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Rovillé-Sausse, F. et Sossah, F., 2001. Le fer dans l'alimentation des enfants d'origine subsaharienne. (Enquête dans le Val-de-Marne, FRANCE). Antropo, 0, 53-60. www.didac.ehu.es/antropo


 

Le fer dans l'alimentation des enfants d'origine subsaharienne

(Enquête dans le Val-de-Marne, FRANCE)

 

F. Rovillé-Sausse1 et F. Sossah2

 

Laboratoire d'Anthropologie Biologique. Musée de l'Homme. Place du Trocadéro. 75116 Paris. France.

1E-mail: sausse@mnhn.fr

2E-mail: flores.sossah@wanadoo.fr

 

Correspondance: Dr F. Rovillé-Sausse. Laboratoire d'Anthropologie Biologique. Musée de l'Homme - Place du Trocadéro. 75116 Paris. France

 

Mots-clés: enfants, immigration, carence, anémie.

 

Résumé

L'objectif de cette étude était de rechercher, dans la composition des menus, les causes de la carence en fer si fréquente chez les enfants d'origine subsaharienne nés et vivant en France (29% entre 0 et 2 ans). La consommation alimentaire de 85 enfants de moins de 3 ans a été évaluée par la méthode du rappel des dernières 24 heures; la valeur nutritionnelle des rations a été évaluée d'après les tables de composition des aliments. La faible consommation de viande, de légumes secs et de feuilles amères ne permet pas de couvrir les besoins en fer des enfants sans supplémentation.

 

Abstract

The objective of this study was to look to the causes of the frequent iron deficiency in the children of sub-Saharan origin born and living in France (29% between 0 and 2 years), in the composition of the menus The food consumption of 85 children of less than 3 years was evaluated by the method of the recall of the last 24 hours; the nutritional value of the rations was evaluated according to the tables of composition of food. Low consumption of meat, dry vegetables and bitter sheets does not make it possible to meet the requirements out of iron for the children without supplementation.

 

Introduction

  La prévalence de la carence en fer chez les enfants de moins de deux ans est de 29% et celle de l'anémie de 4,2% [Leroux MC, Perriot Y, 1996; Hercberg S et coll, 1991] selon une étude sur un échantillon représentatif de la population du Val de Marne. Dans la population ciblée à risque d'intoxication saturnine (population de niveau socio-économique bas, le plus souvent originaire d'Afrique subsaharienne, vivant dans des immeubles vétustes) et dépistée dans le département, 61% des enfants avaient une anémie avec une hémoglobine inférieure à 10,9g Hb/100 ml. L'augmentation de la fréquence des infections, la diminution de la réussite aux tests de développement et les troubles du comportement chez les jeunes enfants sont des effets connus de la carence en fer. Le risque est encore accru chez les enfants prématurés ou dont la mère est carencée elle-même (grossesses nombreuses et rapprochées) et dans les situations d'apports insuffisants [Deheeger M et coll, 1989-1990]. Le milieu socio-économique joue un grand rôle dans les cas d'apports insuffisants, mais aussi les habitudes culturelles en pleine mutation dans les situations d'immigration récente, comme le démontre le résultat de ce travail.

 

Méthodologie

            L'étude présente est basée sur les résultats d'une enquête alimentaire par interview auprès de familles africaines subsahariennes récemment immigrées en France et ayant de jeunes enfants. Ces familles vivent dans le département du Val-de-Marne (banlieue parisienne, France), et leurs enfants de moins de six ans sont suivis régulièrement dans les centres de Protection Maternelle et Infantile (PMI) où ils sont vaccinés gratuitement et reçoivent de nombreux conseils, en matière de prévention et de nutrition en particulier.

            Il est intéressant de rappeler que pour l'ensemble du département, les centres de PMI sont fréquentés par 17,5% de familles originaires d'Afrique subsaharienne. Le motif de consultation est le plus souvent un examen systématique, le centre de PMI étant utilisé essentiellement comme une structure de prévention.

