

- disparition des signaux visuels de réceptivité (gonflement et rougeur des zones génitales femelles).

La femme initiera de plus en plus l'activité sexuelle et engagera la relation sexuelle par des gestes, des positions, des expressions faciales.... Elle peut choisir de faire ou de ne pas faire l'amour, elle peut choisir son partenaire. La sexualité commence à devenir moins dépendante de facteurs physiologiques que de facteurs psychosociaux.

Cette évolution est donc probablement liée en partie au développement cortical cérébral et en partie à la bipédie. Au niveau cérébral, en particulier au niveau frontal et pariétal, le cortex contrôle l'excitation et l'inhibition: différents stimuli de signification non directement biologique peuvent jouer un rôle, ils sont sous contrôle conscient. La bipédie a probablement aussi influencé la position de copulation par une augmentation de fréquence de la position face à face (position fréquente chez le chimpanzé bonobo): la bipédie est liée, en effet, au développement fessier (rendant la pénétration par l'arrière plus difficile), à la position ventrale des caractères épigamétiques et à l'adoption d'une position de repos horizontale.

Si dans les populations de chasseurs-cueilleurs, comme les San Bushmen (Afrique australe), les jeunes gens ont une relative liberté de choix de leur partenaire (et de changement de partenaire), les caractéristiques de mariage changent avec la complexité de la société. Typiquement humaine est, en effet, la cérémonie de mariage présente sous une forme ou une autre dans toutes les cultures humaines; elle permet de lier différentes familles et/ou clans. Elle ne permet pas la vie sexuelle libre, elle la limite puisque l'accès sexuel devient interdit avec des personnes tierces. Les partenaires promettent de donner leur faveurs sexuelles au sein du mariage et l'homme promet de protéger ses enfants.

Le besoin du mariage dans les sociétés humaines a toujours été de réguler l'accès sexuel, l'homme et la femme ayant une réceptivité sexuelle potentiellement continue contrairement à la plupart des mammifères. La compétition sexuelle est donc régulée par le mariage. Naturellement celui-ci régule aussi l'organisation du travail entre hommes et femmes, la responsabilité des soins aux enfants. Mariage et famille reposent cependant sur des critères culturels, et diffèrent donc largement dans les sociétés humaines. Dans beaucoup de populations, le mariage lie souvent les intérêts de groupes sociaux et économiques et il peut donc être "arrangé". Actuellement, les réalités des sociétés occidentales diffèrent souvent de la famille nucléaire classique: haut taux de divorce, union voire mariage entre partenaires de même sexe, familles monoparentales, unions non mariées légalement. La relation se bâtit sur une vie sexuelle privée, non liée à la reproduction. Curieusement, le choix du partenaire chez l'homme reste souvent laissé à la société: les parents, d'autres apparentés, les astrologues (même l'ordinateur aujourd'hui) peuvent arranger le mariage.

 

6. L'homme, ce primate (Susanne et coll, 2003)

La similitude génétique des primates est aujourd'hui bien connue: les analyses de séquençage du génome ont montré que nous possédons avec le chimpanzé plus de 99,5% de similitude. Si "vous êtes un singe" reste une insulte, ce n'est donc plus qu'une insulte à 0,5% !

Ce qui nous différencie le plus de nos cousins, chimpanzés ou gorilles, est probablement d'une part la bipédie et d'autre part le développement de la boîte crânienne. Ces deux différences ont une influence sur la parturition.

 

6.1. La bipédie

La situation bipède est adaptée à la vie en savane où il est important de pouvoir repérer à distance aussi bien les proies que les prédateurs. De plus, la locomotion bipède laisse les mains libre pour porter des objets, et donc de plus grandes quantités de nourriture.

Le comportement bipède n’est pas le propre de l’Homme. Par exemple, les grands singes, comme le chimpanzé commun (Pan troglodytes) et le chimpanzé pygmée ou bonobo (Pan paniscus), se déplacent au sol à la fois en quadrupédie et en bipédie. Ils peuvent se tenir debout immobiles pendant quelques instants. Leur marche bipède, nettement moins fréquente que la quadrupédie, leur est surtout utile pour porter des objets, des aliments, ou encore un juvénile pour la femelle. Ce sont donc des bipèdes occasionnels car ils possèdent au moins un, sinon plusieurs, autre mode de locomotion qu’ils utilisent prioritairement.

En revanche, l’Homme est bipède permanent car ses autres possibilités locomotrices sont si restreintes qu’on peut les considérer comme inexistantes. Du point de vue fonctionnel, la bipédie humaine diffère principalement de celle des autres Primates par deux caractéristiques: (1) La possibilité de rester debout immobile pendant longtemps, et (2) celle de courir. Du point de vue morphologique, la bipédie humaine s’accompagne de caractères nouveaux, mis en place au cours de l’évolution, qui servent à optimiser les conditions statiques et dynamiques de la bipédie. C’est le cas notamment au niveau du bassin.

