Colloques du
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www.didac.ehu.es/antropo
Apport
des généalogies réelles et mythiques à la reconstruction de l’ethnogénèse
Bouriate: exemple de la vallée de Bargouzine (Bouriatie)
Contribution of real and mythical genealogies in the
reconstruction of the ethnogenesis of the Buryats: example of the valley of
Bargouzine (Byriat Republic)
M.
Gibert1, M. Perrucho1,
A. Sevin1, Z. Sazhinova2, B. Bazarov3 et P.
Konovalov3
1Centre
d’anthropologie - UMR 8555, Toulouse (France)
2Université
d’Etat Bouriate (Bouriatie)
3Académie
des sciences de Russie, Ulan-Ude (Bouriatie)
Auteur chargé de
la correspondance: Gibert Morgane – Centre d’anthropologie- UMR 8555, 37
allées Jules Guesde. 31000 Toulouse, France. Mél : gibert@cict.fr
Mots
clés: République
Bouriate, généalogies, mythes, archéologie, ethno-genèse
Key words: Buryat
Republic, genealogies, myths, archaeology, ethnogenesis
Nous nous placerons dans une perspective bio-anthropologique visant à retracer à travers ces différentes généalogies, les stratégies d’alliance et l’origine de la population bouriate de la vallée de Bargouzine. Cette étude constitue un préalable à l’analyse génétique qui sera menée dans le cadre de nos recherches sur l’histoire du peuplement de la Sibérie Orientale.
Abstract
Real and
Mythical genealogies are revealing not only the structure, the origin of the
population, but also their relations with their environment and the process of
construction and deconstruction of “identity”. Here, we propose analyzing real
and mythical genealogies of the Buryat population, with a focus on the
population of the Bargouzine Valley.
From a
bio-anthropological point of view, we will interpret these genealogies in terms
of marital strategies and origin of the Bouriate of this Valley. This
study precede the genetic analysis
that will be done as part of our research on the peopling of Oriental Siberia.
Introduction
Le travail présenté ici constitue la première étape de l’étude bio-anthropologique menée en Bouriatie. En effet, la structuration interne des populations modifie leur pool génétique et complique l’interprétation du profil génétique observé.
Précédemment, une étude (Chaix et al., 2004) s’est intéressée aux discordances entre filiations mythique et génétique dans les lignées paternelles de populations d’Uzbekistan dites traditionnelles. Il s’agissait alors d’évaluer dans quelle mesure la reconnaissance réelle ou sociale d’un ancêtre commun était en accord avec les données génétiques. Le résultat obtenu par étude du chromosome Y a été une concordance des données génétiques et mythiques au niveau du «clan» mais une discordance au niveau de la «tribu» qu’une construction sociale de l’ancêtre commun pourrait expliquer. Il découle de ce résultat qu’une étude préalable prenant en compte la hiérarchisation sociale de la population est nécessaire avant de définir la «population» pertinente pour une analyse génétique.
La population qui nous intéresse est celle de la République Bouriate car elle constitue un élément clé à la fois pour la compréhension du peuplement de la Sibérie Orientale (Pakendorf et al., 2002, Pakendorf et al., 2003, Ricaut et al., 2004, Starikovskaya et al., 2005) mais aussi pour celle des migrations vers les Amériques (Santos et al., 1999, Karafet et al., 1999, Derenko et al., 2001, Bortolini et al., 2003, Derenko et al., 2005, Schurr et al., 2004). La Bouriatie comme nombre d’autres pays a été modifiée par l’histoire récente tant dans ses contours que dans la composition et distribution de sa population. Dans un premier temps nous avons donc décidé de nous concentrer sur un espace bien délimité et dont la géographie et les textes nous garantissaient un relatif isolement tout au moins vis à vis des migrants récents. Ainsi, l’analyse des généalogies présentée ici portera sur la population bouriate de la vallée de Bargouzine.
Matériel et méthode
Données générales sur la Bouriatie
Géographie: La République Bouriate a déclaré sa souveraineté dès 1990, mais l’a reperdue dix ans plus tard. Elle fait partie intégrante de la Sibérie Orientale et constitue un des éléments de la Fédération de Russie. Le district d’Ulan-Ude (capitale de la République) est situé entre les rives Sud et Est du Baïkal et la frontière mongole. Le pays est aux quatre cinquièmes montagneux, mais il comprend toutefois les deux tiers des littoraux du Lac Baïkal (cf. figure 1).