            Quatre-vingts deux familles africaines ont été sélectionnées par les directrices des centres de PMI pour participer à l'enquête, qui devaient répondre aux critères d'inclusion suivants:

                        - accepter de participer,

                        - parler suffisamment le français pour comprendre et se faire comprendre,

                        - avoir au moins un enfant âgé de moins de 6 ans né en France et fréquentant un centre de PMI du département,

                        - les parents devaient être tous les deux africains.

            Comme toute enquête faisant appel au volontariat, nous avons été forcément limités aux personnes motivées. Ces familles sont représentatives de la majorité de la population africaine vivant en région parisienne, à l'exception des familles les plus démunies ne souhaitant pas se faire connaître (sans-papiers, par exemple).

            Vingt-deux familles sélectionnées et ayant accepté de participer aux entretiens ne se sont pas présentées par oubli ou contre-temps (maladie d'un enfant, par exemple). Dans la presque totalité des cas, ce sont les mères qui ont répondu, mais deux pères ont aussi participé, tous deux de niveau d'études supérieures.

            Quatorze pays africains sont représentés: Angola, Benin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d'Ivoire, Congo, Gabon, Ghana, Guinée, Mali, Nigeria, Sénégal, Togo, Zaïre (République Démocratique du Congo).

            L'enquête alimentaire qualitative s'est déroulée dans les centres de PMI que les familles ont l'habitude de fréquenter. Les entretiens sous forme de questions ouvertes duraient en moyenne une heure à une heure 30, et étaient enregistrés. Ils avaient lieu dans un bureau fermé, pour respecter la confidentialité, le matin ou l'après-midi, selon la disponibilité des personnes volontaires et leurs contraintes liées aux horaires scolaires.

            Pour chaque famille, les données suivantes ont pû être recueillies: l'âge de chacun des parents, le nombre d'enfants de moins de six ans fréquentant un centre de PMI, le nombre d'enfants plus âgés, le niveau d'études et la profession du père et de la mère, le niveau de confort (habitation, dépenses alimentaires), la date d'arrivée en France de chacun des adultes, les pratiques alimentaires courantes, le mode d'allaitement, de supplémentation et de diversification.

            La consommation alimentaire des enfants a été évaluée par la méthode du rappel des dernières 24 heures, et par l'étude du comportement alimentaire par tranche d'âge (allaitement, transition, repas familial). A partir de 14 mois en moyenne, les enfants reçoivent les mêmes plats que les adultes; mais les quantités relatives diffèrent.

            La valeur nutritionnelle des rations des enfants a été évaluée d'après les tables de composition des aliments [Feinberg M et coll, 1991] et d'après l'étiquetage des petits pots et des farines de sevrage.

 

Résultats

A - Sociologie des familles    

            1 - Composition des familles africaines consultées:

            Au total, 60 familles africaines ont participé finalement à cette enquête. La moyenne d'âge des pères est de 40,2 ans (s: 8,1; min. 28 ans- max. 60 ans). L'âge moyen des mères est de 32,4 ans (s: 5,4; min. 21 ans-max. 45 ans).

            Les pères africains sont généralement arrivés en France avant les mères (différence significative: p<0,001), et sont installés, en moyenne, depuis 15,6 ans (s: 8; min. 5 ans-max. 40 ans). Les mères sont en France depuis 10,7 ans (s:6; min. 1 an-max. 23 ans).

            Toutes les familles rencontrées en centre de PMI ayant au moins un enfant de moins de six ans au moment de l'enquête, la composition familiale est la suivante: le nombre total d'enfants vivant au foyer est en moyenne de 2,8 (s: 1,6; min. 1-max. 7). Parmi les enfants du foyer 1,4 (s: 0,6; min.1-max. 3) sont âgés de moins de six ans. Le nombre total de personnes vivant au foyer est de 4,8 (s:1,6; min. 3-max. 9).

            Au total, 85 enfants de moins de six ans furent impliqués dans cette enquête.

