Colloques du Groupement des
Anthropologistes de Langue Française (GALF)
Gorini, R., 2006, L’Affaire du pain maudit: empoisonnement dû à l’ergot ?. Antropo, 11, 33-35. www.didac.ehu.es/antropo
L’Affaire du pain maudit: empoisonnement
dû à l’ergot ?
L’Affaire du pain maudit : ergot
poisoning ?
Faculté des Etudes Orientales. Université de Rome “La
Sapienza”. Via Principe Amedeo 184. 00185 Rome, Italie. E-mail:
Rosanna.Gorini@ipsifar.rm.cnr.it
Institut de Neurosciences – Section de Rome C.N.R.
via del Fosso di Fiorano 65. 00143 Rome, Italie
Mots-clés: Pont Saint-Esprit, pain maudit,
hallucinations sensorielles, ergot
Keywords: Pont Saint-Esprit, “pain maudit”, sensory hallucinations, ergot.
Résumé
C'est en 1951 qu'a eu lieu
celle qui a été nommée par la suite "l'Affaire du Pain Maudit". Cette
année-là, à Pont Saint-Esprit, un petit village dans le Sud de la France, plus
de trois cents personnes manifestèrent un comportement anormal caractérisé
notamment par une violente hystérie, des hallucinations visuelles et
sensorielles et, en plus, une hyperactivité motrice. Pour expliquer ce
syndrome, qui a provoqué aussi des décès, on a parlé de pain infecté par
l'ergot. Cette hypothèse s’étaie par le fait que les personnes ayant manifesté
ces troubles, avaient toutes ingéré du pain ayant la même origine, c’est-à-dire fait de farine
contenant des alcaloïdes de l'ergot de seigle. Une autre hypothèse a suggéré un
empoisonnement dû au méthyle mercure, un agent fongicide utilisé dans la
récolte des céréales. Trente ans après, en 1982, on a invoqué l'Aspergillus
fumigatus, une moisissure qui contamine les denrées
alimentaires. En dépit de ces diverses hypothèses, il faut cependant remarquer
que l'origine des phénomènes associés à l'ingestion du "pain maudit"
n'a pas encore été totalement élucidée.
Dates back to 1951 the
so called “Affair du pain maudit”. In that year, at Pont Saint-Esprit, a little
village in the Southern France, more than three hundred persons showed an
abnormal behaviour, characterized by violent hysteria, visual and sensory
hallucinations and motor hyperactivity. It has been suggested that at the
origin of this syndrome, that led also to some deaths, was the use of bread
infected by ergot. People showing these symptoms, in fact, had all eaten bread
of the same origin, that is, obtained by meal containing some ergot alkaloids.
Poisoning by methyl mercury, a fungicidal agent utilized for disinfesting
cereals has also been suggested as another possible cause of the observed syndrome.
In 1982, thirty years later, it has been also hypothesized the presence, in the
infected bread, of Aspergillus
fumigatus a mould infecting the food-stuffs.
However, so far, it must be considered that the origin of the phenomena
associated with the “pain maudit” has not been completely cleared up.
Pont Saint-Esprit, un joli village au bord du fleuve Dieu le Rhône , dans le Sud de la France, est célèbre non seulement pour son pont historique mais aussi, malheureusement, pour ce qui arriva à ses habitants à partir du mois d’août de l’an 1951 et qui a été nommé par la suite “l’Affaire du Pain Maudit”. C’est dans ce petit village que, vers la moitié du mois d’août de l’an 1951, les médecins Vieu et Gabbai remarquèrent que certaines familles présentaient un syndrome particulier, caractérisé par des sensations de froid, de la nausée, des vomissements et de la lipothymie. A ces symptômes-là s’en ajoutaient d’autres, plus graves et, notamment, des convulsions, des hallucinations visuelles, des illusions sensorielles, de l’euphorie, des crises dépressives et des tendances suicidaires.
Les comptes rendus
décrivent Pont Saint-Esprit comme une espèce de cercle dantesque où des
personnes qui hurlent se déambulent, terrorisées, dans les rues envahies par le
hululement des sirènes des ambulances. Ce cauchemar parvint à son point
culminant pendant la nuit du 24 août qui, par la suite, sera décrite par le
docteur Gabbai comme « ma
nuit d’apocalypse » (Giraud, 1973). Voilà comment Fuller la décrit :
« Toute cette nuit-là, des voitures, des charrettes, toutes sortes de
moyens de transport amenèrent à l’hôpital des malades gémissant ou hurlant, en
proie à des phantasmes de violence ou de peur… ». Et aussi le matin
suivant, dans les premières heures de la journée : « Les malades se
croient entourés de flammes ; c’est ce qui les poussait vers les fenêtres…
ils étaient éblouis de visions violemment colorées… » (Fuller, 1968).
