Prost, M., Boëtsch, G., 2005, Biodémographie et Migrations Matrimoniales dans l’Ecosystème Alpin. Les populations montagnardes des Massifs du Dauphiné du 16e au 19e siècle. Antropo, 10, 1-18. www.didac.ehu.es/antropo


Biodémographie et Migrations Matrimoniales dans l’Ecosystème Alpin. Les Populations montagnardes des Massifs du Dauphiné du 16e au 19e siècle

 

Biodemography and Matrimonial Migrations in Alpine Ecosystem. The Mountains Populations of Dauphiné Province (16th- 19th centuries)

 

Michel Prost et Gilles Boëtsch

 

UMR 6578: Laboratoire d’Anthropologie:adaptabilité biologique et culturelle. CNRS - Université de la Méditerranée. Faculté de Médecine.  27, Bd Jean Moulin. F-13385 Marseille Cedex 5. E-mail: michelprost@wanadoo.fr

 

Mots Clés: Biodémographie, Dauphiné, Ecosystème montagnard, Migrations matrimoniales.

 

Keywords: Biodemography, Dauphiné, Mountains ecosystem, Matrimonial migrations.

 

Résumé

Les populations montagnardes du Dauphiné ont, de la période pré-romaine jusqu’au milieu du Moyen Age, évolué dans un relatif confinement interne. Durant un long intervalle allant du 13e jusqu’au milieu du 20e siècle, les historiens mettent en exergue le fait que les patronymes portés par les autochtones se retrouvent quasiment sans déformation et spécifiquement dans chacune des vallées. Ces conjectures et constatations inclinent à penser que dans cette partie des Alpes, le peuplement d’origine a évolué selon un mode de spéciations plus ou moins avéré. Au moyen de 80000 unions prises dans une centaine de communautés durant le continuum 1570 - 1943, plusieurs indices de biodémographie sont évalués. L’apparentement, l’endogamie de paroisse et de massif sont quantifiées. Les échanges matrimoniaux, que nous qualifions de migrations, qui se sont produits entre les différentes populations sont aussi mesurés. On a déterminé ensuite si la nature de l’écosystème avait un impact sur les différents indices établis. En ce qui concerne les échanges de conjoints, on découvre que les Dauphinois privilégient l’endogamie locale. 3/5 des unions se réalisent entre époux d’une même paroisse et 90% entre personnes d’un même massif. En revanche, les échanges inter-massifs sont négligeables, moins de 2%. En dépit d’une forte endogamie géographique, le niveau d’apparentement n’est guère considérable, cela semble dû aux tailles des populations respectives. Quant à l’écosystème, chacun des paramètres interagit spécifiquement: l’apparentement est dépendant de l’altitude, l’endogamie géographique est davantage corrélée à la superficie et la diversité patronymique à l’isolement géographique.

 

Abstract

The alpine populations of Dauphiné have evolved in a relative containment since the antique period until the Middle Ages. During a long interval from the 13th till the 20th century, the historians propose the fact that the surnames carried by the mountain dwellers are found specifically in each alpine valley. These observations give rise to think that, in the Alps, the settlement of origin evolved according to a mode of speciations. In this study 80000 marriages are observed, in a hundred communities. During more than 400 years, several indices of biodemography are estimated. The matrimonial exchanges, which are termed here as “migrations”, are also measured. For the choice of the spouse, the alpine ones privilege the proximity: 3/5 of the unions are realized between persons from the same parish and 90% between people of the same moutain mass. On the other hand, the inter-moutain masses exchanges are negligible, less than 2%. In spite of a strong repeated geographical endogamy, the level of relationship is not important. As for the ecosystem, each parameter interacts specifically. The relationship depend of altitude; the geographical endogamy is more correlated with surface and the patronymic diversity with geographical isolation.

 

Aujourd’hui l’on s’accorde pour admettre que jusqu’au dix-huitième siècle, les regards portés sur les Alpes, que ce soient ceux de la société globale ou ceux de la société locale, les faisaient considérer comme un ensemble de mauvais pays où manquaient la vigne et le froment, les deux piliers de la richesse rurale. Si l’on ajoute à cela que la circulation était toujours difficile et parfois dangereuse l’on comprend mieux que les Alpes n’aient pendant longtemps inspiré qu’indifférence ou crainte. Jean-Paul Guérin, (in Debarbieux, 1989).

 

Introduction et problématique

Les populations vivant en altitude font preuve, plus qu’ailleurs sans doute, d’une adaptabilité constante aux multiples pressions qu’elles subissent années après années. En réalité, l’environnement dans lequel elles s’insèrent puis évoluent est sinon hostile, en tout cas fortement contraignant. Parmi toutes ces astreintes, deux paraissent prépondérantes. Il y a d’abord la configuration des sols qui est de plus en plus inclinée au fur et à mesure que l’on s’élève, on parle alors de valeur des pentes ou gradient clinométrique. Puis, c’est la température ambiante qui décroît en fonction de l’altitude, les géographes estimant cette décroissance à 0,5°C/100m. Mais bien d’autres facteurs du milieu montagnard peuvent être encore mis en avant: durée du manteau neigeux, durée de la période végétative, gradient d’érosion et de sensibilité aux catastrophes naturelles, pluviométrie, etc. (Debarbieux, 1989). Autant dire que la stabilité des familles sur un site montagneux semble relever d’un véritable défi. Pourtant, dès le retrait des glaciers des Alpes, les préhistoriens déduisent que les hautes vallées de l’Arc Alpin furent l’objet d’habitats temporaires puis permanents (Dellozcourt, 1924; Dellenbach, 1935). Plus tard, de l’époque préromaine à la fin du Moyen Age, différentes études ont montré que les populations de ces terroirs d’altitude sont restées relativement stables et actives dans la mise en valeur de cet écosystème particulièrement difficile (Prieur, 1968; Barruol,1975; Falque-Vert, 1997; Segard et al. 2003; Leveau, 2003). D’ailleurs, une constante semble ressortir de l’ensemble de ces recherches: la persistance de ces populations à demeurer sur leur propre lieu d’implantation. Avant la conquête romaine, les textes antiques nomment les différentes tribus en place. Dans le futur Dauphiné, chaque massif possède une terminologie particulière et, fait relativement rare, chaque vallée du secteur étudié, pourtant contiguës, abrite une population nommée différemment. Les Quariates se situent à l’emplacement actuel du Queyras, les Brigianii occupent le Briançonnais, les Ucennii sont installés en Oisans… (cf la figure 1, de l’ouvrage de Barruol, 1975). Les diverses appellations des groupements humains, des toponymes et même des oronymes, présents avant l’envahissement des légions romaines, sont finalement restés en l’état et ont perduré jusqu’à nos jours sans pratiquement aucune altération (Allix, 1929, Blanchard, 1938-1956, Rousset, 1988). On retrouve quasiment toutes les mentions de lieux sur les cartes ou les micro-toponymes sur les cadastres. Ce faisceau de constatations incline à penser que les populations alpines de ce secteur se sont sans doute renouvelées sans vraiment subir d’influences majeures de la part des autres populations de plaine. D’ailleurs, les spécialistes de l’antiquité abondent en ce sens. Ils notent explicitement que les différents envahisseurs qui se sont succédés, ne se sont jamais véritablement intéressés aux peuplades du Haut - Dauphiné. Ainsi, ce terroir connu un peuplement initial, mais son évolution est mal définie, et différents scenarii s’affrontent:

            - soit les Alpins se sont reproduits exclusivement entre eux, c’est la théorie de l’isolat. Ce modèle, employé en génétique de population, ne trouve pas sa réalité dans les recherches actuelles (Jacquard et al, 1976; Sauvain-Dugerdil, 1990).

