Ben M'Rad, L., Chalbi, N., 2006, Milieu de résidence origine des conjoints et consanguinité en Tunisie. Antropo, 12, 63-71. www.didac.ehu.es/antropo


 

Milieu de résidence origine des conjoints et consanguinité en Tunisie

 

Locality of residence origin of the spouses and consanguinity in Tunisia

 

Lamya Ben M'Rad1 et Noureddine Chalbi2

 

1Chercheur scientifique, Laboratoire de Génétique et Biométrie, Faculté des Sciences de Tunis, Campus universitaire, 2092 El Manar II, Tunisie. E-mail: lamyabm@yahoo.fr

2Professeur émérite, Laboratoire de Génétique et Biométrie, Faculté des Sciences de Tunis, Campus universitaire, 2092 El Manar II, Tunisie. E-mail: noureddinechalbi@yahoo.fr

 

Mots-clés: Tunisie, endogamie, mariages consanguins, milieu de résidence.

 

Keywords: Tunisia, endogamy, consanguineous marriages, locality of residence.

 

Résumé

Les mariages entre conjoints issus d'une même famille, sont restés fréquents dans le monde arabo-musulman, comme c'est le cas en Tunisie, où les traditions et les motivations d'ordre social, culturel et économique, ont le plus souvent orienté les candidats au mariage vers un choix matrimonial à l'intérieur de la famille, du clan, ce qui a installé l'endogamie et la consanguinité.

Dans le but d’une meilleure connaissance de l’importance des unions entre apparentés, leurs motivations et leurs contraintes en rapport avec les conditions socio-économiques, une enquête a été réalisée par notre Laboratoire. Un échantillon aléatoire de 370 femmes âgées entre 18 et 63 ans a été soumis à un questionnaire concernant leur choix matrimonial et celui de leurs parents ainsi que leur milieu de résidence origine. Les données nous ont permis de recenser les niveaux de consanguinité et leur distribution dans l’échantillon ainsi que d'explorer le phénomène de l'endogamie dans les différents milieux de résidence des couples pendant l'enfance.

L’analyse des données, a permis de dégager l'existence d'une corrélation positive, entre le choix matrimonial des conjoints et leurs milieux de résidence origine, et ce, pour les trois milieux de résidence origine, considérés (milieu origine rural, semi-urbain et urbain). Cette étude montre qu'en milieu urbain, siège de la modernité, lieu de l'exode rural, de l'industrialisation et des transformations du contexte démographique, le choix du conjoint semble plus individuel, et moins dicté par les traditions. En effet, dans le milieu urbain, citadin, l'institution du mariage fait par moments preuve d'adaptation. Parfois cette adaptation se traduit par le choix d'un conjoint d'une autre appartenance régionale et tendrait vers l'exogamie.

La discussion de ces résultats montre l’importance de la place qu’occupe l’environnement social dans la détermination de la circulation des flux génétiques dans les populations humaines.

 

Abstract

Marriages between couple stemming from the same family, remained frequent in the Arabian - Moslem world, as it is case in Tunisia, where traditions and motivations of social, cultural and economical order, mostly directed the candidates for the marriage to a marital choice inside the family, of the clan, that installed the endogamy and consanguinity.

With the aim of a better knowledge of the importance of the unions between related, their motivations and their constraints in touch with socioeconomic conditions, a survey was realized by our Laboratory. A random sample of 370 women old between 18 and 63 years was subjected to a questionnaire concerning their marital choice and that of their parents as well as their locality of residence origin. Data allowed us to list the levels of consanguinity and their distribution in the sample as well as to investigate the phenomenon of the endogamy in the various locality of residence of the couples during childhood.

The analysis of data, allowed to release the existence of a positive correlation, between the matrimonial choice of the spouses and their locality of residence origin, and this, for the three localitys of residence origin considered (rural, semi-urban and urban locality origin). This study shows that in urban locality, seat of the modernity, the rural migration, the industrialization and the transformations of the demographic context, the choice of the spouse seems more individual, and less dictated by traditions. Indeed, in the urban city locality, the institution of the marriage makes proof of adaptation by moments. Sometimes this adaptation is translated by the choice of a spouse of another regional membership and would tend towards the exogamy.