Archéologie: Il existe un grand nombre de curiosités archéologiques le long des côtes et sur les îles du lac Baïkal attestant une occupation du territoire depuis l’âge de Pierre. La transition du Paléolithique au Néolithique s’est opérée lentement entre le XIII° et IX°siècle av JC pour aboutir finalement à un Néolithique «mûr» (céramique plus évoluée, pointes de flèches biseautées..) vers le VI°-IV° siècle av JC. Au IVe et IIIe millénaire avant Jésus Christ, les tribus qui vivaient à l’embouchure de la Selenga ont créé une culture baïkalienne originale.
L’âge du Bronze laissera par la suite de nombreux vestiges. Ceux-ci permettent de distinguer diverses cultures. D’un côté, les tombes, les pétroglyphes, les dessins rupestres montrent des tribus étroitement liées à la taïga sibérienne alors que les tombes de dalles caractéristiques des tribus proto-mongoles présentes partout en Bouriatie certifient la présence d’îlots de peuples steppiques. Ainsi, la préhistoire de la région péribaïkalienne apparaît non seulement comme ancienne mais surtout comme marquée par sa position intermédiaire entre la zone forestière et celle des steppes. A la fin de l’âge de bronze, cette zone est encore une zone de mélange actif où se rencontrent nomades proto-turcs et proto-mongols tout au long du I° millénaire av JC.
Par la suite, ces rencontres entre peuples nomades des
steppes perdureront. La Bouriatie connaîtra les différents empires ou États
établis par ces derniers, qu’ils soient turcs ou mongoles: Empires
de Huns, Empire de Gengis Khan ou Etats nomadiques des San Bi, des Jujuen et
des Kidans (mongolophones) ou des Ouighours, des Khirgiz, des Taqués
(turcophones) (Konovalov 1976, 1995).
Histoire: Au XVII°s, s’amorcent les premiers contacts avec les Russes
attirés par les fourrures, l’or, l’argent, les pierres précieuses et les terres
fertiles. Cette colonisation a pour effet de sédentariser les populations
bouriates et d’interdire les traditions et les pratiques religieuses (chamanisme,
bouddhisme). A partir de cette date, la Bouriatie sera considérée par le régime
soviétique comme «un succès de la colonisation russe», toute l’administration
bouriate étant sous contrôle russe. La république bouriate sera crée suite à la
révolution de 1917, obtiendra son statut sous le nom
de RSSA (République Socialiste Soviétique Autonome) en 1923 et réunira
administrativement la Trans et Cis-Baïkalie. Staline considère les Bouriates
comme une minorité de poids démographique mineur et son objectif est la
«nativisation» c’est à dire la soviétisation de la république. Les moyens
engagés pour cela seront les «purges» de 1937, la collectivisation des terres,
l’urbanisation et l’organisation en kolkhozes et sovkhozes de la population
rurale. La stratégie est la «disparition» des anciennes structures sociales
c’est à dire la «russification» des populations minoritaires. En 1956,
Khrouchtchev dénonce les crimes de Staline et lance la déstalinisation mais les
immigrants, russes en particulier, installés en République autonome refusent de
retourner dans leur pays d’origine. En 1992, la RSSA devient officiellement la
République de Bouriatie (Atlas, 2000).
Figure 1. Localisation
géographique de la République Bouriate et en particulier de la vallée de
Bargouzine.
Figure 1. Location of the Buryat Republic and the Valley of
Bargouzine.
Concernant la reconstruction des généalogies «mythiques» nous nous sommes appuyés sur les divers ouvrages traitant des rites et traditions Bouriates (Hamayon 1990), sur les üliger (longs poèmes épiques dont l’exécution chantée constitue un véritable rituel), et les anciens récits de voyageurs.
Ayant décidé de nous intéresser plus particulièrement aux Bouriates de la vallée de Bargouzine, nous avons tout d’abord recensé puis traduit les principaux ouvrages traitant de la population de cette région. L’étude repose ainsi sur les écrits laissés par les érudits du XIX°-XX°s, comme N. Sakharov auteur de la chronique intitulée: «les étrangers vivant dans la vallée de Bargouzine de la région de TransBaïkalie», Tsedebzhab Sakharov auteur des «chroniques des bouriates de Bargouzine (1887) et sur ceux laissés ensuite par des experts des généalogies des tribus et des clans M. Malasgaïev et J. Sazhinov. Depuis le communisme d’autres savants ont perpétué le recueil de données comme S.P. Baldaïev avec «l’origine et le peuplement des Bouriates de Bargouzine», et G.N. Roumiantsév avec les «Bouriates de Bargouzine». Une source d’informations complémentaire est celle des recensements et autres registres administratifs soviétiques tels que ceux fournis par les Commissions de Patkanov, Koulomzine.