Le bipédisme a aussi d'étonnantes répercussions sur la sexualité. En passant en position debout, l'homme et la femme ont spontanément mis en avant ou dissimulé certains de leurs caractères sexuels vis-à-vis de leurs partenaires et autres congénères. L'homme a ainsi pu exhiber fièrement son pénis alors que la femme, au contraire, a dissimulé ces organes génitaux entre ses cuisses. Cette évolution n'est pas anodine car au delà de son sexe, ce qui a disparu chez la femme, c'est la manifestation physique de la période d'ovulation: ce qu'on appelle l'oestrus. Cette manifestation très courante chez les primates (chimpanzé, babouins, macaques, ...) permet aux femelles de signaler au mâle qu'elles sont fécondables, en arborant des parties génitales métamorphosées: quelques jours avant l'ovulation, la région périgénitale gonfle de manière spectaculaire et prend une couleur rose vive ce qui est un signe pour le mâle ! La femelle est prête à accepter des approches. Dans l'espèce humaine redressée en position debout, aucun signe visuel équivalent ne se manifeste puisque la femelle cache son sexe entre ses jambes. La sexualité devient donc moins dépendante de facteurs physiologiques que de facteurs psychosociaux. Bref, la femme accepte désormais de s'accoupler tout au long de l'année et l'acte sexuel n'est plus lié à l'oestrus.

 

6.2. La croissance foetale

Les Primates, en général, sont caractérisés par des portées limitées, une période d'allaitement longue, une maturité sexuelle tardive, une gestation relativement longue et un investissement maternel important. Les nouveau-nés humains sont relativement peu développés en relation avec le grand développement cérébral et les dimensions proportionnellement réduites du bassin. Nous donnons naissance à des nouveau-nés neurologiquement immatures et sans défense.

La gestation humaine est relativement courte comparée à la période de croissance postnatale: comparée aux différents Primates et même aux grands singes (Pongidés et Panidés), la période totale de croissance postnatale est plus longue (deux fois plus longue que chez les grands singes) alors que la période de gestation est relativement identique.

 

6.3.    Le bassin

Le bassin s'est adapté à cette situation debout. Le dispositif osseux, couplé à un solide plancher pelvien musculo-tendineux, permet aussi de contrebalancer l'effet de la pesanteur sur l'utérus gravide.

L'Homme a acquis certains traits squelettiques liés à la bipédie, comme un bassin, moins haut et plus large, et des ailes iliaques à profil en S. L'élargissement de l'aile iliaque humaine est lié au développement des muscles affectant la bipédie. Cette aile iliaque est aussi moins élevée: elle représente 24% de la hauteur thoracique chez l'Homme, pour 37% chez les Pongidés et les Panidés. Le profil en S résulte d'un plus grand angle entre l'axe sacrum-acetabulum et l'ischion, il en résulte une grande échancrure sciatique.

L'étude de bassins fossiles, spécialement d'Australopithèques, permet de mieux comprendre la bipédie: tous ces restes présentent des traits remarquablement modernes. Les différences sont en effet minimales, ainsi chez les Australopithèques, les dimensions étaient plus petites (plus ou moins équivalentes à celles des pygmées). L'Australopithèque était donc plus petit et plus léger mais il était déjà bipède. Son canal pelvien était aussi humain, large transversalement et court antéropostérieurement: les organes génitaux internes, vagin, utérus, oviducte, ovaire, devaient avoir donc une situation équivalente à celle de l'Homo sapiens.

Chez l'Homo, des difficultés obstétriques peuvent apparaître: elles sont liées aux changements anatomiques du bassin et à un détroit supérieur ovale transversalement (et non plus sagittalement), à une proéminence du sacrum et du coccyx diminuant la dimension sagittale et à des tubercules ischiatiques réduisant transversalement le bassin moyen. L'axe du bassin des Pongidés et des Panidés est plus linéaire.

Cette évolution de la forme du bassin et de son détroit n'est pas adaptée aux fonctions obstétriques, mais à la bipédie et au support de viscères: elle est acquise il y a quelque 4 millions d'années avant le début de l'encéphalisation.

 

6.4. La tête foetale

Il est évident que la tête foetale humaine est proportionnellement plus volumineuse, en raison du développement du cerveau humain.

La prédiction des dimensions cérébrales à partir des dimensions corporelles adultes est précise chez les mammifères, la pente de la régression est d'environ 0,75. Cependant, chez les Primates, le cerveau est plus grand par rapport aux mêmes dimensions corporelles: la pente de la régression reste parallèle à celle des mammifères mais le cerveau est proportionnellement deux fois plus grand non seulement chez les adultes mais à tous les stades du développement.

C'est la croissance relative qui est spécifique. Tous les foetus de Primates, y compris ceux de l'Homme, suivent la même courbe de croissance de cerveau par rapport aux dimensions corporelles (environ 12% de celles-ci). A la naissance, la proportion se modifiera lorsque la croissance cérébrale se ralentit mais que la croissance corporelle continue: chez l'Homme la situation est différente en ce sens que la croissance cérébrale continue plus longtemps.

A la naissance, le cerveau humain représente seulement 25% de ses dimensions adultes pour 70% chez les macaques et gibbons, il croîtra rapidement pour atteindre 75% de ses dimensions adultes à l'âge de 3 ans. Cette prolongation de la croissance cérébrale reflète essentiellement la complexité des connexions neuronales. L'architecture cérébrale reste semblable à celle des autres Primates mais, à part ses dimensions, le cerveau humain se caractérise aussi par une réduction de la zone olfactive et une asymétrie fonctionnelle entre hémisphères gauche et droite.