The discussion of these results shows the importance that occupies social locality in the determination of the traffic of the genetic flows in the human populations.

 

Introduction

Les mariages consanguins sont très courants dans le Monde arabe. La multiplicité des unions consanguines forme des familles qui peuvent s’accroître et constituer des clans et même des tribus dont la consanguinité intérieure va devenir très importante (Chalbi, 1997).

D’après le recensement général de la population tunisienne effectué en 1975, la moyenne des mariages consanguins du pays est de 19,24%. Toujours dans l’ensemble de la population tunisienne, le pourcentage des mariages entre cousins germains s’élève à 18,2%. Il est toutefois plus important en milieu rural qu’en milieu urbain, soit respectivement 25,36% contre 16,13% (Ben M’rad, 1986). Ces résultats ont été confirmés par les études récentes (Zakaria, 1999; Mghirbi, 2002). On a observé qu’en Tunisie et d’une façon générale, le comportement matrimonial semble obéir à des règles de conduite bien établies. En effet, un homme épouse, en priorité, sa cousine germaine, ensuite et à défaut, une parente plus éloignée ou bien alors une voisine… A travers les enquêtes menées, tout se passe dans une famille comme si toute déviation par rapport à ces règles était un risque qui entraîne la réprobation sociale ou parfois même la sanction familiale.

Le choix du conjoint tend à se faire dans une certaine proximité géographique. Un individu homme ou femme, épouse un parent, un voisin ou bien un conjoint issu de la même région. Ce choix matrimonial porte plus volontiers sur un partenaire de même niveau socio-économique, créant une certaine immobilité sociale. Il s'agit d'une certaine endogamie géographique, qui pourrait entraîner un accroissement de la consanguinité. Une telle tendance à l'endogamie, a pour conséquence, de constituer dans la population des groupes où il va y avoir davantage de chances d'unir des gamètes porteurs de la même information génétique que dans le cas de la population entière et de cette façon, la consanguinité s'accroît rapidement comme conséquence (Jakobi et Jacquart, 1971).

Le phénomène de l'endogamie a des conséquences directes sur la répartition, la structure et l'hétérogénéité du flux génétique d'une population. Ces conséquences peuvent toutefois varier considérablement en fonction de l'étendue et de la durée du phénomène.

L’étude de l'effet du milieu de résidence origine des couples étudiés en fonction du lien de parenté entre les conjoints permet d'établir une comparaison de l'ampleur de ce phénomène dans les trois milieux de résidence, urbain, semi-urbain et rural pour les apparentés et les non apparentés.

 

 

Matériel et méthodes

Une enquête a été menée en septembre 2000 auprès de familles échantillonnées au hasard parmi celles qui se présentent spontanément au C.H.U. Mongi Slim (Centre Hospitalo-Universitaire Mongi Slim de la Marsa, dans la banlieue Nord de Tunis. Il représente un affluent de personnes malades venues de tous les gouvernorats) ainsi qu’au dispensaire de la cité Intilaka (Dispensaire cité Intilaka, situé dans un des nouveaux cartiers populaires à l’Ouest de la capitale, Tunis. Il représente un carrefour de migrants des gouvernorats du Nord Ouest qui sont venus s’installer dans les nouveaux quartiers populaires très peuplés à l’Ouest de la capitale). Notre enquête s’est déroulée auprès de 370 femmes, âgées de 18 à 63 ans.

Les couples sont interrogés sur leurs propres parents et leurs grands-parents concernant les liens de parenté, les lieux d’origine, de résidence, l’habitat, le niveau d’instruction, la profession et divers indicateurs de la qualité de la vie.