A la lecture de ces documents s’ajoutent les résultats
obtenus grâce aux interviews et aux analyses de registres administratifs menés
au cours de deux missions (été 2004 et printemps 2005). Le but de l’étude
préliminaire de la vallée de Bargouzine était de déterminer si la structure
clanique avait perduré et si des stratégies d’alliance existaient encore. La
Basse-Bargouzine étant peuplée majoritairement de Russes (Figure 1), nous nous
sommes concentrés sur le haut de la vallée. Ainsi, l’enquête avec
questionnaires a été menée dans le village de Olunkan, et l’étude des registres
à Olunkan et au chef lieu
administratif de la zone Nord de la vallée, Kurimkan .
Ces registres couvrent les périodes de 1936-1957 et 1977-1988, les
données intermédiaires étant manquantes voire perdues pour l’administration.
Résultats
Les «Bouriates»: Origine et mythologie
Bien que les ethnies présentes en Bouriatie soient multiples et que le nombre de colons russes ait largement dépassé celui des indigènes à la fin XVIII°, les communautés restent séparées: tel village sera à dominante bouriate, tel autre à dominante russe.
Ainsi la conscience d’une identité «bouriate» reste marquée bien que la genèse de ce peuple soit mal connue. Le nom de Bouriate est mentionné pour la première fois par les Russes (1609) qui découvrent alors une société structurée avec ses propres lois, sa propre version du bouddhisme mongol, ses rites et sa propre langue. (Le Bouriate appartient à la famille des langues altaïques et à la sous-famille des langues mongoles [http://www.ethnologue.com/]. La tradition écrite est basée sur le vieil alphabet mongol connu uniquement des milieux bouddhisés de Transbaïkalie qui a été remplacé en 1930 par l’alphabet latin puis en 1939 par l’alphabet cyrillique). Toutefois, l’Histoire Secrète des Mongols, chronique mongole du XIII°s, évoque les tribus Ikires, Khori, Toumat, Bargout, Bulagat que l’on peut rattacher aujourd’hui à l’ensemble Bouriate (Even et Pop, 1994). C’est ce même document, avec «les Annales et chroniques historiques» de Rachid Al Djen Ad Din, qui nous fournit le plus d’informations concernant le légende de Borto Chino, un des ancêtres majeurs des Mongols, voire des Bouriates d’après P. Konovalov.
La mythologie propose un ancrage dans le temps de l’origine des «Bouriates». Ainsi, l’ancêtre commun aurait vécu au temps où le territoire représentant la Bouriatie actuelle était connu sous le nom de Bargoudjin Toukoum, soit entre le XII° et le XIV°s ap JC (figure 2). Celui-ci aurait bien donné naissance à l’ensemble des tribus et des clans connus aujourd’hui, exception faite des clans Tseguenout originaires de Djoungarie.
Par ailleurs, la généalogie offre des hypothèses quant à l’origine du nom «Bouriate» (figure 3). Selon la première hypothèse, «Gour Bouriat», l’un des trois fils de Barga Bator, aurait donné son nom à l’ensemble des «Bouriates». Toutefois, cette explication semble trop simpliste pour certains auteurs parmi lesquels T.B. Tsydendambaïev qui propose une alternative. Pour celui-ci, le nom de Bouriate dériverait du nom Turc «Bure» et représenterait le nom totémique de la tribu ou du clan du «loup». En effet, un grand nombre de clans bouriates portent des noms qui selon P. Konvalov peuvent être interprétés comme des variantes adjectives du mot «chien»: par exemple Galzut signifierait «chien enragé» et Charaid, «chien jaune». (A ce sujet, l’avis des spécialistes diverge. Les noms de couleur étaient largement utilisés autrefois dans les mondes chinois, turc et mongol, pour distinguer les groupes selon leur répartition dans l’espace, c’est ainsi qu’on pouvait avoir les Mongols Bleus, mais on avait de même la Mer Rouge et la Mer Noire. De même, la couleur «jaune» peut être associé au boudhisme.). Deux clans Ekhirit portent aussi actuellement le nom de «loup ou chien»: le clan «Chino» et le clan «Boura» qui porterait le nom turcophone original.