Toutes les espèces de Primates possèdent de remarquables similarités avec le Primate humain sur le plan neurologique, caractérisées notamment par le développement important du néocortex, par le rôle majeur de la main dans le sens tactile et dans la préhension. Les similitudes sont naturellement encore plus manifestes avec les Panidés par le développement plus élevé de la partie supérieure du lobe temporal gauche (planum temporale gauche) jouant un rôle vocal de type linguistique, l'hémisphère droit est au contraire prédominant pour la reconnaissance des formes et des expressions faciales. Ils sont capables d'intégrer des informations provenant de modalités sensorielles différentes, comme la vue et le toucher.

 

6.5.    La parturition

Tout ceci explique que la parturition féminine est plus longue et plus difficile que chez les autres primates. Chez les quadrupèdes, la sangle abdominale suffit à contenir le poids de l'utérus gravide et la mise bas se fera en position debout ou couchée sur le flanc.

Chez le chimpanzé et le gorille, le canal pelvien forme un tube rectiligne légèrement élargi vers la sortie. La tête foetale est orientée dans un sens antéropostérieur pendant toute la parturition.

Chez la femme, au contraire, la tête plus volumineuse doit passer dans un axe oblique et y effectuer une rotation. Le détroit supérieur du bassin de Pongidés et de Panidés est relativement large, comparé aux dimensions fœtales, et la parturition se déroule aisément. Chez Homo sapiens, le lien entre les dimensions de la tête fœtale et le détroit pelvien est totalement différent: les parois pelviennes compressent le fœtus, une rotation et une flexion du nouveau-né sont nécessaires. En termes évolutifs, cela signifie l'apparition durant cette évolution de problèmes obstétricaux.

Ce n'était probablement pas le cas chez les Australopithèques (Australopithecus afarensis et africanus) où les dimensions cérébrales néonatales sont estimées être plus petites que celles du Pan troglodytes. Dès lors le détroit supérieur du bassin était suffisamment large pour permettre le passage de la tête, indiquant donc l'absence de problèmes obstétricaux: on estime cependant que, chez les Australopithèques, la rotation et la flexion du fœtus lors de la parturition moderne existaient déjà. On suppose, en effet, que la règle observée dans la parturition de tous les Primates, la tête orientée dans ses dimensions les plus grandes dans le canal de naissance, implique une orientation oblique de la tête dans le détroit supérieur, et donc une rotation.

Le processus d'encéphalisation humaine aurait pu être un handicap si la croissance cérébrale fœtale n'avait pas été ralentie (nous avons déjà vu qu'elle se prolonge considérablement dans la période postnatale). Les fontanelles, ou membranes entre les os du crâne, sont encore largement ouvertes, permettant ainsi une compression du crâne au moment de l'accouchement.

Il semble probable qu'après les Australopithèques, l'accouchement a toujours été difficile. La mortalité maternelle et foetale a dû exister depuis de longue date, et notamment les complications hémorragiques et l'éclampsie. Quelques (rares) restes préhistoriques de femmes décédées lors de l'accouchement, avec des restes foetaux en place, sont connus. C'est le cas aussi de momies égyptiennes de femmes décédées en couches. Tous les documents historiques et anthropologiques nous apprennent que dans toutes les populations, des sages-femmes étaient "spécialisées" à l'aide d'autres femmes en couches. Chez les éléphants, les chimpanzés et les dauphins, les femelles se réunissent aussi autour de la parturiante.

 

6.6.    Soins maternels

Les Primates sont des mammifères, dont les jeunes peuvent se mouvoir indépendamment assez rapidement, ils sont adaptés à un taux de reproduction peu élevé et à un investissement parental important. Les premiers contacts du nouveau-né seront filtrés par la mère et seront stabilisants: cette étroite dépendance rend l'apprentissage possible; plus longue sera cette dépendance plus forte sera la relation d'affection avec la mère mais aussi avec les frères et sœurs. Chez le chimpanzé, par exemple, le sevrage ne se déroulera qu'à l'âge de 4 ans, et le jeune restera avec sa mère jusqu'à l'âge de 9 à 12 ans. Le jeu formera un élément important du processus d'apprentissage, certainement pour les qualités motrices: les jeunes, joueurs et curieux, auront un avantage sélectif. Mais, même en cas de soins maternels efficaces, la mortalité infantile reste un facteur limitant: elle est chez les chimpanzés et certaines populations humaines actuelles de chasseurs-cueilleurs de 50%.

Chez l'Homme, la maturation fœtale est cependant lente et la naissance se déroule à un stade précoce de l'ontogénie, rendant le nouveau-né totalement dépendant de sa mère. L'espacement des naissances devient ainsi un facteur de succès reproductif. L'exemple des chasseurs-cueilleurs Bushmen du Kalahari en Afrique australe est typique à ce niveau: le coût d'avoir des nouveau-nés aux naissances rapprochées est trop élevé pour la mère qui doit les porter. Porter deux enfants pendant la cueillette signifie rapporter une quantité de nourriture réduite bien que la demande soit accrue, l'espacement idéal des naissances est dans ce cas de 4 ans.