            - soit le peuplement alpin est resté en place et a fonctionné en autarcie en accueillant sporadiquement au cours du temps des populations qui, cherchant un refuge, ont été poussées par l’envahisseur.

- soit les autochtones ont accueilli massivement et continuellement des populations refluant des plaines pour échapper aux passages incessants des envahisseurs par les grands cols alpins. Mais dans ce cas, la toponymie et les différentes appellations des groupements humains auraient radicalement changé au gré des «vagues» et des établissements successifs.

 

Figure 1. Carte de la province de Dauphiné avec indications des massifs étudiés.

Figure 1. Card of the Dauphiné province with severals indications of mountains mass observed.

 

            Il semble plausible que le deuxième scénario se soit déroulé. Cependant, il s’agirait d’une variante puisque, à la lumière des recherches actuelles, on comprendrait fort mal que l’on vienne s’installer en altitude, même si c’était pour y trouver refuge. Il n’existe pas en Europe de modèle d’implantation massive de population du bas vers le haut, hormis les vaudois, dont nous avons récemment montré qu’il ne pouvait s’agir finalement que d’un phénomène d’évangélisation. Cette variante dauphinoise pourrait s’élaborer ainsi, les populations d’altitude ont assuré leur dynamique générationnelle par des échanges matrimoniaux et génétiques internes. En effet, les travaux conduits sur cette problématique dans les Alpes montrent que ce sont les échanges de proximité qui priment (Hussels, 1969; Netting, 1972; Khera, 1973; Viazzo, 1989; Gueresi et al., 2001; Prost, Boëtsch, 2001 et 2002). Aussi, pour tenter d’appréhender la conformité d’un tel schéma, nous essayons d’étudier les comportements et les échanges matrimoniaux des Dauphinois. En examinant, un nombre important de personnes pris dans une multitude de lieux répartis dans l’espace alpin, nous devrions pouvoir remarquer, parmi une diversité de comportements, l’émergence de lignes de conduite plus ou moins fédératrices, voire unificatrices. Ceci paraît d’autant plus avéré que nous choisissons de travailler sur une période continue pluriséculaire.

Dans cette étude, nous nous proposons d’observer les attitudes des Alpins en matière de choix du conjoint et de dynamique évolutive. Nous chercherons à connaître également quel(s) impact(s) l’écosystème d’altitude peut avoir sur le marché matrimonial et comment les montagnards s’organisent en matière d’apparentement. Au demeurant, si cette étude s’effectue principalement sur une large période historique recouvrant les contextes dits Moderne puis Contemporain, il paraît possible d’accroître la dimension diachronique en adjoignant une partie du Moyen Age. En effet, les travaux déjà conduits sur la partie haute de cette province n’indiquent aucune rupture comportementale et surtout aucun changement dans les patronymes depuis les 12 - 13es siècles, jusqu’au milieu du 20e (Chevalier, 1913 - 1926; Falque - Vert, 1997).

 

Matériel et méthode

            Matériel

            Pour réaliser cette étude, un ensemble de 122 paroisses sera observé. [Relevés et informatisation du Centre Généalogique du Dauphiné (CGD) et de l’Association Généalogique des Hautes-Alpes (AG05), base de données du programme D.A.U.P.H.I.N.E. développé à l’UMR 6578 du CNRS à Marseille. Ces relevés informatisés présentent toute garantie de fiabilité par le simple fait qu’ils sont réalisés par des généalogistes amateurs qui connaissent parfaitement les familles des paroisses et des communes sur lesquelles ils travaillent pour certains depuis plusieurs années]. Celles-ci présentent nombre de spécificités:

- d’abord, la totalité des personnes considérées réside sur un espace continu, le Dauphiné. C’est-à-dire que géographiquement et surtout culturellement, aucune rupture territoriale n’est enregistrée. Les montagnards peuvent très bien se mouvoir d’un point à l’autre de l’espace, sans jamais rencontrer véritablement d’obstacles contraignants. L’environnement appréhendé ici est dénommé Haut-Dauphiné aussi bien par les historiens que par les géographes. C’est la partie la plus élevée de cette province du sud-est de la France qui, jusqu’en 1860, date de l’annexion de la Savoie, représentait les terroirs les plus élevés du pays. A titre informatif, la région étudiée s’inscrit grosso-modo dans un triangle dont les sommets seraient Grenoble, Briançon et Gap (cf. la figure 2 et Segard et al., 2003, page 24).

- ensuite, nous avons pris le parti de travailler par massifs montagneux. Chacun d’eux ayant un toponyme particulier, c’est au sein de ces entités particulières que les populations seront observées. En Dauphiné, on dénombre sept massifs importants répartis sur actuellement deux départements, l’Isère et les Hautes-Alpes. Briançonnais, Champsaur, Dévoluy, Embrunais, Oisans, Queyras et Valgaudemar forment donc le corpus de travail. Certes, il a aussi quelques plateaux pouvant figurer la montagne: Chartreuse, Matheysine et Vercors. Spécifions toutefois que leur altitude moyenne respective ne leur permet guère d’être considérés vraiment comme des groupements alpins. Rappelons que, selon la taxinomie des géographes, l’étage collinéen, s’arrête vers 900m, à part sa pente, il a les mêmes caractéristiques que les plaines environnantes.

- puis, c’est l’hétérogénéité du type de population qui doit être mis en avant car à l’intérieur de chaque massif, une multitude de structures sera prise en compte: petites et moyennes populations, villages ruraux, populations semi-urbaines et urbaines. Ces dernières comprennent des bourgs de petite taille, Chorges et Bourg d’Oisans, des agglomérations de taille intermédiaire, Guillestre et La Mure, puis deux véritables villes: Briançon et Embrun.

 

Figure 2. Carte de géographie physique de la région étudiée

Figure 2. Physical geography card of the alpine sector observed

           

L’étude s’effectuera au moyen d’actes de mariage. C’est dans ce type de données que sont recueillies des informations concernant l’origine exacte des époux, mais aussi, les patronymes qui permettent d’obtenir divers indices de biodémographie. Le comportement matrimonial des Alpins sera étudié au travers de plus de 79500 unions, celles-ci s’étageant sur une période continue allant de 1570 à 1943.

 

Massifs Alpins

Unions observées

Dates

Populations observées (paroisses)

Villes ou structures urbaines

Briançonnais

15150

1646 - 1894

11 (14)

Briançon

Champsaur

6660

1664 - 1823

15 (16)

---

Chartreuse

6369

1570 - 1890

9 (9)

---

Dévoluy

6443

1652 - 1893

13 (13)

---

Embrunais

15857

1590 - 1943

17 (19)

Embrun, Guillestre, Chorges

Matheysine

5877

1658 - 1816

14 (14)

La Mure

Oisans

12496

1572 - 1905

20 (20)

Bourg-d’Oisans

Queyras

2304

1673 - 1829

3 (3)

---

Valgaudemar

2922

1641 - 1804

6 (6)

---

Vercors

5499

1611 - 1822

8 (8)

---

 

= 79577

1570 - 1943

   = 116 (122)

dont 6 entités urbaines

Tableau 1. Données quantitatives, structurelles et temporelles du corpus étudié.

Table 1. Quantitative, structural and temporal data observed.