Figure 2. Distribution des
principales tribus bouriates occupant le territoire appelé Bargoudjin Toukoum,
XII°-XIV°s (d’après P. Konovalov sur la base des archives archéologiques)
Figure
2. Map of the main buryat tribes living in the
Bargoudjin Toukoum Territory, XII°-XIV°s (according P. Konovalov, on the basis
of archaeological data)
Figure 3. Généalogie mythique des Bouriates avec
Barga-Bator comme fondateur des tribus bouriates (en rouge: les tribus de la
vallée de Bargouzine; en bleu : les principaux clans de la vallée de
Bargouzine)
Figure 3. Mythical genealogy of the Buryats with «Barga
bator» as founder of the Buryat tribes (red : tribes of the Valley of
Bargouzine; blue : main clans of the Valley of Bargouzine)
Les Bouriates: Ethnogenèse et mythologie
Le fait que le totem du «loup» puisse être désigné à la fois en mongol et en turc n’est pas étonnant en soi (Bazin 1994). La communauté d’art et de culture des populations des steppes est bien connue (Lebedynsky 2003). Le totem du loup comme celui du renne ou d’autres serait commun aux populations turco-mongoles car il représenterait un héritage des proto-Huns qui vivaient au Sud-Est de l’Asie centrale et/ou au Nord de la Chine, avant même que l’empire Hun ne soit fondé (d’après Konovalov). Mais, comment expliquer la présence de ce totem à la fois sous les noms turcs et mongols? Que peuvent nous apporter les généalogies sur cette double composante de la population Bouriate?
La plus simple hypothèse est celle de contact entre les populations turques et mongoles. En effet, l’existence de contacts, de mélanges et de migrations n’est contestée par personne, en outre ces populations sont apparentées linguistiquement. Par ailleurs, une autre mythologie se rapportant aux origines de Gengis Khan fournit ici quelques indices en ce sens. La généalogie des Bouriates croise celle de la lignée d’Or, «Altan Urug» (possible fondateur du clan des futurs khans Mongols) dont il faut noter le nom totémique de «Borte Chino» (figure 4). Son descendant à la 11° génération (10° siècle), Dobun-Merguen, aurait épousé la belle Alan-Goa, fille de Khoridoi-Merguen. De cette descendance serait issu Gengis Khan et la légende de l’origine bouriate de sa lignée maternelle.
Dès lors, on doit rapprocher la généalogie mythique des données historiques et considérer en plus de la lignée de Barga-Bator celle de Bargudaï-Merguen (figure 3). Dans cette généalogie, le nom de Khoridoi-Merguen personnifie la tribu Khori dont les textes écrits en ancien turc sur les stèles des tumulus du VIII°s ap JC en font les descendants des Uch-Kurikan (trois Kurikan) alors que celui de Bargoudai-Merguen personnifie la tribu Bargud qui remonte historiquement aux tribus Baïyrtu-Bargud des mêmes textes turcs sur les stèles de pierre.
Ainsi, le pays de «Bargudjin Toukoum», évoquant le territoire correspondant à la Bouriatie actuelle est personnifié par Bargu-Bator, descendant des Bargous Médiévaux issu de la tribu Baïrku. Toutefois, la mythologie de «Borte Chino» relate la contribution de Khoridoi-Merguen. Si les liens existant entre cette généalogie et celle de Barga-Bator ne sont pas clairs, celle-ci laisse supposer une contribution des descendants turcophones de la tribu Baïrku Kurykan présents eux aussi entre le 6 et 9° siècle sur l’actuel territoire bouriate.
Figure
4. The Buryat genealogy at the light of historical,
archaeological (black, according P. Konovalov) and mythical data (legends
and stories on Barga Bator in red,
legends and stories on the “gold
horde” in green, ? hypothetical relations between the two genealogies)
Ainsi, la mythologie appuyée par les écrits turcs des stèles témoigne des contacts contacts turcs et mongols (Kurikan) et mongoles (Bargud) dès les débuts de l’ethnogenèse bouriate auxquelles s’ajoutent des apports ultérieurs (ici mongols des futures tribus de la «Horde d’or»).
Seuls les questionnaires permettent aujourd’hui d’accéder à
l’information sur les clans dans la mesure où cette donnée ne figure pas dans
les différents registres. L’interview des habitants de Olunkan a mis en
évidence la conscience d’une détermination clanique de l’individu. En effet,
parmi les cinquante et un individus non apparentés interrogés sur leur clan
d’origine seuls 5 n’ont pas répondu. Tous connaissaient la lignée paternelle et
un grand nombre la lignée maternelle, en particulier les femmes.