La période de croissance étant longue, la mère a besoin d'énormes quantités d'énergie pour l'allaitement pendant une longue période. Il devient donc avantageux pour elle d'avoir un homme lié à elle l'aidant à trouver de la nourriture, à la protéger ainsi que son enfant. Contrairement aux autres mammifères, le dauphin excepté, chez la plupart des primates et chez l'homme, la femme exerce un choix plus direct de son partenaire.

La biologie des populations "primitives" n'est naturellement pas typique des premières populations humaines: ces dernières ne savaient d'ailleurs pas qu'elles étaient primitives. Les populations préhistoriques également ne savaient pas qu'elles étaient préhistoriques. Les populations fossiles n'étaient elles aussi pas fossiles.

 

7. Les a côtés de la sexualité

Si la perspective évolutive de l'activité sexuelle est simple à interpréter, en termes de procréation et de liens parentaux au sein d'un couple, différentes cultures peuvent interpréter la signification du comportement sexuel de manière conflictuelle. La mythologie égyptienne célébrait la masturbation, comme la manière dont le dieu soleil Rê créait le premier couple Shu et Tafnet. En contraste, Saint Thomas d'Aquin condamne la masturbation, comme un péché contre-nature (alors que, d’autre part, la bible chante les louanges de la fellation).

Un tabou fréquent est celui de relations sexuelles pendant la période suivant la naissance: on argumente que c'est par intérêt pour l'enfant puisque retarder une autre grossesse préserve la lactation de la mère. Nombre de sociétés estiment que la semence peut être transférée au lait, empoisonnant ainsi le nouveau-né. Cependant, au Rwanda, la tradition estime que semence et lait sont blancs et similaires, et donc que l'accouplement favorise la production de lait.

Aristote dans la "Génération des Animaux" avait déjà observé que les mères donnant le lait maternel n'avaient pas de menstruations et ne concevaient pas. Il imaginait, et Leonardo da Vinci dans ses dessins a perpétué ce mythe, que lait et sang menstruel étaient des sécrétions similaires, la production de l'un se faisant au dépend de l'autre.

Les anciens Hébreux avaient une vision mystique de l'orgasme, avec interdiction aux partenaires de se regarder dans les yeux pour ne pas avoir une vision divine. Au contraire, pour Saint Clément d'Alexandrie l'orgasme, moment de passion incontrôlée, représentait la transmission du péché originel et l'âme quittait le corps au moment de l'orgasme.

L'indissolubilité du mariage devint le but ecclésiastique de l'Europe médiévale, ce mariage ne pouvant être rompu que s'il n'était pas consommé ou qu’il y avait impotence du mari. Jusqu'au 18ième siècle, la femme de maris abusifs ou adultères n'avait pratiquement aucun recours, la justice leur ordonnant souvent de retourner au lit marital. En 1792, l'assemblée révolutionnaire française admit le divorce pour raison d'incompatibilité ou d'adultère. Et l'affaiblissement du pouvoir des Eglises amena graduellement à une redéfinition du mariage dans nos sociétés occidentales. Les divorces sont actuellement admis dans toutes les sociétés occidentales (sauf Malte, l'Irlande ne l'a admis qu'en 1997) et sont très fréquents dans de nombreuses sociétés.

Quand les deux sexes ont-ils commencé à dormir dans le même nid? Une chose est certaine, gorilles et chimpanzés ne le font jamais et jusqu'au début du 19ième siècle les manuels de "maîtresse de maison" recommandaient à la bourgeoisie française d'avoir des chambres séparées. Ce n'est que dans le courant du 19ième siècle, qu'il devient normal pour des couples mariés de dormir dans le même lit "matrimonial". C'est la période aussi où les classes aisées débuteront la coutume du voyage "de lune de miel".

Chez les Pongidés, la mère dort toujours avec ces bébés dans le même nid. De même, dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs et dans bien d'autres cultures traditionnelles l'enfant dort à côté de sa mère.

Dans de nombreuses populations, donner naissance à un enfant hors mariage est source de problèmes, voire dans le pire des cas entraîne l'exil ou la mort. La femme infertile est aussi déconsidérée. Dans le monde occidental, la position vis-à-vis du mariage et de la conception ont cependant profondément changé.

L’Eglise catholique a, depuis le 19ème siècle, changé considérablement son attitude relative à la justice sociale. Mais, son attitude relative à la sexualité reste immuable, l’Eglise combat tout mouvement de libéralisation des mœurs, elle considère la prévalence d’une "loi naturelle" supérieure aux lois humaines. Une note publiée en 2002 par le cardinal Ratzinger sur "le comportement des catholiques dans la vie politique" prescrit aux élus politiques de combattre des lois concernant la "loi naturelle". Les partis néo-conservateurs et chrétiens (même s’ils se qualifient "d’humanistes") suivent cette note sans états d’âme.

Dans le monde occidental, la position vis-à-vis du mariage et de la conception ont cependant profondément changé. Mais dans de nombreuses populations non-occidentales, donner naissance à un enfant hors mariage reste cependant source de problèmes, voire dans le pire des cas entraîne l'exil ou la mort. La femme infertile est aussi déconsidérée.