 

            D’un point de vue statistique, nous percevons bien, dans le tableau 1, la différence quantitative d’unions prises en compte. Les dépouillements ainsi que l’informatisation des données concernant les Hautes-Alpes n’étant pas encore terminés, nous ne disposons pas de la totalité des communes pour chaque massif considéré. De fait, les résultats qui suivront ne seront pas seulement des moyennes arithmétiques mais des moyennes pondérées pour pouvoir comparer correctement les massifs entre eux. [La pondération est effectuée sur la quantité de populations  (i.e. paroisses) par massif. Sinon les résultats moyens établis dans chaque tableau donneraient, par exemple, le même poids aux trois populations du Queyras qu’aux 20 populations de l’Oisans].

 

Méthode

            Ayant rassemblé différents résultats au niveau de chaque population (i.e. village ou ville), nous les regroupons au sein d’une entité, pour nous, plus structurante, à la fois historique et géographique, que nous qualifions de «massif». Ici, la perception biodémographique des montagnards est globale, nous considérons les habitants d’un massif entier et les comparons entre-eux. Notre but étant de confronter les comportements matrimoniaux des personnes dans un écosystème montagnard, nous emploierons un ensemble de statistiques descriptives. Moyennes arithmétiques et pondérées, coefficient de variation, extrema et classification ascendante hiérarchique (CAH) seront employés pour réaliser les analyses successives (Tomassone et al., 1993).

            En ce qui concerne les indices biodémographiques, cinq paramètres seront évalués. Avec l’endogamie du lieu de naissance et non du lieu d’habitation, c’est la capacité des montagnards à échanger qui sera estimée. Trois degrés seront alors examinés: l’endogamie paroissiale (i.e. communale) qui mesure la fréquence unissant deux époux nés dans une même paroisse (i.e. village), l’endogamie «de massif» qui prend en compte deux personnes nées identiquement dans l’une quelconque des unités géographiques retenues. Ensuite, il s’agira de l’endogamie de province pour laquelle on mesurera la proportion les échanges matrimoniaux entre des dauphinois et des personnes natives d’autres provinces ou de l’étranger. La diversité biologique sera appréhendée par une méthode basée sur les patronymes: l’index de diversité patronymique (Idp). Odum en 1953 a déterminé un index de diversité des espèces (D) que nous avons transposé aux patronymes et nommé Idp. Ce paramètre s’élabore comme le rapport du nombre de patronymes différents rencontré dans une population sur le logarithme de la taille moyenne de cette population. [Il est certain que la diversité biologique des populations n’est pas totalement décrite ou plutôt expliquée par la diversité patronymique. Néanmoins, dans ce type d’étude impliquant plusieurs milliers d’individus il n’est guère possible d’envisager une autre méthodologie]. Finalement, l’isonymie matrimoniale (Fiso) sera estimée, elle permettra d’établir un certain niveau d’apparentement pour chacun des groupes en présence (Ellis, Starmer, 1978). [Dans une population donnée, l’isonymie matrimoniale est calculée à partir de la proportion de couples dont les membres portent un patronyme identique. De cette fréquence, les généticiens Crow et Mange ont déduit en 1965 une méthode d’estimation de la consanguinité moyenne].

 

Résultats

            Données de l’écosystème

            Pour les dix massifs, quatre critères de géographie ont été retenus. L’altitude en mètres, la superficie en hectares, la taille de la population et la densité. Etant donné les importantes variations de l’altitude, il a été difficile d’estimer la densité qui pourtant est un élément majeur de la biodémographie. En effet, les altitudes moyennes indiquées dans le tableau 2 sont celles que nous calculons pour les établissements humains (hameaux, villages, villes). Au-delà de 2500m, aucune implantation humaine n’est possible sous notre latitude, une partie plus ou moins importante du terroir alpin ne peut être habitée et ni même exploitée. Cela rend pratiquement caduque toute évaluation de densité. Néanmoins, nous avons tenté de pallier le problème en transposant sur certains massifs un modèle pris pour une vallée parfaitement connue (Prost, Boëtsch, 2001). Mais pour ces contrées, les gradients altitudinaux sont très disparates, aucune transposition n’est véritablement pertinente. Par exemple, en Briançonnais, les altitudes vont au-delà de 4100m pour les plus hauts sommets, en Dévoluy, elles ne dépassent guère 2500m. Pourtant, dans tous les massifs, on découvre de part et d’autre un «étage subalpin» qui se termine par la zone de combat et un «étage alpin» où le minéral est omniprésent.

            D’emblée, les altitudes moyennes fractionnent l’ensemble puisque le ratio des données maximales s’établit à 2 (tableau 2, 2e colonne). Dans le Queyras, situé bien au-delà de la moyenne altitudinale pondérée, les autochtones ont à faire face à un climat agressif, des températures souvent très basses et des terrains avec de fortes déclivités. Néanmoins, dans les autres sites la situation est analogue. L’altitude est aussi un frein à l’expansion des cultures, même si on rencontre des plantations grainières vers 2000m en Briançonnais sur des parcelles très bien exposées. Par contre, la neige qui recouvre une partie de l’année une fraction importante de ces terroirs est loin d’être un handicap majeur. En fait, l’apport azoté qu’elle procure fertilise les sols et permet d’économiser l’engrais, que les montagnards gardent pour les terres du bas. De plus, les chutes nivales augmentent les langues glaciaires qui fournissent, à certaines vallées alpestres, deux saisons de hautes eaux pour l’arrosage. D’ailleurs des réseaux de canaux, souvent très anciens, alimentent alternativement les hauts pâturages et les cultures du bas. En tout cas, avec un établissement humain permanent à près de 1000m, nous nous situons bien dans le domaine de la haute montagne. En Europe, différentes études sur des populations montagnardes ont déjà été effectuées. Dans les Apennins, entre Bologne et Florence, les altitudes varient de 360 à 927m pour une moyenne arithmétique recalculée ici s’établissant à 670m environ (Pettener, 1985). Ailleurs, c’est la «Non valley» qui est étudiée dans les Alpes italiennes, les sept villages s’étagent de 658 à 1017m pour former une altitude moyenne de 786m (Gueresi et al., 2001). En Piémont italien, à Alagna, les hameaux de la vallée s’établissent à des altitudes nettement plus importantes, entre 1200 et 1600m (Viazzo, 1989). Tandis qu’en Suisse, dans la vallée de Saas, les habitants des quatre villages demeurent sur des hauteurs comprises entre 1500 et 1800m (Hussels, 1969).

 

 

Altitude [m] (*)

Superficie [ha] (*)

Population (*)

Densité amendée [brute]

Briançonnais

1410 (1650 - 1100)

7570 (16779 - 1599)

1366 (2710 - 360)

30 [18]

Champsaur

1165 (1350 - 930)

2587 (9854 - 292)

605 (1538 - 159)

29 [23]

Chartreuse

860 (999 - 703)

2341 (8012 - 671)

414 (900 - 85)

20 [18]

Dévoluy

1105 (1675 - 860)

3590 (6787 - 1203)

438 (750 - 98)

15 [12]

Embrunais

1124 (1600 - 800)

5110 (9605 - 58)

991 (2766 - 198)

24 [19]

Matheysine

942 (1054 - 700)

1225 (4140 - 290)

464 (1701 - 60)

42 [38]

Oisans

1073 (1500 - 579)

2731 (12347 - 499)

566 (1390 - 172)

34 [21]

Queyras

1770 (2040 - 1470)

4618 (5362 - 4016)

715 (809 - 752)

25 [16]

Valgaudemar

994 (1091 - 913)

3324 (10802 - 1090)

467 (794 - 329)

14 [18]

Vercors

1023 (1111 - 939)

3503 (6720 - 1126)

583 (1117 -148)

19 [17]

 pond. ( ari.)