            2 - Catégories socio-professionnelles des parents (Tableau 1):

 

Professions

Pères

Mères

sans

0

45

artisan-commerçant

2

0

cadre

9

5

profession intermédiaire

11

0

employé

27

8

ouvrier

45

30

étudiant

2

3

chômage

4

9

total

100

100

Tableau 1: profession des parents (en %).

Table 1: Occupation of the parents (in %)

 

            Quarante cinq pour cent des pères impliqués dans cette enquête sont ouvriers, 9% seulement sont cadres. Les mères se caractérisent par un nombre élevé de femmes au foyer (45%), celles qui exercent une profession se situant pour 30% parmi les ouvrières.

            3 - Niveau d'étude:

            Parmi les immigrés d'Afrique subsaharienne, 31% des pères et 32% des mères n'ont jamais été scolarisés; 27% des pères et 10% des mères ont suivi des études supérieures; il existe parfois une grande disparité de niveau d'étude à l'intérieur du couple (r=0,32). Le pourcentage de mères immigrées africaines n'ayant jamais été scolarisées est en fait plus élevé (de l'ordre de 50% dans le Val-de-Marne), mais nombre d'entre elles n'ont pas pû participer à l'enquête parce-qu'elles ne parlent pas le Français, ou par refus.

            4 - Types de logement habité:

            Trente-sept pour cent des familles africaines de l'échantillon habitent un logement de trois pièces principales; 7% vivent dans une maison individuelle (type pavillon de banlieue) quelle qu'en soit le nombre de pièces. La corrélation entre le nombre de pièces du logement et le nombre de personnes l'occupant est de r=0,54.

            5 - Disponibilités alimentaires:

            Compte tenu des dépenses consacrées chaque mois aux achats alimentaires et du nombre de personnes vivant au foyer, la disponibilité moyenne par personne (enfants compris) est de 461 FF (187-833) dans les familles africaines de l'échantillon. Rappelons qu'un strict minimum de 300 FF à 530 FF par mois est nécessaire pour qu'un homme adulte respecte les recommandations nutritionnelles en vigueur [Darmon N, Briend A, 1998].

           

B - Comportements alimentaires de l'enfant d'origine subsaharienne:

            On peut considérer plusieurs étapes dans l'alimentation du jeune enfant. En France [Depinoy D, 1993], le lait est la seule nourriture préconisée (lait maternel ou lait infantile) de la naissance à trois mois. Les légumes et les fruits sont introduits vers trois mois; ensuite sont ajoutés progressivement les viandes, poissons, oeufs et fromages à partir de cinq mois. Le lait a toujours une part prépondérante dans l'alimentation du jeune enfant.

            Nous distinguerons trois phases importantes:

            - l'allaitement

            - le sevrage et la diversification,

            - le repas familial.

                        1 - L'allaitement:

            Quatre-vingt neuf pour cent des enfants d'origine subsaharienne bénéficient de l'allaitement maternel, avec des durées très variables, mais une moyenne de 6 mois (min.2 mois-max.18 mois), ce qui est nettement moins que dans le pays d'origine (18-24 mois). Il n'existe pas de corrélation entre le niveau d'études et la durée de l'allaitement maternel (r=-0,16). Au-delà des traditions, ou de l'évolution des habitudes en pays d'immigration, le choix de l'allaitement artificiel en France semble aussi influencé par la durée de la gestation, et corrélativement par les proportions corporelles de l'enfant à la naissance [Rovillé-Sausse F, 1997], et probablement dicté par le corps médical. Les aliments lactés diététiques favorisent la croissance pondérale des enfants les plus faibles, au début de la vie, et leur dosage parfaitement équilibré répond aux besoins nutritionnels de l'enfant. Aucune carence en fer n'est constatée chez les enfants nourris au lait infantile, les aliments lactés diététiques étant supplémentés en fer à partir de 2 ou 3 mois. Au-delà de 4 mois, les laits 2è âge sont enrichis en fer. Parmi les enfants nourris au sein, le risque de carence en fer est accru lorsque la mère est elle-même carencée (2,2% des cas de notre échantillon).