Les risques liés à la maternité sont encore actuels bien que présents de manière très inégale: dans l'Afrique sub-saharienne, le risque de décès de maternité, d'enfantement ou d'avortement est d'environ 1/25, elle est 1/10000 pour la femme occidentale. Mais, dans la maternité de Paris entre 1860 et 1864 sur 9886 accouchements, 1226 femmes sont mortes.

L'assurance de la paternité n'est jamais totale comme l'est celle de la maternité. Des études récentes d'ADN montrent que dans une troupe de chimpanzés, plus de la moitié des nouveaux-nés ont un père provenant d'une autre troupe conçu donc sans connaissance des mâles de sa propre troupe. Chez l’être humain, le même genre d'études montre que 1 enfant sur 25 n'est pas celui du partenaire officiel de la femme.

Est-ce la raison, pour garantir la paternité, que de nombreuses sociétés insistent sur la virginité au moment du mariage? Dans certaines sociétés actuelles, la perte de virginité est encore considérée comme un crime. Est-ce la raison d'une quasi-séquestration de la femme à son foyer dans d'autres populations? Le port du chuddar, vêtement noir qui ne révèle que les yeux de la femme lorsqu'elle sort de son foyer, relève-t-il des mêmes pensées? Les rituels de mutilation génitale de la femme sont-ils l'expression la plus cruelle du même phénomène? Ces rituels contrôlent en tous les cas, voire éliminent le plaisir sexuel de la femme (il s'agit de la sunna - surface du clitoris enlevée; l'excision ou clirotectomie - enlèvement de l'ensemble du clitoris; ou l’excision pharaonique - clitoris, lèvres mineures et majeures sont enlevées). Notons que jusqu'au 19ième siècle, la clirotectomie était pratiquée dans certains pays Européens pour traiter l'épilepsie, la stérilité et la masturbation!

 

8. "L'ordre naturel", la conception et ses fantasmes

Pendant longtemps, toucher au corps humain est considéré porter atteinte à l'organisation de l'univers et donc pour l'Eglise porté atteinte à l'image du Créateur. Différents conciles interdisent par ailleurs la dissection humaine et le concile de Tours déclara "Ecclesia abhorret a sanguine" (l'Eglise a horreur du sang). De plus, le Moyen Age religieux voyait dans l'accouchement la conséquence du péché de la chair qui devait donc être expié dans la douleur. Les chiffres de mortalité du nouveau-né et de la femme y seront très élevés. Il était donc fortement conseillé aux femmes enceintes de se confesser avant d'entrer en couches. Et de plus, il était possible de baptiser le foetus pendant la parturition, il existait même des seringues à baptême intra-utérin. Après l'accouchement, la femme restait porteuse d'une souillure contagieuse et ne pouvait entrer dans l'église ou se livrer à ses activités habituelles. Après quarante jours, l'Eglise chrétienne organisait une cérémonie de relevailles.

L'espèce Homo sapiens a ajouté à la fonction biologique de la reproduction une sexualité riche de variétés d'arrangements culturels et de pratiques comportementales. C'est cette combinaison puissante de biologie et de culture qui nous caractérise. C'est ce qui distingue aussi le sexe du "gender": le "gender" est le sexe que nous percevons de nous-même et la manière dont nous exprimons notre sexualité: les animaux ont un sexe, pas un "gender". Le sexe n'est pas ambigu (sauf malformations congénitales exceptionnelles), le "gender" peut l'être.

De nombreux mammifères à l'état infantile s'engageront dans des jeux homosexuels, en se montant l'un l'autre par exemple, mais ces jeux disparaissent à l'âge adulte. Seul les chimpanzés bonobo s'engagent dans des actes délibérés avec le même sexe même s'ils restent toujours clairement hétérosexuels. L'homosexualité, comme style de vie exclusif, ne se rencontre que dans notre espèce, et ceci dans toutes les sociétés et tout au long de notre histoire. Au Royaume Uni, on estime que 93% des hommes et 95% des femmes sont exclusivement hétérosexuels, 0,5% des hommes et 0,3% des femmes exclusivement homosexuels.

L'Homme a de tout temps été fasciné par les mécanismes intimes de la conception, en témoignent les représentations préhistoriques vulvaires et phalliques. La conception ne pouvant être réellement comprise qu'en termes génétiques et microscopiques, il ne faut pas s'étonner qu'elle ne fut comprise qu'à partir du 19ième siècle.

Les interprétations ethnologiques sont donc nombreuses mais impliquent le plus souvent la copulation et le sperme. Souvent, cependant, l'une ou l'autre divinité, ou démon, peut intervenir. La femme est considérée comme réceptacle de la semence, celle-ci est parfois considérée comme nécessaire à la nutrition du foetus. Dans d'autres cas, le sang menstruel est nourricier.

En ce qui concerne le rôle du plaisir sexuel que les philosophes grecs avaient envisagé de façon matérialiste, il fut lié par la scolastique médiévale à la notion du péché de la chair. Cette scolastique ne permet pas de dissocier la sexualité du but reproductif, ce qui semble rester aujourd'hui la position officielle de l'Eglise catholique romaine actuelle

 

9. L'explosion du 20ième siècle

Plus que les nouvelles découvertes, ce qui caractérise la période moderne, est la forte diminution de la mortalité en couches et de la mortalité périnatale. L'espérance de vie à la naissance a significativement augmenté et la fertilité est maîtrisée.