986 (1147)

3537 (3660)

693 (661)

27 (26) / [21] (20)

Ratio maximal

2,0

6,2

3,3

3,0 et 3,2

Tableau 2. Données moyennes de l’écosystème montagnard dauphinois.  (* données maximales - minimales).

Table 2. Average data of the highlander ecosystem of dauphiné province. (* maximal data - minimal).

 

            Les moyennes concernant la superficie présentent un biais que nous ne pouvons guère pallier de façon précise. L’altitude empêchant de mettre en valeur un territoire, une partie plus ou moins étendue de ce dernier est improductif, donc inutile aux yeux des habitants, voire dangereux (Allix, 1929). Dans certaines communautés, près de 40% de l’espace se compose de minéral. Dans d’autres, les pourcentages sont inconnus ou incalculables exactement (raideur de la pente, insolation, réseau orographique, etc.). Les moyennes sont établies ici à partir des données modernes de l’INSEE, toutes altitudes confondues. Là encore, le ratio est important, les Briançonnais s’insèrent dans un terroir six fois plus important que les gens du plateau Matheysin. Même si l’on ôte grosso-modo 40% au massif Briançonnais, on obtient une superficie de 4542ha, qui demeure bien au-delà des 3537ha de l’ensemble pondéré. Ainsi, pourvu d’un espace important, les terroirs alpins peuvent accueillir ou retenir un nombre plus conséquent de personnes. C’est d’ailleurs le cas, avec plus de 7000ha, le Briançonnais accueille, en moyenne, près de 1400 habitants par communauté. [Le nombre concernant la population (3e colonne du tableau 2) est obtenu en effectuant la moyenne arithmétique arrondie des données connues à différentes dates, principalement 1697 - 1698, parfois avant quand nous connaissons une évaluation en nombre de feux, puis 1730, 1777, 1788, 1801 et 1836]. De même, les 5110ha de l’Embrunais permettent à presque 1000 habitants de subsister. On retrouve une quasi-hiérarchisation des résultats, puisque les massifs les plus spacieux sont ceux pour lesquels on dénombre les effectifs moyens les plus importants. Au demeurant, les populations dauphinoises du haut regroupent, dans tous les massifs, une moyenne pondérée d’environ 700 habitants par communauté, ce qui équivaut à environ 154 familles en comptant un «feu ancien» à 4,55. Mais il faut considérer aussi que le Briançonnais et l’Embrunais accueillent des structures urbaines qui viennent forcément augmenter le potentiel démographique.

            Pour la densité, un amendement «rustique» sera employé au vu des données de la géographie (Blanchard, 1938 - 1956). Pour la haute montagne, 39% du terroir seront retranchés, puis 20% pour les petits massifs et 10% pour les plateaux. Dans ces conditions, c’est une large diversité de cas qui va du dense plateau Matheysin au presque désert massif du Dévoluy avec un ratio de trois.

Du point de vue de la statistique, il y a une dépendance marquée entre différentes données du tableau 2. [Le V de Cramer,  est une mesure d’association liée au  mais qui ne dépend pas de l’effectif total. V atteint son maximum même lorsque le nombre de lignes est différent du nombre de colonnes. De plus, ce coefficient est le seul qui soit normé (maxi = 1), quelle que soit la dimension de la table de contingence. Variant dans l’intervalle [0,1], une valeur proche du 0 indique l’indépendance, une autre proche de 1 confirme la dépendance. La «force» du lien qui relie les données, étant estimée à partir des limites allant de 0,05 à 0,09 (lien faible, noté +), 0,09 à 0,18 (lien moyen, noté ++), 0,18 à 0,36 (lien fort, noté +++) et 0,36 à 1 (lien très fort, noté ++++)]. Les tests démontrent qu’en montagne, altitude, population et densité sont corrélés. Ainsi, pour les deux paramètres que sont l’altitude et la population moyenne, le lien est moyen (V = 0,164++), tandis qu’entre l’altitude et la densité amendée, il reste très faible (V = 0,056+) (Annexe 2).

 

            Choix du conjoint

            A Alagna, dans la période 1701 - 1800, l’évaluation de l’endogamie fait ressortir un taux moyen de 76,7% et au Tyrol, durant une courte période, 1751 - 1800, en vallée de Ziller, on relève une fréquence de 88,6% (Viazzo, 1989). En Dauphiné, la comptabilité de l’endogamie paroissiale (i.e. communale) atteint parfois des taux équivalents.

 

Endogamie de :

Paroisse (commune)

massif

province

Briançonnais

84,7

91,5

95,8

Champsaur

50,2

88,5

99,3

Chartreuse

68,1

82,3

97,0

Dévoluy

54,7

86,1

99,0

Embrunais

64,5

87,3

93,3

Matheysine

63,7

83,8

99,8

Oisans

67,0

93,0

97,0

Queyras

82,6

94,3

96,2

Valgaudemar

54,3

79,5

99,6

Vercors

67,8

88,5

99,9

*   pondérée ( arithmétique)

64,3 (65,8)

87,7 (87,3)

97,5 (97,7)

Ratio maximal

1,7

1,2

1,06

Tableau 3. Distribution des fréquences endogamiques (en %) calculées dans les dix massifs dauphinois,

selon les trois aires géographiques adoptées.

Table 3. Distribution of endogamous frequencies (in percent) calculated according to three areas:

parish or commune, mountain mass and province.

 

            En considérant exclusivement la paroisse (commune) comme aire matrimoniale, on constate que plus de 6 mariages sur 10 s’effectuent entre montagnards de souche (tableau 3, 2e colonne). Mais de nouveau, les massifs font preuve d’une ample diversité qui se traduit par un ratio de 1,7. Le Briançonnais et le Queyras demeurent particulièrement hermétiques aux unions extra-paroissiales. Alors que, synchroniquement, le Valgaudemar, le Dévoluy et surtout le Champsaur sont proches du concept d’ «aire ouverte» qui est de mise dans les populations rurales du bas (Boëtsch, Sevin, 1991). Il y a là une dichotomie flagrante entre des vallées pourtant contiguës, pratiquant des stratégies identiques d’héritage et appartenant au même «monde», celui de la haute montagne. La réponse provient sans doute de la taille des populations. Les groupes les plus peuplés ont une possibilité supérieure à s’unir dans le cadre paroissial. Les populations plus restreintes doivent accéder à d’autres marchés matrimoniaux. Il y a aussi tout l’aspect culturel lié au terroir d’origine pour lequel, l’immigration matrimoniale ne fonctionne pas vraiment (Prost, Boëtsch, 2002). Mais une autre considération d’ordre historique peut aussi être évoquée. Le Briançonnais et le Queyras font partis des Escartons. Ils se sont érigés en communautés libres, depuis le 13e siècle. Les autres populations sont sous l’autorité féodale, elles sont moins libres et ne possèdent pas forcément de biens propres: il s’agit là d’un frein avéré dans une province où le régime dotal est prépondérant. En tout cas, l’écart est considérable, près de 23% d’endogamie séparent les communautés des Escartons des huit groupements restants. Au-delà de la plaine, les plateaux de Chartreuse, du Vercors et de la Matheysine font jeu égal avec l’Oisans avec une endogamie globale de 67%.