 

Description de l’échantillon

Le lieu de résidence, selon qu’il est urbain ou rural, apparaît un facteur discriminant entre les groupes sociaux: les endogames et les exogames. La majorité des couples de l’échantillon habitent dans un milieu urbain modeste que nous avons qualifié de semi-urbain (68,64%). Le reste habite soit un milieu urbain moderne (23,78%) ou bien un milieu rural (7,56%). L’échantillon comprend trois générations distinctes. Pour chaque couple, nous nous sommes informés sur le lieu de résidence avant le mariage, pendant l'enfance. La répartition des couples selon le milieu de résidence dans les trois générations étudiées, est représentée sur le tableau 1.

 

Zone habitée

G. Ce

G. Pf

G. Pm

ni

%

ni

%

ni

%

Rurale

28

7,56

174

47,02

203

54,86

Urbaine

86

23,24

78

21,08

53

14,32

Semi-urbaine

256

69,18

118

31,89

114

30,81

 

 

 

 

 

 

 

Tableau 1. Répartition du type de milieu de résidence pour les trois générations. G. Ce: génération du couple étudié, G. Pf: génération des parents de la femme, G.Pm: génération des parents du mari.

Table 1. Distribution of the type of locality residence for three generations.

 

Dans la génération du couple étudié, l'effectif le plus grand de l'échantillon, habite en milieu semi-urbain. Concernant la génération des parents de la femme et du conjoint, c’est le milieu rural qui est en tête avec respectivement, 47,02% et 54,86%. Cet effectif augmente, en passant de la génération des parents à la génération du couple étudié. Ce qui pourrait être expliqué par l’exode rural vers les villes (Zakaria, 1999).

Nous avons remarqué lors de notre enquête sur le terrain, que pour la catégorie "résidences semi-urbaines", une même unité de logement peut, dans un grand nombre de cas, réunir sous un même toit des familles étendues, regroupant le couple parental, les fils mariés, leurs femmes et leurs enfants. Dans cette catégorie de logement, les mariages endogames, entre proches parents, sont recommandés. En effet, la cohabitation avec la cousine, la nièce etc., est plus facile pour toute la famille.

 

Analyse comparative du choix matrimonial selon le milieu de résidence origine

Nous avons considéré la répartition des couples consanguins, dans les différents milieux de résidence actuels, ainsi que celle des couples non consanguins. Les effectifs sont représentés sur la figure 1 qui dresse un aperçu général de leur distribution dans les milieux étudiés.

 

Figure 1. Répartition des couples selon le milieu de résidence actuel et le lien de parenté.

U.C: unions consanguines, UNC: unions non consanguines.

Figure 1. Distribution of the couples according to the current locality of residence and family tie.

 

Nous constatons en considérant chaque milieu de résidence à part, que:

- En milieu de résidence semi-urbain, la fréquence des unions consanguines et non consanguines est très élevée (respectivement de 69,42% et 68,27%). Dans cette catégorie milieu de résidence, les conjoints se choisissent indépendamment de leur lien de parenté.

- En milieu de résidence urbain, les couples non apparentés sont un peu plus fréquents que ceux ayant choisi d'épouser dans la famille (25,7%, contre 19,83%). Ce qui nous permet d'affirmer, appuyés d'une analyse statistique, que dans le milieu urbain, les couples ont tendance à se détacher de certaines coutumes liées au choix d'un parent pour conjoint.

- En milieu de résidence rural, les couples consanguins, sont répartis avec une plus grande fréquence avec 10,74% contre 6,02% pour les unions non consanguines. Les conjoints restent fidèles à leurs traditions concernant le choix du partenaire dans le groupe et plus précisément dans la famille. L'analyse statistique par l'estimation de l'écart normal réduit comparé à la valeur au seuil de signification de 5%, reste non significative.

L'analyse statistique des données relatives aux parents des couples résidant en milieu rural, en utilisant la comparaison de deux fréquences et en estimant la valeur de l'écart normal réduit au seuil de signification de 5%, montre une différence hautement significative dans le choix du conjoint. Ce qui permet d'affirmer qu'en milieu rural, les conjoints s'unissent selon un modèle de famille traditionnel, promu par la collectivité, favorisant les unions entre apparentés, dans un même cercle familial.