Il serait vain de décrire toutes les nouvelles découvertes relatives à la sexualité et la procréation, tellement les domaines impliqués sont nombreux: la génétique, la biologie moléculaire, la biotechnologie, la radiographie, les ultrasons, l'imagerie médicale, l'endocrinologie, l'immunologie, l'hématologie, l'antibiothérapie, ...

Citons en termes endocrinologiques, le diagnostic précoce de la grossesse, l'usage de l'ocytocine dans la pratique obstétricale, le rôle contraceptif des hormones sexuelles (oestrogènes et progestérone), ... La pilule contraceptive se présente sous différentes formes, mais la plus commune est la pilule combinée contenant un mélange d'oestrogène synthétique et de progestérone, qui agit par une diminution de sécrétion de LH et FSH au niveau de l'hypothalamus et de l'hypophyse, et donc par inhibition du développement folliculaire et l'ovulation.

Même si avec l'avènement de la pilule dans les années 1960, les catholiques en Europe vont l'utiliser. L'Eglise catholique en tant qu'institution continue à ne pas vouloir comprendre que le sexe est à la base de l'amour adulte et pas le résultat du péché originel. Il est naturellement faux de dire que l'acte sexuel ne peut se faire qu'avec l'intention de procréer. Les trois religions révélées sont d’ailleurs d’accord sur le renoncement à soi-même et au corps, la haine de la femme et de la sexualité. Ce principe tant de fois répété n'apporte que souffrances aux femmes et aux familles de part le monde, il est un frein au planning familial, le conservatisme religieux étant appuyé par un conservatisme politique et parfois médical. Le planning familial se libèrera petit à petit mais il a fallu attendre 1972 pour que l'OMS fasse promotion de l'usage de contraceptifs. Le planning familial fait actuellement partie de nos droits démocratiques.

Un des secteurs importants en terme bioéthique est le diagnostic anténatal des malformations congénitales. Le liquide amniotique peut être prélevé (amniocentèse), une biopsie des villi des chorions peut être pratiquée (choriocentèse), le foetus peut être observé visuellement (foetoscopie) et du sang ombilical prélevé (cordocentèse). Par des tests génétiques, moléculaires, biochimiques, bactériologiques une malformation peut alors être diagnostiquée. Si une malformation congénitale est présente, le diagnostic prénatal est majoritairement suivi de la possibilité d'avortement.

L'exemple classique est le dépistage de la trisomie 21, notamment chez des femmes devenues enceintes après 35 ans. Moins classique est le diagnostic de susceptibilité à une maladie dégénérative (comme la chorée de Huntington), demain de tels diagnostics se feront plus fréquents comme pour certains cancers ou les maladies cardio-vasculaires (faut-il éliminer ces risques prévisibles?, les porteurs seront-ils avertis?).

Naturellement, qu'on le veuille ou non, le diagnostic prénatal est lié à l'avortement sélectif. Cependant, chez les parents à risque, dans environ 95% des cas, le diagnostic les rassure et ils décident de donner naissance à un enfant qui sinon n'aurait pas vu le jour par craintes de donner naissance à un enfant handicapé.

Une observation (surprenante) est le grand nombre de couples stériles, 1 couple sur 6 dont 50% liés à des problèmes chez la femme, 30% chez l'homme et 20% à des problèmes des deux partenaires. Une faible densité spermatique est une des causes les plus fréquentes de stérilité masculine; cette faible densité peut résulter de charge de travail, de stress émotionnel, de fatigue, d'excès de tabac et/ou d'alcool. Les testicules sont aussi sensibles à des habits moulés trop étroitement ou des excès d'exercices, ainsi qu'à l'influence d'agents chimiques. Actuellement, plusieurs techniques de contournement de la stérilité masculine existent comme l'insémination artificielle (via une banque de spermes, réactivés et déposés dans le vagin ou l'utérus au moment de l'ovulation), comme la fertilisation in vitro ou même l'injection de la tête spermatique dans l'ovule.

Différentes études ont montré chez des sujets sains et jeunes une diminution du compte de spermes (20 millions/ml au lieu de la norme 60-100 million/ml) ainsi que des doses élevées de DDT, de PCB, de pentachlorophénol et d'hexachlorobenzène. Des androgènes synthétiques, la dioxine, le vynylchloride, le cadmium, le mercure, certains herbicides et insecticides sont également incriminés.

Une des choses surprenantes de la reproduction assistée est la rapidité avec laquelle elle s'et développée de l'expérimentation animale à la femme et avec laquelle elle s'est diffusée. Cette rapidité est-elle liée à l'intérêt de la femme pour cette technique? ou à une mentalité sociale et une exigence culturelle? De tout temps, le désir d'enfants est (aussi) un désir de réalisation sociale et l'impossibilité d'avoir un enfant est considéré par (et pour) la femme comme une transgression, voire comme une marginalisation. L'apport de ces techniques, habilement diffusé par les mass media, a résulté en une extraordinaire sensibilisation de la société et à la justification pour la femme de l'enfant à tout prix.