            Le deuxième cercle de mariage se circonscrit dans le massif lui-même. En moyenne, le gain enregistré, relativement à la première mesure, est important: 24,3%. Cela signifie que pratiquement 9 montagnards sur 10 s’unissent dans leur «pays» d’origine, que ce pays soit la vallée de naissance ou les vallées circumvoisines. Dans cette situation, les dix massifs font preuve d’une réelle homogénéité. Seul le Valgaudemar demeure en retrait en ne dépassant pas le seuil de 80%. A cet égard, aucune explication logique ne peut étayer ce déficit ponctuel. On aurait compris s’il s’était agit du Champsaur, car il est traversé par la voie de circulation dite «grande route de Grenoble» (Léon, 1954). Mais le Valgaudemar qui le jouxte est situé perpendiculairement et demeure particulièrement isolé. En définitive, entrant dans la catégorie des plus petites populations et ne dépassant pas les 1000m d’altitude, ce dernier tend à se comporter comme les populations de plaine. A titre indicatif, en Bas-Dauphiné, une étude sur 7 communautés rurales permet de calculer une endogamie paroissiale moyenne de 42,9% qui évolue jusqu’à 74% quand les paroisses immédiatement adjacentes sont prises en considération. Finalement, de la fin du 16e au début du 20e, les Dauphinois du haut ont un «horizon matrimonial» cerné par les sommets qui délimitent leur territoire. Pourvus d’une très forte capacité migratoire dès l’origine (Allix, 1929; Falque-Vert, 1997, Prost, 2002 et 2003), les Alpins demeurent, en matière d’échanges matrimoniaux, d’une remarquable stabilité. D’ailleurs, une nombreuse littérature européenne explique ce comportement endocentrique plus développé que dans les populations rurales du bas (Cole, 1977; Wiegandt, 1977; Brennan et al., 1982; Prost, Boëtsch, 2001).

Plus de 97% des unions recueillies dans le corpus unissent deux dauphinois durant plusieurs siècles consécutifs. Il faut toutefois spécifier que le Dauphiné est une province sinon considérable, en tout cas très spacieuse. Sa superficie actuelle recouvre les Hautes-Alpes, la Drôme et l’Isère auxquels s’adjoint une partie italienne au sud-est du Queyras et une partie piémontaise qui fut «démembrée» en 1713 au traité d’Utrecht. Ainsi, ces populations tendent vers une fermeture génétique puisque seules 2,5% des unions proviennent de conjoints nés au-delà des frontières provinciales françaises et/ou étrangères. On remarquera encore que des populations comme celles du Champsaur, Dévoluy et Valgaudemar sont très proches de l’herméticité complète. Ces montagnard(e)s, bien que parcourant les provinces lors de la migration saisonnière ou commerciale, se marient quasi-exclusivement avec Dauphinoi(e)s. Nous pouvons aussi mesurer l’impact des structures urbaines sur le marché matrimonial alpin: elles n’ont que très peu d’inférence. Des villes comme Embrun, Guillestre et Briançon ont été décrites jadis par les historiens et les géographes comme d’immenses «caravansérails où se croise le monde entier». Certes, ces villes ont des activités commerciales nationales voire internationales, elles sont traversées par une voie de circulation qui avait déjà une notoriété dans les temps antiques et médiévaux (Sclafert, 1926). Néanmoins, les marchés matrimoniaux urbains dauphinois sont particulièrement imperméables aux échanges de conjoints (Prost, Revol, 2002). En définitive, en examinant le comportement des montagnards à l’égard du mariage, nous constatons qu’une remarquable stabilité le régit. Durant plusieurs siècles, les Alpins s’épousent très majoritairement dans le cadre paroissial. Secondairement, c’est avec une personne née dans son propre «pays» (i.e. massif) qu’ils s’unissent. Ce mariage de proximité, cette endogamie de voisinage trouve une explication pertinente dans le système de dévolution des biens après un partage majoritairement égalitaire (Berkner, Mendels, 1978; Viazzo, 1989; Prost, Revol, 2001). Là encore, les différentes distributions observées de l’endogamie montrent une liaison significative avec les données de l’écosystème, néanmoins le lien qui les relie demeure toujours faible. Ainsi, les tests effectués entre l’endogamie paroissiale et l’altitude, la population moyenne, la densité amendée renvoient respectivement des liens très faibles ou moyens V = 0,039, 0,098++ et 0,0150++. De la même façon, avec la distribution de l’endogamie de massif et les mêmes paramètres cités, les liens présentent une analogie certaine respectivement, V = 0,043, 0,115++ et 0,126++.

            Un des obstacles de ce type de recherche réside dans le fait que chaque indice est calculé pour un ensemble pluriséculaire. Les résultats moyens forment un concentré pour lequel la dimension diachronique de l’évolution biodémographique des populations est annihilée. Néanmoins, les fréquences de l’endogamie géographique sont si élevées en montagne qu’il paraît presque superfétatoire d’en examiner le développement temporel. [En ce qui concerne l’isonymie, dans une étude en cours, portant sur 52368 contrats de mariage qui ont été signés durant la période 1512 - 1582 en divers points du Dauphiné, on constate que la fréquence est quasiment analogue à celle observée au 17e siècle aux mêmes lieux. De plus, dans une autre étude portant sur plus de 7900 unions (Prost et al., 2003soumis), on observe que dans la montagne briançonnaise, la fréquence des paires isonymes ne varie que très faiblement d’un siècle à l’autre, comme s’il s’agissait d’habitudes culturelles ou de comportements matrimoniaux parfaitement organisés: 16e siècle: 8,3%; 17e siècle: 8,8%; 18e siècle: 9,1% et 19e siècle: 7,5% ].

 

Endogamie de :

16e siècle

17e siècle

18e siècle

19e siècle

moyenne

Paroisse (commune)

67,8

74,2

66,2

79,9

72,0

massif

93,9

90,6

87,6

85,9

89,5

province

94,7

93,2

93,9

90,0

93,0

Moyenne arithmétique

85,5

86,0

82,6

85,3

84,9

Tableau 4. évolution des différentes fréquences d’endogamie (en %) au cours des quatre siècles observés.

(Moyennes effectuées sur un échantillon de quatre paroisses du corpus).

Table 4. Evolution of the different endogamous frequencies (in percent) during four centuries.

(Average undertaken on a four sample parishes of the whole).

 

            Les données rassemblées dans le tableau 4 présentent l’évolution des différents taux d’endogamie recueillis dans quatre paroisses de l’ensemble, pour quatre siècles considérés. [Il s’agissait ici d’observer des populations  pourvues d’un continuum archivistique présentant 4 siècles sans lacune: seules 4 ont pu répondre à ce critère: Guillestre, Crévoux, Vallouise et les Vigneaux, Saint Pierre de Chartreuse. Néanmoins, d’autres paroisses du corpus débutaient au 16e siècle mais présentaient des lacunes parfois sporadiques, parfois importantes]. L’évolution paroissiale d’un siècle à l’autre apparaît ici bien chaotique et seules celles qui concernent les deux autres indices présentent une légère décroissance. En tout cas, le comportement matrimonial des montagnards ne varie guère dans le temps, et ce ne sera qu’au milieu du 20e siècle que des changements beaucoup plus considérables seront observés, on parlera alors du phénomène de «rupture des isolats».