Le tableau 2, résume la répartition des unions consanguines des couples étudiés, tous degrés confondus, dans les trois milieux de résidence, en comparaison avec celle de leurs parents.

 

 

Milieu de résidence

Générations

Ur

Ru

S. Ur

G.Ce

6,48

3,51

22,70

G.Pm

2,43

20,27

10,00

G.Pf

3,51

19,19

10,00

Total

12,42

42,97

42,70

Tableau 2. Répartition des unions consanguines des couples étudiés, selon leurs milieux de résidence et ceux de leurs parents. Ur: milieu urbain, Ru, milieu rural, S.Ur: milieu semi urbain.

Table 2. Distribution of the consanguineous in the studied couples, according to their locality of residence and those of their parents.

 

L’analyse du tableau 2, montre que les couples consanguins de notre échantillon, vivent surtout en milieu semi-urbain avec une fréquence de 22,70% et que leurs parents vivent encore en milieu rural avec des fréquences de 20,27% et 19,19%. Ceci explique clairement que, l'exode rural de ces couples consanguins, résidant en milieu semi-urbain, est très récent, puisque leurs parents vivent encore dans les zones rurales.

Une conclusion très importante, est que le modèle de famille préféré dans la génération des parents vivant en zone rurale (consanguinité), est donc, par l'exode rural de leurs enfants, conservé aujourd'hui dans les zones semi-urbaines, où la formation des couples actuels est réfugiée.

 

Corrélation entre milieu de résidence origine et choix du conjoint

Afin de vérifier l’existence d’un lien entre le degré de parenté des conjoints et le milieu de résidence origine, nous avons pour ceci, estimé la corrélation entre le milieu de résidence origine de la femme et celui de son conjoint, et ce, dans le groupe, des unions consanguines et celui des non apparentés. Les effectifs des différents milieux de résidence des femmes pendant l'enfance et ceux de leurs conjoints, sont portés sur les tableaux 3 a et b. Nous avons ensuite, procédé au calcul des coefficients de corrélation de Pearson afin d'évaluer la signification de cette corrélation.

 

a. Sous échantillon non consanguin

 

Milieu de résidence origine de la femme

Ur

Ru

S. Ur

Total

Milieu de résidence origine du mari

Ur

31

4

9

44

Ru

28

91

9

128

S. Ur

6

8

63

77

 

Total

65

103

81

249

 

b. Sous échantillon consanguin

 

Milieu de résidence origine de la femme

Ur

Ru

S. Ur

Total

Milieu de résidence origine du mari

Ur

7

1

1

9

Ru

2

68

5

75

S. Ur

4

2

31

37

 

Total

13

71

37

121

Tableau 3. Répartition des mariages selon le milieu de résidence pendant l'enfance des couples consanguins et non consanguins. Ur: milieu urbain, Ru, milieu rural, S.Ur: milieu semi urbain.

Table 3. Distribution of marriages according to the locality of residence during the childhood of the consanguineous and not consanguineous couples.

 

Nous avons considéré les variables X et Y telles que: X = variable milieu de résidence origine de la femme et Y = variable milieu de résidence origine du conjoint.

Chez les consanguins, il existe une corrélation linéaire positive entre les deux variables. r(X,Y) = Cov(X,Y) / [(X) x (Y)] = + 0,649

Si l'on tient compte du nombre important d'observations, cette corrélation apparaît hautement significative (r théorique au seuil de 1% étant égal à 0,22): il y a moins d'une chance sur 1000 que le hasard ait pu engendrer une corrélation aussi forte entre les deux variables X et Y.

Les valeurs optimales d'ajustement des paramètres de la droite Y = aX + b pour le critère des moindres carrés sont données par les relations:

a = Cov (X,Y) / (X)2 = 0,599

b = m (Y) – a . m (X) = 0,914

Nous en déduisons que l'équation générale donnant le milieu de résidence du mari pendant l'enfance en fonction de celui de sa femme, est la suivante:

M. R. Origine du mari = + 0,599 x M. R. Origine de la femme + 0,914

La figure 2 exprime cette droite.