En dehors de considérations religieuses, certains mouvements féministes ont émis des réserves vis-à-vis de ces techniques, comme:

- ce sont fondamentalement les femmes qui souffrent de ces traitements et ces interventions et qui sont en but aux effets indésirables et agressifs vis-à-vis de leur santé;

- la liberté relative de la femme confrontée aux pressions sociales et psychologiques;

- le désir d'enfant comme facteur de réalisation sociale.

D'autres avancées techniques permettent la cryopréservation d'embryons humains congelés (largement utilisés pour des races sélectionnées d'animaux de ferme, appliqué à l'homme la première fois en 1983 en Australie et couramment utilisée avec les embryons surnuméraires), le clonage (la technique de transplantation nucléaire est appliquée depuis 1980 aux mammifères, de noyau de cellules adultes depuis 1996), l'expérimentation sur l'embryon (elle a débuté pour développer les possibilités de fécondation in vitro elle-même ainsi que de transfert d'embryon (FIVETE) et elle a continué dans le but de développer le diagnostic préimplantatoire, la médecine prédictive, la culture de l'embryon in vitro, la transgénèse).

Les exemples, dont la presse fait écho, sont légions: une annonce pour un don d'ovocyte cherchant une jeune dame de 30 ans, belle et athlétique (!); une femme souffrant de cancer conservant ses oocytes et les fécondant artificiellement après sa guérison; la greffe d'un ovaire; un homme paralysé dont le sperme est injecté dans l'oocyte de sa partenaire; un couple parent d'un enfant souffrant d'anémie de Fanconi pratique le diagnostic pré-implantatoire pour avoir un enfant sans cette maladie congénitale mais aussi compatible immunologiquement pour offrir des cellules souches ombilicales à sa soeur malade; une femme de 42 ans portant l'embryon de sa fille, le prêt d'utérus.

 

10. Et le clonage

La naissance de jumeaux monozygotes correspond à la séparation des masses cellulaires de l'embryon, le plus souvent au niveau d'une jeune gastrula, en 2 individus génétiquement identiques, des clones donc. Leur fréquence est de 0,4 % dans toutes les populations humaines, traduisant le caractère biologique aléatoire de cette séparation au sein d’une masse cellulaire non différenciée.

Rappelons qu'au niveau anthropologique la naissance de jumeaux est, chez la plupart des peuples aborigènes, tels les Esquimaux, les Aïnous, de nombreuses tribus africaines, amérindiennes et australiennes, considérée comme maléfique. On considère qu'un des enfants avait été engendré par un démon, un sorcier, un animal, une divinité ou par l'adultère. Dans ces cas, un des jumeaux est souvent sacrifié. Dans les sociétés à subsistance agricole, les jumeaux sont au contraire accueillis positivement comme symboles de fertilité.

Le clonage de Dolly a résulté dans des déclarations d'interdiction, nombreuses et variées, parlant de perversion et d'instrumentalisation de la personne humaine. Les fantasmes ont souvent pris le pas sur le raisonnement. Un débat serein, rationnel et éclairé, pour déterminer en quoi le clonage serait pervers et en quoi il y a abus d'instrumentalisation n'a en fait pas eu lieu. Prendre l'argumentation d'absence de dignité humaine (en fait on ne l'argumente pas, on le déclare) maintenant que le clonage thérapeutique est à nos portes est un raisonnement faible et l'on voit donc peu à peu les interdictions d'estomper.

Certains dans le clonage thérapeutique s'insurgent contre le fait de manipuler un embryon. "C'est interdit, c'est un être humain". Rappelons qu'ils s'agit à ce stade de quelques cellules indifférenciées.

Et à la limite n'y a-t-il pas deux poids et deux mesures? On est en droit de prélever des organes pour sauver une autre personne. Pourquoi en irait-il autrement pour un prélèvement de cellules non différenciées?

 

11. Mais aussi le contexte du 20ième siècle

La naissance d'un enfant au 20ième siècle se déroule dans un contexte, particulièrement dans les pays industriels, de contrôle des processus naturels. Le hasard de la roulette génétique, s'il existe toujours, peut être en partie maîtrisé et les futurs parents peuvent prendre des décisions quant à leur procréation. Les techniques font partie intégrante de la reproduction, du diagnostic prénatal au don de gamète, de l'analyse des génomes des parents à l'insémination artificielle, de la fertilisation in vitro au clonage futur. Le désir d'enfant est un acte devenu libre et pleinement assumé.

Chacun sera juge des limites à ne pas dépasser. Est-ce le cas par exemple d'un diagnostic prénatal pour connaître le sexe du foetus? Les demandes varient selon les cultures mais risquent de renforcer le sexisme, elles n'ont pas de sens thérapeutique (sauf bien entendu au cas de risque de malformation liée au sexe). Cela pose la question de l'autonomie à répondre à n'importe quel demande des parents. Des enquêtes récentes montrent qu'aux Etats-Unis le médecin répond de plus en plus à des demandes de diagnostic prénatal, quel que soit le motif de la demande. Sommes nous incommodés par l'autonomie d'un couple à maîtriser sa procréation?