 

Diversité patronymique et isonymie matrimoniale

            Plus le potentiel de noms de famille est élevé dans une population, plus l’index de diversité patronymique est important. Dans le tableau 5, l’Embrunais surtout puis le Briançonnais se détachent nettement du reste du corpus. Cet état de fait est principalement dû aux populations urbaines qui sont prises en compte dans ces deux ensembles. 7 massifs sur 10 ont un Idp compris entre 46 et 61 et, à l’extrême, on retrouve le Queyras et son très faible index. A titre de comparaison, les communautés rurales de la plaine proche de Lyon, admettent un Idp moyen de 95,8. Ailleurs, dans les bourgs et les villes de plaine de la province, celui ci s’établit à 202 et que dans ceux d’altitude, on l’évalue à 176 (Prost, Revol, 2002). Relié avec l’altitude, l’Idp les deux indices admettent un lien faible, V = 0,065+. Nous sommes dans un écosystème pour lequel l’altitude est un facteur qui tend à réduire la diversité patronymique. Dans ces conditions, nous devrions observer une corrélation négative entre l’Idp et le coefficient moyen d’isonymie matrimoniale. Le r de Pearson appliqué sur les deux distributions renvoie – 0,170 (p = 0,320) qui pourtant, au seuil 5%, n’est pas significatif. [Les nombres synthétisés dans les deux colonnes du tableau 5 ont été obtenus en utilisant la totalité des données issues de tous les mariages du corpus dont les dates extrêmes vont de 1570 à 1943. Chacune des 116 populations a fait l’objet: d’un tri patronymique (hommes et femmes agrégés: 159154 patronymes), puis d’un filtre pour obtenir tous les patronymes différents. Ces derniers ont été divisés par le logarithme de la population moyenne déterminant ainsi l’Idp des 116 populations. Regroupés ensuite par massifs, nous avons fait figurer les moyennes arithmétiques dans le tableau 5. Le même processus est employé pour les paires isonymes, c’est-à-dire que les 79577 unions mentionnées ont été étudiées. Il est bien évident que pour évaluer la consanguinité moyenne indiquée ici, nous n’avons pas calculé pour chaque population les composantes Fn et Fr qui forment le fondement de la méthode, mais simplement pris pour indice, le quart des fréquences isonymes rencontrées].

 

 

Idp

Fiso (%)

Briançonnais

70,5

1,5375

Champsaur

46,0

0,9309

Chartreuse

59,7

1,0600

Dévoluy

58,4

0,8507

Embrunais

78,0

1,1156

Matheysine

61,5

0,6952

Oisans

56,4

1,0950

Queyras

37,4

2,0616

Valgaudemar

47,0

0,9839

Vercors

48,7

0,6132

* pondérée (* arithmétique)

59,1 (55,0)

1,0943 (1,0264)

Ratio maximal

2,1

3,4

Tableau 5. Distribution de l’index de diversité patronymique (Idp) et du coefficient d’apparentement moyen (Fiso) calculé par la méthode de l’isonymie matrimoniale.

Table 5. Distribution of the patronymic diversity index (Idp) and the kinship coefficient (Fiso) calculated by the isonymic method.

 

            Après avoir comptabilisé la fréquence moyenne de tous les couples isonymes, nous tentons d’estimer le coefficient moyen de consanguinité dans les populations observées. Une nouvelle fois, le Queyras et le Briançonnais se détachent vraiment. Comme pour l’endogamie communale, une hiérarchie se profile pour les autres massifs. Cependant, les deux distributions citées, testées par un  ne sont pas significatives (0,732, p = 1,000). A titre de comparaison, pour les coefficients les plus élevés, tout se passe comme si les couples s’unissaient entre cousins au 3e degré canonique (6D civil). A l’opposé, pour ceux les plus faibles, il s’agirait d’unions au 4e degré canonique (8D civil). Intrinsèquement, par cette méthode qui accroît véritablement le résultat calculé (Friedl, Ellis, 1974; Ellis, Friedl, 1976; Prost et al., 2005 in press), nous obtenons un coefficient moyen de consanguinité qui évalue à environ 1,09% la quantité de gènes communs dans l’ensemble des massifs dauphinois. Cette moyenne paraît élevée, cependant, des évaluations supérieures sont observées dans les Alpes plus tardivement. Entre 1825 et 1923, dans le Trentin italien, dans la «Non valley», le coefficient moyen s’élève à 1,39% (Gueresi et al., 2001). Ailleurs en Italie, dans la province de Coni, entre 1800 et 1994, ce sont 2,18% qui sont calculés (Biondi, 2000). Pour les Alpes italiennes, un panorama relativement complet concernant l’isonymie est donné dans une étude très récente, les taux d’unions isonymes varient alors de 1,7 à 21,5 pour les extrêmes, mais il ne s’agit là que des paires isonymes et non des coefficients moyens de consanguinité (Gueresi et al., 2003). Dans l’isolat suisse de Saas, le coefficient de consanguinité moyen s’établit à 2,04%, identique a celui déterminé en Queyras où d’ailleurs les altitudes s’équivalent (Hussels, 1969). En Valais, dans la population du village de Törbel, on enregistre un coefficient moyen de 2,51% durant la longue période 1750 - 1950 (Ellis, Starmer, 1978)

 

Echanges matrimoniaux

Pour valider ou non le scénario concernant le renouvellement générationnel de ces populations, nous cherchons à déterminer maintenant comment s’organisent entre-eux ces marchés matrimoniaux alpins. Précédemment, c’est une forte endogamie paroissiale puis de massif qui se sont dégagée, mais qu’en est-il des échanges matrimoniaux entre les 10 groupements en question?

Dans le tableau 6, les données recueillies permettent d’éclairer une partie du scénario initial. Il apparaît bien que les montagnards aient perduré en pratiquant davantage les échanges intra-massifs de conjoints. [Pour réaliser cette synthèse, nous avons comptabilisé, au sein des 79577 unions du corpus, par exemple tous les Briançonnais (hommes et femmes) qui se sont unis à l’un quelconque des couples provenant des 9 autres populations recensées. Pour ceux-ci, 3,26% ont été repérés comme couple «mixte», toutes les configurations ayant été intégrées: époux briançonnais + épouse d’un des massifs, époux d’un des massifs + épouse briançonnaise ou les 2 époux d’un des massifs]. Cette assertion n’est pas gratuite car, quand on examine les échanges qui ont pu se dérouler entre les dix massifs, on aboutit à moyenne pondérée vraiment modeste: 1,97%. Ainsi, les échanges matrimoniaux inter-massifs ne paraissent pas ancrées dans les habitudes socioculturelles des «gens d’en haut». A cet égard, il apparaît que les montagnards de cette partie des Alpes Occidentales ne forment pas une unité, mais plutôt un rassemblement «d’isolats géographiques». Alors que cinq des dix massifs enregistrent moins de 0,8% d’échanges de conjoints, on retrouve le Valgaudemar et son particularisme à pratiquer des permutations entre époux montagnards: 7,6%. [Une minoration doit être introduite ici quant à la reproduction générationnelle. En périphérie de nos travaux sur les Alpes, nous étudions le comportement reproductif des montagnards hors de leur écosystème d’altitude, avant la transition démographique. Plusieurs marchands du Valgaudemar ont migré en Bas Dauphiné et se sont unis à Pont de Beauvoisin en Isère au cours du 18e siècle. Or, ces couples ont été étudiés généalogiquement et l’on s’est aperçu que si la reproduction a bien fonctionné, il n’y a pas eu de «reproduction-utile». De même, la situation inverse s’est produite, puisqu’une fille de Pont de Beauvoisin est venue épouser un autochtone du Valgaudemar. Là encore, aucune «descendance-utile» n’a pu être enregistrée. Il est certain que les migrations matrimoniales qui ont pu se produire avant le début du 19e siècle, n’ont pas eu l’impact reproductif que celles qui se sont déroulées postérieurement (Prost, 2003). Le régime démographique basé sur une forte natalité que vient contrebalancer une forte mortalité infantile est une des raisons majeures de cet état de fait. Par contre, il apparaît bien que la migration soit inscrite dans les traditions culturelles des gens du haut et que cette mobilité soit un facteur supplémentaire de non-transmissibilité génétique durant les périodes anciennes]. Les fréquences inscrites dans la seconde colonne du tableau 6 résultent de l’addition respective des taux d’endogamie géographique intra-massif et des échanges matrimoniaux inter-massifs. Les résultats se situent dans une fourchette de 87 - 95%, avec une moyenne pondérée de 89,7%. Ce taux moyen établit sur près de 80000 unions réparties sur une longue période historique détermine la fréquence des mariages unissant exclusivement deux montagnards dauphinois. Il permet aussi, par soustraction avec l’endogamie provinciale (97,5% pondérée, cf. col. 3, Tab. 3), de quantifier la fréquence des mariages «mixtes» unissant un époux montagnard et un autre du Dauphiné, que celui ci soit de la plaine, de la ville ou d’ailleurs: 7,8%. L’herméticité dans les territoires d’altitude n’est pas complète, puisqu’une part non négligeable des unions s’effectue avec des non-montagnards. Néanmoins, il faudrait savoir si ce type d’union a été suivi d’une installation en altitude, car comme partout en France, on s’unit dans le «pays de la fille» et si, comme nous le mentionnions précédemment, une reproduction - utile a pu se dérouler (Boëtsch, Prost, 2001). On a effectivement un modèle d’intégration alpine à Törbel en Valais Suisse (Hagaman et al., 1978), mais une étude de cas établie dans une population de faible taille ne peut être vraiment prise en considération relativement à un ensemble global de 116 populations.