 

Figure 2. M.R.O.M. = f (M.R.O.F.) chez les consanguins.

M.R.O.M: milieu de résidence origine du mari, M.R.O.F: milieu de résidence origine de la femme.

Figure 2. M.R.O.M. = f (M.R.O.F.) among consanguineous.

 

Chez les non consanguins, la valeur de la corrélation entre X et Y: r(X,Y) = + 0,591. Cette corrélation est hautement significative entre le milieu de résidence des maris, pendant l'enfance et celui de leurs femmes. a = 0,527 et b = 1,044. L’équation générale donnant le milieu de résidence du mari pendant l'enfance, en fonction de celui de sa femme, est la suivante:

M. R. Origine du mari = + 0,527 x M. R. Origine de la femme + 1,044

La figure 3 exprime cette droite de régression linéaire.

 

Figure 3. M.R.O.M. = f(M.R.O.F.) chez les non consanguins

Figure 3. M.R.O.M. = f (M.R.O.F.) among not consanguineous

 

Quelque soit le lien de parenté entre les couples de notre étude, la tendance est toujours à l'endogamie régionale. En effet, la corrélation linéaire trouvée entre le milieu de résidence des époux et celui de leurs femmes pendant l'enfance s'est révélée hautement significative dans les deux sous échantillons, consanguin et non consanguin.

 

Discussion

L'analyse de la composition des unions dans les trois milieux de résidence étudiés, a permis de saisir que le choix du conjoint s'établit entre un homme et une femme, apparentés ou bien dans la plupart des cas, entre partenaires issus d'un même milieu de résidence d'origine, et rarement, d'une façon exogame, entre individus non apparentés et issus de deux milieux différents. Nous avons noté dans notre analyse comparative, à quel point en Tunisie, indépendamment de leurs origines urbaines ou bien rurales, les personnes sont fidèles à leurs coutumes, concernant le choix du conjoint, poussés la plupart du temps par les mêmes motivations et contraintes. Toutefois, certains facteurs démographiques et culturels, tels que l'émigration massive, l'exode rural, la structure de l'emploi et le déséquilibre des sexes, entraînant une "sur féminité" dans les grandes villes et plus particulièrement dans la capitale, Tunis, expliqueraient une bonne partie des unions exogames.

D’après le recensement général de la population tunisienne effectué en 1975, la moyenne des mariages consanguins du pays est de 19,24%. Toujours dans l’ensemble de la population tunisienne, le pourcentage des mariages entre cousins germains s’élève à 18,2%. Il est toutefois plus important en milieu rural qu’en milieu urbain, soit respectivement 25,36% contre 16,13% (Ben M’rad, 1986).

Dans le même esprit, des recherches généalogiques, réalisées en Finlande par Ignatius, 1995, montrent qu’une consanguinité lointaine (au-delà du troisième degré) est fréquemment enregistrée dans les régions rurales, et le taux réel de consanguinité est donc plus élevé.

Comme il est souligné par un grand nombre d'auteurs, c'est surtout dans les milieux ruraux que l'endogamie et la consanguinité, sont pratiquées. En effet, contrairement à ce qui se passe dans les villes, les campagnes gardent encore le profil traditionnel, agricole, où les familles communautaires endogames et consanguines privilégient encore le choix de l'épouse pour les fils dans le cercle social le plus proche selon des stratégies matrimoniales de maintien de la cohésion de la famille patrilinéaire ou d’alliances entre familles, sans transfert de terres: dans la pratique et, de fait, contre le droit musulman, pour ainsi dire, les femmes n’héritent pas de terres. Les rapports de travail, tout comme les relations quotidiennes entre les divers membres, sont moins réglés par l’autorité absolue et directe du chef de famille que par le respect des normes de comportement assignant à chaque âge et à chaque sexe sa place et son rôle. La terre ne se vend pas, elle reste en principe, indivise mais peut être partagée entre frères ou groupes de frères quand le groupe domestique devient trop nombreux. Quand les ressources sont insuffisantes, un frère ou un groupe de frères peut partir s’installer ailleurs. Dans les deux cas, chacun des segments tend à reproduire le modèle dont il est issu (Chaulet, 1997).