Les effets psychiques
s’évanouirent après quelques mois et, vers la fin d’octobre, la situation
retourna à la normalité (Giraud, 1973).
Le bilan final fut de presque une dizaine de morts et des centaines de
malades, qui habitaient tous à Pont Saint-Esprit ou dans les environs, dont une
soixantaine fut emmenée dans les hôpitaux psychiatriques de Montpellier, Nîmes,
Avignon, Orange et Lyon.
On a supposé qu’il
s’agissait d’un empoisonnement alimentaire dû, notamment, au pain infecté par
de l’ergot. Cette hypothèse est confirmée par le fait que ceux qui sont tombés
malades avaient tous ingéré du pain vendu par la même boulangerie, dont la
farine contenait de l’ergot (Gabbai et al., 1951), ce qui a été
prouvé par une analyse pharmacologique effectuée à Marseille.
Chez les plantes,
l’infection due à l’ergot a été décrite depuis les temps les plus reculés
(Fayardo et al., 1995). Elle concerne les céréales, notamment le froment,
l’orge et l’avoine, mais – plus fréquemment – le seigle. Le processus de
l’infection concerne seulement les parties fleuries et les caryopses en voie de
développement et il est provoqué par de nombreuses espèces et variétés de
champignons parasites qui appartiennent au genre des Claviceps. L’espèce Claviceps purpurea (Classe : Ascomycetes, famille Clavicipetaceae), est la plus répandue et
la plus nuisible.
L’ergot provoque une
maladie de l’homme et des animaux qui s’appelle l’« ergotisme ». Chez
les êtres humains, on a observé trois formes principales d’ergotisme :
gangréneuse, convulsive et hallucinogène. La première forme est caractérisée
par de grandes plaies, des boursouflures enflées qui rongent les extrémités
jusqu’à en provoquer le détachement du corps avant le décès (Van
Dongen, de Groot, 1995). Les
sujets atteints de la deuxième forme d’ergotisme présentent généralement des
vomissements, de la diarrhée et des sensations de brûlure aux extrémités. Ce
phénomène est parfois appelé « Feu de Saint Antoine ». Cette deuxième
forme d’ergotisme peut présenter aussi des convulsions, des mouvements de danse
et des spasmes. Cette symptomatologie est parfois dénommée « Bal de Saint
Vito ». La troisième forme, hallucinogène, est caractérisée par les mêmes
symptômes que les deux autres mais aussi par de fortes
hallucinations, du
nervosisme, de l’excitation physique et psychique, de l’insomnie et de la
désorientation.
Dans le passé, il y a eu -
bien que rarement - des épidémies d’ergotisme chez les peuples qui se
nourrissaient de seigle. Cependant, les épidémies les plus graves se
concentrent entre la fin du 10ème et du 19ème siècle.
Même récemment, c’est-à-dire dans la première moitié du 20ème siècle,
en Russie et en Angleterre, on a enregistré des épidémies d’ergotisme.
Outre l’hypothèse de
l’empoisonnement dû à l’ergot, on a avancé d’autres hypothèses à propos
des évènements de Pont
Saint-Esprit. Selon une de ces dernières, l’empoisonnement aurait été provoqué
par la présence de méthyle mercure, un agent fongicide bien
connu (Bouchet, 1980), alors qu’il
y a trente ans Moreau (Moreau , 1982) a considéré une moisissure qui
infecte les denrées céréalières, lAspergillus fumigatus, la vraie responsable de ce
syndrome.
Cependant, aucune de ces trois hypothèses est vraiment convaincante et « l’Affaire du pain maudit » reste un mystère irrésolu.
Bouchet, R. L., 1980, L’affaire du “pain maudit” de Pont Saint-Esprit.
Phytoma-Def. des Cultures, 22, 33-36.
Fayardo, J. E., Dexter, J.
E., Roscoe, M. M. et Noricki, T.W., 1995, Retention of ergot alkaloids in wheat
during processing. Cereal Chemistry, 72, 291-298.
Fuller, G. J., 1968, The day of St. Anthony fire (New York, Macmillan),
pp. 310.
Gabbai, J., Lisbonne, L. et
Pourquier, F., 1951, Ergot poisoning at Pont Saint-Esprit. British Medical Journal, 2, 650-651.
Giraud, G., 1973, Le pain maudit de Pont Saint-Esprit et ses mystères. Journal de mèdecine de
Montpellier, 8, 413-427.
Moreau, C., 1982, Les
mycotoxines neurotropes de l’Aspergillus fumigatus; une
hypothèse sur le “pain maudit” de
Pont-Saint-Esprit. Bulletin de la Société Mycologique de France, 98, 261-273.
Van Dongen, P.W., de Groot, A. N., 1995, History of ergot alkaloids from
ergotism to ergometrine, European Journal of Obstetrics & Gynecoly and Reproductive
Biology, 60(2), 109-116.