                        2 - Le sevrage et la diversification:

            Le début de la diversification intervient vers l'âge de 3 mois. L'enfant commence à consommer autre chose que du lait. Il est recommandé d'introduire progressivement des légumes et des fruits cuits, puis plus tard des viandes, des poissons, des oeufs et des fromages. Il est étonnant de constater que la quasi-totalité des enfants de l'enquête consomment alors des aliments achetés préparés, dans les petits pots du commerce. Des textures différentes sont proposées en fonction de l'âge. Les teneurs en vitamines et sels minéraux indispensables sont garanties dans ces préparations, les quantités recommandées sont dosées et le prix très raisonnable en supermarché est abordable pour pratiquement toutes les familles. La composition des aliments infantiles en pots est déterminée légalement.

                        3 - Le repas familial:

            C'est le moment où l'enfant peut manger à peu près de tout, et n'a plus de régime particulier en relation avec son âge. Le plus simple est de dire aux mères que son enfant peut manger exactement la même chose que les autres membres de la famille. Les enfants d'origine africaine de cette enquête commencent à prendre leurs repas avec les plus grands vers 14 mois en moyenne (s: 3,4; min.8 mois-max.24 mois). Les véritables problèmes d'insuffisance en fer commencent alors, et c'est l'étude des comportements alimentaires qui nous donne une explication possible.

            Plus que la quantité de fer présente dans les apports alimentaires, c'est sa qualité (fer héminique ou non héminique) et les facteurs extrinsèques régulant son absorption qui déterminent la couverture des besoins en fer [Dallman PR et coll, 1980]. Le fer héminique apporté par les produits d'origine animale a une biodisponibilé nettement supérieure (de l'ordre de 15%) à celle du fer non héminique (de l'ordre de 1% pour le riz à 5% pour le mil ou le sorgho) apporté par les aliments d'origine végétale (Tableau 2). Les apports réels en fer recommandés, compte tenu du taux d'absorption différentiel des aliments, sont de l'ordre de 1 mg/ jour pour les enfants de 1 à 6 ans.   

 

Produits

Portions

Teneur en fer

Taux

Fer absorbé

 

(g)

(mg/100g)

d'absorption

(mg/100g)

Banane plantain

90

0,60

5 %

0,030

Beurre

20

0,20

15 %

0,030

Biscuits

30

1,50

5 %

0,075

Boeuf

100 (30)

3,00

16 %

0,480

Corn flakes

30

7,90

4 %

0,316

Crudités

50

3,00

4 %

0,120

Farine de maïs

20

2,30

5 %

0,115

Feuilles amères

25

8,90

4 %

0,356

Fromage (moyenne)

25

0,85

15 %

0,127

Fruits frais (moyenne)

100

0,30

4 %

0,012

Gombo

25

0,70

4 %

0,028

Igname

25

0,70

4 %

0,028

Jambon

100 (30)

2,50

15 %

0,375

Lait 1/2 écrémé

125

0,05

15 %

0,008

Légumes secs

20

6,50

4 %

0,260

Légumes verts (macédoine)

50

1,00

4 %

0,040

Légumes verts (soupe)

50

0,26

4 %

0,010

Manioc

50

0,90

4 %

0,036

Mil

20

2,60

5 %

0,130

Mouton

100 (30)

2,00

16 %

0,320

Oeuf

60

2,50

5 %

0,125

Pain

60

1,00

5 %

0,050

Pâtes

50

1,20

5 %

0,060

Pâte d'arachide

10

6,00

4 %

0,240

Poisson

100 (30)

1,00

11 %

0,110

Pomme de terre (moyenne)

200

0,60

4 %

0,024

Porc

100 (30)

1,00

16 %

0,160

Poulet

100 (30)

2,00

16 %

0,320

Riz

40

0,40

1 %

0,004

Sorgho

20

3,50

5 %

0,175

Veau

100 (30)

1,00

16 %

0,160

Yaourt

125

0,10

4 %

0,004

Tableau 2: Teneur en fer des aliments consommés par les enfants de 1 à 3 ans.

Table 2: Iron content of food consumed by the children from 1 to 3 years.