 

 

Échanges

Inter - massifs

Endogamie de massif +

échanges inter - massifs

Briançonnais

3,26

93,8

Champsaur

2,19

90,7

Chartreuse

0,36

82,7

Dévoluy

0,76

86,9

Embrunais

2,85

90,2

Matheysine

0,49

84,3

Oisans

1,40

94,4

Queyras

0,56

94,9

Valgaudemar

7,63

87,1

Vercors

0,20

88,7

* pondérée (* arithmétique)

1,97 (2,03)

89,7 (89,4)

Ratio maximal

38,2

1,1

Tableau 6. Distributions des fréquences d’échanges de conjoints (%) entre les10 massifs et de celles concernant l’endogamie de massif additionnée des échanges entre les massifs.

Table 6. Distributions of trade frequencies of husbands and wifes between the10 mountains mass (in percent) and those concerning the endogamous of montain mass added of these trades frequencies.

 

Impact de l’écosystème

Ici, nous faisons abstraction des massifs et de leur découpage en entités historiques. Seuls des critères de géographie physique et humaine sont pris en considération. Ainsi pour l’altitude, l’étage montagnard de la taxinomie géographique se terminant vers 1200m pour faire place aux étages subalpin puis alpin, le corpus a été partagé en deux groupes. Mais d’autres scissions ont été opérées concernant la taille des populations, la superficie des terroirs et l’éventuel isolement géographique.

 

 

Idp

Fiso(%)

Endogamie paroissiale (%)

Endogamie de massifs (%)

Moyennes du corpus (rappel)

59,1

1,09

64,3

87,7

Sans les structures urbaines

49,6

1,18

63,8

89,6

Taille + (sans les villes)

57,8

1,22

74,0

91,1

Taille - (82 - 687)

49,1

1,18

64,3

90,2

Altitude + (1200 - 2040m)

48,7

1,61

70,6

91,8

Altitude - (579 - 1199m)

62,0

0,94

60,5

87,4

Superficie + ( > 2000ha)

54,2

1,24

70,6

90,4

Superficie - ( < 2000ha)

43,5

1,10

56,2

89,7

Voies de circulation

84,2

1,07

66,2

87,7

Populations isolées

47,5

1,17

62,5

89,8

Tableau 7. Synthèse des indices biodémographiques en fonction des découpages des données de l’écosystème.

Table 7. Summary of biodemographic index in function of ecosystem data.

 

            Les données réunies dans le tableau 7 sont comparatives, dans les quatre colonnes, sont indiqués les indices de biodémographie obtenus selon les différents critères géographiques choisis.

Sans les données des villes, on constate que seule vraiment la diversité patronymique est affectée: 49,6 contre 59,1. Les autres paramètres ne s’éloignent que fort peu de la moyenne générale. Il est vrai que les structures urbaines sont très minoritaires ici, et donc leur impact n’apparaît pas comme pertinent. La distinction opérée sur la taille des populations —en ayant bien entendu supprimé les cités pour les plus populeuses—, indique qu’en Haut - Dauphiné, comme partout ailleurs, c’est l’endogamie paroissiale qui est véritablement diversifiée. Les populations les plus importantes ont moins de difficultés à saturer leur marché matrimonial, les possibilités d’échanges internes étant nettement plus fréquentes. Ici, les «grosses» paroisses enregistrent 74% d’endogamie géographique, les «petites» 64,1%. On remarquera qu’en dépit de la dichotomie liée à la taille, on s’achemine vers un coefficient moyen de consanguinité identique: 1,22% contre 1,18%. Dans cette partie de la province, quelle que soit la taille de la population, les stratégies d’alliances entre cousins semblent analogues. On remarque aussi qu’une forte endogamie ne signifie pas forcément un fort degré de consanguinité. Avec l’altitude d’implantation des habitats, c’est un troisième facteur qui se différencie vraiment, la consanguinité moyenne. Certes, l’endogamie paroissiale et Idp sont aussi impliqués, mais l’écart le plus important est repéré avec le coefficient de consanguinité. Les communautés les plus élevées ont un coefficient 1,7 fois plus fort que celles implantées plus bas: 1,61% contre 0,94%. Comme pour les villes dauphinoises, l’écosystème alpin admet un gradient fonction de l’altitude: plus on s’élève, plus l’isolement génétique est avéré (Prost, Revol, 2002). Cette réalité doit certainement trouver une explication dans la mise en valeur des sols pour subsister, plus l’altitude est élevée, plus les terroirs sont pentus et improductifs (neige, gelées, période végétative restreinte, risques d’éboulements et de ravinements, etc.). Personne, autres que les autochtones, ne voulant habiter les hautes terres, l’immigration définitive avec établissement ne paraît pas vraiment fonctionner dans cette partie du Dauphiné, les Alpins étant obligés de se renouveler entre eux (Prost, Boëtsch, 2002, Prost, 2003). Quant à la superficie et à ses problèmes liés à l’altitude, c’est une nouvelle fois l’endogamie qui admet l’écart le plus grand: 70,6% pour les terroirs les plus vastes, non pondérés du facteur altitudinal (cf. Tab. 2 et analyses) contre 56,2% pour ceux dont la surface est inférieure à 2000hectares. Ici, la même explication qu’avec la taille des populations peut être évoquée. Les communautés les plus spacieuses sont celles les plus aptes à conserver un potentiel d’autochtones supérieur, pour les moins étendues, il faut émigrer. Dans cette province où le partage des terres est majoritairement égalitaire, l’espace communautaire apparaît comme un des facteurs prépondérants du marché matrimonial et une des causes péremptoires de l’émigration (Netting, 1972 et 1976; Prost, Revol, 2001).