Le 20ième siècle a vu une large discussion sur la question fondamentale du statut de l'embryon et de la personne, question centrale des débats sur l'embryon, la reproduction et l'avortement. On peut considérer que l'embryon est une personne humaine dès sa conception (cf. l'instruction Le don de la vie (1987) de l'Eglise catholique) ou qu'il n'acquiert cette dimension humaine qu'en cours de la maternité ou même à la naissance par la volonté maternelle: en fonction de l’opinion relative à la définition de l’embryon, l'interprétation d'intervention sur la reproduction en sera totalement différente.

C'est naturellement le cas pour l'avortement (terme aujourd'hui utilisé plutôt pour les pratiques clandestines) ou l’IVG (interruption volontaire de grossesse). Des expressions comme "droit à l'enfant", "désir d'enfant" ne sont apparues que dans les années 1960 avec le début de la contraception médicale (la "pilule"). L'enfant est donc programmé ainsi d'ailleurs que le nombre d'enfants désirés. Le "droit à l'enfant" fait ainsi le lit aux techniques de procréation artificielle qui suivront. Naturellement, on sait que ce "désir d'enfant" peut être complexe, et même contradictoire: ce qui est désiré est un enfant, mais parfois un enfant imaginaire ne correspondant pas nécessairement à l'enfant réel.

Il existe une volonté de nombreux pouvoirs publics de réglementer les technologies de la procréation humaine et de contrôler la recherche sur l'embryon humain. Nous ne ferons pas un recensement complet des législations européennes, car d'une part elles changent souvent en fonction des orientations politiques des gouvernements et d'autre part elles restent essentiellement contradictoires. N'oublions pas aussi que la sémantique est continuellement utilisée (manipulée) à des fins idéologiques. Ainsi pourquoi parler d'un pré-embryon, terme arbitraire utilisé avant 14 jours, alors que le terme embryon reste correct. Le terme "personne potentielle" cache l'embryon sans sensibilité, sans conscience et sans possibilité de vie relationnelle. Pourquoi ne pas appeler un embryon "un embryon"? L'honnêteté intellectuelle voudrait qu'on utilise un vocabulaire neutre et scientifique pour ne pas suggérer (consciemment ou inconsciemment) des jugements éthiques. La plus élémentaire éthique exige que l'on ne manipule pas le verbe.

 

12. Présent et futur

Aujourd'hui la biologie moderne est souvent au centre de controverses entre ceux qui reconnaissent les progrès de la connaissance des mécanismes vitaux et ceux qui voient dans cette analyse de la vie et de la nature humaine une menace pour leurs croyances. Plus difficile encore est d'échapper aux préjugés vis-à-vis de ceux qui, d'un point de vue politique, rejette les approches de la science occidentale. Mais de tels risques de préjugés n'ont ils pas toujours existé en fonction de l'évolution des connaissances?

L'Europe n'est plus le centre du Monde, la Terre n'est plus le centre de l'univers, tous les êtres vivants répondent aux mêmes mécanismes d'évolution et utilisent le même code génétique, le génome humain n'est pas spécifique puisqu'il est à plus de 99% semblable à celui du chimpanzé, les neurosciences analysent "la conscience".

Les sciences biologiques sont devenues une source importante d'imaginations car certaines recherches inspirent des fantasmes d'améliorations génétiques et biotechnologiques et donc d'améliorations de la vie. Dépistages génétiques, diagnostics préimplantatoires, thérapie génique, ingénierie génétique des lignées germinales, biotechnologie de la prolongation de vie, clonage humain, nanotechnologie et transhumains sont en voie de "compléter" la nature humaine. La limite humain-machine peut être mise en question, les techniques mentionnées pouvant avoir des fonctions médicales ou même améliorer les performances humaines normales.

La biologie moderne ne se limite plus à décrypter la vie, elle est capable de modifier cette vie et même de créer des structures nouvelles. Dans la liste des "merveilles", on peut songer à prolonger la vie, réduire la douleur, transformer le tempérament, améliorer les sens.

Ne pas intervenir sur la reproduction, laisser-faire la nature ou le hasard ne constitue pas la meilleure garantie pour l'avenir. Le hasard génétique n'est pas la liberté et elle n'est pas favorable à sa sauvegarde? Penser autrement revient à assimiler le hasard à une forme de Providence. La connaissance est la liberté. Au plus nous comprenons notre machinerie corporelle, au plus nous appréhendons notre évolution, au plus nous déchiffrons notre sexualité, au moins nous devenons esclaves de notre reproduction. Heureusement, notre volonté de liberté et de pensée rationnelle nous libère de notre biologie: les technologies modernes nous permettent de décider d'avoir ou non des enfants, de programmer leur venue et leur nombre.

Tout être humain doit se reproduire par la voie sexuée et donc nécessite la collaboration d'une personne de l'autre sexe. Les reproductions assistées ne changent rien à ce principe, si ce n'est que la technologie aidera le phénomène de reproduction. L'immense majorité des êtres humains suivront d'ailleurs "les techniques artisanales " bien établies, moins coûteuses, et... plus agréables.

La liberté ne peut être définie que par rapport à la société, par rapport aux autres, et donc aussi par rapport à l'autre sexe. La liberté implique aussi une réflexion par rapport à la valeur de la "vie humaine" et surtout du terme "humain".

Mais, les questions éternelles restent cependant "qui suis je?" ou "qu'est-ce que l'homme?".

 

Littérature

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