           

            Compte tenu des réponses obtenues à notre questionnaire, il a été possible d'établir trois menus types, correspondant à l'origine géographique des parents (Tableau 3). Aucune différence n'est observée dans la composition des petits déjeuners et des goûters qui sont parfaitement occidentaux: les enfants boivent du lait et mangent des céréales, des gâteaux secs ou des tartines de pain beurré. La composition des déjeuners et des diners est beaucoup plus traditionnelle. Les menus de type I correspondent aux repas préparés par les Maliens et les Sénégalais. Les menus de type II sont togolais et béninois. Les menus de type III sont congolais.

            La connaissance de la composition des repas des enfants, et des quantités des différents produits ingérés a permis de mettre en évidence leurs apports quotidiens en fer, compte tenu de leur teneur respective et de leur taux d'absorption dans les différents aliments [Feinberg M et coll, 1991; Favier JC et coll, 1995; Klepping J et coll, 1996) et de déterminer si ces apports étaient suffisants et correspondaient aux besoins habituellement évalués [Dupin H et coll, 1992; Apfelbaum M et coll, 1995; Curtay JP, Lyon J, 1996] en fonction de leur âge. On constate qu'en moyenne, les apports réels en fer des enfants de l'enquête sont inférieurs aux valeurs préconisées (0,54 mg/j pour le menu de type I au lieu de 1 mg/jour recommandé, 0,70 mg/j pour le menu de type II et 0,82 mg/j pour le menu de type III). Le fer biodisponible étant apporté essentiellement par la viande, il n'est pas étonnant de constater une mauvaise couverture des besoins chez les enfants d'origine subsaharienne qui en mangent très peu. En effet, si la totalité des enfants de l'enquête consomment de la viande, ils n'en prennent en moyenne que 30 g par repas (soit 60 g par jour seulement), alors que les enfants de parents français du même âge consomment en moyenne 100 grammes de viande par jour (pris généralement au seul déjeuner). Leur consommation est inférieure de 40% à celle des enfants de parents français. La couverture en fer serait assurée dans un menu de type III avec 40 g de viande de plus, les légumes secs et les feuilles amères ayant également des taux intéressant en fer. Les deux autres types de menus sont aussi pauvres en viande, mais le fer n'est pas non plus apporté par des légumes secs ou des feuilles amères. D'autre part, les fruits riches en vitamines C peuvent multiplier la quantité de fer absorbé; or, dans le menu de type I, les fruits ne sont pas systématiquement présentés au dessert (c'est yaourt ou fruit et non les deux). On a pu constater que 5% des enfants de l'enquête ne consommaient ni fruits ni crudités sur une semaine. La satisfaction des besoins en fer est donc problématique chez les enfants d'origine africaine, une carence en fer est avérée dans la plupart des cas et les enfants sont supplémentés.

 

Petits déjeuner - Goûter:

 

 

 

Lait - céréales ou pain beurré ou biscuits

Déjeuner - Diner:

 

 

Type I

Type II

Type III

 

 

 

riz-légumes-poisson

semoule de blé

manioc-banane plantain

yaourt ou fruit

poisson ou viande

feuilles amères-viande

 

yaourt et fruit

yaourt ou fruit

mil-beurre d'arachide

 

 

mouton

sauce gombo-poisson

haricots blancs-riz

yaourt ou fruit

yaourt et fruit

poisson

 

 

yaourt ou fruit

Apport réel en fer

 

 

0,54 mg / jour

0,70 mg / jour

0,82 mg / jour

Tableau 3: Menus types/ origine géographique et apport quotidien en fer.

Table 3: Standard menus / geographical origin and daily iron supply.