Par ailleurs, lorsque nous interrogions les individus sur le
clan du mari ou de la femme, la question d’un mariage au sein du même clan a
été à bannir tellement le tabou du mariage endogame semblait persistant. Cette
donnée semble confirmée par les premières analyses des registres même si les
effectifs des échantillons restent à augmenter.
Grâce aux interviews nous avons pu déterminer les clans des couples qui se sont mariés à Olunkan pour 42 des 79 mariages bouriates réalisés entre 1936 et 1957, puis pour 40 des 66 mariages bouriates réalisés entre 1977 et 1988. D’un point de vue statistique, la seule donnée que nous pouvons retenir est celle du maintien d’une préférence pour les mariages exogames. Celle-ci met en évidence que la stratégie de «destruction» des anciennes structures sociales et minorités engagée par le régime soviétique n’a pas totalement effacé la structure clanique de la population bouriate.
Discussion
Le travail présenté ici a pour objectif principal de montrer
l’intérêt d’une approche pluridisciplinaire pour définir l’ «objet
d’étude» anthropologique, c’est à dire ici la population. Les techniques
actuelles permettent aujourd’hui de confronter les données de l’ADN ancien à
celles de l’ADN moderne mais reste alors à définir l’ «objet» de la
comparaison. Cela sous-entend que l’on puisse définir une entité qui soit à la
fois «invariante» et «évolutive», c’est à dire que l’on puisse représenter la
population par un système complexe.
La logique consiste à considérer qu’une structure modifiée
sous l’impulsion d’un événement extérieur n’est jamais remplacée mais connaît
une dynamique propre correspondant à un choix parmi le champ des possibles
proposés par sa structure initiale. Reste alors à définir la structure initiale
de la population et les réponses que celle-ci a pu fournir aux évènements
extérieurs, comme par exemple la domination soviétique.
Il est clair que le contexte socio-politique a joué sur la
détermination des populations, en témoigne l’évolution des modes
d’enregistrements lors des recensements. L’identité culturelle est construite
par soi et/ou par autrui, mais quelles en sont les répercussions au plan
biologique ? Est-ce que malgré les apparences, la structure initiale de la
population assurée par les systèmes d’alliance et de parenté est elle aussi
modifiée ?
Il ne sera pertinent de comparer les données de la
paléogénétique et de l’ADN moderne que si l’on peut saisir la dynamique interne
de la structure de la population. Cela demande une grille de lecture que seuls
les spécialistes et en particulier les ethnologues peuvent nous fournir.
Nous avons choisi de présenter ici une mythologie, celle de
Barga-Bator, pour démontrer l’intérêt de ces données pour l’analyse de la
dynamique de la structure de la population. Dans la mesure où ces données
pouvaient être corrélées à celles de l’archéologie et de l’ethnologie des
populations actuelles, elles permettent de tisser un lien entre différentes
périodes.
Conclusion
Il s’agit ici d’un travail préliminaire mais il nous reste
aujourd’hui à développer en collaboration avec les ethnologues une grille de
lecture permettant de définir parmi les mythologies proposées celles qui sont
«manipulées» et celles qui sont «authentiques». Comme le précise Roberte
Hamayon (communications personnelles), il s’agit de contextualiser ces
mythologies. Par exemple, «celle de Barga-bator, qui n’est qu’une parmi de
nombreuses autres, est tardive et faite pour donner un semblant d’unité à des
groupes réunis sous le nom de Bouriate bien après leur inclusion dans l’empire
russe». Il est
donc probable que cette légende ne reflète pas exactement la structure initiale
de la population. Ainsi, le travail en cours est double. Il consiste à
augmenter d’une part le panel de données ethnologiques en collaboration avec
des spécialistes, d’autre part à poursuivre le travail de terrain incluant à la
fois les généalogies, l’appartenance aux clans et sous-clans et les
prélèvements génétiques.
Remerciements: Ce
travail a été supporté par un BQR-2005 de l'Université Paul Sabatier et par le
programme "Siberie" JCJC 2005 de l'ANR 2005 (** JC05_62756). Nous tenons ici
à remercier Madame R. Hamayon qui nous a fourni de précieux conseils ainsi que
les membres de l’administration d’Olunkan et de Kurimkan.
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