            Maintenant, le partage du corpus a été réalisé selon le critère d’isolement géographique. Les historiens contemporains admettent volontiers que se sont les nouvelles voies de circulation et surtout le chemin de fer qui permirent de sortir les campagnes européennes de leur isolement (Weber, 1983). Qu’en sera t-il pour la montagne ? Au vrai, le seul paramètre vraiment différencié est ici l’index de diversité patronymique. Dans cette configuration, les fréquences d’isonymie et d’endogamie sont quasiment identiques aux résultats d’ensemble selon que les communautés sont implantées sur une voie de circulation importante ou en retrait au fond d’une vallée. En réalité, les villages et les citées traversés par des routes abritent un potentiel patronymique 1,8 fois plus divers que ceux situés en dehors: 84,2 contre 47,5. Ici, c’est l’effet urbain qui accentue le phénomène de diversité, puisque les villes dauphinoises se sont systématiquement édifiées à des carrefours commerciaux d’importance.

            En définitive, si l’on filtre le corpus des 116 populations initiales en ne conservant que celles qui accueillent moins de 1000 personnes (220 familles), qui résident à plus de 1200m d’altitude et dont le terroir représente un espace de moins 5000ha, nous obtenons les données suivantes: Idp = 39,84 (x0,7 du résultat moyen), Fiso = 6,55% (x6), Endogamie paroissiale = 66,7% (x1,03) et Endogamie de massifs = 83,3% (x0,95). Ainsi, la conjugaison de trois facteurs n’a finalement qu’un impact remarquable sur les stratégies d’alliance des familles. Dans cette occurrence, l’apparentement des couples est six fois plus important. Ici, dans des conditions géoclimatiques plus extrêmes qu’avant, on perçoit bien que le haut - dauphinois doit principalement composer avec la parenté pour subsister. Nous ne pouvons ici aller plus avant dans le découpage du corpus en multipliant les angles d’observation, les critères choisis ont réellement montré la pertinence de l’impact écosystémique sur les populations d’altitude.

 

Conclusion

            A l’issue de cette recherche, on arrive davantage à concevoir comment les populations autochtones des Alpes dauphinoises ont pu évoluer. Cette étude sur le temps long que l’on peut prolonger grâce aux travaux des médiévistes permet de comprendre les comportements des montagnards en matière de choix du conjoint et d’échanges matrimoniaux. Dans la réalité sur une période de quatre, voire huit siècles, les communautés d’altitude pratiquent des unions de proximité pour lesquelles la paroisse d’abord, puis le massif ensuite présentent un intérêt primordial. Dans les deux occurrences, les fréquences atteintes sont considérables: 6 puis 9 unions sur 10 s’effectuent respectivement dans le même village et le même massif. Les montagnards optent donc pour une dynamique reproductive avec sans doute peu de nouveaux gènes entrant dans les pools géniques. Mais, alors que des échanges entre les différents massifs contigus étaient envisagés, ceux-ci apparaissent comme pratiquement inexistants, moins de 2%. Les Alpins semblent s’ignorer d’un massif à l’autre, du moins matrimonialement. Néanmoins, ces populations ne doivent surtout pas être considérées comme autarciques, confinées ou isolées. Du Moyen Age jusqu’à la période révolutionnaire, les autochtones font preuve d’une mobilité géographique importante. Que ce soit pour effectuer un «traffic» commercial ou lors de migrations de tous ordres, ils ont une bonne connaissance de l’espace provincial français et européen. Toutefois, en ce qui concerne leur famille et leurs biens, on constate que le terroir d’origine demeure prépondérant. Certes, une partie d’entre eux émigre définitivement, mais ceux qui restent, qui assurent le renouvellement biologique et démographique de la communauté, pratiquent une forte endogamie. Cependant, cet aspect culturel ne débouche pas sur d’importants coefficients de consanguinité moyens. Les mesures effectuées dans les Alpes demeurent bien en deçà de celles que d’autres chercheurs observent dans certaines parties du monde (Chapman, Jacquard, 1971; Khlat, 1989; Cazes et al., 1993). Ceci est dû principalement aux tailles respectives des communautés qui, en dépit des contraintes du milieu, parviennent, peut-être mieux qu’ailleurs à subsister en nombre. En définitive, ce sont ces dernières qui déterminent véritablement la persistance ou non de ces populations. Avec l’astreinte de l’altitude, on accède à des limites où nul ne peut se maintenir en permanence. Mais, comme véritablement personne ne souhaite venir y accéder d’abord et y demeurer ensuite, les Dauphinois doivent s’adapter pour perdurer et chercher davantage leur conjoint dans leur parenté. C’est là que les mesures de l’apparentement sont les plus élevées. De même, sur un terroir trop exigu, avec un régime dotal et une coutume de partages familiaux à parts égales, un nombre restreint de personnes peut seulement subsister. Il en découle forcément un contrôle rigoureux du marché matrimonial, de la fécondité, ainsi qu’une modulation de la migration dont l’un des buts est de réguler un équilibre populationnel à chaque génération, l’autre étant d’ordre économique. En tout cas, les communautés haut dauphinoises ont su conserver cet équilibre adaptatif durant une très longue période. Finalement, ce n’est que dans le milieu du 20e siècle, que des changements radicaux se produiront véritablement dans la société alpine traditionnelle.

 

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Annexe 1

Classification ascendante hiérarchique, test de similarité (corrélation de Pearson) dans l’intervalle [-1,+1], avec comme critère d’agrégation le lien complet. Une partition en 4 classes est obtenue au niveau de la troncature 1,000 (en pointillés sur le dendrogramme)

 

 

            Sur cet arbre qui classifie les massifs selon leur «proximité» en fonction des paramètres étudiés (altitude, endogamie communal, endogamie de massif, fréquence de l’isonymie et diversité patronymique), on observe que le Haut Dauphiné se scinde en 4 classes vraiment disproportionnées: le Queyras formant une partition à lui seul. Quant à l’extrême, les trois plateaux dauphinois (CHARtreuse, MATHésyne et VERCors) s’unissent avec le massif de l’Oisans (OISA). Hormis cette dernière agrégation étonnante qui regroupe un massif de haute montagne et les plateaux, on parvient à un quasi-respect de la hiérarchie imposée par la géographie physique, bien qu’un seul de ses critères entre dans cette classification contre quatre pour la biodémographie. Le Champsaur, le Dévoluy et le Valgaudemar forment un regroupement particulier relativement similaire, dans une moindre mesure le Briançonnais et l’Embrunais aussi, pourtant la segmentation horizontale montre une réelle «distance» entre ces massifs pourtant géographiquement contigus. Les dissimilarités les plus flagrantes se repèrent surtout entre l’Oisans et le Queyras qui pourtant ne sont séparés que par le Briançonnais, puis entre l’Oisans et le même Briançonnais qui eux se jouxtent. Ainsi, ce type de test permet de montrer que la montagne alpine ne forme pas une entité biodémographique homogène, ceci en dépit d’une appartenance à une même province historique, à un même écosystème contraignant et à une mitoyenneté géographique certaine.

 

Annexe 2

 

V de Cramer

Altitude

Superficie

Population

Endo. C

Endo. M

densité

Idp

Superficie

0,153++

---

 

 

 

 

 

Population moyenne

0,164++

0,096++

---

 

 

 

 

Endogamie communale

0,039

0,058+

0,098++

---

 

 

 

Endogamie de massif

0,043

0,070+

0,115++

---

---

 

 

Densité amendée

0,056+

0,066+

0,086+

0,150++

0,126++

---

 

Idp

0,065+

0,063+

0,031

0,121++

0,126++

0,162++

---

Fiso

0,013

0,012

0,031

0,067+

0,074+

0,157++

0,132++