 

Discussion

            La consommation alimentaire réelle des enfants est toujours très difficile à évaluer, d'autant plus que les mères africaines n'ont pas l'habitude de peser, ni même d'évaluer la ration qu'elles présentent à leurs enfants, ou que l'enfant a pû ingérer seul. Cette difficulté rencontrée lors de l'enquête dénote une différence culturelle entre les femmes africaines et les mères françaises. Chez les premières, l'éducation est basée sur l'oralité, et la perception du poids ou des mesures n'est pas exprimée d'une manière concrète. Jusqu'à l'âge de six mois environ, les repas des enfants sont faciles à quantifier par les puéricultrices. Lorsque le nouveau-né est allaité au sein, la quantité de lait absorbé par têtée est évaluée par une pesée avant et après, durant le séjour à la maternité. Ensuite, le nourrisson allaité au sein est pesé une à deux fois par semaine au centre de PMI, au cours du premier mois. Biberons et petits pots sont également faciles à doser. Au-delà de six mois, les petits déjeuners et les goûters des enfants sont encore aisés à quantifier (biberon, verre ou bol de lait, quantité de pain ou nombre de gâteaux). Par contre, les quantités d'aliments ont été plus difficiles à évaluer pour les déjeuners et les diners: les assiettes sont remplies, mais l'enfant prend ce qu'il veut et sa mère se désole et dit qu'il n'a rien mangé lorsque tout n'a pas été consommé, mais ne le force pas. Et lors de la prise des repas en commun avec les "grands", vers 14 mois, le plat familial est au milieu de la table et chacun se sert à sa convenance. Dans ce cas, les plus jeunes enfants ont tendance à choisir la semoule plutôt que des morceaux de viande plus difficiles à mâcher ou dont le goût ne leur convient pas beaucoup. La propension à garder souvent à la bouche un biberon de lait sucré ou de boisson au sirop durant la journée ne les incite pas non plus à apprécier un plat salé au moment des repas.

            On pourrait s'étonner du comportement des mères qui achètent les aliments infantiles en pots du commerce: ceci nous éloigne de l'image traditionnelle de la mère africaine préparant longuement les repas de sa nombreuse famille. Il semble que ce comportement corresponde à un souci de bien faire pour maintenir son enfant en bonne santé. Elles accordent leur confiance aux différents professionnels de santé qu'elles rencontrent en PMI, et voudraient suivre les conseils diététiques prodigués au cours du développement de leur enfant. Seulement, elles peuvent craindre de ne pas savoir préparer une soupe de légumes avec des ingrédients qu'elles ne connaissent pas. Plus que pour un gain de temps, le désir de donner ce qui convient le mieux à son petit enfant semble animer ces mères. D'autre part, la composition des aliments infantiles est rigoureusement déterminée légalement. Et en ce début de XXIè siècle dominé par la peur de la "vache folle" et des OGM, ces aliments sécurisés sont plus sûrs que les produits du marché. Une forte majorité de mères européennes agissent de même actuellement. L'enfant d'origine africaine reçoit donc une nourriture totalement occidentale pendant quelques temps. Ensuite, pour la participation au repas familial, on dit à la mère que son enfant peut manger de tout comme les autres membres de la famille; cela devient plus facile pour elle de composer et préparer des menus traditionnels qu'elle sait faire. Nous avons vu qu'en dehors de la composition des repas, la façon de manger avait aussi des conséquences sur le bilan nutritionnel de l'enfant. 

            En conclusion, les centres de PMI du Val de Marne ne sont pas fréquentés uniquement par des familles défavorisées. Toutes les classes de la société y sont représentées, avec cependant une majorité de familles à revenus moyens à faibles dans la communauté originaire d'Afrique subsaharienne. Mais la méthode d'enquête par questionnaire, sélectionnant les parents volontaires, donc intéressés, et capables de répondre en français, exclut d'emblée les familles les plus en difficulté et ne souhaitant pas se faire connaître (voir les critères d'échantillonnage). Cela nous amène à affirmer que les insuffisances dans les apports alimentaires en fer (et en d'autres éléments) pourraient être plus importantes chez les enfants de familles que nous n'avons pas pu rencontrer. Il est donc primordial pour les professionnels de la santé spécialisés dans la petite enfance de tenir compte de ce facteur. Il est important de connaître les habitudes alimentaires des différentes communautés vivant en France (et les respecter); cette connaissance permet de cibler plus rapidement des supplémentations nécessaires, sans attendre que l'enfant présente des carences.

 

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