En Asie de l'Ouest et du Sud, Hussain, (1998) trouve que les unions consanguines sont plus courantes chez les immigrées (de première ou de deuxième génération) originaires des zones rurales du Pakistan, et chez celles qui habitent en milieu rural et dont les parents sont eux-mêmes consanguins.

Pour Radovanovic et al., (1999), la fréquence totale de consanguinité (entre cousins germains et cousins issus de germains) s’est avérée significativement plus élevée dans le gouvernorat rural de Jahra (42,1%) que celui de la Capitale, Koweït (22,6%).

Selon la tradition Bédouine, qui persiste à ce jour, le mariage dans le groupe tribal est très estimé pour plusieurs raisons. En effet, le nombre important des individus de la tribu, fait sa force. Il renforce la position sociale et politique. L’appartenance du Bédouin "au groupe" lui donne une forte conscience et une fierté, qui augmentent son soutien aux membres de sa tribu, mais aussi de ses valeurs et de ses traditions (Al-Gallaf et al., 1995).

Bittles, (1994) rapporte que 50,3% de tous les mariages dans les secteurs urbains de la province du Punjab sont entre des cousins germains et entre cousins issus de germains. Il note que le pourcentage est plus élevé dans les secteurs ruraux du pays.

La proportion des mariages consanguins en Jordanie du Nord, est de 63,7%, avec un coefficient moyen de consanguinité de 0,0283. Le mariage entre cousins germains prédomine (58,5%), et ce modèle est plus répandu en milieu rural qu'en milieu urbain (Al-Salem et Rawashdeh., 1993).

 

Conclusion

La règle de l’endogamie, selon laquelle les conjoints appartiennent au même groupe social et occupent des niveaux hiérarchiques identiques ou très voisins, a prévalu pendant longtemps, et continue à prévaloir dans certains groupes sociaux encore étroitement liés aux traditions, évitant ainsi la dispersion du patrimoine en limitant le choix du conjoint à la communauté proche. La famille opère alors de véritables stratégies matrimoniales. Peu à peu, c’est la règle d’exogamie qui se substitue et commence à s'installer progressivement, permettant des échanges matrimoniaux entre communautés. Cependant, même si le choix du conjoint se fait aujourd'hui par affinités, on remarque une tendance forte à l'homogamie sociale et à l'endogamie géographique.

D'après Bozon (1991), le choix du conjoint repose sur un jeu de contraintes morphologiques, de dispositions inconscientes et de visées stratégiques. La société, par sa morphologie et la création de sous-ensembles sociaux, crée déjà, une présélection des individus que l’on est amené à côtoyer selon son origine sociale. Sans pour autant parler d’absence de liberté, il semble donc que le choix d’un conjoint est endigué socialement, aussi bien au niveau individuel qu’au niveau collectif. Quelques choix dits atypiques existent; ils seraient explicables par l’influence des origines sociales de chaque individu (profession des parents, milieu rural ou urbain…). Il existerait donc bien un fort déterminisme social régissant les unions entre les individus.

L’analyse révèle seulement qu'il est d’usage, que le choix matrimonial dans chaque lieu se différencie en fonction de la classe sociale d’appartenance des individus. Ainsi, un chacun, va trouver son conjoint dans une sphère particulière, proche de sa culture, et de ses affinités, pour des raisons conscientes ou même inconscientes, dictées par la loi patriarcale et tribale pour des raisons diverses.

En précisant le niveau d'analyse par l'étude de la corrélation entre les milieux de résidence des conjoints pendant l'enfance, selon le lien de parenté qui les unit, nous avons été en mesure de percevoir l'existence plus ou moins marquée, d'une règle de conduite qui affecte le choix matrimonial des groupes, indépendamment de leurs milieux de résidence actuels, avec néanmoins, un léger détachement en milieu urbain et un attachement fidèle et perpétuel aux traditions en milieu rural.

 

Références bibliographiques

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